Droit Paru le 23 décembre 2022

VIVE LA TRADITION DES ÉTRENNES

La nouvelle année approche à grands pas et cela va donner l’occasion à chacun d’offrir une nouvelle fois des étrennes à ses proches. Les proches sont certes les membres de la famille, enfants, petits-enfants, neveux, cousins et autres mais aussi des professionnels avec lesquels des relations ont pu être nouées. En fin d’année de nombreuses personnes se préparent à donner de l’argent à des membres de leur entourage (I) mais, parfois, elles se demandent quelles sont les règles juridiques applicables en la matière (II). Aborder ce point permet aussi de rassembler des conseils pour gérer les étrennes qui vont être programmées et également de souhaiter à tous de belles fêtes de fin d’année.

Vive la tradition des étrennes

I – Le choix de faire des étrennes

Offrir des étrennes revient à faire un présent d’usage sous la forme du versement d’une somme d’argent, versement soumis à aucune formalité. Il peut s’agir de cadeaux programmés à l’occasion du premier jour de l’année ou de gratifications de fin d’année, comme par exemple les dons d’étrennes pour le facteur.

Cette belle tradition remonte à l’Antiquité. Précisément, le terme « Étrennes » vient du mot latin « strena » qui signifie « faire un cadeau pour apporter un bon présage », autrement dit « faire un cadeau pour souhaiter que tout se passe bien ». Au moment du solstice d’hiver, moment où les journées plus courtes et les nuits les plus longues correspondent nettement à l’arrivée de l’hiver, les Romains offraient des petits cadeaux tels que des fruits ou du miel à leur famille ainsi qu’à leurs amis. C’était une façon de souhaiter qu’il ne leur arrive que du bonheur pour le passage dans la nouvelle année.

Au fil du temps, ces petits cadeaux ont été remplacés par de l’argent de poche, pièces de monnaie ou billets de banque et des médailles en or, en argent ou en bronze. De plus, si au départ ces sommes étaient versées pour honorer des personnes proches (personnes influentes, prêtres, monarques, etc.), à présent elles ont pour objectif de les remercier pour les services rendus. Cela permet de récompenser ainsi certaines tâches non rémunérées.

On le sait bien, plein de cadeaux se font à Noël, toutefois ils sont aussi souvent complétés par des étrennes bénéficiant aux membres de la famille. Des enfants reçoivent ainsi de l’argent de poche mais parfois leurs grands-parents ou arrière-grands-parents leur donnent des louis d’or.

En outre, des étrennes peuvent être offertes à des professionnels que l’on souhaite remercier, tels que des gardiens d’immeuble, des facteurs, des pompiers, des livreurs de journaux, des éboueurs, des assistantes maternelles, des aide-ménagères ou autres personnes dont la mission est d’assurer des protections ou des accompagnements.

Dans le cadre de cette belle tradition, cela permet à chacun de faire plaisir à son entourage à l’occasion des fêtes de fin d’année ou de remercier les uns ou les autres pour les services qu’ils ont rendus avec sympathie.

Néanmoins, il n’y a aucune obligation en la matière, ni obligation d’offrir des étrennes, ni barème à respecter. Choisir de préparer des étrennes est un gage de reconnaissance pour remercier les personnes méritantes, dévouées, disponibles ou solidaires. Cela permet de maintenir des relations cordiales ou de les créer avec les professionnels qui rendent service mais on peut estimer que les professionnels sont déjà rémunérés ou que les liens avec ces derniers ne sont pas intéressants ou encore que les membres de la famille ont déjà été suffisamment gâtés lors des fêtes de Noël.

Cette pratique qui était vraiment courante autrefois, ne semble plus avoir le même impact actuellement. La société évolue et pour de nombreuses personnes, la tradition des étrennes s’est perdue. Ces présents d’usage sont moins systématiques qu’autrefois. Il est vrai que beaucoup de cadeaux sont faits au coeur des familles en 15

particulier à Noël, aussi elles n’ont plus besoin de continuer encore des versements sous forme d’étrennes.

Par ailleurs, on s’est rendu compte qu’il y avait souvent des arnaques dans ce domaine. En effet, il arrive parfois que des individus se présentent en faisant croire qu’ils sont pompiers ou facteurs dans le but de tenter de récupérer de l’argent. Dans l’idéal, il est indispensable de vérifier l’identité de la personne avant de lui remettre des étrennes, voire de lui demander de présenter sa carte professionnelle. Il faut se méfier de ces faux démarcheurs ou faux agents municipaux, des usurpateurs et des escrocs faisant parfois du porte-à-porte.

Du coup, la fréquence des étrennes s’est considérablement réduite surtout du côté des jeunes générations. Ce sont assurément les anciens qui perpétuent la tradition car ils apprécient les services qui leur sont rendus et ils continuent à se manifester de cette façon afin de remercier leur entourage familial ou professionnel. Il faut dire aussi que le Covid est passé par là, détruisant des relations intenses naguère, de même que l’inflation qui restreint considérablement les budgets.

II – Les conséquences juridiques du versement des étrennes

Cette pratique est quelque peu encadrée par la loi qui aborde la question des donations, de strictes conditions devant être remplies en l’occurrence. Par ailleurs, il faut savoir que pour certaines professions (les pompiers notamment) une autorisation du préfet ou du maire est quelque fois requise pour que ce type de don soit effectué.

Transmettre de l’argent à son entourage est normalement qualifié de don manuel, toutefois des règles spécifiques sont mises en place pour les versements qualifiés de don d’usage. D’importantes conséquences découlent de cette requalification car une plus grande liberté est organisée pour les donateurs en ce qui concerne les présents d’usage.

En effet, quand quelqu’un transmet de la main à la main un bien matériel, à savoir un meuble ou des liquidités à autrui, il est question de don manuel. Le bénéficiaire de ce versement doit en principe déclarer ce don manuel au service des impôts afin d’obtenir une date certaine pour ce versement, tout en laissant une trace tangible qui permettra le cas échéant de pouvoir justifier par la suite de sa provenance.

En pareil cas, il faut alors acquitter des droits de mutation en fonction du montant transmis mais le législateur a prévu plusieurs abattements, à savoir 100 000 euros lors d’un don à un enfant et 31 865 euros pour un don des grands-parents aux petits-enfants (montant maximum sans frais durant 15 ans).

Il importe ensuite d’en tenir compte dans le calcul d’un héritage car les donations réduisent la part de l’héritier au jour de l’ouverture de la succession hormis pour les dons d’usage.

À l’inverse, il est question de présent d’usage pour les cadeaux donnés aux proches dans le cadre d’une tradition, don remis de la main à la main à l’occasion notamment de fêtes d’anniversaire, de fiançailles ou de mariage et bien sûr de Noël (I. Corpart, Les cadeaux de Noël, une affaire de sentiments ou de prix, JCP G 21 déc. 2020.1471, n° 52, p. 2345) et en l’occurrence des étrennes. Encore faut-il que ces dons n’excèdent pas une certaine valeur, laquelle n’est pas déterminée par les textes mais est calculée en fonction de l’état de fortune du donateur. Certes le montant des étrennes est laissé à la libre appréciation de chacun, toutefois il ne faut pas qu’il soit trop élevé pour qu’il soit vraiment question de présent d’usage mais pas non plus trop faible (1 ou 2 euros) parce que cela pourrait être jugé vexatoire. Toutefois comme il ne s’agit pas juridiquement de donation, il n’est pas possible de songer à une révocation pour ingratitude (et pas non plus bien sûr pour survenance d’enfant).

En fonction du montant et des circonstances, il y a parfois des difficultés qui s’ensuivent. Ainsi dans une affaire les étrennes versées à la femme de ménage ont été contestées par la famille de la donatrice (CA Versailles, 11 févr. 2020, n° 18/07310).

Même quand le montant transmis n’est pas très élevé, la coutume qui consiste à faire ce geste a une forte valeur symbolique car c’est une forme de remerciement aux personnes qui ont facilité au fil du temps le quotidien du donateur (concierge ou gardien de l’immeuble, assistante maternelle, éboueur, facteur, pompier ou autres corps de métier) et qui, au sein des familles, renforce les liens d’affection.

Il est important de pouvoir classer de tels dons dans la catégorie des présents d’usage car ils échappent alors à la réglementation des libéralités et des successions et ils ne doivent pas être rapportés, c’est-à-dire réintégrés au montant de la succession en vue de déterminer le partage de l’héritage (C. civ., art. 852).

L’appréciation de la notion de cadeau d’usage est laissée au pouvoir souverain des juges du fond aussi les étrennes en font partie à partir du moment où elles reposent sur une tradition donc sur un usage, en l’occurrence, le démarrage de l’année nouvelle. Encore faut-il que le montant alloué soit raisonnable par rapport au train de vie du donateur, lequel ne doit pas souffrir en ce cas d’appauvrissement. Il est vrai que cette notion est un peu aléatoire puisque les textes n’indiquent pas des seuils précis en la matière. Effectivement l’alinéa 2 de l’article 852 du Code civil mentionne simplement que « le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant ».

Il n’est donc pas nécessaire de prévoir de droits de mutation ni de déclaration pour les présents d’usage, y compris pour les étrennes. Le cas échéant si le montant est trop élevé, l’acte sera requalifié en don manuel. Un présent d’usage est exonéré d’impôt si la somme versée n’est pas disproportionnée par rapport au patrimoine du donateur. Au contraire quand la somme versée est excessive, le présent d’usage risque d’être requalifié par le fisc en don manuel s’il en a connaissance. Les étrennes seront en ce cas taxables, et rapportables à la succession.

Normalement les étrennes sont donc appréciées juridiquement comme des cadeaux de valeur modeste, traditionnellement offerts à l’occasion des fêtes de fin d’année. En conséquence, elles peuvent être transmises à toute personne que l’on veut favoriser, y compris au sein de sa famille car les règles successorales sont éludées (notamment le calcul de la réserve héréditaire pour les héritiers réservataires), de même que les règles applicables aux libéralités qui sont écartées. Ces versements relativement modestes ne sont soumis à aucune formalité et n’entraînent pas de conséquences juridiques car ils ne sont pas non plus imposés fiscalement.

Préparez vos étrennes si vous en avez envie pour bien profiter de cette période festive en restant clairement dans le cadre des présents d’usage en vue d’éviter tout formalisme ! Profitez-en d’autant plus que nous ne sommes pas actuellement placés sous le signe des restrictions sanitaires. Il ne faut pas hésiter à faire des cadeaux pour raviver les liens affectifs ou les liens d’amitié et de gâter vos proches qui ont besoin d’un coup de pouce car ainsi, ils se souviendront longtemps de votre charmante attitude.

Les étrennes font partie de la belle tradition associée aux fêtes de fin d’année, alors bonne année 2023 à tous, que vous fassiez ou pas le choix d’offrir des étrennes. Si vous ne les avez pas encore versées, sachez que vous pouvez le faire à tout moment. Elles peuvent être offertes le 1er janvier pour bien débuter la nouvelle année, mais aussi quelques jours avant au moment de Noël et de même un peu plus tard au courant du mois de janvier.

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace