Dossier Paru le 29 juillet 2022
NOUVEL ANNIVERSAIRE À FÊTER

Célébrons les 40 ans de la loi du 4 août 1982

Les choses ont bien changé mais elles ont mis du temps. Avoir des relations sexuelles avec une personne de son sexe a été décrié pendant des années, réprimé et sanctionné par des pénalités. Au fil du temps, l’homosexualité a été mieux acceptée dans la société française mais l’on est encore loin d’une égalité totale entre les personnes et d’une reconnaissance parfaite des pratiques homosexuelles.

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Aujourd’hui les couples de même sexe se voient accorder régulièrement de nouveaux droits pour les mettre à égalité avec les hommes et les femmes mariés ou vivant en concubinage. Ils peuvent se marier, avoir des enfants, les adopter, mais surtout la protection des personnes homosexuelles est mieux assurée.

En la matière on doit beaucoup à la loi n° 82-683 du 4 août 1982 mais il ne faut pas oublier que la Révolution française avait déjà décriminalisé les relations homosexuelles dès 1791.

En effet c’est à cette époque que l’évolution des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) a démarré même si on ne les appelait pas encore ainsi (I), mais de gros apports datent de la réforme de 1982 (II) et c’est ensuite pas à pas que le sort des personnes LGBT s’est trouvé au cœur de nouvelles mesures législatives améliorant les droits des homos (III).

I – La première étape de dépénalisation de l’homosexualité

On doit à la Révolution française d’avoir décriminalisé les relations sexuelles à partir de 1791. Auparavant elles étaient vues comme des déviances, des luxures au même titre que la sodomie ou l’inceste. Sous l’Ancien Régime, l’homosexualité était un crime puni de mort, de nombreux homosexuels ayant été brûlés vifs à Paris.

Depuis le premier Code pénal adopté pendant la Révolution française par l’Assemblée nationale entre le 25 septembre et le 6 octobre 1791 la situation des homosexuels a été totalement revue. En effet, ce code a aboli la criminalisation de la sodomie et les relations entre adultes de même sexe n’ont dès lors plus été jugées illégales, le législateur n’estimant plus nécessaire d’incriminer l’homosexualité et de poursuivre ces personnes quand il s’agissait de rapports sexuels entre adultes consentants.

Les personnes homosexuelles ont malgré tout continué à souffrir des retombées visant leur genre car plusieurs textes postérieurs ont eu de lourdes retombées. En effet, si depuis 1791, le Code pénal a abandonné le crime de sodomie entre adultes consentants, le législateur n’a pas à l’époque reconnu véritablement l’homosexualité

En effet homosexuels et travestis ont été ciblés par différentes lois relatives à l’exhibition sexuelle mais surtout relatives aux atteintes sexuelles sur mineur. Il était alors question d’outrage ou d’attentat à la pudeur, voire d’atteinte aux bonnes mœurs et parfois d’adultère, d’autant que la société demeurait encore largement marquée par la religion catholique.

Des textes continuaient à faire des différences en fonction des relations sexuelles et, notamment sous le régime de Vichy, en 1942, le législateur avait eu une approche discriminante, prévoyant un âge différent pour la majorité sexuelle selon qu’il s’agissait d’une relation hétérosexuelle ou homosexuelle. En effet, une ordonnance du Gouvernement de Vichy (loi n° 744 du 6 août 1942) avait alors rétabli le délit d’homosexualité en cas d’attentat à la pudeur (ce qui avait conduit à de nombreuses arrestations et déportations, la police ayant fourni aux nazis des documents pour traquer les intéressés), incrimination confirmée à la Libération par l’ordonnance du 8 février 1945.

En outre, malgré les avancées de 1791, la police continuait d’exercer une surveillance étroite des homosexuels, en particulier quand ils se livraient à la prostitution tout en les fichant et surtout la société continuait de rejeter l’homosexualité, parfois qualifiée de « fléau social ».

II – L’importance de la réforme de 1982 en matière de dépénalisation de l’homosexualité

On a commencé par déclassifier l’homosexualité comme maladie en 1981 (en 1968, la France avait en effet ratifié la classification des maladies mentales de l’OMPS qui mentionnait l’homosexualité ; c’est seulement en mai 1993 que l’OMS l’a exclue des maladies mentales) puis, afin de tenir compte de l’évolution des mœurs, on a souhaité supprimer les discriminations maintenues dans un pays qui se voulait exemplaire en matière de libertés et de droits de la personne humaine. Précisément l’article 331, alinéa 2 du Code pénal qui réprimait les actes impudiques ou contre nature avec un individu du même sexe a été abrogé.

Grâce aux nouvelles prises de position en la matière liées à l’arrivée de la gauche au pouvoir, la discrimination visant les personnes homosexuelles a été atténuée, dans le but que chacun puisse choisir son comportement sexuel quand il atteint l’âge où l’on peut y consentir et l’accomplir en toute connaissance de cause. Pour le garde des Sceaux, ministre de la Justice de l’époque, Robert Badinter, maintenir une telle discrimination dans notre société était indigne de la France. Il fut entendu par le législateur, la loi du 4 août 1982 ayant fini par abolir la discrimination visant les personnes homosexuelles. C’est Robert Badinter qui a porté le projet de dépénalisation de l’homosexualité et fait en sorte que les fiches de police recensant les homosexuels soient détruites.

On parle notamment de dépénalisation de l’homosexualité car la majorité sexuelle a été fixée à 15 ans tant pour les relations entre personnes de même sexe que de sexe différent, ce qui a permis d’amorcer la lutte contre l’homophobie.

La loi du 4 août 1982 a effectivement abrogé l’article 331 alinéa 2 du Code pénal afin de dépénaliser l’homosexualité et de lutter contre les persécutions judiciaires encore subies à l’époque par de nombreuses personnes en raison de leur orientation sexuelle, mais aussi pour améliorer leur situation dans le monde du travail, voire dans le cadre des contrats de location (pendant longtemps, un propriétaire pouvait renvoyer son locataire s’il était homo). Cette suppression mise en place par Robert Badinter est aussi célèbre et porteuse de retombées que la suppression de la peine de mort pour laquelle il s’était aussi mobilisé.

III – Les dernières avancées en matière de lutte contre l’homophobie

Sans être exhaustif, il importe de relever quelques réformes qui ont changé le sort des personnes homosexuelles. Ainsi dès 1985, une loi a mis en place une protection contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle (lutte contre la discrimination à l’embauche, dans l’accès aux biens et aux services) et en 2004, on a pénalisé les insultes homophobes. Des efforts ont été menés aussi pour montrer que si le Sida était redoutable et soulevait des questions visant les couples homosexuels, il ne concernait pas uniquement ces derniers, toute la population pouvant être touchée par ce terrible virus. En conséquence, il était essentiel de conseiller et soutenir tous ceux qui avaient une vie sexuelle, y compris les hétérosexuels.

La vie en couple a pu être consolidée aussi grâce à la loi du 15 novembre 1999, après des mois de débats agités, lorsque le législateur a accordé aux couples de même sexe le droit de se lier par un pacte civil de solidarité (appelé à l’époque « mariage bis »), la loi leur reconnaissant aussi le droit de vivre en concubinage. Les homosexuels avaient fini par être entendus, réclamant des protections pour leur vie de couple (parfois soutenus, notamment par Noël Mamère, maire de Bègles qui avait célébré en 2004 le premier mariage homosexuel, mariage toutefois annulé par la Cour de cassation en 2007).

Avec cette réforme symbolique, une union civile a été autorisée entre deux personnes majeures sans imposer de restrictions quant au sexe des membres du couple, alors qu’à l’époque le mariage était réservé aux célébrations unissant un homme à une femme.

Un autre apport essentiel en la matière découle de la loi du 17 mai 2013 qui a autorisé le mariage des couples homosexuels, même si les débats avaient encore une fois été fort houleux. Plus tard, c’est la loi du 18 novembre 2016 qui a mis l’accent sur l’identité de genre, permettant aux personnes de faire état d’une discrimination lorsque les décisions prises pour elles tiennent à leur choix de vie. Pour protéger les personnes, cette loi a aussi mis fin à l’intervention chirurgicale qui était jusque-là obligatoire pour obtenir un changement de sexe, ce qui portait atteinte à l’intimité de la personne dans le cadre des conversions sexuelles. Tout récemment la loi du 31 janvier 2022 interdisant les thérapies de conversion est encore allée dans le même sens. Conformément à l’article 225-4-13 du Code pénal, « Les pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée, d’une personne et ayant pour effet une altération de sa santé physique ou mentale sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende ».

Contrairement au droit antérieur, on autorise aussi depuis le 16 mars 2022 les personnes homosexuelles à donner leur sang aujourd’hui (arrêté du 11 janvier 2022 du ministre de la santé pris en application de la loi bioéthique du 2 août 2021 qui modifie l’arrêté du 17 décembre 2019 fixant les critères de sélection des donneurs de sang).

Le droit pour les personnes LGBT de constituer une famille est aussi essentiel. Ainsi, depuis la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, des couples de femmes et d’hommes se sont vus reconnaître d’importants droits. Cette réforme avait permis à des homosexuels vivant en couple de devenir parents via l’adoption, sachant que la situation des personnes homosexuelles avait été longtemps problématique car elles se voyaient refuser l’agrément pour adopter. Le 22 janvier 2008, la France avait notamment été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir refusé d’accorder un agrément en vue de l’adoption à une femme homosexuelle, alors que les textes autorisaient bien l’adoption par une personne célibataire.

Des compléments en la matière ont été récemment apportés. D’une part, la loi bioéthique du 2 août 2021 offre aux femmes vivant en couple le droit de recourir à une procréation médicalement assistée (PMA) avec donneur, à savoir de devenir mères ensemble sans recourir à une adoption ; en revanche les couples d’hommes ne sont pas concernés car la gestation pour autrui (GPA) est toujours interdite en France. Seuls les couples de femmes ont donc accès à l’assistance médicale à la procréation, remboursée par la sécurité sociale, de même que pour les femmes seules et les femmes en couple avec un homme.

De plus, la loi du 21 février 2022 qui accorde aux couples non mariés le droit d’adopter ensemble un enfant ou d’adopter l’enfant du concubin ou partenaire permet à des hommes et femmes en couple de créer une famille, même sans convoler en justes noces.

On le voit, même si l’avancée des droits des personnes LGBT est relativement lente en France, elle prend forme et on doit assurément les progrès réalisés en ce domaine à la loi du 4 août 1982 dont on fête actuellement les 40 ans. Certes il reste encore du chemin à parcourir mais, avant d’envisager de modifier les lois pour les homosexuels et les transsexuels, il importe de faire évoluer les mentalités en ce qui concerne les orientations sexuelles. Beaucoup de jeunes gens sont encore rejetés par leurs familles et l’insulte « Pédé » reste très vivace dans les écoles dans le cadre du harcèlement scolaire ; de plus l’homosexualité est encore traitée comme une perversion par certaines personnes. En revanche les familles homoparentales sont bien reconnues actuellement.

Assurément le pluralisme sexuel est mieux accueilli aujourd’hui car on est passé de la pénalisation de l’homosexualité à la pénalisation de l’homophobie. En effet, les relations sexuelles entre personnes de même sexe sont mieux protégées contre toute intervention discriminatoire des autorités politiques (les attitudes hostiles contre les LGBT sont sanctionnées par le droit européen) ou des individus, proches ou non. L’orientation sexuelle est de plus en plus protégée par le recours aux principes de respect de la vie privée, de dignité, de liberté, d’égalité mais aussi par les notions de non-discrimination. Globalement il convient que l’on prône l’abstention de l’État dans la sphère privée quand les individus sont des majeurs consentants. Il ne s’agit plus d’actes impudiques ou contre nature.

Néanmoins des progrès sont encore à faire pour que l’on tienne mieux compte de la réalité homosexuelle et pour reconnaître une totale liberté aux membres de la communauté homosexuelle, le tout afin de bien les protéger et de renforcer le principe d’égalité des droits.

Pour ce faire, il faut lutter contre l’homophobie et aider les personnes à ne plus cacher leur orientation sexuelle, voire leur transidentité. Il est essentiel que ces personnes ne se retrouvent pas victimes en raison de leur orientation sexuelle et de leur choix de vie, du moins tant que les relations sexuelles sont consenties et ne visent pas de jeunes enfants.

Le vécu des personnes homosexuelles doit être davantage pris en compte car on le sait, être homosexuel n’est pas un choix et il faut veiller à ce que ces personnes ne soient plus jamais interpelées pour outrage public.

Grâce aux efforts portés par Robert Badinter il y a 40 ans, le législateur a favorisé une meilleure acceptation des homosexuels dans la société française et il est précieux que cette voie soit encore suivie régulièrement. Développer de nouvelles pistes législatives peut aussi aider à faire changer les mentalités, ce qui aidera les personnes LGBT dans leur vie quotidienne.

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute Alsace