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Droit Paru le 05 décembre 2023
DRAME LIÉ AU DISTILBÈNE

Nouvelle prise en compte de l’anxiété d’une femme enceinte

Le préjudice d’anxiété d’une femme enceinte souffrant de problèmes liés à des prises de médicament pendant sa grossesse vient d’être pris en charge par la Cour de cassation. Dans l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 18 octobre 2023 (n° 22-11.492) la responsabilité de la société créatrice des médicaments a été reconnue puisqu’il est vrai que la prise de médicaments peut susciter des dangers.

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Les problèmes rencontrés par une femme durant sa grossesse sont en lien avec le Distilbène, médicament qu’elle a dû prendre mais qui l’a ensuite rendue malheureusement infertile (I). Les juges ont reconnu qu’il fallait dans ce contexte mettre en place la responsabilité de la société UCB Pharma, productrice du Distilbène (II) parce que la femme concernée a subi des risques de santé liés à la prise de ces médicaments, victime d’un préjudice d’anxiété en raison de son infertilité. Dans cette affaire, la Cour de cassation s’est intéressée au cas d’une demande en réparation d’un préjudice lié à l’exposition in utero d’une femme enceinte à un oestrogène de synthèse, en relation avec la prise de médicaments pendant la grossesse.

I – Les risques de santé liés à la prise de Distilbène

Le Distilbène est un oestrogène de synthèse prescrit aux femmes enceintes en France depuis 1948 pour prévenir les fausses-couches. En effet, le Distilbène, à savoir le diéthylboestrol nommé DES est une hormone de synthèse qui a été prescrite pour éviter des fausses couches et les risques de prématurité ainsi que pour traiter les hé­morragies chez les femmes enceintes.

Malheureusement beaucoup de drames ont été repérés car chez de nombreuses filles qui ont utilisé ce médicament, la molécule a pro­voqué des malformations génitales, des problèmes d’infertilité, des grossesses compliquées et des cancers particuliers du col de l’utérus, du vagin et du sein. C’est aux USA en 1971 que les premiers cas de cancers du vagin chez des jeunes filles qui avaient été exposées in utero au DES ont attiré l’attention. En outre, un des premiers cas français d’adénocarcinome vaginal chez une jeune fille a été publié en 1975.

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 18 octobre 2023, la femme qui a dû prendre du Distilbène a constaté que ce médicament a eu de pénibles retombées sur elle. En effet cette prise in utero l’a rendue très anxieuse et elle en a beaucoup souffert dans la mesure où le médicament pris durant la grossesse l’a rendue infertile.

En raison de l’exposition in utero au diéthylstilbestrol aussi dénommé DES liée à la prise de ce médicament, une action en justice a été intro­duite pour tenter d’obtenir que la société productrice de ce médicament, à savoir la société UCB Pharma, soit jugée responsable des risques de santé encourus et pour que le préjudice lié à cette exposition in utéro de l’intéressée à un oestrogène de synthèse obtienne réparation.

Ce n’est pas la première fois que l’exposition au Distilbène a des effets perturbateurs et il importe que les malades soient bien soutenus1, raison pour laquelle le préjudice d’anxiété a déjà été retenu pour les personnes exposées in utero au Distilbène2.

De nombreux drames ont été repérés, les enfants et les petits-enfants des femmes qui s’étaient vu prescrire ce produit pour limiter les risques de fausses couches ont eu des problèmes de santé, certains étant polyhandicapés, d’autres infertiles, le médicament ayant provoqué de lourdes malformations congénitales et des effets multigénérationnels.

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation comme dans d’autres, les effets nocifs du Distilbène sont confirmés et ce, sur plusieurs générations. Certes ce médicament permet de prévenir les fausses couches néanmoins il laisse souvent des séquelles sur les malades qui le consomment. Les problèmes de santé ayant été repérés et confirmés, une action a pu être menée sur la base de l’article 1240 du Code civil afin de mettre en place la responsabilité de la société productrice de ce produit défectueux.

On peut noter aussi qu’il a déjà été relevé en droit médical que, ne pas indiquer dans la notice d’un médicament les risques encourus, traduit le défaut de sécurité dudit médicament lequel est susceptible d’engager la responsabilité de son fabricant3.

II – Le versement de dommages et intérêts en raison du préjudice d’anxiété subi par la malade

La Cour de cassation a ouvert la voie aux indemnisations des victimes du Distilbène. Les juges du fond (CA Paris, 16 déc. 2021, n° 18/05215) avaient refusé de mettre en oeuvre la responsabilité de la société UCB Pharma, productrice du Distilbène en raison des risques de santé encourus, refusant ainsi que le préjudice lié à cette exposition in utéro de l’intéressée à un oestrogène de synthèse obtienne réparation. Ils avaient choisi de ne pas mettre en oeuvre l’article 1240 du Code civil (anciennement C. civ., art. 1382), estimant que n’est pas rapportée la preuve du lien de causalité entre le préjudice d’anxiété et la faute des fabricants du médicament pris par la femme enceinte.

Ils ont effectivement écarté la responsabilité de la société productrice de ce médicament en se basant sur l’incertitude liée à la cause de l’infertilité, relevant que la demanderesse ne présentait aucune des anomalies de l’appareil génital associées à l’exposition au DES, raison pour laquelle les membres de la famille ont formé un pourvoi en cassation.

Dans cette affaire, les juges de la Cour de cassation ont estimé que les juges d’appel ont exclu sur la base de motifs insuffisants que l’exposition au DES aurait contribué à l’infertilité de la malade et donc ils ont reconnu que la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. Les juges du fond avaient effectivement estimé que la preuve d’un lien de causalité entre l’exposition de la femme enceinte au Distilbène et son hypofertilité n’était pas rapportée, toutefois ce raisonnement n’a pas été suivi par la Cour de cassation.

Se référant à l’article 1240 du Code civil (qui a remplacé l’article 1382), texte lié au jeu de la responsabilité civile, la Cour de cassation relève : « Il résulte de ce texte que constitue un préjudice indemnisable l’anxiété résultant de l’exposition à un risque de dommage ». De plus, conformément à cet article, ouvre droit à réparation le dommage en lien causal avec une faute, même si elle n’est pas la seule cause de l’anxiété subie dans ce contexte : « Il résulte de ce texte qu’ouvre droit à réparation le dommage en lien causal avec une faute, même si celle-ci n’en est pas la seule cause ».

En effet, l’infertilité subie peut être due à la fois à une infection et à l’exposition à un médicament durant la grossesse. Par conséquent il importe de tenir compte de la responsabilité de la société UCB Pharma, productrice du Distilbène en raison de l’exposition in utero à un oestrogène de synthèse.

Il faut se réjouir que le préjudice d’anxiété ait été une nouvelle fois réparé. En effet, pour les personnes qui prennent des médicaments, il est rassurant que l’anxiété résultant de l’exposition à un risque de dommage constitue un préjudice indemnisable.

Conformément à l’article 1245-3 du Code civil, un produit est défec­tueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre. Dans un tel contexte, la Cour de cassation a effectivement déjà engagé la responsabilité du fabricant d’un vaccin susceptible de faire naître une sclérose en plaques4. Par ailleurs, les juges ont aussi reconnu que le fabricant d’un médicament à risque « malformatif » de l’enfant à naître en cas de grossesse de la patiente est respon­sable5. Et dans une autre affaire, arrêt rendu le 19 juin 2019, la Cour de cassation a également relevé « le régime probatoire applicable en matière d’exposition au DES et d’imputabilité du dommage à cette exposition »6.

L’intérêt principal du dossier traité par la Cour de cassation tient au fait que les juges ont reconnu que la réparation du dommage n’implique pas la notion de faute exclusive. Dès lors, il n’est pas imposé à la victime de prouver que l’exposition au DES est la cause exclusive de ses problèmes de santé, en l’occurrence son infertilité. En effet, il n’est pas exigé que les pathologies soient exclusivement causées par l’exposition au DES, raison pour laquelle l’infertilité peut aussi être liée à d’autres problèmes de santé, en complément de la prise du Distilbène, médicament qui a ouvert ce débat.

La Cour de cassation n’a pas partagé l’analyse faite par les juges de la cour d’appel qui avaient écarté la responsabilité de la société productrice de médicament en se basant sur l’incertitude quant à la cause de l’infertilité. Elle estime que constitue un préjudice indemni­sable l’anxiété résultant de l’exposition à un risque de dommage et relève que la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Pour la Cour de cassation, conformément à l’article 1240 du Code civil, il convient donc d’ouvrir droit à réparation en cas de dommage en lien causal avec une faute, même si elle n’en est pas la seule cause, les juges précisant alors que l’anxiété résultant de l’exposition à un risque de dommage constitue un préjudice indemnisable. La cour d’appel avait, quant à elle retenu que n’était pas rapportée la preuve d’un lien de causalité certain entre l’exposition de la femme malade au DES et son hypofertilité, toutefois son analyse est critiquée par les juges de la Cour de cassation. Il faudra toutefois attendre que les juges de la cour d’appel de renvoi après l’arrêt de cassation, confirment le versement des dommages et intérêts.

Cette affaire met l’accent sur les risques de santé liés aux médicaments, sur les souffrances endurées et surtout sur l’importance de la prise en compte des préjudices d’anxiété. En l’espèce, le préjudice d’anxiété résultant de l’exposition à un risque de dommage doit effectivement être réparé. Il en ressort qu’en cas d’exposition au Distilbène, la réparation du dommage n’implique effectivement pas la notion de faute exclusive. Pour les juges de la Cour de cassation, le fait que l’infertilité d’une patiente puisse être due autant à une infection qu’à l’exposition à un médicament ne suffit pas à exclure que l’exposition à ce médicament ait contribué à son infertilité.

Certes, des prises de médicaments sont souvent indispensables néanmoins il est essentiel d’y veiller particulièrement durant la gros­sesse. En conséquence, on peut se féliciter de cet arrêt dans lequel la Cour de cassation était invitée à prendre en compte les victimes du Distilbène car, pour soutenir les malades, il importe que, face à leur anxiété, les producteurs de médicaments puissent voir leur res­ponsabilité engagée. La responsabilité civile doit effectivement être mise en place en cas d’utilisation de produits défectueux puisque constitue un préjudice indemnisable l’anxiété résultant de l’exposition à un risque de dommage.

Notes

1. H. Groutel, Exposition in utero au diéthylstilbestrol (DES) : préjudice d’anxiété, note sous Cass. 2e civ., 2 juill. 2015, n° 14-19.481, Resp. civ. et assur. 2015, n° 11, p. 14 ; S. Hocquet-Berg, L’affaire dite du « distil­bène », figure de proue de l’indemnisation des victimes de produits de santé ? : Resp. civ. et assur. 2019, étude 10 ; D. Tapinos, Le préjudice d’angoisse des victimes du Distilbène est inclus dans les souffrances endurées ou le déficit fonctionnel permanent, note sous Cass. 2e civ., 2 juill. 2015, n° 14-19.481, Gaz. Pal. 9 sept ; 2015, n° 252-253, p. 8.

2. Cass. 1ère civ., 2 juill. 2014, n° 10-19.206.

3. Cass. 1ère civ., 29 mars 2023, n° 22-11.039. Dans cette affaire un car­diologue avait prescrit à un patient souffrant d’arythmie cardiaque un médicament présentant un risque d’apparition de maladies pulmonaires dont le professionnel de santé ne l’avait pas averti.

4. Cass. 1ère civ., 9 juill. 2009, n° 08-11.073, D. 2009, p. 1968, obs. I. Gallmeister ; RTD civ. 2009, p. 723, obs. P. Jourdain.

Cass. 1ère civ., 27 nov. 2019, n° 18-16.537, D ; 2019, p. 2297, obs. M. Bacache, 5. A. Guégan et S. Porchy-Simon ; RTD civ., 2020, p. 124, obs. P. Jourdain.

6. Cass. 1ère civ., 19 juin 2019, n° 18-10.380, Dalloz actualité du 10 juill. 2019, note S. Hortalale.

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute Alsace