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Dossier Paru le 28 mars 2023
VIOLENCES CONJUGALES

Grand intérêt de l’aide financière d’urgence accordée aux victimes

Depuis la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, violences au sein des couples et incidences de ces dernières sur les enfants, l’auteur de violences conjugales peut être contraint, par les autorités, de quitter le domicile.

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La loi permet en effet l’éviction du conjoint ou compagnon violent dans le cadre d’une ordonnance de protection (C. civ., art. 515-9). La victime, si elle le souhaite, peut aussi quitter le domicile, ce qui permet de réduire le nombre de féminicides (selon le rapport publié le 26 août par le ministère de l’Intérieur, « 122 femmes ont été tuées par leur conjoint en 2021 »), mais encore faut-il qu’elle puisse subvenir à ses besoins, notamment pour payer un loyer et régler seule les frais quotidiens. Il ressort précisément des dossiers que des femmes qui avaient quitté leur logement familial dans l’espoir de se mettre à l’abri, ont été contraintes d’y revenir pour des raisons de dépendance financière.

Mieux soutenir les victimes dans le prolongement du Grenelle des violences conjugales de 2019 et du fait que la lutte contre les violences faites aux femmes est devenue la grande cause nationale française, a conduit la sénatrice Valérie Létard à déposer au Sénat la proposition de loi n° 875 envisageant la mise en place d’une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, texte enregistré au Sénat le 6 septembre 2022.

Après son adoption en première lecture par le Sénat en octobre 2022, la proposition de loi a été votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 16 janvier 2023. Elle s’est enrichie de plusieurs amendements pour préciser la forme et les modalités de mise en oeuvre de cette aide, qui sera versée soit dans le cadre d’un prêt sans intérêt, soit d’un don sans contrepartie en fonction de la situation financière et sociale de la victime. La demande d’aide se fera lors du dépôt de plainte ou du signalement au parquet, et sera transmise à la caisse d’allocations familiales (CAF) ou à la mutualité sociale agricole (MSA) selon le cas.

Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé que cette aide sera incluse dans le « pack nouveau départ » qui devrait être mis en oeuvre avant le deuxième trimestre 2023 (annonce faite par la Première ministre le 2 septembre 2022), afin de débloquer rapidement les aides offertes aux victimes. Les choses ont avancé très vite pour bien soutenir les victimes car la loi a été votée dès le 28 février 2023 (Loi n° 2023-140 du 28 février 2023, Violences conjugales : création d’une aide univer-selle d’urgence pour les victimes, JO du 1er mars). Voilà encore un bel effort du législateur en vue de renforcer la lutte contre les violences conjugales. Il est important de venir en aide aux plus démunis mais aussi de soutenir financièrement les personnes qui souhaitent quitter leur foyer pour ne plus être vio-lentées mais qui sont confrontées à des problèmes d’argent. Cela permet de plus une meilleure prise en compte des enfants car le fait que la victime, en l’occurrence la mère le plus souvent, veuille partir avec ses enfants justifie parfaitement qu’une aide financière lui soit accordée. 5

La loi va en effet offrir une aide précieuse aux victimes de violences conjugales afin de remédier à leur dépendance économique (I), les modalités du versement ayant été amorcées dans ce nouveau texte mais il va falloir attendre la publication du décret d’application (II).

I – La publication de la loi créant une aide financière d’urgence en soutien des victimes de violences conjugales

Une aide d’urgence aux victimes de violences conjugales, souvent placées en état de dépendance financière, est mise en place pour les aider à quitter la maison et à se mettre à l’abri. L’objectif poursuivi par le législateur avec cette loi du 28 février 2023 est d’aider les victimes de violences commises par leur conjoint, leur concubin ou leur partenaire pacsé, et attestées par une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales quand les faits de violence alléguée mettent effectivement en danger la victime ou les enfants du couple, par un dépôt de plainte effectué auprès des services de police ou de gendarmerie ou encore par un signalement adressé au procureur de la République par un tiers ayant eu connaissance des agressions qui rendent la personne vulnérable. Ces démarches permettent ainsi de confirmer les drames vécus par la victime et d’éviter toute appréciation discrétionnaire.

Cette nouvelle aide tient à la nature des violences qui doivent entrer dans la catégorie des violences conjugales (C. pénal, art. 132-80) en étant commises par le conjoint, concubin ou partenaire mais aussi l’ex-conjoint, l’ex-concubin ou l’ex-partenaire. Il est assurément pertinent que les victimes puissent quitter rapidement leur foyer conjugal pour trouver un endroit plus protecteur et prendre un nouveau départ en quittant l’auteur des violences mais aussi en changeant de lieu de vie dans le but de vivre cachées et de se reconstruire de manière durable.

Pour les soutenir, les autonomiser et prendre en considération leur situation financière et sociale en leur permettant de vivre séparément du conjoint violent, le législateur a créé le chapitre IV bis dans le Code de l’action sociale et des familles « Aide universelle d’urgence pour les personnes victimes de violences conjugales ». Ainsi l’article L. 214-8 prévoit qu’elles peuvent bénéficier d’un accompagnement adapté à leur besoin, avancée qui est très pertinente car les victimes souffrent aussi de violences économiques dans un tel contexte. Ce texte vient compléter le nouvel article L. 214-9 qui dispose que toute personne victime de violences conjugales doit bénéficier, à sa demande, d’une aide financière d’urgence.

Grâce à cette nouvelle réforme, les victimes, à savoir les femmes qui sont le plus souvent concernées, pourront bénéficier d’une autonomie dès les premiers jours suivant la délivrance de l’ordonnance de protection, le dépôt de plainte ou le signalement adressé au procureur de la République.

Pour bien les accompagner, le législateur a également prévu que les autorités sont tenues d’informer les victimes de leurs nouveaux droits (art. 4 de la loi) et de transmettre les demandes d’aide à la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF). Ce dispositif n’est toutefois pas encore applicable car la date d’entrée en vigueur de la réforme sera fixée dans le décret d’application.

II – La mise en place de l’aide financière

Afin de permettre aux organismes sociaux de s’organiser, le législateur a prévu que la loi du 28 février va mettre un peu de temps avant d’entrer en vigueur. Elle le sera à une date fixée par un décret, lequel doit être publié au plus tard neuf mois après la promulgation de la réforme. En conséquence c’est le 28 novembre 2023, dernier délai, que toute personne victime de violences conjugales (C. pénal, art. 132-80) pourra assurément bénéficier de ce nouvel accompagnement bien adapté à ses besoins et à sa situation actuelle.

L’avance octroyée par la loi prend la forme d’un prêt, sans intérêt, dont le montant sera versé en trois mensualités par la CAF ou la MSA. Il avait effectivement été noté dans la proposition de loi que l’on recourrait à un prêt plutôt qu’à une aide définitive aux victimes parce que la CAF n’a pas vocation à se substituer à l’auteur des violences pour le paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’il a causé ou à doublonner des aides qui existent déjà par ailleurs.

Néanmoins, contrairement à ce qui avait été prévu dans la proposition de la loi, grâce à des amendements, l’aide offerte peut désormais aussi prendre la forme d’un don, à savoir d’une aide non remboursable, l’aide financière d’urgence mise en place dépendant de la situation financière et sociale de la personne victime des violences conjugales, une aide non remboursable permettant de soutenir encore mieux les victimes très précaires. Il faudrait toutefois que le décret explicite clairement dans quel cas ce sera un prêt ou un don, sachant qu’une aide non remboursable serait précieuse pour les personnes très vulnérables et qu’il précise dans quel cas c’est l’auteur ou la victime qui est censé procéder au remboursement.

La demande d’aide est à faire au moment du dépôt de plainte ou du signalement au Parquet et sera transmise à la CAF ou selon le cas à la MSA. Pour que l’on soit sûr que les victimes soient bien soutenues, il est aussi prévu que les services de police les informent de la mise en place de cette aide universelle d’urgence.

Cette nouvelle aide financière prend la forme d’un prêt sans intérêt ou d’une aide non remboursable, selon la situation financière et sociale de la personne, situation qui tient compte de l’éventuelle présence d’enfants à charge (CASF, art. L. 214-10). Le montant sera fixé dans la limite de plafonds qui vont être déterminés par décret, de même que les modalités de détermination du montant et de versement de l’aide. Ce sont donc les besoins de la victime qui sont pris en considération, victime qui a peut-être des enfants et qui songe à partir avec eux.

Pour que les victimes puissent effectivement s’éloigner rapidement de l’auteur des violences, il est prévu que l’aide ou une partie de l’aide soit versée dans les trois jours ouvrés. Par dérogation, ce délai pourra toutefois être porté à cinq jours ouvrés si le demandeur n’est pas allocataire de la CAF ou de la MSA. Parallèlement, pendant six mois, la victime pourra également bénéficier des droits et des aides accessoires à l’allocation du revenu de solidarité active (RSA) et d’un accompagnement social et professionnel (CASF, art. L. 262-27).

Lorsqu’il n’a pas été question d’un don mais d’un prêt, le bénéficiaire ne peut pas être sollicité pour rembourser ce montant tant qu’une procédure pénale est en cours. Après coup, il pourra toutefois bénéficier de remises. Néanmoins le remboursement de ce prêt d’urgence peut aussi être mis à la charge du conjoint, partenaire ou concubin violent, dans la limite de 5 000 euros. Il faudra toutefois que l’auteur des violences ait été définitivement condamné (CASF, art. L. 214-12) ou ait fait l’objet d’une mesure de composition pénale ou de classement sous condition de versement pécuniaire (C. procédure pénale, art. 41-1). Ce remboursement à hauteur de 5 000 euros sera même obligatoire s’il est reconnu coupable de violences ayant entraîné une mutilation, une infirmité permanente ou une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, voire de violences habituelles sur son conjoint (C. pénal, art. 222-44-1). Le surplus devra être pris en charge par la victime bénéficiaire du prêt.

Si d’aventure, on constate qu’il y a eu des erreurs, voire des fraudes et que le paiement de l’aide universelle est indu, le législateur a mis en place des mesures pour récupérer les sommes versées (CASF, art. L. 214-14). Précisément cet indu peut être reversé en un seul remboursement si l’allocataire en est d’accord mais ce dernier peut choisir de procéder à un ou plusieurs versements dans un délai qui sera fixé par décret ; en outre la CAF ou la MSA peuvent récupérer ladite somme par des retenues sur d’autres prestations qui sont versées au bénéficiaire.

Tout doit être fait pour apporter une aide individualisée et rapide aux victimes, soutien qui doit tenir compte de leurs besoins effectifs afin de faciliter leur départ du foyer conjugal dans le but de vivre au plus vite séparément de l’auteur des violences et mettre aussi en place des protections pour les enfants qui quitteront la maison avec leur parent. Cette aide universelle d’urgence a pour objectif de mieux lutter contre la vulnérabilité de ces personnes, vulnérabilité renforcée quand elles rencontrent des difficultés car elles sont en état de dépendance financière. Cette aide financière est bien prise en charge par l’État même s’il a été décidé qu’elle est gérée par la CAF ou la MSA.

Il est essentiel de noter également qu’il est important que l’auteur des violences ne retrouve pas le nouveau lieu de vie de la victime, raison pour laquelle il est recommandé de ne pas mentionner sa nouvelle adresse dans les documents administratifs.

Pour compléter cette évolution l’article 3 de la loi a prévu la création d’une loi de programmation pluriannuelle de lutte contre les violences faites aux femmes. Prévue tous les cinq ans, elle doit déterminer « la trajectoire des finances publiques en matière de prévention et d’accompagnement des femmes victimes de violence ». Cette nouvelle réforme qui fixera des objectifs et des moyens financiers devra, quant à elle, être adoptée avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans. Elle permettra de faire le point sur les moyens financiers prévus par l’État en soutien des femmes malheureusement victimes de toutes sortes de violences.

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace