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Dossier Paru le 23 septembre 2022
MALTRAITANCE DES MINEURS

Un pas de plus dans le soutien aux mineurs maltraités grâce au soutien accordé aux médecins

Un arrêt récent du Conseil d’État (CE, 1ère- 4e ch. réunies, 5 juillet 2022, n° 448015) est à saluer car il apporte d’intéressantes précisions sur les signalements de maltraitance sur mineurs effectués par les professionnels médicaux. Relevant que le signalement de maltraitance d’une jeune patiente ne doit pas engager la responsabilité disciplinaire du médecin qui a repéré ses difficultés, cette décision nous permet de remercier le corps médical pour son engagement. Soutenir ainsi les médecins lorsqu’ils font le nécessaire pour faire connaître les souffrances dont sont victimes des mineurs conduit parallèlement à veiller au bien-être des enfants maltraités. Pour les juges, quand le médecin a agi de bonne foi, le signalement de maltraitance ne porte pas atteinte au secret médical, contrairement à ce qu’a tenté de faire démontrer la mère d’une jeune patiente.

© Nichizhenova Elena-stock.adobe.com

 Dans cette affaire, un psychiatre a contacté la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (CRIP) pour faire état du comportement d’une mère à l’égard de sa petite fille âgée de 9 ans, fillette qui était déjà à ce moment-là prise en charge par le centre médico-psychologique pour enfants et adolescents (CMPEA), établissement où exerce ce professionnel médical, une première information préoccupante ayant été adressée préalablement à la CRIP.

Après ce signalement de maltraitance effectué dans le but de renforcer les protections à mettre en place à destination de la fillette malmenée, sa mère, auteur des faits prétendument dommageables, a porté plainte contre le médecin, saisissant la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins de Bretagne.

La requérante n’a pas été suivie par les juges du premier degré qui ont rejeté sa plainte et l’ont condamnée à verser une amende au psychiatre pour recours abusif. Elle a alors interjeté appel, mais sa plainte fut une nouvelle fois rejetée, en revanche, l’amende fut annulée. Face à ce nouveau refus des juges d’entendre ses arguments, elle a saisi le Conseil d’État.

Rendant leur décision le 5 juillet 2022, les juges du Conseil d’État ont également rejeté le pourvoi, estimant que le fait qu’un médecin signale au procureur de la République ou à la CRIP, comme en l’espèce, des faits et éléments laissant penser qu’un mineur subit des violences physiques, sexuelles ou psychiques, portées à sa connaissance dans le cadre de son exercice professionnel, ne conduit pas à engager sa responsabilité disciplinaire, sauf si l’on peut considérer qu’il n’a pas agi de bonne foi.

Tel n’est pas le cas dans cette affaire car le psychiatre a effectivement fait le nécessaire pour aider la fillette de 9 ans victime de tensions, de sévices, voire de violences familiales. La démarche accomplie ayant eu pour but de protéger la jeune patiente, il convient dès lors de soutenir le médecin qui a pris cette initiative, aussi les juges ont d’une part, écarté sa responsabilité disciplinaire et d’autre part, condamné la requérante à lui verser la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Grâce à cet arrêt, les mineurs maltraités seront mieux soutenus parce que les médecins sont encouragés à signaler les maltraitances, ce qui renforce assurément la lutte contre les violences intrafamiliales.

C’est essentiel car les professionnels médicaux sont les mieux placés pour repérer les drames que peuvent vivre des enfants au sein de leur famille. Cette affaire permet de rappeler qu’il revient à toute personne ayant connaissance d’agissements répréhensibles contre des mineurs de le faire savoir car, signaler des maltraitances est une nécessité et pour certains, une obligation, avant d’être un droit (I). Pour que les médecins participent activement à ce type de démarches, les juges retiennent que le praticien ayant fait un tel signalement ne devait pas être poursuivi sur le plan disciplinaire pour avoir porté atteinte au secret professionnel. Il en résulte que le signalement de maltraitance des mineurs réalisé pour les aider n’est pas un acte qui doit engager la responsabilité du médecin car, sinon, le nombre de signalements qui est déjà faible, chuterait encore (II).

I – Retour sur la nécessité de signaler les maltraitances sur mineur

Au nom de la paix des familles, les pouvoirs publics ont mis un certain temps avant de mettre en place des dispositifs permettant de lutter contre les maltraitances visant des enfants. En effet, pendant longtemps, l’État refusait toute intrusion abusive dans l’intimité de la vie privée et toute immixtion dans les affaires de famille. Il préférait jeter un voile pudique sur ce type de faits. Désormais, de nombreuses lois ont réformé la protection de l’enfance et luttent contre les mauvais traitements concernant les mineurs pour sanctionner les agresseurs et tenter de mettre en place des mesures préventives.

S’attacher aux questions de maltraitance des mineurs conduit à leur prise en charge sociale, mais aussi à l’amélioration de la formation des professionnels pour qu’ils détectent mieux les brutalités subies par les mineurs, et également de l’information à diffuser aux mineurs qui doivent comprendre que ces violences sont anormales, raison pour laquelle leur droit à la parole a aussi été renforcé.

Pour mieux leur venir en aide, le législateur a encore et surtout amélioré la détection des cas d’enfants maltraités. Pour ce faire, les textes mettent l’accent sur l’aménagement de la coordination entre professionnels. Ainsi, dans chaque département, la CRIP placée sous la responsabilité du président du Conseil départemental doit centraliser les informations dans le but de mieux analyser la situation vécue par la victime et de trouver les aides nécessaires aux mineurs en danger dans le cadre du recueil et du traitement des informations préoccupantes.

Afin que les mineurs en danger puissent être bien pris en charge, il revient aux professionnels de signaler les faits dont ils prennent connaissance dans l’exercice de leur activité s’ils ont des doutes sur la situation vécue par les victimes potentielles. Ils ne sont pas obligés de le faire mais doivent agir en conscience dans la mesure où les articles 434-1 et 343-3 du Code pénal qui incriminent les non-dénonciations écartent les professionnels astreints au secret (CP, art. 226-13). Si les professionnels sont a priori laissés face à leurs responsabilités, certains textes leur imposaient toutefois de signaler des cas de maltraitance à enfants. Précisément, l’article 44 du Code de déontologie médicale prévoyait que le médecin qui constatait des sévices, violences ou privations sur mineurs devait le faire savoir, sachant que, à défaut de contacter les autorités judiciaires, médicales ou administratives, il pouvait encourir les sanctions de non-assistance à personne en danger (CP, art. 223-6). Cet article 44 a toutefois été abrogé par le décret n° 2004-802 du 29 juin 2004 (JO du 8 août 2004).

Le signalement des enfants maltraités suppose toutefois une clarification des règles relatives au secret professionnel lequel est mis en place afin de protéger le respect de la vie privée du patient et de sa famille et de garantir la confiance du patient envers le professionnel.

Selon l’article R. 4127-4 du Code de la santé publique, « Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret

couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ». En outre, l’atteinte au secret professionnel conduit à la mise en place de sanctions (CP, art. 226-13) : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Toutefois les personnes soumises à un secret professionnel bénéficient d’une protection légale car, conformément à l’article 226-14 du Code pénal, modifié par la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021, elles échappent à toute poursuite pour violation du secret professionnel lorsqu’elles informent les autorités judiciaires ou administratives des privations ou sévices (de même que des atteintes ou mutilations sexuelles).

Cette absence de sanction en cas de révélation du secret professionnel vise également les médecins qui portent à la connaissance du procureur de la République ou de la CRIP les sévices qu’ils ont constaté dans l’exercice de leur profession et qui leur permettent de présumer que des violences de toute nature ont été commises, sachant que le texte mentionne que c’est avec l’accord de la victime mais que l’accord d’un mineur n’est pas nécessaire. En effet, il est essentiel que l’obligation de se taire soit écartée face au devoir de parler quand l’intérêt supérieur de l’enfant est en jeu. Précisément s’il est victime de violences intrafamiliales, il faut pouvoir mettre en place sa protection, raison pour laquelle le législateur a prévu des exceptions autorisant précisément la levée du secret professionnel.

II – Précisions sur les conséquences du signalement de maltraitances sur mineur par son médecin

Pour les juges du Conseil d’État, lorsque le médecin n’a pas agi de mauvaise foi, le signalement qu’il a fait pour soutenir la cause du mineur dans la mesure où, lors de sa prise en charge, il a relevé différents faits laissant présumer des violences physiques, sexuelles ou psychiques, ne doit pas conduire à mettre en oeuvre sa responsabilité disciplinaire. Dans l’affaire jugée le 5 juillet 2022, au vu des constatations faites par le médecin, mais aussi des propos tenus par le jeune patient et de son comportement, les juges constatent qu’il était nécessaire de lever le secret professionnel pour soutenir la victime. Le psychiatre qui suivait la fillette de 9 ans dans le centre médico-psychologique pour enfants et adolescents où il exerçait a agi de bon aloi en adressant un courrier de signalement à la CRIP.

Si la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire peut être sanctionnée, il n’en va pas ainsi lorsque le législateur autorise la révélation du secret. Tel est le cas pour un médecin qui est autorisé à porter à la connaissance du procureur de la République ou de la CRIP des sévices ou autres dangers encourus par ses patients. Dès lors, le psychiatre poursuivi par la mère de sa patiente n’a pas à être sanctionné par des poursuites disciplinaires car ses propos traduisent bien les constatations qu’il a effectuées en recevant la mère et sa fille, son signalement ayant été effectué pour assurer la protection de la jeune victime. Quand un signalement est dûment effectué, il est normal que la responsabilité disciplinaire du médecin ne soit pas engagée et on peut se féliciter de ce que les juges aient confirmé leur position en ce domaine pour soutenir les médecins qui agissent de bonne foi en vue de protéger leurs jeunes patients. Ils avaient en effet déjà eu l’occasion d’annuler une sanction de l’ordre des médecins contre une pédopsychiatre qui avait fait un signalement au juge des enfants pour une de ses jeunes patientes (CE 30 mai 2022, n° 448646). Cette dernière avait en effet été suspendue pour avoir transmis des suspicions de maltraitance et il avait été mis fin à cette sanction par les juges.

Il est important de faire savoir aux médecins que leurs démarches de signalement sont bien soutenues, les juges du Conseil d’État ayant le 5 juillet 2022 rendu une décision dans la lignée de celle du 30 mai 2022 afin de combattre l’insécurité juridique dans laquelle se trouvent les professionnels tenus au respect du secret professionnel mais qui peuvent être amenés à faire en sorte de le lever. Assurément, il ne serait pas normal qu’un médecin risque encore actuellement des sanctions disciplinaires pour avoir exercé son devoir de citoyen et de médecin. Le parent soupçonné d’agression tente effectivement de faire condamner le médecin pour atteinte au secret professionnel et de le faire poursuivre par le Conseil de l’ordre. Les affaires jugées le 30 mai 2022 et le 5 juillet 2022 mettent l’accent sur le rôle des médecins qui sont bien placés pour constater les maltraitances lors des consultations et dont on attend qu’ils fassent le nécessaire pour soutenir les jeunes maltraités. On ne peut pas non plus leur reprocher une immixtion dans les affaires de famille car c’est l’intérêt de l’enfant qui est primordial.

Il ne faudrait toutefois pas que les parents ne conduisent plus leurs enfants en consultation médicale pour que les troubles dont ils souffrent ne puissent plus être repérés, car si tel est le cas, les parents peuvent être sanctionnés pénalement dans les situations les plus graves mais aussi contraints civilement. Le droit civil permet en effet d’envisager la mise en place de mesures d’assistance éducative avec soutien de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ou le retrait de l’exercice de l’autorité parentale dans les cas les plus préoccupants.

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute Alsace