La sphère familiale devrait être un lieu apaisé et apaisant, un lieu protecteur pour les adultes et les enfants, cependant des violences ou des maltraitances dans les situations les plus critiquables et des comportements inappropriés conduisent parfois à revoir le dispositif. En conséquence, les relations familiales ne peuvent pas survivre à toutes les crises ou à toutes les mises en danger des membres de la famille ; de plus elles ne peuvent pas toujours être maintenues face à la tonne de difficultés que les familles peuvent traverser au cours de leur vie.
Les textes ne manquent pas (I) mais encore faut-il que les victimes se fassent connaître or beaucoup d’entre elles préfèrent rester dans l’ombre, du moins durant un certain temps, aussi est-il important de mieux les informer et surtout de les soutenir pour qu’elles fassent le nécessaire afin que l’on mette fin aux violences conjugales ou intrafamiliales, ces agissements pouvant concerner des adultes et des enfants (II).
I – Le renforcement constant de l’arsenal juridique de lutte contre les violences au sein des familles
Au fil des années, la lutte contre les violences conjugales a pris de l’ampleur, visant désormais l’ensemble des couples mariés ou non, vivant ensemble ou séparés de personne de sexe différent ou de même sexe, complétée par la lutte contre les violences intrafamiliales. Les enfants sont en effet visés aussi, qu’il s’agisse de maltraitance à leur égard directement ou qu’ils soient victimes par ricochet des agissements répréhensibles d’un parent contre l’autre.
A. L’amélioration du dispositif de lutte contre les violences entre les membres d’un couple
Pendant longtemps, les violences au sein des familles n’étaient pas reconnues, notamment parce qu’autrefois l’épouse devait obéissance à son époux (C. civ., art. 213 ancien), lequel, chef de famille avait tout pouvoir. Désormais les textes se multiplient en la matière mais cela n’endigue malheureusement pas tous les drames vécus en huis clos. Pour tenter d’éradiquer ce fléau, le législateur et le gouvernement n’arrêtent pas de faire progresser les dispositifs de lutte. Pour ce faire, le législateur a déjà fait en sorte que les violences conjugales ne visent pas uniquement les conjoints, en excluant les couples non mariés. Tel était historiquement le problème car la loi du 26 mai 2004 qui avait créé le référé-violence, remplacé ensuite par l’ordonnance de protection, était précisément insérée dans l’article 220-1 du Code civil, texte réservé aux époux, lequel permettait au juge de prescrire des mesures « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille ». Ensuite la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs (JO du 5 avril) a mis l’accent sur le respect que se doivent les époux, reconnaissant le principe de l’aggravation de la peine en cas de violences perpétrées au sein d’un couple, marié ou non, voire par l’ancien époux ou compagnon et consacrant la répression des viols et agressions sexuelles entre époux.
La lutte contre les violences concernait alors exclusivement les couples encore mariés, ce que la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 (JO du 10 juillet) s’est efforcée de corriger (I. Corpart, Intensification de la lutte contre les violences conjugales, Dr. fam. 2010, étude 27). Depuis cette date, il est clairement acté que les mesures prises tendent à la protection des conjoints, mais également à celle des partenaires de pacs ou des concubins ou encore des anciens époux, partenaires ou concubins (C. civ., art. 519-1). Dans tous ces cas, s’il y a danger, le juge a la possibilité de délivrer en urgence à la victime une ordonnance de protection (C. pr. civ., art. 1136-3). Un titre visant les violences faites aux femmes n’était pas, dès lors, souhaitable, raison pour laquelle l’accent a été mis, dans le libellé de la loi nouvelle, sur les violences au sein de la famille. Avec cette évolution législative, désormais, il est question de violences conjugales lorsque la victime et l’auteur entretiennent des relations sentimentales, qu’ils soient époux, concubins ou partenaires, voire ex-époux, ex-concubins ou ex-partenaires après la séparation de leur couple. Statistiquement les épouses et compagnes sont toutefois les victimes les plus nombreuses et l’accent est mis ainsi sur les droits des femmes (M. Schiappa, Les droits des femmes face aux violences, Dalloz, 2021). Le dispositif de lutte a ensuite été renforcé par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (JO du 5 août) et par la loi n° 2018-03 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (JO du 5 août).
Ensuite, après le Grenelle contre les violences conjugales, deux lois importantes ont encore apporté de nouvelles pistes pour assurer la protection de toutes les victimes. Ainsi la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences faites en famille (JO du 29 décembre) a proposé des tas de mesures concrètes au bénéfice du membre du couple malmené mais aussi des enfants. De même la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugale (JO du 31 juillet) a mis en place de nouveaux moyens de lutte concernant à la fois le parent victime et ses enfants, dispositifs explicités par le décret n° 2020-1537 du 8 décembre 2020 renforçant les mesures de sécurisation.
B. L’amélioration du dispositif de lutte contre les violences visant les enfants du couple
Ces différents textes mettent aussi l’accent sur les violences intrafamiliales ou au sein des familles pour englober les difficultés rencontrées en huis clos par les enfants, mineurs ou non. Force est de constater que les enfants comptent aussi fréquemment parmi les victimes, parfois hélas victimes directes (maltraitance, inceste, abus sexuels, etc.), certains perdant même la vie, et d’autres fois victimes par ricochet. Leur place est aujourd’hui de mieux en mieux reconnue car on ne les considère plus alors comme de simples témoins, mais comme des victimes à part entière, en l’occurrence victimes indirectes quand ils n’ont pas subi directement les agressions mais souffrent de voir leur parent malmené. Pour bien les soutenir, le décret n° 2021-1516 du 23 novembre 2021 tendant à renforcer l’effectivité des droits des personnes victimes d’infractions commises au sein du couple ou de la famille (JO du 24 nov.) améliore encore le dispositif de lutte. En outre, récemment la circulaire du 19 avril 2022 relative àla prise en charge des mineurs présents lors d’un homicide commis au sein du couple (Bull. officiel du 25 avril 2022) a ainsi mis en place une protection spécifique lorsqu’ils assistent à un féminicide, voire à la mort de leur père.
Outre les textes relatifs aux maltraitances et à la protection de l’enfance ou des enfants, le juge des enfants pouvant mettre en place tout un panel de mesures d’assistance éducative (C. civ., art. 375), le législateur s’est attaché à la cause des jeunes victimes en modifiant les relations familiales. Précisément, les lois n° 2019- 1490 du 28 déc. 2019 et n° 2020-936 du 30 juillet 2020 permettent de retirer l’autorité parentale au parent auteur d’agressions ou de confier l’exercice de l’autorité parentale au parent victime et, dans ce cas, de supprimer les droits de visite et d’hébergement au parent auteur (voire de prévoir le droit de visite dans un lieu de rencontre médiatisé), si bien qu’il n’est pas en droit de se rapprocher du nouveau domicile de sa victime. Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge aux affaires familiales doit prendre en considération « les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre » (C. civ., art. 373-2-11-6°).
Pour soutenir les enfants si besoin, le droit de visite et d’hébergement du parent, auteur de violences, pourra être suspendu par le juge dès la mise en examen de ce dernier, ce qui permet de faire gagner du temps et donc de renforcer les mesures protectrices, y compris s’il n’a pas directement agressé ses enfants. Le juge d’instruction ou le juge des libertés ou de la détention peuvent prononcer cette suspension au début des poursuites en cas de crime d’un parent commis sur la personne de l’autre parent et aussi en cas de condamnation pénale lorsque le juge ne s’est pas expressément prononcé (C. pr. pén., art. 138). Dans tous ces cas, c’est l’intérêt de l’enfant qui doit prévaloir car selon la gravité de la situation, il peut en effet être nécessaire de couper les liens au moins durant un certain temps, le juge choisissant entre la suppression de la coparentalité ou la suspension voire suppression de l’exercice de l’autorité parentale.
II – Les soutiens à accorder aux victimes pour qu’elles profitent des dispositifs de lutte contre les violences en famille
Au fil des années, la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales a pris de l’ampleur. Toutes les violences conjugales sont interdites par la loi, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles. Lorsque la victime de ces violences signale les faits, elle peut obtenir diverses mesures de protection dont celle de ne plus devoir résider avec son époux, partenaire ou concubin.
Le problème vient toutefois du fait que beaucoup de victimes restent dans l’ombre. Pour les inciter à faire connaître les drames vécus en famille, il est essentiel d’une part, de bien les informer et d’autre part, de leur garantir un accompagnement efficace.
A. Les soutiens sous forme d’information à délivrer aux victimes
Pour bien assurer la sécurité au sein de la famille et prévenir les dangers, il est essentiel que les époux ou concubins subissant des agressions ou les parents dont les enfants sont victimes de violences intrafamiliales soient parfaitement informés de leurs droits et connaissent les récents dispositifs de lutte.
Souvent les victimes ne réalisent pas aussitôt qu’elles sont victimes au sens juridique du terme car leur couple dure depuis longtemps avec des conflits et des tensions permanents.
Par ailleurs, nombre d’entre elles font savoir qu’elles aiment encore leur compagnon et n’envisagent pas de le quitter malgré son attitude à leur égard, voire leurs blessures. Il leur faut souvent du temps pour se décider à faire connaître ces drames qu’elles vivent, notamment quand elles ont des enfants et ne veulent pas les priver de leur père (cela peut être aussi des hommes victimes mais statistiquement c’est moins courant). Il est vrai aussi que le temps complique aussi les choses car si au début, les violences conjugales étaient verbales, économiques ou liées à la confiscation de certains objets (tels des cartes nationales d’identité, des livrets de famille ou des cartes vitales, voire des diplômes), ainsi que psychologiques, au fil du temps, elles deviennent parfois physiques et sexuelles.
Il est judicieux d’expliquer alors aux victimes quels sont leurs droits en leur rappelant que leur agresseur n’a aucun droit sur leur corps, y compris dans le mariage car le devoir conjugal est mal perçu et ce même si cela fait longtemps qu’ils vivent en couple en leur montrant aussi que souvent ce dernier cherche à les responsabiliser.
Le but est également de leur rappeler comment et quand signaler les agissements violents, sachant que des signalements peuvent être faits de même par des tiers, y compris des médecins car les textes prévoient des exceptions au secret professionnel. Toute personne qui subit des violences à la maison ou qui est menacée peut alerter la police ou la gendarmerie, en composant le 17 en cas d’urgence, ainsi que le 112 (ou en envoyant un SMS au 114). Elle peut éventuellement alerter les services de secours si des soins médicaux urgents sont nécessaires. Néanmoins ce signalement effectué par la victime n’est pas aussi fréquent et aussi rapide qu’il devrait l’être car beaucoup de personnes impliquées hésitent avant de faire ces démarches par peur d’être délaissées et de vivre d’autres drames.
B. Les soutiens sous forme d’aide, de conseils et d’accompagnement des victimes
Vivre enfermé chez soi, sans rencontrer de tiers est problématique car l’isolement augmente les drames et accentue les tensions familiales. Il est précieux que différentes aides soient alors mises en place, quels que soient les modes de vie des intéressés.
Il importe de rassurer les victimes sur les suites de leur signalement ou de celui effectué par des tiers. Il faut qu’elles comprennent que l’auteur des faits pourra être sanctionné et qu’il sera mis fin à leurs relations, tout en aidant les intéressées à se loger et à continuer d’élever leurs enfants.
La victime a souvent peur des représailles pour elle et ses enfants et il faut lui expliquer comment les textes gèrent la réparation des dommages causés par ces violences, encadrent les procédures permettant de faire condamner voire emprisonner le conjoint ou concubin violent et quels sont les dispositifs de soutien et d’accompagnement mis en place au fil des années afin d’assurer la protection de ses droits fondamentaux et de ceux de ses enfants.
Quand les membres de la famille sont aux prises avec la violence, les difficultés sont bien plus grandes en raison de la proximité entre l’auteur de ces agissements et la victime. Il faut dès lors se garder de toute considération affective et organiser au mieux et rapidement la protection des victimes, même si cela conduit à mettre fin à toutes les relations inhérentes à la vie familiale.
Les relations familiales ne peuvent pas survivre à toutes les crises ou à toutes les mises en danger des membres de la famille.
Pour mettre fin aux violences au sein des familles, les textes ne suffisent malheureusement pas en soi mais ils peuvent servir à faire évoluer les mentalités. Pour l’heure la question n’est pas réglée (on note même avec la crise sanitaire une recrudescence des agissements violents au sein des couples et des familles ; I. Corpart, Covid et violences conjugales. Le difficile accompagnement des victimes, Les Affiches d’Alsace et de Lorraine, n° 22, 16 mars 2021, p. 4) toutefois si les auteurs prennent bien conscience des risques qu’ils encourent et si les victimes mesurent les soutiens qui leur sont apportés, on peut espérer que les relations familiales se sécurisent dans les années à venir.