Dossier Paru le 15 novembre 2022
AGENCE RHIN MEUSE

Adoption d’un plan d’aides Spécial Sécheresse

Le conseil d’administration de l’Agence de l’eau Rhin Meuse vient d’adopter un plan « Spécial sécheresse » en donnant un coup d’accélérateur aux investissements permettant de garantir une sécurisation de l’approvisionnement en eau potable et une sobriété des usages de l’eau.

La Moselle à Epinal

L’été 2022 aura marqué les esprits dans le Grand Est. Pas seulement les esprits. Les paysages écrasés de soleil, les canicules à répétition ont asséché les cours d’eau, grillé les grandes aires de pâturage. Mais le plus à craindre c’est bien la multiplication de ces phénomènes saisonniers. Et les températures presque estivales de cet automne confirment le dérèglement climatique dans nos contrées. L’Agence de l’eau, la bien nommée, veut anticiper et protéger la ressource. Marc Hoeltzel, directeur général de l’Agence de l’eau Rhin Meuse l’a dit dans les colonnes du Républicain Lorrain. « J’ai été particulièrement heurté par le fait que les assèchements de rivières étaient aussi nombreux dans notre région que dans les bassins méridionaux alors que nous étions sortis de l’hiver avec des réserves d’eau pleines comme jamais. »

« Phénomènes récurrents… »

L’aggravation de ces phénomènes d’assec des collectivités de plus de 10 000 habitants a généré pour la première fois un grand risque de rupture d’approvisionnement en eau potable dans ces localités. Le fret fluvial est aussi touché et fortement ralenti sur le Rhin avec des impacts sur les petites entreprises. La disparition d’espèces emblématiques comme l’écrevisse à pieds rouges par manque d’eau, tout cela a été évoqué lors du dernier conseil d’administration de l’agence. Marc Hoeltzel a certes tempéré les effets de cette crise en rappelant que « dans le bassin Rhin Meuse, notre résistance est bonne. » De fait « au cours de cet été 2022, le bassin Rhin Meuse a fait l’objet de toutes les attentions au même titre que le bassin méditerranéen. Ces phénomènes ne sont malheureusement pas le fait d’une seule année. Ils sont désormais récurrents. Sur les 5 dernières années, 4 forment les étiages les plus sévères mesurés depuis 1982 ! Les nappes connaissent un déficit de recharge depuis près d’un an » précise le directeur de l’agence de l’eau.

Une mobilisation rapide et massive

Il s’agit dès lors pour l’agence d’anticiper afin de faire face aux crises à venir. Face à cette situation et en écho au lancement du volet eau de la planification écologique par le ministre Christophe Béchu, le conseil d’administration a souhaité adresser un signal fort aux collectivités, entreprises, agriculteurs pour une mobilisation rapide et massive.

Le plan d’aides « spécial sécheresse » ainsi voté à l’unanimité, repose sur un renforcement de l’attractivité des aides de l’agence Rhin Meuse dans un contexte d’inflation et de renchérissement du coût de l’énergie.

30 M€ d’aides jusqu’à fin 2023

L’agence a voté un plan d’aides de 30 M€ qui viennent s’ajouter aux 150 M€ engagés annuellement pour protéger les milieux naturels et assurer l’approvisionnement en eau. Dans ce but les 8 premières opérations bénéficiant des dispositions du plan sécheresse ont été approuvées, avec un bonus de 1,5 M€, preuve de l’impact immédiat et significatif de ce plan d’aides venant compléter les financements en vigueur.

« En matière de sécurisation de l’eau potable, des taux d’aides jamais pratiqués sont proposés aux communes identifiées comme vulnérables, souligne la présidente du conseil d’administration, Josiane Chevalier, préfète de la Région Grand Est. Le plan compte 18 mesures avec un budget de 30 M€ mobilisés spécifiquement jusqu’à la fin 2023. Ces opportunités sont à saisir pour déployer des investissements pérennes. »

Élus, industriels, agriculteurs, tous concernés

Les objectifs de ce plan d’aides sont clairs :

- En matière d’alimentation en eau potable : consolider l’ensemble de la chaîne de desserte en eau, pour prévenir les crises futures ;

- En matière d’assainissement : une action coup de poing sur les cours d’eau en assec ou ayant subi un étiage historique ;

- En matière d’eau et de nature en ville : faire davantage de place au végétal par l’infiltration des eaux pluviales, ce qui concourt au remplissage des nappes et à la réduction des pics de pollution ;

- En matière d’agriculture : sécuriser l’accès à l’eau, des élevages et expérimenter le recours à des filières agricoles plus résilientes ;

- En matière d’industries : réduire les prélèvements sur les ressources fragiles et réduire les pressions sur les cours d’eau en assec en 2022.

Bassins de rétention, bassins d’orage

Ces financements doivent permettre de mieux préserver la ressource en colmatant les fuites du réseau, en créant des réservoirs supplémentaires afin de ne plus être contraint d’alimenter les gens en eau par des camions citernes comme c’est arrivé l’été dernier.

Pour mieux gérer les eaux de ruissellement issues des pluies d’orages, il faudra aussi développer, renforcer les déversoirs d’orage ou bassins de décantation, comme on en voit actuellement des chantiers aux abords de l’autoroute A4 en Moselle, réalisés par la Sanef pour éviter les inondations. Et pour éviter que ces eaux violentes ne génèrent des coulées de boue sur les bassins versants de nos prairies, l’agence de l’eau préconise la plantation de haies. Et en matière de mesures agro-environnementales climatiques des enveloppes sont proposées pour le maintien de l’herbe et la remise en herbe.

Aller vers plus de sobriété

L’agence pense aussi à l’élevage en altitude en proposant la construction de stockages d’eau. Et l’agence propose des financements pour réaliser des ouvrages de rétention d’eau de faible capacité pour l’abreuvement du bétail.

Enfin ultime conseil et proposition de l’agence, inciter les usagers à faire évoluer leurs pratiques vers davantage de sobriété. Et ça passe parfois par la contrainte et par des arrêtés préfectoraux pour pousser les usagers à arroser à certaines heures, à interdire l’arrosage des pelouses etc.

Des aides qui devront être utilisées à bon escient par les collectivités, les industriels et les agriculteurs.

Prochain conseil d’administration de l’Agence de l’eau Rhin Meuse le 9 décembre 2022.

Interview de Marc Hoeltzel

«Le système d’alimentation d’eau a bien tenu »

Dans une interview aux Affiches d’Alsace et de Lorraine, Marc Hoeltzel, directeur de l’agence de l’eau, rappelle précisément l’état des lieux de la ressource en eau dans le bassin versant Rhin Meuse. Il souligne le rôle essentiel de l’Agence de l’eau.

- Cette sécheresse cet été, ce redoux en octobre, cela ne vous inquiète pas ?

- Marc Hoeltzel : « Ce redoux qu’on constate en fin d’automne, on le sentait un peu arriver aussi. Ce sont des séquences qui se répètent. De Météo France, nous avons des projections tous les trois mois. Ce n’est pas très précis car nous ne sommes pas dans une bonne zone de couverture météorologique, malgré tout on voyait les choses arriver. »

- Ce qui est arrivé cet été, est-ce inédit ?

- M.H. : « Rappelez-vous quand nous étions en plein confinement, en 2020 entre le mois de mars et la fin de l’été. Ce n’est jamais tout à fait pareil. On a comparé les profils : 1976, 2019, 2020, 2022… on est sur des périodes de chaleur assez fortes. »

« Des réserves pleines comme jamais ! »

- Mais les nappes s’étaient reconstituées l’an passé ?

- M.H. : « C’est l’avantage qu’on a eu pour cette saison. Alors qu’aujourd’hui on n’est pas en train de recharger, c’est plutôt l’inverse. Là, on continue d’épuiser les nappes. L’avantage qu’on avait c’est d’avoir rempli les nappes très tôt, à l’automne 2021. Tous les barrages réservoirs, comme la Pierre-Percée, on les a remplis avec la pluie de 2021. On est rentré en début d’année avec des recharges naturelles, artificielles, pleines comme jamais. Le niveau de Pierre Percée sorti du mois d’août, c’est le niveau d’entrée du printemps d’une année normale. On n’a pas tant tiré que ça sur Pierre Percée, là on est encore à 75%, le niveau qu’on a normalement en mars avril. »

- Quelles sont les conséquences de cette sécheresse ?

- M.H. : « Premier point, il y a aussi du positif : globalement le système d’alimentation d’eau potable a relativement tenu. Mais quand on a vu, fin juillet, La Bresse et Gérardmer, commencer à envisager des risques de rupture d’eau potable, on craignait de se retrouver avec cinquante à soixante-dix communes en rupture. Ce n’est fort heureusement pas survenu. Certes, il y a eu des cas dans la montagne, dans les Vosges. Des problèmes quand il s’agissait de source unique d’alimentation. Autrement le réseau a bien tenu. Deuxième aspect plutôt positif à relever, la qualité des cours d’eau n’est pas si mal que ça. Certes, on perd en capacité de dilution, mais l’effet température a dopé le rendement des stations d’épuration. 3

En septembre, avec une hydrologie assez basse, la qualité de l’eau s’est maintenue : c’est aussi le fait d’un bon niveau d’équipement en matière d’assainissement dans l’Est de la France. On voit que c’est payant. Le bon niveau de traitement des eaux usées permet des rejets de bonne qualité dans les cours d’eau. Avec une telle sécheresse, on devrait avoir des bas niveaux de qualité d’eau. Ce n’est pas le cas. »

« Les dernières années les plus sèches »

- Le problème c’est la quantité d’eau ?

- M.H. : « On a eu des assecs de cours d’eau. Sur les cinq dernières années, à part 2021 on a eu les années les plus sèches depuis les années quatre-vingt, avec des débits les plus faibles. Les assecs de 2022 ne sont pas pires que 2021, 2020. Ils ne sont pas survenus aux mêmes endroits dans le bassin. On a eu un assec sur un cours d’eau en Alsace que l’on n’avait pas eu les années précédentes. On pouvait marcher dans le lit de la rivière, ce qui n’est pas arrivé de mémoire d’homme du cru. Il s’agit de l’Ehn, en aval d’Obernai. »

- Les assecs sont-ils de plus en plus fréquents ?

- M.H. : « Selon les années, on n’a pas les assecs aux mêmes endroits. Globalement on a des niveaux d’assec qui deviennent maintenant une tendance forte sur le bassin. »

- Votre plan sécheresse est bien un plan d’urgence ?

- M.H. : « C’est ça. Le premier volet c’est l’eau potable, le second l’assainissement, et ensuite des actions pour les acteurs économiques. Nous avons fait nos estimations des demandes : si on a plus de 30 M€, cela prouve qu’il y a une vraie réaction. En France, on ne tire pas assez vite les retours d’expériences des crises. Souvent derrière, il ne se passe rien…On a tendance à l’oubli. On a considéré qu’on était assez mûrs pour savoir ce qu’il y avait à corriger. L’idée était de le faire très vite, pour qu’on puisse agir d’ici la prochaine campagne. »

- Qu’avez-vous corrigé précisément ?

- M.H. : « On a des communes en pénurie récurrente, environ 300 qu’on suit. Mais on pense parvenir à renforcer leur équipement. On peut travailler sur les fuites d’eau, sur les interconnexions de sécurité. Si on fait l’effort, on doit pouvoir se sortir de cette fragilité en matière d’eau potable. Elle est surtout localisée sur les petites collectivités, ce qu’on doit pouvoir assumer financièrement. C’est pour cela, qu’on prend beaucoup de mesures pour régler le maximum de points de fragilité d’alimentation d’eau potable. »

« Les hameaux dans les Vosges en détresse »

- Avez-vous localisé des situations délicates ?

- M.H. : « Oui. C’est un phénomène nouveau. Dans les Vosges, il y a des hameaux qui sont sur des sources privées. On va ouvrir un dispositif d’aides pour permettre à la collectivité d’étendre son réseau jusqu’au hameau. Il reste un certain nombre de hameaux à raccorder au réseau public. La commune de La Bresse avait besoin d’une aide d’urgence, car elle avait une dizaine de hameaux privés en grande détresse en matière d’approvisionnement d’eau. »

- Qu’en est-il du stockage de l’eau ?

- M.H. « Il y a deux sujets. S’il s’agit de faire comme dans l’Ouest de la France, des retenues collinaires, ce n’est pas à l’ordre du jour. C’est très compliqué. Nous voulons faire des choses simples. Des éleveurs connaissent des difficultés pour l’abreuvement de leur bétail. L’élevage est utile car il protège les surfaces en herbe. Comme les éleveurs sont déjà en crise, on leur tend la main, pour développer de petits stockages. On leur apporte des aides pour développer leur projet. Il faut remarquer qu’on a voté à l’unanimité notre plan avec toutes les associations de l’environnement. Tout le monde a compris qu’avec de petits stockages d’eau, au niveau de l’élevage, tout le monde est gagnant. »

« Une approche modérée du stockage de l’eau »

- Et les bassins de rétention, vous y êtes favorable ?

- M.H. : « Il y a des moments où une rétention d’eau peut être favorable si vous évitez de pomper et de mettre à sec vos ressources. Mais quand il y a trop de tension sur des ressources, on stocke pour que les ressources ne soient pas mises à mal. On n’a pas beaucoup de cas de figures sur le bassin. Cette configuration, on la voit beaucoup dans l’Ouest de la France, mais peu chez nous. Sinon, le fait de développer trop de stockages, stimule le développement des usages parce qu’on pense qu’on a de l’eau. Mais on risque alors d’être dans une situation encore plus compliquée en cas de sécheresse sévère. On a assez de mares, d’étangs, de réservoirs sur le bassin. Des retenues il y en a à peu près 10 000 sur le bassin. Dès lors, il y a un certain nombre qu’on peut réutiliser pour faire autre chose. On a deux ouvrages existants : un dans le secteur du Rupt du Mad que l’on peut utiliser avec l’accord des professions agricoles et du conservateur des sites, pour regonfler un peu les cours d’eau, et mieux alimenter les prairies, pour éviter d’avoir des éleveurs qui se retrouvent avec des prairies à sec. Et dans le Haut-Rhin, on a le barrage de la Lauch. On va proposer avec la collectivité alsacienne de rehausser le barrage, ce sera un stockage d’eau qui ne posera pas de problème sur le plan environnemental, puisque le stockage existe déjà. En résumé, nous avons une approche modérée en la matière. »

- Que dite-vous des Espagnols qui créent d’immenses bassins de rétention pour leur culture maraîchère dans les zones arides ?

- M.H. : « C’est typiquement le cas de stockage d’eau développé de manière massive. Du coup, avec des sécheresses plus prononcées qu’avant. Ils ont développé des cultures maraîchères dans des endroits où il n’y avait pas forcément d’eau auparavant. Après, on se retrouve dans des situations complètement déséquilibrées, où l’on crée une tension sur la ressource que l’on n’avait pas avant. Ce n’est pas forcément le modèle à suivre. »

- Et vous intervenez aussi pour créer des haies afin de lutter contre les coulées de boue ?

- M.H. : « Il y avait dans ce domaine un plan de l’État au sein du plan de relance, qui avait assez bien marché. Mais aujourd’hui la direction de l’agriculture n’a plus les crédits pour continuer. En gros, pour ne pas décevoir, on est prêt à apporter des aides, qu’on prend sur les captages, pour l’ouvrir sur les coulées de boue. Ce sont des dossiers qu’on va reprendre, la demande est là. Pour nous ça fait plutôt sens, si on arrive à développer les haies. »

« Un mouvement de fond pour plus de sobriété »

- Et pour l’industrie qu’est-il prévu ?

- M.H. : « Nous finançons en fait des techniques de consommation d’eau plus sobres. Nous avons des demandes en la matière. Et nous soutenons tout ce qui est recyclage d’eau : un grand sujet que de prendre les eaux pluviales au sol et de les récupérer, les traiter un minimum pour des usages qui ont besoin de moins de niveau de qualité, mais pour prendre moins d’eau sur le réseau. »

- Avec le réchauffement climatique, faudra-t-il davantage anticiper ?

- M.H. : « Absolument. Il faudra s’équiper à tous les niveaux. La sobriété doit devenir un principe pour moins tirer sur la ressource en eau. Tant les particuliers que les industriels que les agriculteurs : un mouvement de fond est indispensable. Il faut prendre la mesure du problème. Faire des choses complètement différentes. À chaque fois que l’on fait un projet d’aménagement en milieu urbain, il faut désormais avoir le réflexe de base, de ne pas installer des tuyaux, mais plutôt favoriser d’infiltrer l’eau que de la collecter. Il faut privilégier l’infiltration de l’eau plutôt que la collecte. Avec les eaux pluviales, il faut infiltrer au maximum. C’est le ticket gagnant. Une étude l’a prouvé, entre 2018 et 2020 on a perdu 14% de capacité d’accès à l’eau. Pourquoi ? Toutes les périodes de l’année, vous avez plus d’évaporation de l’eau, qui n’est pas captable. »

- L’Agence de l’eau a un rôle majeur sur cette problématique ?

- M.H. : « C’est ce qu’on fait déjà depuis longtemps. On est quand même le financeur très majoritaire de toutes ces opérations. C’est ainsi qu’a été construit le modèle français pour tirer notre territoire dans la bonne direction. Avoir cette vision de bassin versant est une bonne chose. »

 

Voir aussi www.eau.rhin-meuse.fr

Marc Hoeltzel Directeur général de l'Agence de l'eau Rhin-Meuse

Bernard KRATZ