Le deuil périnatal entraîne de nombreuses complications juridiques car selon les cas, les personnes qui auraient dû être parents peuvent ou non évoquer la mort de leur enfant. En effet, le décès périnatal peut survenir en cours de grossesse ou peu après l’accouchement et il n’est pas possible de parler de la mort d’une personne dans les deux cas, de strictes conditions étant à remplir pour que l’enfant à naître ait la personnalité juridique (I). Les conséquences sont aussi très différentes si les familles n’ont pas vu naître l’enfant, s’il est mort-né ou s’il est né mais est mort très vite après sa naissance (II).
I – Les délicates conditions à remplir pour que le décès périnatal vise une personne de la famille
La mort de l’enfant à naître n’entraîne pas systématiquement la mort d’un enfant au sens juridique du terme. En effet, tant que l’enfant conçu n’a pas été mis au monde il n’accède pas à la personnalité juridique car, encore dans le ventre de sa mère, il fait partie du corps de celle-ci. Cela peut sembler incohérent pour les non-juristes mais c’est encore plus délicat lorsque l’on note que n’appartient pas non plus systématiquement à la catégorie juridique des personnes, l’enfant qui vient de naître. Il faut vérifier s’il était ou non viable, ce manque de viabilité ayant pu justifier la mort prématurée car la personnalité juridique exige que l’on naisse à la fois vivant et viable.
En conséquence, le jeune défunt ne laisse pas alors de père et mère légaux, mais seulement un géniteur et une génitrice, lesquels n’ont pas perdu un membre de leur famille. En effet, les foetus morts avant terme ou morts lors de l’accouchement ne sont pas couverts par les réglementations prévues pour les défunts, faute d’être nés et d’avoir accédé à la personnalité juridique. Au regard du droit, on ne doit pas non plus confondre le décès d’une personne avec l’interruption d’une grossesse, qu’elle soit voulue ou subie car il ne peut alors en aucune façon y avoir de démarrage de la personnalité juridique. C’est bien cet être vivant qui jouit de la personnalité juridique et qui appartient à la catégorie des personnes en droit mais non l’être humain encore dans le corps de sa mère. Il doit non seulement être retiré du corps mais être bien vivant à ce moment-là et également viable afin d’échapper à l’exclusion de la personnalité juridique.
A. La perte d’un enfant né vivant
Ce n’est pas le démarrage de la vie humaine qui marque le début de la personnalité juridique mais la naissance. Par principe, la naissance marque effectivement le commencement de la vie juridique, néanmoins une énorme différence est à faire entre un enfant qui naît vivant, à savoir qui respire et un enfant mort-né. Il faut donc pouvoir faire le constat médical que l’enfant n’était pas mort en arrivant au monde. Les enfants mort-nés ne sont pas des personnes juridiques et ils ne donnent pas lieu à la rédaction d’un acte de naissance, même quand le drame est survenu peu de temps avant le terme de la gestation. En outre, faire une fausse couche et perdre un embryon ou un foetus ne permet pas d’accéder à la personnalité juridique, de même qu’une interruption volontaire de grossesse. Il peut arriver également qu’un enfant naisse vivant mais malheureusement en vienne à décéder avant que sa naissance soit déclarée à l’état civil. Il est prévu par l’article 55 du Code civil que cette déclaration doit être faite dans les cinq jours suivant l’accouchement auprès de l’officier d’état civil (ou huit jours en cas d’éloignement entre le lieu de naissance et la mairie). C’est cette déclaration qui conditionne l’obtention d’un état civil mais il peut être rédigé si l’enfant né vivant et viable est mort avant que ne soit établi son acte de naissance. Il est effectivement prévu par le premier alinéa de l’article 79-1 du Code civil que cette mort prématurée conduit l’officier d’état civil à rédiger à la fois un acte de naissance et un acte de décès, la famille devant produire un certificat médical indiquant qu’il était né vivant et viable.
B. La perte d’un enfant né viable
Pour bénéficier de la personnalité juridique, il faut non seulement être né vivant mais aussi viable, à savoir être physiologiquement capable de survivre. Le problème vient du fait que la viabilité n’est pas définie par la loi car les secrets de la nature sont impénétrables, ce qui suscite d’importantes difficultés pour réunir les preuves nécessaires. Le cas échéant les tribunaux se prononcent en tenant compte des circonstances et des avis médicaux liés au fait que l’enfant né présente ou non des malformations ainsi que de la durée de la grossesse. Des expertises médicales peuvent être programmées et, si l’enfant meurt, des autopsies dans le but de vérifier les problèmes qu’il avait dans son corps.
Si le constat a pu être fait que l’enfant est né vivant et viable mais qu’il meurt ensuite, même rapidement, il faut régler les conséquences pour un défunt qui a bien acquis la personnalité juridique.
À l’inverse, même s’il a bien respiré au moment de l’accouchement, lorsque sa mort prématurée provient de ses malformations ou d’absence d’organes vitaux, il n’appartient pas à la catégorie juridique des personnes et des enfants car il n’était pas viable.
En effet, si l’enfant qui vient de mourir était né vivant mais non viable, sa situation juridique est traitée de la même façon que pour les enfants mort-nés, les géniteurs qui n’ont la qualité de parents subissant la perte d’un être cher et non d’un membre de leur famille.
II – La prise en compte du décès périnatal et du deuil périnatal
Le décès périnatal a bien sûr de lourdes conséquences pour l’enfant qui aurait dû naître et grandir avec les siens mais également pour les membres de la famille qui attendaient sa venue au monde. Ils sont selon les cas confrontés à la mort d’un enfant ou à la perte d’un être cher si le défunt n’a pas rempli les conditions permettant d’obtenir la personnalité juridique.
A. Les conséquences de la mort d’un enfant
Les enfants qui sont nés, mais décèdent peu de temps après leur naissance, ont le statut de personnes juridiques à part entière s’ils étaient bien à la fois vivants et viables. Ils sont alors déclarés à l’état civil, y compris si leur décès survient malheureusement peu de jours après l’accouchement de leur mère. C’est bien une personne au sens juridique du terme qui est morte et l’on peut parler de mère et père.
La déclaration de naissance est à effectuer à l’état civil dans les cinq jours de l’accouchement car, si l’enfant est mort rapidement après être né et s’il était bien vivant et viable, l’officier d’état civil doit établir à la fois des actes de naissance et de décès.
En outre, si la perte de cet enfant est due à la faute d’un tiers, par exemple en cas d’un accident de circulation comme dans l’affaire Pierre Palmade, le chauffeur sera condamné pour homicide car sa maladresse a bien causé la mort d’une personne.
B. Les conséquences de la perte d’un être cher
En revanche, quand leur enfant est mort-né, né sans vie ou né vivant mais non viable, les géniteurs subissent la perte d’un être cher, lequel n’est pas juridiquement un membre de leur famille. Néanmoins, même s’ils n’ont pas vécu avec leur enfant, ils peuvent avoir un chagrin aussi intense que pour la mort d’un proche. Ils ne sont pas préparés à le perdre avant sa naissance ou immédiatement après et cette situation est traumatique car ils avaient établi un lien avec lui depuis le début de la grossesse, l’ayant même vu souvent grâce aux images échographiques.
Par principe, aucun acte de naissance et de décès ne peut être réalisé car c’est réservé aux personnes au sens juridique du terme. Si le trépas de toute personne emporte la rédaction d’un acte de décès (C. civ., art. 78 et art. 79), encore faut-il que la personnalité juridique ait débuté.
Cela affectait énormément les géniteurs qui espéraient devenir parents car ils souffraient de noter que leur bébé ne laissait aucune trace juridique. Au traumatisme périnatal s’ajoutait effectivement celui de la non-reconnaissance civile et sociale de l’enfant à naître. C’est assurément pour les soutenir que le législateur a permis la création d’un acte d’enfant sans vie afin de mieux accompagner le deuil périnatal.
En effet, depuis la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993, l’officier de l’état civil peut établir cet acte ajouté aux registres de décès (C. civ., art. 79-1, al. 2). L’acte d’enfant sans vie est toutefois réservé aux enfants nés vivants mais non viables et aux foetus de vingt-deux semaines d’aménorrhée ou pesant plus de 500 grammes. Il est irrecevable pour des foetus moins développés, sachant qu’il est nécessaire de produire un certificat médical d’accouchement.
Une indication est portée dans le registre des enfants mort-nés pour permettre à la famille de faire son deuil et de leur délivrer un prénom. Depuis 2002, les parents peuvent aussi demander à faire figurer leur enfant mort-né sur leur livret de famille : « L’indication d’enfant sans vie, avec énonciation des jour, heure et lieu de l’accouchement, peut, à la demande des parents, être apposée par l’officier de l’état civil qui a établi l’acte sur le livret de famille qu’ils détiennent » (Arrêté du 22 juillet 2002 portant modification du décret du 16 mai 1974 modifié fixant les modèles de livret de famille, JO du 6 août 2002).
De plus la loi n° 2021-1576 du 6 décembre 2021 a autorisé à nommer les enfants sans vie, le décret n° 2022-290 du 1er mars 2022 indiquant que les prénoms et nom de l’enfant sans vie peuvent être apposés sur le livret de famille si l’un des parents le réclame.
L’acte d’enfant sans vie et le livret de famille peuvent donc viser ces enfants mort-nés ou nés vivants mais non viables. Les personnes qui auraient dû être parents peuvent faire figurer sur le livret de famille le nom d’un enfant né vivant mais qui n’est pas reconnu viable ou celui d’un enfant mort-né.
Si les intéressés sont mariés ou s’ils ont déjà des enfants ils détiennent bien un livret de famille qu’ils peuvent faire compléter, mais s’ils n’en ont pas encore, le décès périnatal soutenu par l’acte d’enfant sans vie leur donne le droit de réclamer l’ouverture d’un tel livret. Les jeunes défunts ne sont toutefois pas rattachés juridiquement à leur famille, aucun lien de filiation n’étant recevable, faute de personnalité juridique.
Dans le cadre de ce deuil périnatal, comme l’enfant n’est pas une personne, les funérailles ne sont pas obligatoires et si son corps n’est pas récupéré par les géniteurs, c’est l’hôpital qui procède à une inhumation ou une crémation collective en crématorium.
Par ailleurs, si la femme enceinte a perdu son enfant lors d’un accident, comme dans l’affaire Pierre Palmade, et qu’il n’est pas né vivant ou viable, l’auteur du drame ne peut pas être poursuivi pour homicide mais seulement pour agression involontaire car ce n’est pas une personne juridique qui est décédée.
Il faut donc lancer une enquête, recueillir des témoignages et programmer des tests médicaux pour savoir si la femme enceinte victime d’un accident et qui a perdu son bébé a ou non perdu un enfant au sens juridique. Ce drame peut aussi parfois découler d’une faute médicale lorsque l’accouchement se passe mal parce que le personnel médical n’a pas respecté les règles.
Le deuil périnatal est toutefois aussi difficile à supporter pour les familles que si c’est un nouveau-né ou un jeune enfant qui a perdu la vie. Par ailleurs les enfants qui naîtront plus tard dans cette famille, enfants de remplacement, subiront parfois un lourd héritage.
Ce décès périnatal est vécu différemment par chacun car cela dépend des liens affectifs qui s’étaient formés et du stade de la grossesse. En tout cas, il ne faut pas minimiser la perte d’un bébé et ses retombées sur la vie familiale car tout deuil est source de désespoir voire de dépression, de tristesse y compris quand la mort de l’enfant à naître est prénatale ou périnatale car cette perte soudaine et inattendue laisse les futurs parents devant un vide cruel et redoutable.
Le cheminement des parents en deuil est loin d’être simple, que l’enfant ait un peu vécu avec eux ou pas du tout, aussi est-il très important et rassurant que les personnes souffrant d’un tel deuil périnatal face au berceau vide puissent intégrer l’enfant qui a disparu dans leur histoire personnelle et familiale, même si juridiquement ce n’est pas leur enfant.