Dossier Paru le 05 mai 2023
MALGRÉ-NOUS

Réponse ministérielle en soutien aux enfants des « Malgré-nous »

Après l’incorporation des Alsaciens et des Mosellans en 1942, beaucoup d’entre eux ont perdu la vie et, malheureusement, leurs enfants devenus orphelins n’ont pas été reconnus par les textes français, raison pour laquelle une question écrite a été déposée. La réponse ministérielle du 23 mars 2023 revient sur la situation des orphelins de guerre de notre région et rappelle de bien tristes souvenirs.

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Certes les guerres causent de multiples morts et laissent hélas de nombreux orphelins mais le sort des orphelins dont le père a été victime de l’incorporation de force dans l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale est encore plus accablant. Tous les Alsaciens et les Mosellans de l’époque qui ont été visés par ce drame ont été reconnus comme des « Malgré-nous » car ils ont dû faire partie de l’armée allemande sans le vouloir et quand ils ont été tués ou portés disparus (notamment enfermés par les autorités suisses), la France n’a pas considéré qu’il s’agissait de victimes françaises et conséquemment leurs enfants n’ont pas été visés par les textes soutenant les orphelins des victimes de guerre.

Pour tenter de raviver les souvenirs et de faire mettre en place de nouvelles mesures, Madame Sabine Drexler, sénatrice du Haut-Rhin a déposé une question écrite le 16 mars 2023 (QE n° 05765, JO Sénat, 16 mars 2023, p. 1803). Elle fait le point sur la situation des enfants des « Malgré-nous » qui ont perdu la vie durant la Seconde Guerre mondiale (I). Grâce à cette démarche, le rappel des drames vécus par les familles met l’accent sur les difficultés rencontrées par de nombreux enfants et sur une certaine injustice à l’égard des Alsaciens-Mosellans dont l’histoire est partagée entre la France et l’Allemagne. La réponse ministérielle de la secrétaire d’État auprès du ministre des Armées, chargée des anciens combattants et de la mémoire va peut-être enfin faire évoluer les choses (II).

I – La très triste situation des orphelins des victimes de guerre

Perdre un parent fait partie des moments douloureux de la vie, surtout quand on est jeune et encore plus intensément lorsque cela survient durant une guerre, ce type d’événement ayant déjà des retombées dramatiques sur la vie familiale.

La sénatrice Sabine DREXLER a déposé une question écrite pour rappeler à la secrétaire d’État, chargée des anciens combattants et de la mémoire quelle est la situation des orphelins de guerre non reconnus par les décrets de 2000 et 2004, en l’occurrence les orphelins des incorporés de force des départements d’Alsace et de Moselle.

Son texte ravive des souvenirs car, en août 1942, le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, alors annexés par le IIIe Reich allemand ont vu près de 130 000 habitants être incorporés de force dans l’armée allemande. Ils ont surtout été envoyés sur les fronts les plus meurtriers et il est mentionné dans la question écrite de Madame Drexler que 30 000 hommes ont perdu la vie. La plupart d’entre eux avaient des enfants qui sont donc devenus des orphelins mais qui ne sont pas considérés comme des orphelins de guerre Français. En effet les décrets de 2000 et 2004 consacrés au soutien des enfants dont les pères sont morts pendant la guerre n’englobent hélas pas le cas des orphelins Alsaciens et Mosellans de la Seconde Guerre mondiale.

Le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 prévoit l’indemnisation des personnes, mineures de moins de 21 ans lorsque leur père ou leur mère ont été déportés à partir de la France dans le cadre des persécutions antisémites durant l’Occupation et sont morts en déportation.

Une autre mesure de réparation a été mise en place par le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 qui a institué une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins dont les parents père, mère ou les deux ont été victimes d’actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale.

Visiblement les enfants de nos chères régions n’ont pas été considérés comme des victimes de la barbarie nazie parce que les orphelins de guerre dont les pères sont décédés à partir de 1942, membres de l’armée allemande ne font pas partie des bénéficiaires de ces diverses aides. Cela signifie que les textes ne tiennent pas compte du fait qu’ils ont été forcés d’intégrer une armée à laquelle ils ne voulaient pas appartenir.

Ce dispositif traduit pourtant la responsabilité de l’État français qui s’efforce de consacrer solennellement le souvenir des victimes de la barbarie nazie et de soutenir leurs enfants mineurs au moment des faits, enfants reconnus en tant qu’orphelins de guerre. Malheureusement, puisque nos régions étaient alors annexées par le IIIe Reich allemand, les enfants dont les pères ont perdu la vie après 1942 car ils ont été forcés d’intégrer l’armée allemande ne sont pas pour l’heure éligibles à ces deux décrets.

II – Vers le soutien aux orphelins des « Malgré-nous »

Rediscuter des « Malgré-nous » concourt à la réhabilitation de leur mémoire et permet de faire connaître leur destin tragique car ils ont été enrôlés de force par l’armée allemande entre 1942 et 1945. Quand ils sont morts, ces « Malgré-nous » sont vraiment des victimes de guerre aussi est-il incompréhensible que leurs enfants Alsaciens ou Mosellans ne soient pas pour l’heure reconnus en tant qu’orphelins de victimes de guerre par les textes français.

Dans sa réponse ministérielle du 23 mars 2023, la secrétaire d’État auprès du ministre des Armées, chargé des anciens combattants et de la mémoire (JO du 23 mars 2023, p. 2008) rappelle que le décret de 2004 entend soutenir les personnes qui ont perdu un père, une mère ou les deux, victimes de la barbarie nazie, les enfants mineurs au moment des faits étant forcément traumatisés par un tel drame. Apporter de l’aide aux orphelins permet ainsi de consacrer solennellement le souvenir des victimes de la barbarie nazie, mais pas des victimes d’Alsace-Moselle.

La secrétaire d’État avait déjà rassemblé ces mêmes arguments dans une autre réponse ministérielle. En effet le 11 octobre 2022, Emmanuel Fernandes, né dans le Haut-Rhin mais député du Bas- Rhin a déposé la question écrite n° 1986 (JO du 11 octobre 2022, p. 4483) pour porter l’attention du ministère sur la situation des orphelins des incorporés de force de la Seconde Guerre mondiale. Ils avaient tenté de résister contre cette décision prise par les Allemands, les rébellions en caserne ou sur le champ de bataille ayant été fréquentes. Il aurait aimé que les autorités oeuvrent pour une reconnaissance et une indemnisation de l’ensemble des orphelins de guerre. Dans sa réponse ministérielle du 31 janvier 2023, la secrétaire d’État avait déjà rappelé que les décrets visés concernent seulement les victimes de barbarie nazie, quand les parents sont décédés en déportation ou ont été exécutés (JO du 31 janvier 2023, p. 890).

Il faut toutefois mettre l’accent sur le fait que la France a bien reconnu la situation des « Malgré-nous ». En effet les habitants de nos régions morts après avoir été incorporés de force dans l’armée allemande ont été reconnus comme morts pour la France dès la fin de la guerre. Parallèlement selon la secrétaire d’État « leurs orphelins ont pu prétendre à un droit à réparation conformément aux dispositions de l’article L. 123–16 du CPMIVG ». Le Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes regroupe les dispositions en faveur des anciens combattants, des victimes civiles de guerre et des victimes du terrorisme, les articles 123-16 à 123-21 étant consacrés aux militaires et assimilés originaires des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Dès lors leurs enfants, orphelins de guerre peuvent bénéficier de l’assistance de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG), organisme qui doit assurer le dénombrement des victimes.

La loi de finances pour 2023 (loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022) prévoit à ce titre que le gouvernement doit remettre un rapport dans les six mois de la promulgation de la loi, sachant que l’amendement N° II-565 adopté par le Sénat le 25 novembre 2022 pour cette réforme, a conduit à ajouter que, compte tenu de la situation particulière des orphelins des Alsaciens et des Mosellans engagés de force par le régime de l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, un chapitre de ce rapport leur soit consacré.

Consciente des drames vécus par les « Malgré-nous », dans ses deux réponses ministérielles (JO du 31 janvier et du 23 mars 2023), la secrétaire d’État avait effectivement mis l’accent sur ce projet de loi de finances. Il faut certes consacrer solennellement le souvenir des victimes de la barbarie nazie, mais aussi bien tenir compte des familles ayant perdu des parents incorporés de force, sans oublier de soutenir efficacement les orphelins de guerre des Alsaciens et des Mosellans engagés de force par le régime de l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale.

La situation des orphelins des « Malgré-nous » est donc bien en voie d’amélioration. Une fois que ce rapport sera rendu, il faudra réfléchir aux suites à lui donner, notamment en élargissant le champ d’application des décrets de 2000 et 2004.

Ce sujet ravive assurément une plaie profonde que l’on porte malgré soi quand on est originaire des départements d’Alsace et de Moselle, mais encore plus lorsque des membres de la famille ont péri dans de telles circonstances, ayant été contraints d’intégrer l’armée allemande. Les habitants se sont dressés alors contre les Allemands mais ils n’ont pas pu y échapper. Dès lors, ne pas prendre en compte les orphelins des « Malgré-nous » peut assurément paraître injuste.

Il est pénible de noter aussi que l’Allemagne n’a jamais reconnu officiellement le crime contre l’humanité de l’Incorporation Forcée en Alsace-Moselle. En outre, les victimes, les veuves et les orphelins n’ont jamais bénéficié du statut de victimes de la barbarie nazie. En conséquence, ils sont discriminés à la fois par la France et par l’Allemagne, pourtant seuls les « Malgré-nous » qui sont revenus sains et saufs ou seulement blessés ont retrouvé ensuite la nationalité française, contrairement aux « Malgré-nous » morts durant la guerre et affublés de l’uniforme allemand et de la nationalité allemande.

Il est plus que temps d’oeuvrer pour une reconnaissance et une indemnisation de l’ensemble des orphelins de guerre dont le parent a été incorporé de force pendant la Seconde Guerre mondiale. Certes les enfants n’ont pas perdu leur père dans un camp d’extermination comme c’est mentionné dans les décrets de 2000 et de 2004 néanmoins leur douleur a été aussi vive. Ils ont effectivement bien été victimes eux aussi de la barbarie nazie même si c’était sous une autre forme.

Il est encore temps de défendre les intérêts de ces orphelins, même s’ils ont pris de l’âge, de les assister et de leur venir en aide et de revoir les décrets qui peuvent être ressentis comme discriminatoires.

Il faudrait assurément faire disparaître l’inégalité entre l’ensemble des orphelins, victimes indirectes de la Seconde Guerre mondiale. Cela peut être trop ressenti comme du mépris contre nos régions, pourtant elles aussi malmenées dans le cadre des guerres franco-allemandes.

La souffrance des orphelins tient certes à la mort de leur proche mais aussi au drame de l’annexion de la région par l’Allemagne et à l’incorporation de force de leur père dans l’armée allemande. La mort d’un être cher est douloureuse pour tous mais dans un tel contexte, elle est encore plus dure à vivre car chacun se demande alors comment il va pouvoir se protéger et continuer à vivre. Il n’est dès lors pas raisonnable de nier les souffrances endurées lors de cette guerre et surtout il est honteux que les orphelins des « Malgré-nous » aient été tellement ignorés.

Il importe que les choses changent car le drame des « Malgré-nous » lié à leur enrôlement de force demeure trop méconnu hors de l’Alsace-Moselle, mais même parfois par les habitants de nos régions lorsque leur famille n’a pas été concernée à l’époque ou qu’ils n’en ont pas conservé de souvenirs.

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace