Droit Paru le 19 août 2022
PREUVE DE L’EXÉCUTION DE L’OBLIGATION D’INFORMATION ANNUELLE DES CAUTIONS

Cass. 1ère civ., 25 mai 2022, n° 21-11045 F-PB, X c/ Banque Y

Il résulte de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier qu’il appartient aux établissements de crédit et aux sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, de justifier de l’accomplissement des formalités légalement prévues et la seule production de la copie de lettres d’information ne suffit pas à justifier de leur envoi.

Pour retenir que la banque a satisfait à son obligation d’information annuelle de la caution, la cour d’appel relève que la banque justifie, par les lettres qu’elle verse aux débats, avoir adressé à la caution l’information requise pour les années 2011 à 2018 pour les deux prêts n° 20188704 et n° 20188705. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier de l’accomplissement des formalités prévues par le texte susvisé, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

La preuve de l’exécution par les établissements de crédit de leur obligation d’information annuelle envers les cautions (prescrite par l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier1 jusqu’à son abrogation par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021) a suscité de longue date des difficultés2 et des réactions de la Cour de cassation face à certains errements des juges du fond. La chambre commerciale de la Haute juridiction3 a ainsi récemment censuré la décision d’une cour d’appel pour n’avoir pas recherché d’office le caractère abusif (au regard de l’article L. 212-1 du Code de la consommation) d’une clause stipulant que les parties à un cautionnement (souscrit par une personne physique envers une banque) convenaient que « la production d’un listing informatique fera(it) preuve de l’information entre elles ».Un autre arrêt, rendu par la première chambre civile le 25 mai 20224 , se montre à son tour très rigoureux quant aux moyens de preuve de l’information donnée qui peuvent être utilement fournis par les établissements de crédit. En l’occurrence, statuant sur renvoi après un premier arrêt de cassation, la Cour d’appel de Limoges a rejeté la demande d’une caution en déchéance du droit aux intérêts pour non-respect de l’obligation d’information annuelle en affirmant que « la banque justifie par les courriers qu’elle verse aux débats avoir adressé à la caution l’information requise pour les années 2011 à 2018 pour les deux prêts n° 20188704 et n°20188705». Les juges du fond avaient ainsi admis que la banque pouvait rapporter la preuve de l’exécution de son obligation par la seule production de la copie de lettres d’information de la caution.

La première chambre civile accueille le pourvoi formé contre cet arrêt par la caution et exerce sa censure au visa de l’article L. 313- 22 du Code monétaire et financier (pts. 4-6) : «Il résulte de ce texte qu’il appartient aux établissements de crédit et aux sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, de justifier de l’accomplissement des formalités légalement prévues et que la seule production de la copie de lettres d’information ne suffit pas à justifier de leur envoi. Pour retenir que la banque a satisfait à son obligation d’information annuelle de la caution, l’arrêt relève que la banque justifie, par les lettres qu’elle verse aux débats, avoir adressé à la caution l’information requise pour les années 2011 à 2018 pour les deux prêts n° 20188704 et n° 20188705. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à justifier de l’accomplissement des formalités prévues par le texte susvisé, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Cette solution s’inscrit dans le sillage de décisions antérieures (1°) et devrait conserver toute sa pertinence sous l’empire des dispositions de l’article 2302 du Code civil énonçant le nouveau régime de l’obligation d’information des cautions instauré par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés (2°).

1°) L’arrêt rapporté réaffirme d’abord clairement que la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information annuelle pèse sur l’établissement de crédit, qui en est le débiteur5. D’une manière générale, c’est à celui qui est tenu d’une obligation d’information de rapporter la preuve qu’elle l’a fournie, afin de ne pas imposer au créancier une preuve négative très difficile à établir (comme l’article 1112-1, alinéa 4 du Code civil en offre une illustration en ce qui concerne le nouveau devoir d’information précontractuel).

L’arrêt se place ensuite sur le terrain du moyen de preuve à produire par l’établissement de crédit pour exclure de manière catégorique que l’envoi des lettres d’informations annuelle des cautions puisse être établi par la seule production d’une copie6. À cet égard, même si la preuve de l’information donnée est libre, puisqu’il s’agit d’un fait juridique7, la copie d’une lettre d’information peut sans doute en établir la teneur mais n’est pas pertinente pour prouver qu’elle a bien été envoyée à la caution par l’établissement de crédit.

Il reste que, comme l’a déjà admis la chambre commerciale de la Cour de cassation8, la preuve de l’envoi des lettres d’information des cautions devrait encore pouvoir être établie par un constat d’huissier « attestant globalement des envois annuels ». Quoi qu’il en soit, la publication de l’arrêt au Bulletin civil souligne l’importance de la solution retenue et sa vocation à la pérennité au-delà de l’abrogation de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier.

2°) L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a abrogé l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier et, dans un souci de simplification et de lisibilité de notre droit, lui a substitué un nouveau régime d’information, unique, prévu par l’article 2302 du Code civil9 qui est applicable depuis le 1er janvier 2022 (et ce y compris s’agissant des cautionnements souscrits antérieurement, sauf dans le cadre des contentieux en cours à cette date, comme dans le cas de l’arrêt rapporté). Si le domaine de l’obligation d’information est sensiblement élargi10, son objet, ses modalités et ses sanctions sont maintenus, de sorte que les solutions retenues antérieurement par la jurisprudence sur ces questions devraient perdurer11.

 

Notes

1. L’article L. 313-22, alinéa 1 du Code monétaire et financier énonçait : « Les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l’engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercées ».

2. V. notamment L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, LGDJ, 15ème éd., 2021, n° 201.

3. Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-13719, BRDA 5/22, n° 15; Banque & Droit mars-avril 2022, p. 31, obs. N. Kilgus

4. BRDA 13/22, n° 11.

5.Sur la charge de la preuve, V. notamment Cass. 1ère civ., 2 octobre 2022, n° 01-03921, F-PB, Contrats, conc., consom. 2003, n° 21, note L. Leveneur; RJDA 2003, n° 189, jugeant que la banque qui réclame à la caution d’un emprunteur défaillant le paiement des sommes restant dues est seulement tenue de prouver qu’elle a effectivement adressé à la caution l’information prévue à l’article L 313-22 du Code monétaire et financier et non d’établir au surplus que la caution l’a effectivement reçue; adde les decisions citées in Code de commerce Dalloz 2022, sous article L. 313-22 du Code monétaire et financier, note 35, Charge et objet de la preuve.

6. V. déjà très clairement en ce sens Cass. com., 17 avril 2019, n° 17-31390 F-D, RJDA 2019, n° 589, jugeant en des termes très généraux que «la seule production de la copie d’une lettre ne suffit pas à justifier de son envoi».

7. Ce qui autorise aussi la banque à se préconstituer la preuve de l’envoi de l’information car « le principe selon lequel nul ne peut se constituer une preuve à soi-même n’est pas applicable à la preuve d’un fait juridique » (Cass. 2ème civ., 6 mars 2014, n° 13-14295, JCP 2014, 67, note P. Lemay).

8. Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-20352 : « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a estimé que la (banque) rapportait la preuve de l’envoi des lettres d’information annuelle à M. X... en produisant les copies de ces lettres ainsi que les procès-verbaux d’huissier de justice attestant globalement des envois annuels ». Il en résulte que si la seule production d’une copie de la lettre d’information est insuffisante, la production d’une copie de la lettre et d’un constat d’huissier attestant de son envoi satisfait en revanche aux exigences de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier ; sur les autres moyens de preuve envisageables, V. N. Kilgus, obs. préc. sous Cass. com., 19 janvier 2022, in fine.

9. Ce texte, énonce, dans trois alinéas : « Le créancier professionnel est tenu, avant le 31 mars de chaque année et à ses frais, de faire connaître à toute caution personne physique le montant du principal de la dette, des intérêts et autres accessoires restant dus au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation garantie, sous peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus depuis la date de la précédente information et jusqu’à celle de la communication de la nouvelle information. Dans les rapports entre le créancier et la caution, les paiements effectués par le débiteur pendant cette période sont imputés prioritairement sur le principal de la dette. Le créancier professionnel est tenu, à ses frais et sous la même sanction, de rappeler à la caution personne physique le terme de son engagement ou, si le cautionnement est à durée indéterminée, sa faculté de résiliation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci peut être exercée. Le présent article est également applicable au cautionnement souscrit par une personne morale envers un établissement de crédit ou une société de financement en garantie d’un concours financier accordée à une entreprise».

10. Sur le nouveau régime de l’obligation d’information des cautions, et notamment l’élargissement de son domaine et son caractère d’ordre public, V. L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, op. cit., n° 202.


11. V. aussi en ce sens le commentaire précité de l’arrêt rapporté au BRDA 11/22, n° 13, spéc. 2° considérant que devrait aussi être maintenue la solution (Cass. com., 19 janvier 2022, préc.) selon laquelle le juge doit rechercher d’office (dans le cas d’un cautionnement souscrit par un consommateur envers un professionnel si ne revêt pas un caractère abusif la clause à établir de manière irréfragable la preuve de l’exécution de son obligation d’information annuelle par des documents qu’elle a établis unilatéralement, comme des listings informatiques.

Nicolas RONTCHEVSKY