Dossier Paru le 26 janvier 2024
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE STRASBOURG

Le pôle commercial innove dans la plaidoirie interactive

Afin d’en finir – progressivement – avec le formalisme quelque peu ennuyeux et assez peu instructif des audiences du pôle commercial du tribunal judiciaire de Strasbourg, ce dernier innove et crée les plaidoiries interactives. Explications.

De gauche à droite : Me Paule Thines, Madame le Bâtonnier du barreau de Strasbourg, M. Tony Fasciglione, Président des juges consulaires, Mme Muriel Zecca-Bischoff, Présidente du Contentieux à la Chambre commerciale.

C’est une quasi première en France ! Jusqu’alors, lorsqu’un dossier parvenait au contentieux général au pôle économique et commercial du tribunal judiciaire de Strasbourg, les plaidoiries conclusives étaient prononcées par les avocats des deux parties, lesquels reprenaient les conclusions écrites précédemment et déposées par les mêmes avocats. L’exercice était donc très formel, sans échange et pas forcément très enrichissant pour l’aboutissement du dossier.

C’est la raison pour laquelle le pôle financier du tribunal judiciaire de Strasbourg a décidé, il y a quelques mois, de se lancer dans des plaidoiries interactives. « Désormais, explique Tony Fasciglione, président des juges consulaires, le magistrat en charge du dossier prononce un rapport oral à partir de ce qu’il a compris des conclusions des avocats, ce qui lui permet d’ailleurs de poser des questions aux avocats sur quelques points éventuels à éclaircir. Et les avocats des deux parties répondent. Et l’échange se met naturellement en place. »

« L’idée de départ, précise Muriel Zecca-Bischoff, Présidente du Contentieux à la Chambre commerciale, c’était de donner un intérêt supplémentaire aux deux juges consulaires lors du suivi de l’audience. Ainsi ils deviennent acteurs après avoir eux-mêmes préparé le dossier, ce qui pourra leur permettre par la suite de rédiger eux-mêmes ou de préparer la rédaction du jugement. Et du coup, l’audience gagne en plus-value. » La plaidoirie interactive est en place au pôle économique et commercial du tribunal judiciaire de Strasbourg depuis septembre 2023. À ce jour, elle a été mise en oeuvre une petite dizaine de fois. Pour l’instant, elle repose en effet sur le volontariat des avocats pour lesquels cela demande généralement un peu plus de travail afin d’être en mesure de répondre à toutes les questions posées. « Et tous ceux qui l’ont mise en oeuvre, aussi bien du côté des avocats que de celui des magistrats sont ravis, se réjouit Tony Fasciglione. Et c’est d’ailleurs l’occasion pour l’avocat d’exercer tout son talent. »

« Meilleure compréhension de la justice »

Et Me Paule Thines, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Strasbourg depuis le 1er janvier dernier, approuve : « Dès lors que le magistrat et les juges consulaires connaissent bien le dossier, cela oblige les confrères à sortir de leurs strictes conclusions et à bien maîtriser l’affaire et les pièces qu’ils produisent. Cela peut permettre de mieux cerner la faiblesse de l’argumentaire adverse et de mieux anticiper sur la suite du dossier. C’est beaucoup plus constructif que de se contenter de lire les conclusions, qui, de toute façon, ont déjà été lues par le magistrat. »

Et au final, cela profite au justiciable : « Cela favorise une meilleure compréhension de la justice, insiste le président des juges consulaires. Il perçoit mieux le raisonnement qui a abouti au jugement. C’est donc un pas de plus dans la voie de la réconciliation du citoyen avec la justice. » Seul petit bémol : puisqu’à Strasbourg, toute la procédure est écrite, la plaidoirie interactive, dès lors qu’elle peut faire apparaître de nouveaux éléments – justement non écrits dans les conclusions – peut nécessiter de rouvrir les débats et donc recommencer à zéro. Cela est déjà arrivé une fois depuis que la procédure est mise en place à Strasbourg.

« Nous sommes au début de l’histoire, reconnaît Muriel Zecca-Bischoff. Mais nous sommes convaincus de l’intérêt de cette nouvelle procédure et de l’utilité de la généraliser progressivement. »

Le « doctolib » des entreprises en difficulté

Mis en place en 2022 par les juges consulaires strasbourgeois, le site www.accueiljusticecommerciale.fr destiné à aider à prévenir les difficultés des entreprises, tourne à plein régime. « Nous sommes débordés, reconnaît Tony Fasciglione. Grâce au site, bon nombre de dirigeants prennent directement rendez-vous sur le web pour une réunion informelle et gratuite avec un juge consulaire, un avocat et un expert-comptable afin de désamorcer une situation avant qu’elle ne dégénère. Tous nos créneaux sont pleins et nous en rajoutons. » « C’est une manière formidable de prévenir les graves difficultés auxquelles les chefs d’entreprise peuvent être confrontés, se réjouit Me Paule Thines. Et nous avons d’ailleurs mis en place une permanence afin qu’un avocat soit toujours disponible pour assister à un de ces rendez-vous. »

Jean de MISCAULT