Dossier Paru le 16 mai 2023
DIXIEME ANNIVERSAIRE

Bravo au mariage pour tous mis en place en France il y a 10 ans

Dixième anniversaire de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 et droit pour les personnes de même sexe de fonder une famille en France. Désormais tous les couples peuvent choisir de se marier qu’ils regroupent des personnes de sexe différent ou de même sexe.

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Avant que cette réforme soit mise en place grâce à la loi n° 2013- 404 du 17 mai 2023 (JO du 18 mai ; adoptée dès le 23 avril 2013 par le Parlement), elle a suscité de vifs débats, des critiques, des protestations mais aussi des conflits. Pour mettre l’accent sur cette homophobie, de nombreuses manifestations avaient aussi été programmées à savoir « la manif pour tous », événements dont on se souvient bien même si dix années sont passées. Pour autant beaucoup de personnes qui s’étaient opposées à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe montrent qu’elles sont aujourd’hui contentes que cette évolution ait eu lieu. Quant aux personnes homosexuelles qui avaient déjà le droit de se pacser, elles sont plus que ravies que le législateur les ait enfin entendues.

La reconnaissance du droit de vivre en couple pour les personnes qui n’étaient pas de sexe différent a mis beaucoup de temps à s’installer en France car, fonder une famille devait normalement déboucher sur la conception d’enfants : « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ».

On peut lire ainsi dans un ouvrage de Montaigne « Journal de voyage en Italie » que deux femmes s’étaient mariées dans l’Est de la France et deux hommes à Rome. Ils avaient tous été sanctionnés car enfreindre la loi était punissable et, à l’époque déjà, ce type de mariage n’était reconnu ni par le droit civil ni par les autorités religieuses. En outre, la sodomie, terme recouvrant la diversité des pratiques sexuelles était considérée comme un crime. Au fil du temps le fait de se marier avait toutefois été abordé différemment. Autrefois la place des chefs de famille n’avait rien à voir avec celle de leur conjointe et surtout on parlait énormément de mariage forcé, cette union ne reposant pas alors sur le désir d’épouser la personne que l’on aimait. Les choses ayant changé et le mariage

étant devenu une institution familiale instaurant l’égalité entre les époux et le bonheur de vivre ensemble une alliance à la main, les personnes gays et lesbiennes ont souhaité pouvoir elles-aussi convoler en justes noces et fonder une famille, mais surtout vivre sous le toit de leur compagne ou compagnon sans subir de re-tombées sexistes. Grâce à la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999, les personnes de même sexe ont ainsi été entendues, même si le législateur s’est contenté de créer le pacte civil de solidarité (Pacs) en l’ouvrant aux homosexuels qui voulaient « organiser leur vie commune » (C. civ., art. 515-1) et d’inscrire le concubinage dans le Code civil (C. civ., art 515-8) : union de fait « entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ». Cette avancée a bien fait progresser les choses mais elle ne per-mettait de créer une famille, raison pour laquelle les LGBT (les-biennes, gays, bisexuels et transgenres) ont continué de solliciter le Gouvernement. Deux d’entre eux avaient même réussi à obtenir que leur souhait de s’épouser soit entendu, puisque le maire de Bègles, Noël Mamère avait célébré leur mariage le 5 juin 2004, espérant défendre de la sorte la cause du mariage homosexuel. Les juges se sont toutefois opposés à cette célébration, annulant le mariage, décision confirmée par la chambre civile de la Cour de cassation le 13 mars 2007 (n° 05-16.627) car pour les juges, la loi française est l’union d’un homme et d’une femme, loi qu’il revient à tous d’appliquer. De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait aussi jugé qu’il n’y avait pas d’obligation pour un État d’accorder à un couple homosexuel le droit de se marier (CEDH, 24 juin 2010, n° 30141/04, Schalk et Kopf c/ Autriche). 5

Cela fait dix ans à présent que, après des débats houleux, les personnes homosexuelles ont été autorisées à se marier grâce à la promulgation de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe (I). Leur situation a bien changé si l’on compare les conséquences d’un pacs et d’un mariage (II).

I - L’ouverture du droit au mariage aux couples LGBT

Les critiques qui étaient faites tenaient souvent au sort des enfants qui seraient élevés au sein des couples de même sexe et se référaient aux retombées de l’homoparentalité. Des recherches ont toutefois abouti et démontré que vivre avec deux personnes de même sexe n’a pas d’incidence sur le bien-être et le devenir psychologique des enfants. Ces derniers n’ont pas plus de mal à identifier leur genre, ne vivent pas davantage d’anxiété ou de difficultés d’intégration sociale, ne sont pas plus à risque de vivre des abus sexuels et n’ont pas plus de probabilités de devenir gays ou lesbiennes. Il en va de même quand lors de leur naissance ils ont un père et une mère mais que l’un d’entre eux obtient ensuite le droit de changer de sexe (C. civ., art. 61-5 issu de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016). C’est assurément l’amour des parents pour leur enfant qui les fait grandir et leur manière de bien les élever qui leur procure du bien-être.

Alors qu’il est vrai que le mariage était traditionnellement défini comme un acte solennel par lequel un homme et une femme établissent une union encadrée par la loi, en 2013, le législateur a réécrit l’article 143 du Code civil en vertu duquel désormais « le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ». En effet depuis cette loi symbolique, les couples de deux hommes ou de deux femmes se sont vus reconnaître le droit de contracter un mariage civil, institution qui était auparavant réservé à un homme et une femme, désireux de fonder une famille (et non plus comme autrefois obligés de se marier car le mariage forcé a disparu sauf exception).

Cet élargissement de l’accès à l’institution du mariage a été accueilli avec joie et émotion par les couples de femmes ainsi que les couples d’hommes. Ils ont félicité le législateur en remerciant le président de la République, François Hollande, d’avoir suivi les autorités étrangères car la France était le 14e pays à avoir ouvert le mariage à tous les couples.

Certains maires ont néanmoins mal vécu cette évolution qui ne correspondait pas à leurs sentiments, mais ils ont dû répondre aux demandes des couples car il n’entre pas dans les pouvoirs du maire d’apprécier l’opportunité de cette célébration, leurs motifs personnels n’ayant pas à être pris en compte. Il suffit qu’ils confient cette mission à un membre du conseil municipal.

Les personnes transgenres ont aussi été soutenues par cette réforme. Comme le Code civil réservait le mariage à un homme et à une femme si, une fois mariés, un homme voulait devenir femme ou une femme homme cela conduisait à réunir officiellement deux personnes de même sexe, ce qui était interdit avant la loi. Il était alors souvent imposé aux couples de divorcer pour que l’un de leurs membres soit autorisé à changer de sexe. Cela a changé puisque depuis 2013 un couple de même sexe peut se marier et aussi grâce à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 (JO, du 19 nov.) qui aborde désormais différemment la conversion sexuelle (C. civ., art. 61-5 et s.). Grâce à ces réformes, une personne transgenre peut parfaitement rester l’époux ou l’épouse d’une personne qui a le même sexe que le sien depuis sa conversion sexuelle. Il n’y a plus d’obstacle au maintien du mariage mais si le conjoint souffre de cette situation, il peut songer au divorce.

Grâce à cette loi, « près de 70 000 mariages homosexuels ont été célébrés » (site internet vie-publique.fr). Néanmoins beaucoup de couples de même sexe ont aussi demandé à divorcer comme les hommes et femmes ayant créé une famille.

II - L’intérêt du mariage par rapport au pacs

Il était réjouissant pour les personnes homosexuelles d’avoir le droit de rédiger un contrat pour conclure un pacs, mode de vie dont les conditions de mise en oeuvre avaient été très rapprochées de celles exigées pour se marier, le législateur ayant notamment basculé dans les articles 515-1 et suivants des mesures impératives imposées aux époux et désormais imposées aux partenaires.

Toutefois cela ne leur ouvrait pas le droit de fonder une famille car le pacs n’est pas du tout assimilé au mariage sur ce point. En effet, s’il se rapproche du mariage concernant les obligations mutuelles des partenaires, il ne produit pas d’effet en matière de filiation et d’autorité parentale. Surtout les droits accordés aux partenaires n’ont rien à voir avec ceux dont bénéficient les personnes qui convolent en justes noces. Assurément le pacs n’offre pas les mêmes garanties juridiques que le mariage civil.

Les partenaires n’appartiennent effectivement pas à la même famille, raison pour laquelle ils ne peuvent pas porter le nom de leur compagnon et de plus ils n’avaient à l’époque aucun accès à la parenté. Faute de liens familiaux, le décès de l’un des partenaires n’est pas non plus traité comme celui de l’un des époux. En effet le conjoint survivant bénéficie de la succession ab intestat, c’est-à-dire qu’il est l’héritier du défunt soit seul, soit en concours avec les enfants du défunt si tel est le cas. Le partenaire quant à lui ne peut hériter que s’il est visé dans un testament, sachant que sa place est réduite en fonction du nombre d’héritiers réservataires, à savoir les descendants du défunt. Il peut toutefois être totalement écarté de la succession s’il ne bénéficie pas d’un legs ou si aucun testament n’a été rédigé. Là encore la situation des époux n’est pas la même car si leur conjoint a rédigé un testament pour l’écarter de la succession, ils ne sont pas systématiquement privés de droit. Ils peuvent être totalement écartés par le testament si le défunt laisse des descendants mais s’il n’y en a pas, c’est le conjoint survivant qui bénéficie alors du statut d’héritier réservataire et qui récupère la somme allouée au conjoint par la loi en ce cas, sauf si un divorce a été prononcé (1/4 des biens : C. civ., art. 914-1). En outre contrairement au conjoint survivant, le partenaire survivant ne peut jamais bénéficier de la pension de réversion et la protection du logement n’est que ponctuelle car, si le droit temporaire au logement vise le partenaire, le droit viager au logement n’est attribué qu’à l’époux dont le conjoint vient de décéder (C. civ., art. 763 et 764).

On peut dès lors comprendre que les intéressés voulaient que le droit de convoler en justes noces leur soit accordé afin qu’ils obtiennent le statut d’époux, les couples homosexuels trouvant injuste que leurs droits ne soient pas identiques à ceux des couples hétérosexuels.

Il est vrai que la situation des partenaires a évolué grâce à des réformes successives qui ont donné à certains d’entre eux la possibilité de devenir parents d’un même enfant.

En effet puisque, par principe, deux hommes ou deux femmes ne peuvent pas procréer ensemble, il est pertinent de leur ouvrir la voie de l’adoption. Le problème rencontré par les homosexuels avant la réforme de 2013 tenait au fait qu’à l’époque, seuls les époux étaient admis à adopter ensemble un enfant, si bien que les couples de même sexe auxquels l’accès au mariage était interdit ne pouvaient pas devenir parent par la voie de l’adoption.

Dès lors la loi de 2013 dont on fête le dixième anniversaire a non seulement ouvert le mariage aux couples homosexuels mais aussi l’adoption, une fois qu’ils avaient choisi de s’épouser. D’autres grands changements ont encore soutenu ces personnes si longtemps privées de droit parce que la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 relative à l’adoption (JO du 22 février) autorise désormais les couples non mariés à devenir parents adoptifs d’un même enfant ou à adopter l’enfant de leur partenaire ou de leur concubin (C. civ., art. 343, modifié par l’ordonnance n° 2022-1292 du 5 oct. 2022). Dès lors les couples hétérosexuels ou homosexuels ne sont plus dans l’obligation de se marier pour adopter ensemble un enfant. Dans ce contexte, la femme, qui vit avec une compagne qui a mis au monde un enfant et qui participe à l’éducation de ce dernier, peut donc devenir parent adoptif, ce qui sécurise la famille homoparentale.

Toujours pour accorder des droits parentaux aux couples de femmes, la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique (JO du 3 août) leur a également ouvert la voie de l’assistance médicale à la procréation (AMP). Elles doivent donner leur consentement à une AMP effectuée avec un don de sperme (C. civ., art. 342-10) et lors du recueil de ce consentement, le couple de femmes, qu’elles soient ou non mariées, reconnaît conjointement l’enfant à naître (C. civ., art. 342-11). En conséquence, elles sont déclarées mères l’une et l’autre et si le couple se sépare, elles peuvent chacune conserver des liens avec l’enfant. Avant la réforme, beaucoup de femmes en couples avaient souffert de ne pas être considérées comme mères de l’enfant tant que l’adoption n’était pas prononcée. Elles avaient élevé un enfant mais sans être officiellement son parent si bien que la rupture du couple leur compliquait la vie. Désormais elles sont mères dès que l’AMP avec donneur est programmée. En revanche rien n’a changé pour les couples d’hommes, car la gestation pour autrui demeure interdite en France et seule la voie de l’adoption leur est ouverte. Que l’on parle aujourd’hui de mariage pour tous ne signifie pas famille pour tous car deux hommes peuvent se marier mais ne peuvent pas être les deux pères d’un enfant dès sa naissance, en revanche ils peuvent utiliser la voie de l’adoption.

Sur ce point le fait que les personnes vivent en concubinage, se pacsent ou se marient n’y change rien car une famille homoparentale peut effectivement être créée. Néanmoins se marier apporte une plus grande aide aux conjoints, en particulier lors du décès de l’un des époux.

Cela fait donc dix ans que de nombreux couples se sont réjouis d’avoir le droit de célébrer cette belle union grâce à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, même si pour se séparer ensuite, à savoir divorcer, c’est plus compliqué que pour des concubins ou des partenaires. Avec cette réforme, le législateur a mis fin à des situations inégalitaires et à des discriminations en accordant une place nouvelle aux familles homoparentales et en créant des liens d’alliance. En outre tous les maires ont été contraints de célébrer cette union ou de contacter un de leurs adjoints.

Malheureusement bien que cette loi de 2013 ait renforcé la place des personnes homosexuelles ayant décidé de vivre sous un même toit, l’homophobie n’a pas totalement disparu contrairement à la pénalisation de l’homosexualité en France, la sodomie n’étant plus considérée comme un crime.

Néanmoins après de vives polémiques entourant le vote de la loi de 1999 pour le pacs, de la loi de 2013 pour le mariage des couples de même sexe et de la loi de 2021 pour l’AMP accordée aux couples de femmes, on peut noter grâce à cette évolution combien le droit de la famille est important et qu’il importe que l’on puisse créer juridiquement une famille.

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace