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Dossier Paru le 20 septembre 2022
ENQUÊTE INSEE

Le travail frontalier dans le Grand Est : le Luxembourg première destination

L’enquête de l’Insee sur le travail frontalier dans le Grand Est en 2018 apporte un éclairage intéressant sur le marché de l’emploi dans notre région. Selon cette étude publiée au printemps quelque 182 000 habitants de la région travaillent dans un pays voisin.

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Le Luxembourg reste la première destination des travailleurs frontaliers qui résident dans le Grand Est, avec 86 500 actifs en 2018 contre 36 100 en 1999. L’attractivité de ce pays ne faiblit pas, bien au contraire et sa zone d’influence continue de s’étendre dans le nord lorrain. C’est une des principales conclusions tirées de l’étude menée par l’Insee sur le travail frontalier. Mais ce n’est pas la seule. Ainsi le nombre de frontaliers progresse également vers la Suisse, mais plus modérément. Autre phénomène relevé par l’Insee, bien que les effectifs aient diminué depuis 1999, l’Allemagne reste la deuxième destination des frontaliers et connaît un léger regain ces dernières années. La Belgique quant à elle attire un peu plus de 8 200 travailleurs résidant dans la région.

Le profil des frontaliers varie selon les pays, avec davantage d’emplois peu qualifiés dans le secteur industriel en Allemagne et une plus forte proportion de cadres et d’employés qualifiés au Luxembourg. Quel que soit le pays, les frontaliers exercent de plus en plus dans le secteur tertiaire et sont de plus en plus diplômés.

Retour dans le détail sur cette étude de l’Insee.

Le Grand Est région de résidence de 42% des frontaliers

« En 2018 quelque 183 000 résidents du Grand Est travaillent à l’étranger, dont 182 000 dans un des quatre pays voisins » indique l’Insee avec ce constat éloquent : « Parmi eux, presque la moitié a un emploi au Luxembourg, un sur quatre exerce en Allemagne, un sur cinq en Suisse et moins de 5% en Belgique. » De ce fait, le Grand Est est la région de résidence de 42% des frontaliers de France métropolitaine. De ce point de vue, elle se place en première position des régions françaises, devant Auvergne-Rhône-Alpes. Cette dernière compte 127 000 actifs travaillant à l’étranger, essentiellement en Suisse, soit 29% de l’ensemble des travailleurs frontaliers de France. Suivent les régions Bourgogne-Franche-Comté, Hauts-de- France, Provence-Alpes-Côte d’Azur, avec chacun entre 32 000 et 38 000 actifs frontaliers exerçant à l’étranger, respectivement en Suisse, en Belgique et à Monaco.

Moselle et Haut-Rhin : forte proportion de frontaliers

L’Insee remarque qu’à proximité du Luxembourg et de la Suisse, près d’un actif sur deux est frontalier. Ce qui a une incidence non négligeable sur le taux de chômage des départements voisins qui alimentent le marché de l’emploi de ces pays. Ainsi la Moselle et le Haut-Rhin sont les deux départements où la proportion de frontaliers parmi les actifs en emploi est la plus forte (respectivement 19% et 14%), suivis de la Meurthe-et-Moselle (9%) et du Bas-Rhin (5%).

L’Insee ne manque pas de rapprocher cette étude des bassins d’emplois concernés. À proximité des frontières luxembourgeoises et suisses, dans les zones d’emploi de Thionville et de Saint- Louis, quasiment un actif occupé sur deux est frontalier. Cette part est aussi élevée dans plusieurs zones d’emploi limitrophes de l’Allemagne. Celle de Forbach dans le bassin houiller (22%) et, dans une moindre mesure, celles de Haguenau, de Sarreguemines et de Saint-Avold en Moselle-Est avec plus de 10% chacune.

Le long de la frontière belge c’est aussi le cas du bassin d’emploi de Sedan (10%). L’Insee dans son enquête mesure le phénomène du travail frontalier jusque dans les métropoles. Bien que plus éloignées des grands pôles économiques de Luxembourg ou de Bâle en Suisse, les zones d’emploi de Metz et de Mulhouse sont quand même concernées. Elles frôlent les 10% d’actifs qui travaillent à l’étranger. Et, plus surprenant, la part chute à 2% pour ce qui est de Strasbourg. Néanmoins ces 2% représentent tout de même 7 000 travailleurs frontaliers.

Où travaillent ces frontaliers ?

L’étude est tout aussi intéressante, lorsqu’elle suit à la trace ces travailleurs frontaliers. Ainsi les actifs qui exercent en Allemagne se répartissent tout le long de la frontière : dans la Sarre, la communauté régionale de Sarrebruck emploie près de 10 000 frontaliers venant de France, et l’arrondissement de Sarrelouis, environ 3 800. En allant plus au Sud, vers le Bade-Wurtemberg, 7 900 frontaliers travaillent dans l’arrondissement de l’Ortenau, 5 600 dans celui de Rastatt et 3 200 dans celui de Karlsruhe.

Côté Suisse, les frontaliers se rendent majoritairement dans les cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne : c’est le cas de 32 000 personnes, soit huit frontaliers sur dix habitants le Grand Est et se rendant en Suisse.

Parmi ceux qui travaillent en Belgique, près des deux-tiers se rendent dans les arrondissements d’Arlon et Virton. Au Luxembourg, 45% des frontaliers se rendent dans la ville même de Luxembourg, principal pôle d’emploi du Grand-Duché.

Des frontaliers allemands ou belges

L’étude de l’Insee révèle également un phénomène récurrent. Un quart des frontaliers vers l’Allemagne et la Belgique sont des Allemands ou des Belges résidant en France. En Moselle, nombre de localités frontalières sont le lieu de résidence de Sarrois. On citera entre autres Alsting, Etzling voire Spicheren, qui sont à un saut de puce de Sarrebruck.

Mais ce n’est pas le cas de ceux qui travaillent au Luxembourg ou en Suisse, qui sont très rarement des citoyens Luxembourgeois ou des Suisses (1% et 4%), mais ils ont plus souvent une autre nationalité étrangère notamment allemande, italienne, portugaise ou la nationalité belge pour ceux qui exercent au Luxembourg.

L’attractivité du Luxembourg ne faiblit pas

Le Luxembourg continue d’attirer de plus en plus de travailleurs habitant dans le Grand Est : en 2018, environ 86 500 personnes y travaillent contre 36 100 en 1999. Leur nombre a ainsi augmenté en moyenne de 4,7% par an depuis cette date, et cette progression ne faiblit quasiment pas au cours des dernières années (+4,1% entre 2013 et 2018). Hors étude de l’Insee, le nombre de travailleurs frontaliers du Grand Est a franchi le cap des 100 000 depuis 2020 ce qui confirme totalement la tendance relevée par l’institut statistique.

La Suisse à un degré moindre

Vers la Suisse le nombre de frontaliers s’accroît également, passant de 32 500 à 39 400 mais de manière bien plus modérée : +1% par an en moyenne depuis 2008 (entre +1,3% et +1,4%).

À l’inverse, le flux à destination de l’Allemagne baisse de 1% en moyenne par an entre 1999 et 2018 (58 400 à 48 200). Alors qu’ils continuaient de diminuer sur la période 2008-2013 (-1,5% par an), un regain s’est toutefois opéré depuis 2013 (+1% par an). Cette hausse concerne seulement le Bade-Wurtemberg, tandis que le nombre de frontaliers continue de reculer vers la Sarre et autour de Karlsruhe. C’est en partie le fait d’un chômage qui est tombé très bas Outre-Rhin.

Les frontaliers qui exercent en Belgique sont presque deux fois plus nombreux qu’en 1999, passant de 4 500 à 8 200 en 2018, soit une croissance moyenne de 3,2% par an. Une contraction s’opère cependant à partir de 2013 avec -0,5% par an.3

Un frontalier sur quatre dans l’industrie

L’Insee s’intéresse dans cette enquête aux différents secteurs d’activités qui recrutent ces travailleurs frontaliers. L’industrie est le secteur qui emploie le plus de travailleurs frontaliers : 26% soit 10 points de plus que parmi les actifs qui travaillent en France. Les autres secteurs, du commerce, des transports, de l’hébergement et de la restauration regroupent également un quart des travailleurs frontaliers, suivis des activités de services administratifs et de soutien, qui emploient 15% : ces différentes activités sont surreprésentées chez les travailleurs frontaliers. À l’inverse, ceux-ci travaillent bien moins souvent dans le tertiaire non marchand (11% contre 34%).

Cela ne surprendra personne, le poids de l’industrie est particulièrement fort en Allemagne (43%) mais aussi en Suisse (35%) mais il concerne différents types de productions : Outre-Rhin l’industrie automobile domine, en Suisse davantage l’industrie pharmaceutique.

En Belgique 27% sont dans l’industrie, dont 8% dans l’agroalimentaire. Au Luxembourg, le marché de l’emploi est différent. Il est moins orienté vers l’industrie. La spécificité du Grand-Duché est la prédominance du tertiaire, activités financières, assurance qui concernent 12% des actifs venant du Grand Est, soit un peu plus de 10 000 frontaliers. Les activités juridiques et comptables sont aussi surreprésentées par rapport aux autres pays frontaliers.

En Belgique c’est l’enseignement, la santé, l’action sociale qui emploient respectivement 5%, 7% et 14% des frontaliers. Le commerce de détail est également un important pourvoyeur d’emplois frontaliers (12%).

Les frontaliers présents dans tous les secteurs au Luxembourg

Le rythme d’augmentation du nombre de frontaliers au Luxembourg s’accélère, surtout depuis 2013. Et cela concerne selon l’Insee tous les secteurs d’activités. Le tertiaire marchand en particulier. Il gagne 17 000 frontaliers depuis 2008 et les effectifs ont quasiment doublé dans le tertiaire non marchand, passant de 4 600 à 8 500 avec des hausses spectaculaires dans l’action sociale et l’enseignement. Un phénomène récurrent dans tous les pays frontaliers. La Belgique voit leur nombre augmenter, en Suisse les emplois frontaliers dans l’industrie stagnent, mais progressent dans les autres activités. En Allemagne même phénomène : diminution dans l’industrie (de 23 300 en 2008 à 20 500 en 2018), Quand il augmente dans la construction, le commerce, l’entreposage, le transport. Le regain du travail frontalier entre 2013 et 2018 en Allemagne profite selon l’Insee à ce type d’activités.

Moins d’ouvriers qualifiés

La prépondérance des activités industrielles incite les entreprises à recruter des ouvriers. Près de la moitié de ceux travaillant en Allemagne et 39% de ceux exerçant en Belgique sont des ouvriers, contre 35% de l’ensemble des frontaliers de tous pays confondus. Toutefois dans ces deux pays, les ouvriers sont de moins en moins nombreux, surtout les ouvriers non-qualifiés. La robotisation dans l’industrie incite à embaucher des techniciens et du personnel de plus en plus qualifié. La tertiairisation de l’économie voit ainsi augmenter le nombre d’employés frontaliers non qualifiés, de cadres et de professions intermédiaires. Les employés sont nombreux en Belgique (28%) avec des professions aussi variées que aides-soignants, aides à domicile ou vendeurs. Les employés qualifiés sont 18% au Luxembourg, à la banque dans les services comptables ou financiers. Les professions intermédiaires couvrent désormais un quart des effectifs sauf en Allemagne (20%). Les cadres et professions intellectuelles supérieures ne représentent que 6% des travailleurs frontaliers en Belgique, alors que la proportion est de 16% au Luxembourg et 20% en Suisse.

Toujours plus de diplômés

C’est récurrent, mais un diplôme favorise l’emploi. Et surtout un diplôme d’études supérieures. Selon l’Insee, la part de frontaliers titulaires d’un diplôme d’études supérieures a progressé en dix ans passant de 28% à 38%, mais la hausse est plus forte au Luxembourg et en Suisse qu’en Allemagne et en Belgique. Conséquence : les titulaires d’un CAP ou d’un BEP sont de moins en moins représentés parmi les frontaliers. Surtout en Suisse et au Luxembourg. Mais ils restent majoritaires en Allemagne.

Une majorité d’hommes

La majorité des frontaliers qui résident dans le Grand est ont entre 35 et 54 ans (58% pour 51% des non-frontaliers) et la moyenne d’âge s’élève à 42 ans. Ceux qui travaillent en Allemagne ou en Suisse sont en moyenne plus âgés (46 et 44 ans) contre 41 ans pour le Belgique et 40 ans pour le Luxembourg. Près d’un frontalier sur quatre qui exerce en Allemagne a plus de 55 ans, contre seulement 8% de ceux qui ont un emploi au Grand-Duché.

Les travailleurs frontaliers sont en majorité des hommes, seuls 38% sont des femmes. Sept frontaliers sur dix vivent en couple, et pour trois quarts de ces couples un seul des conjoints travaille à l’étranger. La proportion de couples où les deux conjoints travaillent à l’étranger est un peu plus élevée aux frontières belges et luxembourgeoises (25% et 26% contre 18% à la frontière allemande).

2 500 dans le Grand Est

Et qu’en est-il du travail frontalier dans le sens pays voisins vers le Grand Est ? La part de frontaliers allemands, luxembourgeois, belges ou suisses travaillant dans le Grand Est reste très faible. L’Insee a recensé 2 500 salariés résident de l’un de ces quatre pays et travaillant dans une des zones d’emploi frontalière du Grand Est. Parmi eux, 1 500 habitent en Allemagne, 600 en Belgique, 300 au Luxembourg et 100 en Suisse. Ceux de Suisse viennent principalement travailler en Alsace, ceux du Grand-Duché en Lorraine (Moselle et Meurthe-et-Moselle), ceux d’Allemagne s’éparpillent le long de la frontière allemande. En majorité, ces travailleurs sont des hommes dont la moyenne d’âge est 43 ans. 6 sur 10 travaillent dans les services marchands dont 15% dans le commerce, un quart dans l’industrie et 10% dans le tertiaire non marchand.

Bernard KRATZ