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Dossier Paru le 15 juillet 2022
REMPLACEMENT DE L’INHUMATION PAR LA CRÉMATION

Vers un renforcement de la place de la crémation dans le droit funéraire

Commentaire de la proposition de loi n° 612 visant à faciliter le recours à la crémation des personnes décédées (Sénat, 15 avril 2022).

© line-of-sight

Si autrefois l’enterrement des personnes décédées satisfaisait pleinement les familles en deuil, désormais de plus en plus de français préfèrent la crémation à l’inhumation.

Les auteurs de la proposition de loi relèvent en effet que, si en 1980 on notait que 1% des obsèques faisaient l’objet d’une incinération rejetée par la majorité des familles, le chiffre est passé à 30 % en 2010 et à 39 % en 2018, ce qui leur fait dire qu’en 2020 les inhumations seront minoritaires.

Même si de nombreuses personnes en deuil envisagent encore de se rendre dans des cimetières, elles ne veulent plus opter pour un nterrement classique mais souhaitent que les cendres funéraires soient répandues au jardin du souvenir ou que ce soit l’urne funéraire qui soit stockée au cimetière et non que ce soit le cercueil du défunt qui y soit enterré. Elles ne souhaitent en effet plus que le corps de leur mort soit conservé dans une tombe ou un caveau et préfèrent opter pour la crémation.

Un tel choix appartient d’abord au mort lui-même mais s’il ne s’est pas exprimé sur la question, ce sont les membres de la famille qui organisent ses obsèques qui prennent la décision. En cas de désaccord sur ce point entre les proches, la décision ultime revient à la personne désignée comme ayant qualité pour pourvoir aux funérailles (terme officiel pour désigner la personne la plus à même de prendre les décisions). Il s’agit de la personne qui, par le lien stable et permanent qui l’unissait à son cher disparu peut être présumée comme la meilleure interprète de ses dernières volontés. Son autorité et sa signature sont exigées pour toute demande d’inhumation et bien sûr de crémation.

Quand le défunt n’a laissé aucune consigne et n’a pas désigné de décisionnaire, il revient aux services d’état civil de vérifier qui, au sein de la famille ou parmi les proches du mort pourrait s’occuper des obsèques. C’est alors cette personne qui choisit le cas échéant l’incinération et ensuite le type de sépulture ou le lieu de la dispersion des cendres funéraires. En cas de contestation portant sur les conditions des funérailles, les proches doivent saisir le tribunal judiciaire, ce qui arrive notamment quand une partie de famille souhaite utiliser la voie de la crémation alors que d’autres parents veulent que le corps du défunt soit conservé dans un cimetière.

En France, la crémation est parfaitement possible en raison du principe de liberté des funérailles et elle est rendue opérationnelle par les dernières volontés du défunt ou le choix de sa famille (I). La question est toutefois plus délicate lorsqu’une personne décède sur le ban communal ou dans un établissement de soins et que son corps n’est réclamé par aucun proche. En effet pour l’heure, il revient à la commune de s’occuper des funérailles mais elle ne peut utiliser que la voie de l’inhumation, point qui pourrait être changé si la proposition de loi n° 612 visant à faciliter le recours à la crémation des personnes décédées, enregistrée à la présidence du Sénat le 15 avril 2022, aboutit à une évolution du droit funéraire (II).

I – Précisions sur la liberté funéraire

Depuis la loi du 16 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, tout majeur ou mineur émancipé peut régler les conditions de ses obsèques en choisissant notamment le mode de sépulture et en optant le cas échéant pour une incinération.

Les dernières volontés du défunt quant à l’organisation des funérailles peuvent être mentionnées par écrit mais ce n’est pas obligatoire. À défaut de déclaration écrite, il faut rechercher la volonté du défunt, ce qui revient à tenir compte des témoignages de ses proches, le membre de la famille le plus proche du mort étant celui qui est désigné comme personne qualifiée pour pourvoir aux funérailles. En ce cas, c’est à lui de trancher si besoin entre enterrement et crémation.

Néanmoins c’est bien la volonté du mort qui doit être prise en considération car, conformément à l’article 433-21-1 du Code pénal « Toute personne qui donne aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt ou à une décision judiciaire, volonté ou décision dont elle a connaissance, sera punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende ».

Dans ce cadre, il est désormais possible d’opter pour une crémation. Alors qu’elle a été longtemps rejetée par l’église catholique tandis que les églises protestantes calviniste et luthérienne l’autorisaient depuis 1898, en 1963, les catholiques ont suivi le même chemin. L’église a alors modifié sa position et accordé les funérailles chrétiennes même à ceux qui faisaient le choix de l’incinération du corps du défunt. À partir de là le nombre de crémations a explosé, mode funéraire très souvent sollicité par le mort lui-même ou sa famille.

Le droit funéraire a ensuite évolué grâce à la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire. Cette réforme a introduit dans le Code civil l’article 16-1-1 mettant l’accent sur le fait que les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence, mais sans pour autant interdire la crémation, mais tout en s’assurant du respect des cendres funéraires (Marjorie Brusorio-Aillaud, Conservation et partage des cendres, RJPF 2009-2/40 ; Isabelle Corpart, Pour un nouvel ordre public funéraire : variations autour de la loi du 19 décembre 2008, Dr. famille 2009, étude 15, p. 8).

Actuellement ce mode d’obsèques est parfaitement envisageable toutefois quelques contraintes demeurent, notamment quant à la date et au lieu de l’incinération.

La crémation encore appelée incinération consiste à brûler et réduire en cendres le corps d’une personne décédée, technique réalisée dans des crématoriums, dans un délai de 6 jours au plus après le décès, sauf exceptions (notamment liée à la Covid-19). Si le défunt n’a pas souscrit de contrat d’obsèques, les frais sont prélevés sur les biens de la succession. Quand le défunt avait exprimé le souhait d’être incinéré, ses proches doivent respecter sa volonté exprimée oralement ou de manière manuscrite et sinon, ce sont ses proches qui prennent la décision.

Tout le problème relevé par la proposition de loi vient du fait que, parfois, aucun membre de la famille ne se fait connaître, raison pour laquelle il revient alors au maire de s’occuper des funérailles.

II – Vers une évolution du droit funéraire pour autoriser plus largement la crémation

Quand le corps d’un mort n’est réclamé par personne et qu’il a été trouvé sur le ban communal, en pleine nature, sur la voie publique ou au domicile du défunt qui peut également être décédé en établissement de santé, par respect pour le mort, le maire a l’obligation de s’occuper de son enterrement dès lors que le corps n’a pas été réclamé au bout de dix jours (ou l’établissement de santé si elle est morte dans l’hôpital de la commune). En effet, la compétence en matière funéraire est exercée historiquement par les communes, les maires disposant d’importants pouvoirs de police.

Le problème vient du fait qu’en ce cas, seule l’inhumation est prévue, ce point n’ayant pas été changé par la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire (JO 20 déc.). Le maire doit veiller « à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance » (CGCT, art. L. 2213-7). Tout doit être fait avec décence mais le maire ne peut pas opter pour la crémation si le défunt n’avait pas exprimé ce choix.

De même, si la personne a perdu la vie dans un établissement de santé, c’est le service médical qui a l’obligation de se charger de l’organisation des obsèques, la commune, quant à elle, prenant en charge les frais si le défunt est dépourvu de ressources suffisantes (CSP, art. R. 1112-76). Là encore seule l’inhumation est visée, sachant qu’en cas de non-réclamation du corps dans le délai de dix jours (mentionné à l’art. R. 1112-75), l’établissement dispose de deux jours francs pour faire procéder à l’enterrement dudit défunt dans des conditions financières compatibles avec l’avoir laissé par celui-ci.

En effet un seul texte fait référence à l’incinération cependant cela ne correspond pas à l’hypothèse visée par la proposition de loi. En effet, l’article L. 2223-27 du Code général des collectivités territoriales englobe la question de l’incinération, indiquant depuis la réforme de 2008 que, quand la commune s’occupe de la dépouille mortelle d’une personne sans ressources suffisantes et choisit l’organisme qui doit procéder aux obsèques, le maire a la possibilité de programmer la crémation du corps « lorsque le défunt en a exprimé la volonté ». Le recours à la crémation est effectivement envisageable par les mairies lorsqu’elles ont affaire à des personnes dépourvues de ressources suffisantes, encore appelées « les indigents », toutefois il ne l’est qu’à la condition que le défunt en ait bien exprimé la volonté. Le problème c’est que tel est rarement le cas et que si le défunt préférait l’incinération à l’inhumation, les services communaux n’en ont pas toujours connaissance.

C’est donc pour faire évoluer les choses que la proposition de loi n° 612 visant à faciliter le recours à la crémation des personnes décédées, enregistrée à la Présidence du Sénat le 15 avril 2022 a été déposée car il a été jugé regrettable que l’incinération du mort ne puisse être envisagée par les mairies que dans ce contexte alors que la crémation correspond de plus en plus aux attentes de la population mais surtout qu’elle diminue les frais mis à la charge des centres communaux.

Dès lors les auteurs de la proposition de loi entendent faciliter le recours à ce mode d’organisation des funérailles tant pour les communes que pour les établissements de santé. Ils envisagent de modifier ainsi l’article L. 2213-7 du Code général des collectivités territoriales : « le maire ou, à défaut, le représentant de l’État dans le département peut faire procéder à la crémation du corps sauf expression contraire du défunt ou d’une personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ». Encore faudra-t-il que le choix de la mairie continue de s’accorder avec la volonté du défunt ou de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles (CGCT, art. L. 2223-27).

Parallèlement un changement est proposé dans le Code de la santé publique pour régler la question des personnes ayant perdu la vie à l’hôpital sans que personne ne vienne les récupérer. Pour ce faire, les auteurs de la proposition de loi souhaitent qu’un nouvel article L. 1112-5-1 du Code de la santé publique mentionne que ; lorsque le corps d’une personne décédée au cours de son hospitalisation n’a pas été réclamé par sa famille ou, à défaut, par ses proches dans un délai de dix jours suivant le décès, l’établissement doit s’occuper des funérailles, tout en permettant dorénavant à son responsable d’opter pour une incinération, alors que jusqu’à présent l’obligation mise à la charge des services médicaux ne vise que l’inhumation.

Ces avancées permettraient d’enrichir la législation qui encadre les techniques funéraires et de mieux prendre en considération à la fois la société actuelle et les comportements des français. D’une part, le nombre de personnes qui préfèrent l’incinération à l’enterrement a beaucoup augmenté, mais d’autre part, la place dans les cimetières diminue, aussi est-il sans doute préférable de songer au jardin du souvenir plutôt qu’à l’installation d’une tombe.

En effet, ne pas permettre la crémation ne suit pas l’évolution de la société et l’inhumation a un coût important pour les communes, autant de raisons qui ont conduit les rédacteurs de la proposition de loi à souhaiter que l’on autorise les établissements de santé ou les communes devant gérer les funérailles si les défunts sont des personnes non réclamées ou sans ressources, à choisir librement entre l’inhumation et la crémation, sauf si la volonté du défunt est connue.

Pour les auteurs de la proposition de loi, la crémation présente un avantage écologique et économique, l’inhumation exigeant l’achat d’un carré dans un cimetière et la construction d’une tombe. En conséquence, il faudrait mettre l’inhumation et l’incinération sur un pied d’égalité afin que les mairies y aient accès, de même que les établissements de santé quand ils se chargent des funérailles d’une personne décédée à l’hôpital parce qu’aucun de ses proches n’est venu la réclamer (CSP, art. R. 1112-77, avec renvoi à CGCT, art. L. 2223-27, dans le but de mettre en place le soutien de la commune en l’absence de ressources suffisantes).

Espérons qu’avec ces réflexions, le droit funéraire évolue en renforçant la liberté funéraire afin de permettre de pouvoir vraiment choisir les modalités des obsèques. Faciliter le recours à la crémation est assurément dans l’air du temps.

 

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace