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Droit Paru le 14 mars 2023

Rappel de l’exigence d’un engagement «exprès » de la caution

En présence d’un contrat d’achat d’un fonds artisanal, renfermant aussi un cautionnement, signé par le dirigeant d’une société en qualité de représentant légal de celle-ci, la cour d’appel, qui, ayant procédé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, à la recherche de la commune intention des parties, que l’ambiguïté des termes de l’acte rendait nécessaire, a pu considérer que le dirigeant ne s’était pas engagé en qualité de caution. (Cass. com., 12 octobre 2022, n° 21-19253 FD, Sté Z c/ E)

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Le cautionnement est un engagement à haut risque («caution donnée, proche le malheur» disait-on jadis) qui justifie le devoir de mise en garde (imposé désormais par le nouvel article 2299 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, à tout créancier professionnel en présence d’une caution personne physique) et la règle traditionnelle selon laquelle l’engagement de la caution «doit être exprès». Un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 octobre 20221 en fait une nouvelle fois application, en présence d’un même acte sous seing privé renfermant l’engagement principal d’une société et le cautionnement de son dirigeant, qui est une figure classique2.

En l’occurrence, une société Z a cédé son fonds artisanal de couverture à une autre (X E) aux termes d’un acte sous seing privé du 23 juillet 2015 (intitulé « Vente de fonds artisanal ») contenant aussi un prêt et une clause intitulée « caution solidaire à titre personnel de M. E , soussigné aux présentes en qualité d’associé unique et gérant du cessionnaire ». Autrement dit, l’acte de vente était signé au nom des deux sociétés par leurs dirigeants respectifs en tant que représentants légaux mais comportait aussi un cautionnement solidaire du dirigeant de la société cessionnaire.

Se prévalant de cette clause de cautionnement solidaire, la société cédante (Z) du fonds artisanal a assigné le gérant (M. E) de la société cessionnaire (X E) en exécution de la garantie et en paiement des sommes restant dues au titre de la vente du fonds. Par un arrêt du 6 mai 2021, la Cour d’appel de Bourges a rejeté cette demande en énonçant que l’acte ne comportait aucune signature du gérant (M. E), seule susceptible de caractériser l’engagement personnel de celui-ci en qualité de caution, que ce défaut de signature affectait la validité même de l’engagement de caution, et que l’engagement personnel de M. E n’avait pas pu être valablement constitué dans le cadre d’une convention qu’il n’avait pas personnellement signée et à laquelle il ne pouvait ainsi être considéré comme ayant été partie.

Le pourvoi en cassation formé par la société créancière (Z) contre cette décision faisait valoir (i) que la double qualité en laquelle intervient le signataire d’un acte juridique, d’une part à titre personnel et, d’autre part, en qualité de représentant d’un tiers, n’impose pas la nécessité d’une double signature comme condition de validité de cet acte et (ii) que même en considérant que M. E n’était pas intervenu à titre personnel à l’acte, la cour d’appel avait dénaturé la clause de cautionnement insérée dans celui-ci. La Chambre commerciale réfute cette argumentation en quatre paragraphes (pts. 4-7 de l’arrêt rapporté) :

«Selon l’article 2292 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement ne se présume point et doit être exprès. Il en résulte que si la double qualité en laquelle intervient le signataire d’un acte, d’une part, à titre personnel et, d’autre part, en qualité de représentant d’un tiers, n’impose pas l’apposition d’une double signature comme condition de validité de cet acte, le signataire n’est engagé en qualité de caution qu’à la condition que la signature unique ait été portée sur l’acte de manière non équivoque en cette qualité. Après avoir relevé que l’acte litigieux, dénommé « vente d’un fonds artisanal », avait été paraphé et signé, d’une part, par la société [Z] couverture charpente, représentée par M. [Y], son gérant, et, d’autre part, par la société [X] [E], représentée par M. [E], son gérant, l’arrêt retient qu’en l’état de ces termes, seule la société [X] [E] a pu être engagée par la signature de M. [E], en sa qualité de représentant de ladite société. Il ajoute que, s’il y a été intégrée une clause intitulée « caution solidaire à titre personnel de M. [E], soussigné aux présentes en qualité d’associé unique et gérant du cessionnaire », cette seule clause n’emporte pas d’engagement personnel de M. [E], en l’absence de toute mention dont il résulterait de manière non équivoque que la signature de M. [E] avait également été donnée en son nom personnel, en qualité de caution. En l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, procédé à la recherche de la commune intention des parties, que l’ambiguïté des termes de l’acte rendait nécessaire, a pu considérer que M. [E] ne s’était pas engagé en qualité de caution au profit de la société Z».

La solution est pleinement justifiée au regard de l’exigence spécifique (et rare) d’un engagement « exprès »3 de la caution, qui est destinée à protéger celle-ci. Le pourvoi se plaçait certes dans le sillage d’un arrêt antérieur de la Chambre commerciale4 qui avait jugé, à propos d’un engagement de codébiteur solidaire (plus redoutable encore qu’un cautionnement5), que « la double qualité en laquelle intervient le signataire d’un acte juridique, d’une part à titre personnel et, d’autre part, en qualité de représentant d’un tiers, n’impos(e) pas la nécessité d’une double signature comme condition de validité de cet acte». À cet égard, le rejet du pourvoi est d’autant plus remarquable qu’une clause claire de l’acte litigieux signé par le gérant, excluant au premier abord toute interprétation par le juge (en vertu de l’adage Interpretatio cessat in claris6), prévoyait son cautionnement auquel le créancier, qui n’était pas un professionnel du crédit, avait donc pu légitimement se fier. Mais s’agissant d’un cautionnement, les dispositions du droit commun applicables en cas d’ambiguïté d’un acte et justifiant son interprétation par le juge (anciens articles 1156 et suivants, désormais articles 1188 et suivants du Code civil, depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations) reçoivent le renfort de cette exigence particulière, tenant à une « expression formelle et univoque de l’engagement de la caution»7, qui ne peut donc pas être tacite ou implicite8. Rendue sur le fondement de l’ancien article 229 du Code civil, la solution retenue par l’arrêt rapporté est transposable sous l’empire des nouvelles dispositions de l’article 2294 du Code civil (issues de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, applicables aux cautionnements conclus à partir du 1er janvier 2022) réaffirmant que « le cautionnement doit être exprès».

Les créanciers devront tirer un enseignement majeur de l’arrêt rapporté : même si le cautionnement n’est pas un contrat solennel, l’engagement de la caution doit résulter d’un écrit clair et signé par elle en cette qualité. En présence d’un acte comportant un engagement d’une société et un cautionnement de cet engagement par son dirigeant, la validité de la garantie implique une mention univoque de cet engagement et de la portée de la signature du dirigeant ou une double signature de sa part (sauf à ce que la garantie souscrite soit prévue par un acte notarié, dont le contenu fait foi, en vertu de l’article 1371 du Code civil, de ce que l’officier public a personnellement constaté9).

 

Notes

1. BRDA 24/12, n° 22.

2. Comp., pour le cas d’un acte signé de son propre nom par le représentant légal d’une société et sans que soit mentionné dans aucun document qu’il agit en tant que dirigeant ou associé, Cass. com., 22 février, n° 03-16398 F-D, RJDA 2005, n° 703, jugeant qu’il appartient au tiers contractant de prouver que le dirigeant a manifesté la volonté d’agir au nom et pour le compte de la société, cette preuve pouvant résulter de circonstances de fait, comme un commencement d’exécution par la société ou une ratification par les associés.

3. V. le sens de ce mot in Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant, sous la direction de G. Cornu, V° Exprès, esse : « Formellement exprimé ; explicitement manifesté, en général (ex. C. civ. a. 932) parfois par la parole ou même par de simples signes ou gestes consacrés par l’usage ».

4. V. Cass. com., 9 mai 2018, n° 16-28156 F-PB, RJDA 2018, n° 642, rendu au double visa des anciens articles 1134 et 1216-4 du Code civil (désormais articles 1103 et 1367), ce dernier texte énonçant que la signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie son auteur et manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte.

5. Sur cet engagement, V. notamment Ph. Simler, Cautionnement, Garanties autonomes, Garanties indemnitaires, LexisNexis, 5ème éd., 2015, n° 28.

6. Sur cet adage, V. C. Drand, Le caractère législatif de l’adage Interpretatio cessat in claris en droit français des contrats, Scientia Juris n° 2, Revue générale du droit on line, 2013, n° 749; V. aussi désormais article 1192 du Code civil : « On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ».

7. L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, LGDJ, 16ème éd., 2022, n° 100.

8. Rappr. déjà Cass. 1ère civ., 21 janvier 1976, n° 73-13927, Bull. civ. I, n° 28 : après avoir visé les dispositions de l’article 2015 du Code civil relatives au caractère exprès du cautionnement, la Haute juridiction juge que « la cour d’appel, qui relève que X a signé l’acte de cession de bail en qualité de gérant de la société G, cessionnaire du bail, sans s’obliger personnellement au paiement des loyers et à l’exécution des clauses et conditions du bail, en déduit à bon droit que X n’a engagé par sa signature que la société qu’il représentait » ; Cass. com., 11 juillet 1995, n° 93-17516 D, JCP 1997, I, 3991, n° 4, obs. Ph. Simler et Ph. Delebecque, dans un cas où deux époux avaient expressément signé en qualité de cogérants d’une société un acte portant reconnaissance de dette de cette société envers une autre et cautionnement desdits époux, en l’absence d’une autre signature en qualité de cautions.
9. V. par exemple Cass. com., 21 septembre 2010, n° 09-15773 F-D, RJDA 2011, n° 182 jugeant, au visa des articles 1319 et 2292 du Code civil, que « l’intervention de la même personne dans un acte notarié en une double qualité, constatée par le notaire, n’impose pas la nécessité d’une double signature» (engagement d’un dirigeant de garantir le prêt consenti à sa société par une banque dans le même acte). Cette solution s’explique par l’intervention du notaire, lequel authentifie par sa signature les engagements contenus dans l’acte, dont il a préalablement donné lecture aux parties qui adhèrent globalement à son contenu par leur signature.

Nicolas RONTCHEVSKY