Dossier Paru le 31 mars 2023
IMMOBILIER

ALERTE SUR LE MARCHÉ DE L’IMMOBILIER

La situation est pour le moins paradoxale : alors que, sur le marché de l’ancien, les notaires alsaciens décrivent 2022 comme une « excellente année », la Fédération de la Promotion Immobilière parle, elle, de « chute libre » de la vente de logements neufs. Explications et perspectives pour 2023.

De gauche à droite : Maître Pascale de Villeneuve, notaire à Hochfelden ; Maître Benjamin Parmentier, notaire à Epfig ; Maître Claudine Lotz, Présidente de la Chambre des Notaires du Bas-Rhin ; Maître Pierre-Yves Thuet, Président du Conseil interrégional, Maître Isabelle Kuhn-Magret, notaire à Rosheim et déléguée interrégionale à la communication ; Maître Claude Bauer, Président de la Chambre des Notaires du Haut-Rhin et Maître Sébastien Basch, notaire à Mulhouse.

En 2022, les deux Chambres des notaires du Bas-Rhin et du Haut- Rhin ont enregistré 29 400 transactions immobilières (maisons, appartements et terrains) au lieu de 26 000 en 2021, soit une hausse de 13 %. Le niveau des 30 000 transactions atteint en 2018, juste avant la crise de la COVID, est ainsi presque retrouvé. Globalement le prix de vente médian des appartements anciens augmente de 7,3 % dans le Bas-Rhin et atteint 2 800 €/m² ; celui des maisons progresse de 11 % (270 K €). Dans le Haut-Rhin, l’augmentation est plus mesurée : 3,1 % pour les appartements (1 920 €/m²) et 4,2 % pour les maisons (250 K €).

Bas-Rhin : Strasbourg fait le grand écart

Dans le Bas-Rhin, le prix de vente des maisons fait le grand écart entre Strasbourg (425 K €) et Saverne (169 K €). Avec de très fortes différences au sein même de ces deux territoires : 625 K € à la Robertsau ou 400 K € dans la ville de Saverne. À Strasbourg, les maisons de plus de six pièces représentent 49 % des ventes, et les terrains sont en général plus petits : 410 m², contre 590 m² pour l’ensemble du département. Parmi les communes où les prix dépassent les 400 K €, on note Obernai, Lampertheim et Illkirch.

Du côté des appartements, la hausse du prix médian la plus forte est enregistrée à Schiltigheim (+13,6 %, 2 940 €), Lingolsheim et Hoenheim (+ 9,4 %, respectivement 2 540 € et 2 080 €). À Strasbourg où la hausse est de 6,7 % pour un prix médian de 3 430 €/m², les deux extrémités de la fourchette sont atteintes dans l’hypercentre (5 180 €) et Hautepierre (1 960 €). Ce dernier quartier est cependant celui qui enregistre la plus forte hausse : + 18,6 % en un an. Il convient de noter que deux quartiers enregistrent des prix à la baisse : Krutenau (-1,6 %, 4 500 €) et Kable (-1,4 %, 4 280 €).

Quant au prix médian des terrains à bâtir, il est de 91 000 €, en hausse de 4,4 %. Au m², le prix médian varie entre 48 € à Saverne et 277 € à Strasbourg campagne (hors Eurométropole), en passant par 106 € à Wissembourg ou 186 € à Haguenau Niederbronn. Avec une tendance très forte à la réduction de la taille des terrains : ceux de moins de 6 ares, représentent 76 % des ventes à Haguenau Niederbronn, 62 % à Strasbourg campagne et 57 % à Sélestat.

Haut-Rhin : Saint-Louis en pointe

De l’autre côté du Landgraben, c’est à Saint-Amarin, Fessenheim et Ribeauvillé que les prix médians des maisons ont le plus augmenté : respectivement + 15,5 %, + 13,3 % et + 13,1 %. C’est à Saint-Louis et Colmar qu’ils sont les plus élevés : 344 K € et 282,7 K€. Tandis que les secteurs les moins onéreux se situent dans les vallées vosgiennes de l’ouest. Dans le Haut-Rhin, la part des petites maisons de quatre pièces et moins représente désormais 32 % des ventes au lieu de 25 % en 2021.5

Ville par ville, c’est à Saint-Louis que le prix médian des appartements est le plus élevé : 2 500 €/m², en hausse de + 7,5 %. Dans le département, les prix des appartements augmentent partout sauf à Colmar, où ils baissent de 2,5 % en 2022. C’est la première fois en quinze ans ! « Peut-être parce qu’il n’y a de toute façon presque plus rien à vendre, souligne Claude Bauer, président de la Chambre des Notaires du Haut-Rhin. Ou parce que le renforcement de la réglementation sur les Airbnb freine les achats. » À Colmar, le quartier le plus cher est toujours celui des Maraîchers, à 3 050 €/m², tandis qu’à Mulhouse les prix oscillent entre 1 090 € m² à Daguerre et 1 930 €/m² au Rebberg.

En 2022, et c’est une première depuis 2017, le prix médian des terrains a baissé dans le Haut-Rhin : - 2,3 %, à 87 900 €. Le prix au m² varie entre 94 € à Dannemarie Altkirch et 211 € à Mulhouse, en passant par 153 € à Rouffach Guebwiller et 154 € à Neuf-Brisach. Dans l’agglomération mulhousienne, la superficie médiane est passée de 6,4 ares en 2012 à 4,8 ares en 2022.

Et la suite ?

Après ce tableau plutôt favorable, quelques nuages plus sombres pointent pourtant à l’horizon : « Nous enregistrons un très léger recul des ventes au quatrième trimestre, remarque Claudine Lotz, présidente de la Chambre bas-rhinoise. 2022 a-t-elle été la dernière année d’euphorie ? 2023 sera-t-elle une année de correction des volumes ou des prix ? Ou pire, une année noire dans l’immobilier ? » « On verra dans six mois, lui répond Claude Bauer, son homologue haut-rhinois, qui pose deux questions complémentaires. Le gouvernement va-t-il prendre des décisions pour relancer le neuf ? La crise du neuf va-t-elle profiter à l’ancien ? »

Catastrophe annoncée dans la promotion

Franck Maire, président du pôle habitat de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) Bas-Rhin, n’y va pas par quatre chemins : « Le secteur de la construction neuve traverse une crise historique qu’elle n’a pas connue depuis 1991. C’est bien au-delà de la crise de 2008 ! » Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : au deuxième semestre de 2022, dans l’Eurométropole de Strasbourg, les réservations de logements neufs ont chuté de 25 %, tandis que les mises en vente dégringolaient de 44 % ! Dans le sillon lorrain, les baisses sont respectivement de - 40 % et - 36 %. Et le phénomène s’est aggravé au quatrième trimestre.

À Strasbourg, le prix du neuf a franchi les 5 000 €/m²

« Nous connaissons deux crises en une, explique Olivier Kinder, président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI) Grand Est : une crise de l’offre et une crise de la demande. » Du côté de l’offre, c’est notamment la réduction du nombre des permis de construire par les communes (- 20 % en 2022 pour l’ensemble de la région Grand Est) qui est en cause, mais aussi la très forte hausse du coût de la construction. Les prix du neuf au m² augmentent de 6 % dans l’Eurométropole et de 8 % dans le sillon lorrain. À Strasbourg, la barre des 5 000 €/m² a été franchie en février dernier. « Or la demande n’est pas positionnée à ce niveau de prix, poursuit Olivier Kinder. Résultat : même s’ils ont toujours envie d’acheter, les clients ne nous contactent plus. Et quand ils nous contactent, bon nombre d’entre eux ne sont pas finançables. »

Ajoutez à cela un durcissement des conditions d’attribution de crédit immobilier, « ça va décrocher cette année », prévient le président de la FPI Grand Est. « D’autant plus, poursuit Franck Maire, que nous n’avons pas pu répercuter l’intégralité de la hausse du coût de la construction, qui, elle, atteint + 18,25 %. » À Strasbourg, les professionnels pointent d’ailleurs un autre facteur de hausse des coûts : la charte VEFA bailleurs sociaux, renchérissant le prix de revient des programmes. « Nous sommes obligés de répercuter le prix du social sur le logement privé, regrette Olivier Kinder. Cela coûte entre 400 et 600 €/m². » Et il tire la sonnette d’alarme : « Faute de mesures de la part des pouvoirs publics nationaux et locaux, 2023 sera une année catastrophe pour la promotion immobilière. »

Jean de MISCAULT