Dossier Paru le 25 novembre 2022

LA PERTINENCE DES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

Les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) ont été au cœur d’un colloque organisé à Strasbourg le 23 juin 2022 sur le thème suivant : Les MARD à Strasbourg, diversité et complémentarité des acteurs du droit à l’aune du projet européen. Les objectifs poursuivis tenaient à ce que chacun comprenne bien l’intérêt de l’évolution de ces pistes évitant certaines procédures judiciaires et que tout soit fait pour mieux soutenir les justiciables.

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Trouver des alternatives aux procès classiques permet d’offrir de nouvelles voies aux personnes qui sont confrontées à des conflits et qui aimeraient trouver rapidement et efficacement des solutions adaptées à leur situation.

Le recours aux MARD devient de plus en plus courant et fréquent en parallèle avec l’évolution du droit et notamment le développement de la déjudiciarisation, mais aussi face à l’inflation du nombre des conflits.

Le but est d’aider les personnes à renouer le dialogue pour essayer de mettre fin à leurs problèmes juridiques sans faire de démarches judiciaires. Trouver un accord évite parfois de recourir au juge mais pas forcément à un avocat. En effet ce dernier a pour mission de conseiller ses clients et cela peut être dans le but de leur suggérer de recourir à la voie des MARD.

Selon les propos tenus lors du colloque par Maître Bruno Huck, bâtonnier de l’Ordre des avocats au Barreau de Strasbourg, les avocats commencent à comprendre l’intérêt d’utiliser ces nouveaux modes de résolution des litiges et de recourir ainsi à la justice amiable (I. Corpart, Rencontre avec Madame Christine Ruetsch pour découvrir l’Institut de justice amiable, Les Affiches d’Alsace et de Lorraine, n° 87/88, 1/4 novembre 2022, p. 4).

Le Conseil de l’ordre du Barreau de Strasbourg a précisément favorisé pour ces raisons la création du Centre de Justice Amiable du Barreau de Strasbourg. Cela permet aux avocats de mieux participer au processus de gestion des conflits et de développer diverses disciplines amiables au profit de tous les avocats du Barreau.

Mettre l’accent sur les disciplines amiables est devenu une mission importante des avocats. Ils adhèrent désormais au fait que la résolution des conflits par une voie amiable permet de bien soutenir leurs clients en les aidant à nouer ou à renouer les fils d’un dialogue. Ils deviennent précisément les acteurs essentiels de telles mesures et des soutiens efficaces pour les parties en conflit.

L’objectif poursuivi par le recours aux MARD est de proposer des alternatives au procès classique et de donner une issue aux conflits d’ordre civil sans passer par la décision régalienne du juge. Ce dernier peut toutefois aussi avoir conseillé aux parties de démarrer des discussions dans ce cadre alors qu’une procédure judiciaire avait déjà été engagée. Le juge peut effectivement leur recommander d’utiliser la voie de la médiation ou d’autres modes alternatifs de règlement des litiges.

Lors du colloque, dont les Actes ont été publiés, ce rappel a été fait par le Président du Tribunal judiciaire de Strasbourg, Monsieur Thierry Ghera qui a aussi relevé que les discussions engagées entre les professionnels du droit lors de cette journée consacrée aux MARD ont vocation à mettre en place en place une réflexion collective.

À l’occasion de ce colloque a été présenté le résultat de nombreuses années d’efforts pour promouvoir les MARD à Strasbourg par les travaux du comité de pilotage regroupant le Tribunal, le Barreau, les associations de médiation et les conciliateurs.

Les pistes à suivre doivent aider les citoyens français mais aussi les citoyens européens et comme le relève le président, ce sujet intéresse l’autorité judicaire qui participe également à la promotion de ces modes alternatifs. Il n’est pas question de décharger les juges de leur mission ou de déjudiciariser les processus mais de bien favoriser le dialogue et l’échange pour parvenir rapidement à de meilleures solutions. Il ne s’agit pas d’une méthode de remplacement mais d’une méthode qui se veut complémentaire.

Le colloque organisé à Strasbourg a aussi permis de comprendre comment il convient de procéder en la matière (I), tout en mesurant les apports de ces modes alternatifs de règlement des conflits, des litiges ou des différends et les avantages qu’ils procurent (II).

I – La recherche de solutions amiables

Une telle démarche est faite dans de nombreux domaines juridiques. Il est ainsi mentionné lors du colloque que le contentieux du droit des affaires est particulièrement bien adapté à la mise en place de solutions de règlement amiable. En effet de nombreuses procédures de référé commercial se concluent par une transaction en cours d’instance entre les avocats des parties. De plus, dans cet esprit, une cellule de conciliation, animée par Monsieur Fasciglione, président de la compagnie des juges consulaires, a été créée par la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg afin que les parties s’engagent dans un processus de conciliation et qu’elles comprennent l’intérêt d’une solution négociée pour trouver une issue au conflit.

La conciliation a des vertus car ses atouts tiennent à la rapidité des démarches, leur confidentialité, leur gratuité mais aussi à la responsabilisation des parties, le tout reposant sur la réactivation du processus de communication. Il est notable que l’évitement des règles usuelles de l’État de droit permet de gagner du temps et de l’argent ce qui justifie de bien développer les MARD. Cela permet d’apporter des réponses plus rapides et plus simples dans le traitement des litiges du quotidien, raison pour laquelle des lois se sont succédées pour les mettre en place.

La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a rendu systématique le recours préalable au conciliateur de justice avant toute saisine du tribunal d’instance (devenu tribunal judiciaire) par déclaration au greffe. Ensuite la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a imposé cette obligation aux demandes n’excédant pas 5 000 euros et aux demandes relatives aux conflits de voisinage, puis la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a étendu ce recours aux troubles anormaux du voisinage.

Les MARD sont aussi très recommandés dans les dossiers de droit civil, la mission du juge étant en la matière de concilier les parties, si bien qu’il recourt fréquemment à la médiation. Cela permet à deux ou plusieurs parties de tenter de trouver un accord. Il peut être question de médiation ou de conciliation. Dans le cadre de la médiation, on conduit les parties à renouer le dialogue et à faire connaître leurs besoins respectifs en vue de trouver une solution sans passer par un juge. En revanche en matière de conciliation, l’idée est que le conciliateur écoute les arguments des parties et leur propose une solution négociée à leur litige. Tout est fait pour éviter la dramatisation des débats judiciaires en optant pour une mesure pacificatrice.

Le recours à la médiation est envisageable dans plein de domaines. Tel est le cas en matière contractuelle mais aussi pour les troubles du voisinage, le droit de propriété et les empiètements, la construction, la vente immobilière, les servitudes, les successions et le partage du patrimoine et en matière de droit de la famille. En l’occurrence, il s’agit de médiation familiale, très utile pour soutenir les membres de la famille en conflit, 24 lieux de rendez-vous étant proposés dans le département sachant que des entretiens par visioconférence sont également envisageables. Tout cela permet de trouver des solutions débouchant sur l’apaisement des relations entre les membres d’une même famille, notamment quand les personnes sont en situation de rupture conjugale ou de recomposition familiale mais aussi quand les conflits sont intergénérationnels ou interviennent dans le cadre de l’ouverture d’une succession. Vu ses avantages, la médiation familiale peut être proposée par le juge aux affaires familiales, le juge des enfants ou les juges du contentieux de la protection et le colloque a fait intervenir de nombreux avocats, médiateurs et magistrats pour montrer l’intérêt de ce mode alternatif de règlement des litiges tout en assurant la promotion de la médiation familiale et analyser différents dossiers en vue de mettre l’accent sur des exemples concrets de réussite.

Cette voie ne peut toutefois pas être suivie pour l’ensemble des dossiers car, notamment, la lutte contre les violences intra-familiales et les violences conjugales exclut le recours à la médiation. En cas de violences, il y a effectivement un risque d’emprise et il est impossible de renouer sereinement le dialogue.

II – Les signes de l’intérêt porté au recours aux MARD

Il est question de modes alternatifs de litiges, de conflits ou de différends quand deux ou plusieurs parties font intervenir un tiers en vue de parvenir à un accord et d’aboutir à la résolution amiable de leurs différends. Il en va de même que ce soit les parties qui fassent ce choix ou que le juge ait désigné un médiateur avec leur accord. Cela permet de gérer les conflits sans intervention du juge, ce qui conduit à un changement de paradigme auquel il faut pouvoir s’adapter. Pour autant il est relevé lors du colloque que le Conseil de l’Europe y est très favorable car il promeut depuis longtemps le recours à la médiation familiale, civile, pénale et administrative.

Pour bien faire avancer les choses, il importe de sensibiliser les parties mais aussi les acteurs, magistrats, avocats et médiateurs, au but poursuivi par les intervenants dudit colloque.

Ces techniques alternatives de résolution des litiges ont montré au fil du temps combien les personnes concernées étaient bien soutenues et soulagées, raison pour laquelle, l’Ordre des avocats a souhaité être associé à leur mise en oeuvre. L’accent a aussi été mis lors de la conférence sur la convention de procédure participative à la mise en état du litige (PPME), procédure conçue par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires comme une technique alternative de résolution des litiges. La convention de procédure participative est une convention par laquelle les parties à un différend qui n’a pas encore donné lieu à la saisine d’un juge ou d’un arbitre s’engagent à oeuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend. Dans ce cadre, il a été relevé lors du colloque qu’une quarantaine d’avocats du Barreau de Strasbourg ont déjà été formés à la mise en oeuvre de la PPME et que de nouvelles formations vont redémarrer afin de les sensibiliser aux avantages du recours à cette procédure ou aux actes contresignés par avocat qui participent à la mise en état du litige.

Pour faire avancer les choses, les conférenciers ont aussi abordé la question de la mise en oeuvre des MARD devant le juge des référés et devant le juge du fond après expertises.

Les autorités publiques montrent également leur intérêt en la matière. On est passé de l’invitation à démarrer une médiation à une injonction à le faire. En effet, le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorise le recours à la médiation mais surtout consacre l’injonction à la médiation tout en simplifiant certaines règles dont celles relatives à la rémunération due au médiateur. Cette injonction a été introduite dans l’article 127-1 du Code de procédure civile. En vertu de ce texte, tout juge, lorsqu’il n’a pas recueilli l’accord des parties au litige pour entrer en médiation, peut leur enjoindre de rencontrer un médiateur dans le but qu’elles soient informées de l’objet et du déroulement d’un tel mode alternatif de règlement des différends. D’une manière générale, il faut tenir compte de l’aptitude et de la volonté des parties en litige.

En la matière le rôle de l’avocat est essentiel. En effet, l’avocat a pour mission de veiller à l’intérêt de son client et il lui revient de conseiller ce dernier en matière de médiation. Lors du colloque, il a notamment été relevé que les parties se voient accorder un droit à la médiation, y compris en matière de divorce, tout cela soutenant le développement de la médiation.

Lors d’un entretien à propos des MARD avec Monsieur Thierry Ghera, Président du Tribunal judiciaire de Strasbourg, nous avons aussi compris que le but poursuivi par les organisateurs du colloque était de parvenir à réunir l’ensemble des acteurs concernés par ces modes alternatifs. C’est aussi la raison pour laquelle un comité de pilotage a été mis en place en vue d’organiser un travail collectif. Tout sera fait pour que ce projet évolue et se développe. Même si, pour l’heure, le règlement des litiges ne repose pas systématiquement sur la médiation, faute de tradition culturelle en la matière, rien ne semble s’opposer à ce qu’elle devienne un outil essentiel, comme au Canada, pays qui a été le précurseur de la mise en place de ce mode alternatif.

Thierry Ghera a aussi insisté sur le fait que la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) qui s’efforce de soutenir les États membres dans leurs réformes en matière d’organisation judiciaire a aussi mis en place un groupe de travail sur la médiation et a édité sur son site une boîte à outil à l’intention des pays européens sur les méthodes à suivre.

Tout cela permettra de dépassionner le débat pour que les modes alternatifs et en particulier la médiation deviennent des recours courants et quasi automatiques. Prendre la parole, pouvoir dialoguer, renouer des liens, permet vraiment de dépassionner le débat. Il serait intéressant d’avoir un taux de réussite pour mesurer les impacts des MARD mais grâce aux intervenants du colloque on comprend bien que l’avenir est en bonne voie, car elles offrent une nouvelle perspective aux parties qui ne souhaitent pas faire des démarches judiciaires et être jugées. Certes cela dépend de la typologie des conflits mais dans de nombreux domaines, une voie parallèle au recours au juge peut être désormais proposée aux personnes qui sont confrontées à des difficultés juridiques.

Cela permettra aussi de faire comprendre à tous les citoyens l’intérêt de ces méthodes tout en familiarisant aussi avec elles l’ensemble des acteurs juridiques, raison pour laquelle l’Institut de justice amiable a été créé par le Barreau de Strasbourg.

Cette possibilité de régler les différends était bien connue déjà pour la médiation familiale mais grâce au colloque de nombreuses informations ont été communiquées. On a effectivement pu découvrir que tous les domaines juridiques sont visés et que d’autres modes alternatifs ont été mis en place pour permettre aux parties de régler plus facilement leurs litiges. Tous les contentieux, tous les professionnels sont concernés par ces nouveautés. Il est aussi pertinent qu’ils soient bien formés pour comprendre l’intérêt des MARD et avoir des compétences nouvelles, sachant que pour les médiateurs, il y a des formations particulières. C’est d’ailleurs la caractéristique du travail réalisé par Strasbourg que tous les professionnels concourent au projet et que tous les contentieux soient concernés.

Faire intervenir un médiateur ou un conciliateur pourrait aussi éviter que de nouveaux litiges redémarrent entre les mêmes parties et surtout permettre aux parties de trouver une issue sans passer par le juge car cela leur laissera moins d’amertume ou de frustration. Elles pourront comprendre qu’elles doivent faire des concessions mais que c’est dans leur intérêt. L’affaire sera terminée, alors que lorsque le juge tranche le conflit, les intéressés peuvent faire appel.

Grâce à ces évolutions et à la place importante accordée de plus en plus souvent aux modes alternatifs de règlement des conflits, litiges et différends, les justiciables sont parfaitement bien accompagnés et soutenus. Ces outils de plus en plus utilisés dans la sphère juridique apportent un concours efficace à la justice traditionnelle ce qui permet surtout de fortifier la paix sociale, raison de se féliciter de cette évolution.

Thierry Ghera, Président du Tribunal judiciaire de Strasbourg

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace