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Dossier Paru le 14 mars 2023
JURIDIQUE

Choix des prénoms : grande liberté pour les parents mais pas liberté totale

Une affaire en cours actuellement à propos du choix de prénom « Artús » par des parents habitant en Lozère donne l’occasion de rappeler les règles relatives à l’attribution par les père et mère d’un ou plusieurs prénoms lors de la naissance de leur nouveau-né. Le droit a évolué en la matière au fil du temps pour répondre aux attentes des familles, afin de permettre aux père et mère de faire entrer l’enfant dans leur famille avec la dénomination d’un prénom librement choisi. Le prénom permet de distinguer au sein d’une même famille les différents individus portant le même nom de famille et il est donc très important.

© medwedja-stock.adobe.com

À présent, une grande place est accordée à la volonté parentale en ce domaine (I) mais les textes continuent de poser quelques limites, pour l’essentiel dans l’intérêt de l’enfant mais aussi pour interdire des prénoms dont l’orthographe ne coïncide pas avec les règles applicables en France (II).

I – Le principe de liberté des parents quant au choix du prénom lors de la naissance de leur enfant

Un ou plusieurs prénoms doivent être mentionnés lors de la rédaction de l’acte de naissance. Si l’enfant a un ou deux parents, ce sont eux qui font ce choix et pour les enfants qui n’ont pas de parents (enfant trouvé, abandonné ou dont la mère, unique parent, est morte lors l’accouchement ; sachant néanmoins que la femme qui décide d’accoucher sous X a le droit d’indiquer les prénoms qu’elle souhaite voir accorder à l’enfant à naître), c’est l’officier d’état civil qui se voit confier ce rôle. En pareil cas, il attribue au nouveau-né une série de prénoms dont le dernier tient lieu de nom de famille. Pour les parents les règles ont été assouplies en 1993 car l’accent est mis aujourd’hui sur la liberté parentale qui n’était pas à l’ordre du jour antérieurement.

A. Pour les enfants nés avant 1993

Autrefois l’unique parent de l’enfant ou le couple parental pouvaient choisir le prénom de leur nouveau-né mais ils devaient se conformer à la loi du 11 germinal an XI. Il était prévu dans son premier article que « les noms en usage dans les différents calendriers et ceux des personnages connus dans l’histoire ancienne pourront seuls être reçus comme prénoms sur les registres de l’état civil destinés à constater la naissance des enfants ». Ainsi cette loi de l’époque révolutionnaire a permis que l’on puisse donner à son enfant non seulement le prénom d’un saint mais aussi de personnes très célèbres, notamment des prénoms tirés de la mythologie (« Hercule », « Diane », « Achille » …). En revanche des prénoms d’origine étrangère ou inventés par les familles (par exemple un prénom féminisé à partir d’un prénom masculin), ainsi que des prénoms en lien avec des expressions régionales n’étaient pas admis au début.

Pour assouplir les règles, à la suite d’une affaire dans laquelle des prénoms bretons avaient été refusés (Yann, Maïwen, Gwendel, Patrick, Katheline…), la circulaire du 12 avril 1966 (JO du 3 mai) avait ordonné aux officiers d’état civil d’accepter des prénoms tirés de la mythologie mais aussi de la culture régionale. La jurisprudence avait un peu assoupli ses exigences, acceptant par exemple « Ahès » (CA Rennes, 10 févr. 1975).

À cette époque l’officier d’état civil pouvait donc faire obstacle à la démarche des parents en refusant d’inscrire à l’état civil le ou les prénoms choisis par ces derniers.

B. Pour les enfants nés depuis 1993

La loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 a modifié les règles dans le but d’accorder une grande place à la volonté des parents. En abrogeant la loi du 11 germinal an XI, elle a mis en place un système plus libéral. Depuis ce texte, il n’est plus fait référence à des listes de prénoms afin de laisser une certaine place à la fantaisie et aux souhaits des parents.

L’article 57, alinéa 3 du Code civil prévoit depuis cette date que les prénoms de l’enfant sont choisis par ses père et mère. Ces derniers doivent se mettre d’accord mais si tel n’est pas le cas, le juge aux affaires familiales est compétent pour régler le litige. Les parents peuvent même aujourd’hui donner un prénom à leur enfant mort-né ou né sans vie, de même que leur nom de famille depuis la loi n° 2021-1576 du 6 décembre 2021 (C. civ., art. 79-1).

Il aurait toutefois fallu que la loi bioéthique de 2021 songe à modifier cet article pour dire que si l’enfant a un seul parent, il effectue isolément ce choix mais que s’il a deux parents, lesquels pourraient être deux mères dans le cadre d’une procréation médicalement assistée avec donneur, ils ou elles doivent se mettre d’accord.

Ce choix n’est plus contraint par le renvoi aux calendriers ou aux prénoms célèbres, les parents pouvant opter pour des prénoms régionaux, d’origine étrangère, en lien avec un film, une série ou une chanson, sans devoir se justifier, pouvant même forger de nouveaux prénoms. S’il est vrai que les prénoms des saints sont toujours appréciés, les familles ont souvent envie d’opter pour le prénom d’une vedette ou d’un héros de série télévisée ou de film.

Les parents doivent quand même bien réfléchir avant de prénommer leur enfant qui sera désigné ainsi durant toute sa vie par principe (principe d’immutabilité des noms et prénoms même s’il y a des exceptions). À ce titre, il leur est recommandé d’ajouter plusieurs prénoms au nom de famille dans l’acte de naissance car si le premier prénom ne convient pas à l’enfant, ce dernier peut librement se faire prénommer par un autre prénom de sa liste qui deviendra son prénom usuel. En effet, tout prénom qui figure dans l’acte de naissance peut être utilisé comme prénom usuel.

Il est recommandé aussi aux familles de faire un choix pertinent. En effet, il ne faut pas que les parents omettent de respecter l’intérêt de leur nouveau-né car la loi de 1993 a certes mis en place la liberté parentale quant au choix du prénom, toutefois cette liberté n’est pas absolue, un certain nombre de contrôles pouvant être exercés en la matière par l’officier d’état civil.

II – Les limites à la liberté parentale

Certes, le droit a connu d’importants assouplissements avec la réforme de 1993, néanmoins c’est une liberté contrôlée qui a été mise en place. Le législateur était bien d’accord pour que les parents expriment leur volonté et que l’officier d’état civil porte ce ou ces prénoms sur l’acte de naissance, mais il a rappelé toute l’importance de l’intérêt de l’enfant. Précisément au nom de l’intérêt de l’enfant, certains prénoms peuvent être refusés et d’autres peuvent l’être également en raison de leur orthographe.

A. Les contraintes liées à l’intérêt de l’enfant

L’officier d’état civil ne peut plus s’opposer directement au choix d’un prénom en refusant de l’inscrire dans l’acte de naissance comme avant 1993 mais il peut toutefois réagir s’il trouve que le prénom est contraire à l’intérêt de l’enfant ou aux droits des tiers à voir protéger leur nom de famille. Les parents ne peuvent pas non plus choisir comme prénom un nom de famille car cela constituerait une usurpation de nom.

En effet, conformément à l’article 57, alinéa 4 du Code civil, l’officier d’état civil doit mentionner le prénom sur le registre de l’état civil mais il a aussi le droit d’en aviser le procureur de la République s’il estime qu’il n’est pas correct. Si ce dernier partage son analyse critique, il peut alors saisir le juge aux affaires familiales lequel a parfaitement le droit de mettre son veto et d’ordonner la suppression du ou des prénoms litigieux sur le registre de l’état civil à partir du moment où il estime que le prénom est effectivement contraire à l’intérêt de l’enfant ou qu’il méconnaît le droit des tiers.

En pareil cas, le juge s’adresse aux parents pour leur demander de faire un autre choix en leur expliquant le problème et s’ils refusent il effectue lui-même ce choix en mentionnant en premier lieu dans l’acte de naissance l’un des autres prénoms qui avait été mentionnés par la famille ou, s’il était unique, en optant pour un autre.

Il importe d’évincer un prénom qui risquerait de nuire à l’enfant soit en raison de la trop grande originalité du prénom lui-même, raison pour laquelle le prénom « Titeuf » a été refusé (Civ. 1ère 15 février 2012), de même que « Elle » (CA Grenoble 7 juin 2016) ou de simples initiales comme MJ, les parents aimant Michael Jackson (CA Amiens, 13 déc. 2012) et aussi pour des jumeaux « Patriste et Joyeux » (CA Montpellier, 4 oct. 2006), soit en raison du rapprochement maladroit du prénom avec le nom de famille, ce qui a conduit M. et Mme Pard à devoir renoncer à appeler leur fils « Léo Pard ». De même M. et Mme Hotte ou Javel ne pourraient pas prénommer leur fille Lydie ou Aude. En revanche la famille Renaud a eu le droit d’appeler sa fille Mégane (CA Rennes 11 mai 2000).

C’est le caractère ridicule, grossier ou préjudiciable du prénom qui est alors pris en compte (« Lucifer », « Nutella », « Anal », « Clafoutis », « Astérix », « Spirou »). En revanche, le prénom peut être emprunté à la mythologie, à une langue étrangère (« Johnny »), à une ville (Toulouse), une plante (Anémone, Bergamote), etc. Quand l’enfant porte le nom de famille d’un seul de ses parents, il est interdit aussi aux père et mère ou aux deux mères de choisir de lui donner le nom de l’autre en tant que prénom.

B. Les contraintes liées l’écriture du prénom

Dans une affaire qui a beaucoup fait parler d’elle, on a aussi ouvert des débats à propos de la rédaction d’un prénom qui utilisait des caractères inconnus de la langue française. En effet le prénom « Fañch » posait problèmes en raison d’un accent sur la lettre « n » ce qui n’est pas prévu dans l’orthographe en France si bien que cela serait source de difficultés lors de la délivrance de documents officiels. En 2017, la justice a ainsi refusé le tilde, à savoir l’accent sur le « n » en forme de « S » couché, du prénom Fañch, un prénom typiquement breton. Ce prénom était pourtant écrit conformément à la langue régionale bretonne et finalement la cour d’appel de Rennes a laissé la famille opter pour ce prénom (CA Rennes, 14 nov. 2018). En janvier 2018, c’est l’apostrophe du prénom « Derc’hen », autre prénom breton, qui a été source de conflits, mais les parents ont opté finalement pour « Derchen », plus conforme à l’écriture française (CA Rennes, 26 janv. 2018). Il y a eu aussi un refus pour le prénom « Martí » écrit avec un accent aigu sur le « i » (CA Montpellier, 26 nov. 2001).

Ainsi on a le droit désormais d’opter pour un prénom d’origine étrangère mais il ne faut pas qu’il heurte la phonétique française, ce qui posait déjà problème avant 1993 (CA Colmar, 17 févr. 1965 : refus de « Björn », « Arje » et « Elhc », mais admission de « Hjalmar » ou « Sven »).

Si la liberté parentale est plus grande aujourd’hui en la matière, des limites sont en lien avec la complexité d’écriture, des prénoms pouvant être refusés en raison de présence de caractères étrangers dans leur orthographe.

Une nouvelle affaire est précisément en cours actuellement dans ce domaine.

Les parents d’un petit garçon né à Mende en Lozère au mois de décembre 2022 voulaient lui donner le prénom Artús, prénom occitan, en utilisant l’accent de leur langue régionale. Ce couple de trentenaires originaire d’Occitanie espérait le prénommer ainsi afin de maintenir des liens avec leurs origines, leur culture et d’anciens membres de leur famille. Malheureusement pour eux, bien qu’une grande liberté soit accordée aux familles pour prénommer leurs enfants, des règles contraignantes concernent les documents officiels. Lissandre et Émilie, père et mère du nourrisson, ont alors eu la mauvaise surprise de découvrir que l’acte de naissance de leur nouveau-né ne contient pas le prénom Artús mais que l’officier d’état civil y a inscrit le prénom Artus. Découvrant cela, ils déplorent que leur petit garçon ne porte pas le prénom qui leur tenait tant à coeur, alors que leur premier enfant s’appelle Amanc, prénom qui est aussi d’origine occitane. Ils sont surtout très contrariés par la bataille administrative à laquelle ils ont été confrontés et par ce qu’ils ressentent comme une discrimination culturelle.

Le problème en l’espèce vient du fait que seul l’alphabet de la langue française peut être utilisé lors de la rédaction d’un acte d’état civil. L’officier d’état civil de la commune dans laquelle résident les parents a donc refusé de retenir la rédaction du prénom telle que réclamée par la famille du nouveau-né, à savoir Artús et a supprimé le signe diacritique sur le prénom du petit garçon, c’est-à-dire l’accent sur la lettre « u ». Comme l’affaire Fañch, l’affaire Artús évoluera peut-être parce que le maire de la commune, obligé de refuser la régionalité du prénom a conseillé à la famille de déposer un recours auprès du Procureur de la République. La question des accents ou autres signes diacritiques a déjà ouvert de lourds débats. Il faudrait que les langues régionales françaises soient toutefois mieux soutenues et que le Gouvernement accepte de moderniser les textes en autorisant le recours à des signes diacritiques familiers dans certaines de nos régions, y compris pour rédiger des actes de l’état civil. Cela permettrait de renforcer les divers socles culturels. Comme dans l’affaire Fañch, la famille a fini par l’emporter (CA Rennes, 19 nov. 2018, n° 17/07669), les parents d’Artus obtiendront peut-être aussi gain de cause. Certes, recourir à une formulation en opposition avec l’alphabet français pourrait causer des torts à l’enfant durant toute sa vie. Il faudrait effectivement qu’il épèle systématiquement son prénom en signalant l’ajout d’un accent aigu sur la lettre « u » et il ne pourrait pas le mentionner en utilisant son ordinateur et Internet.

On notera qu’il n’y a aucune jurisprudence sur ce thème en Alsace car heureusement les familles pourraient opter pour des prénoms d’origine germanique ; en effet l’orthographe de la langue allemande est très proche de la langue française, sauf pour le double « S », à savoir le « scharfes S » mais apparemment il ne figure pas dans des prénoms.

Il est vrai que les parents peuvent faire preuve de beaucoup de fantaisie aujourd’hui, les prénoms, de même que leur orthographe étant très variés à l’heure actuelle. La liberté parentale est grande mais la volonté de la personne qui porte un prénom qui ne lui convient est aussi mieux prise en compte aujourd’hui. En effet, la loi de modernisation de la justice n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a déjudiciarisé la procédure de changement de prénom prévue à l’article 60 du Code civil. Il suffit désormais de se rendre en mairie. S’il s’agit d’un mineur, la demande doit être faite par son représentant légal. Le consentement personnel de l’enfant de plus de 13 ans est requis.

S’il estime que la demande ne revêt pas un intérêt légitime, en particulier lorsqu’elle est contraire à l’intérêt de l’enfant ou aux droits des tiers à protéger leur nom de famille, l’officier de l’état civil saisit le procureur de la République qui peut s’opposer au changement (le demandeur peut alors saisir le juge aux affaires familiales).

En ce domaine la liberté est vraiment devenue le principe mais restons prudents !

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace