• Accueil
  • Dossier
  • Ces drames vécus dans les piscines concernent aussi des noyades liées à des dérapages
Dossier Paru le 04 août 2023
DES BAIGNADES AUX NOYADES

Ces drames vécus dans les piscines concernent aussi des noyades liées à des dérapages

Être propriétaire d’une piscine est une belle chance. Quel bonheur de pouvoir profiter de son eau douce quand on ne peut pas partir en vacances, mais que l’on veut pratiquer du sport nautique ou s’installer au soleil. Le nombre des piscines augmente en France, les habitants parvenant à installer ce grand bassin dans leur jardin étant plus que ravis.

© makistock-stock.adobe.com

Malheureusement ils peuvent aussi en souffrir énormément parce que beaucoup de drames se déroulent hélas dans les propriétés privées avec piscine. Certes, tous les naufrages conduisant à des noyades sont catastrophiques, qu’ils surviennent en pleine mer, dans un lac ou une rivière, néanmoins voir mourir une personne dans sa piscine est dramatique. Ce fléau est souvent lié à la baignade d’un jeune enfant qui ne sait pas encore bien nager et qui est sans brassard ou bouée ou d’une personne âgée dont l’état de santé faiblit, mais il peut s’agir également d’une malencontreuse chute dans la piscine, lors d’une balade au bord de l’eau.

En plus de cette douleur intense, les propriétaires découvrent que leur responsabilité peut être engagée s’ils ont mal géré leur bassin. Ce rappel vient d’être fait dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 mars dernier (Cass. 2e civ., 9 mars 2023, n° 21- 18.713), affaire dans laquelle ils ont toutefois été mis hors de cause en raison des circonstances et des mesures de sécurité qu’ils avaient mises en place.

Un petit garçon de deux ans et demi ayant été retrouvé inanimé dans la piscine installée derrière la maison de personnes qu’il ne connaissait pas et qui ne savaient pas qu’il avait pénétré chez eux, a été conduit au service pédiatrique de l’hôpital, cependant il est décédé dix jours plus tard en raison de cette noyade liée à sa chute dans la piscine. Cette affaire nous permet de rappeler que le décès par noyade fait partie des causes les plus courantes de la mortalité des très jeunes enfants.

Souffrant énormément de la perte de leur proche, les parents ainsi que les frères et sœurs du défunt ont tenté d’obtenir réparation de leur préjudice en portant plainte contre les habitants et en invoquant leur faute d’imprudence et de négligence.

Pour analyser ce dossier il fallait rechercher quelles sont les mesures de sécurité que doivent respecter les propriétaires de piscine afin de pouvoir évoquer leur faute (I) et d’en tirer les conséquences en matière de responsabilité civile (II).

I - Les particularités de l’attitude fautive des propriétaires de piscine

En raison des dangers liés aux plaisirs nautiques et à la recrudescence des noyades entraînant des décès, le législateur a préconisé un système de protections visant à prévenir le risque de noyade. En effet, la loi n° 2003-9 du 3 janvier 2003 relative à la sécurité des piscines (JO du 4 janvier 2003) a créé dans le Code de la construction et de l’habitation un chapitre spécialement consacré à la sécurité des piscines (chapitre VIII), ce plan de lutte anti-noyade ayant été ensuite affiné par le décret n° 2003-1389 du 31 décembre 2003 relatif à la sécurité des piscines et modifiant le code de la construction 5

et de l’habitation (JO du 1er janvier 2004) lequel a été quelque peu amendé par le décret n° 2004-499 du 7 juin 2004 (JO du 8 juin 2004). Afin d’éviter la recrudescence du nombre de noyades, le législateur a effectivement mentionné dans l’article L. 128-1 (texte abrogé par l’ordonnance n° 2020-71 du 29 janv. 2020) que les « les piscines enterrées non closes privatives à usage individuel ou collectif doivent être pourvues d’un dispositif de sécurité normalisé visant à prévenir le risque de noyade ».

Ces textes visaient toutes les piscines privatives, qu’elles soient à usage individuel ou collectif, mais des dispositions plus contraignantes visant les mesures techniques et de sécurité ont encore été prises par l’arrêté du 14 septembre 2004 (JO du 13 octobre 2004) encadrant cette fois uniquement les piscines privatives à usage collectif. Décrets et arrêté ont permis aux propriétaires de savoir comment s’acquitter de leurs nouvelles obligations, techniques jugées bienvenues car elles les ont aidés à s’adapter au dispositif de sécurité. S’ils ne respectent pas ces mesures, ils commettent alors des fautes dont ils risquent de subir de lourdes retombées.

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation, il était question d’une piscine privée, non prévue par un usage collectif et installée au fond du jardin (on peut toutefois regretter que les textes ne visent pas les piscines installées à l’intérieur des maisons alors que les utilisateurs sont parfois face aux mêmes dangers). Pour savoir quels risques encourent les habitants à la suite de la noyade de la victime, il convient de rechercher le dispositif de sécurité normalisé mis en place pour les piscines en plein air.

Pour endiguer le nombre de décès, les piscines privatives enterrées ou semi-enterrées, y compris pour les habitations en location saisonnière doivent être pourvues d’un dispositif de sécurité normalisé visant à prévenir le risque de noyade. Elles doivent obligatoirement comporter des équipements dont les caractéristiques techniques ont été explicitées par les décrets. Quatre procédés permettent de sécuriser les bassins et d’éviter les noyades, en particulier de très jeunes enfants, à savoir barrières, couvertures, abris et alarmes. Selon le cas, il faut mettre en place une alarme de sécurité, une barrière pour clôturer les lieux, une couverture sécurisante ou un abri de piscine, type véranda couvrant intégralement la piscine. L’un ou l’autre de ces moyens peut être choisi par le propriétaire qui ne se voit pas imposer une obligation de clore son jardin, les techniques n’étant aucunement classées en fonction d’un critère prioritaire.

Néanmoins, toutes les piscines privées doivent être sécurisées pour éviter qu’il y ait des victimes de chutes accidentelles. Il est fortement recommandé aux propriétaires d’installer le dispositif de sécurité agréé car sinon leurs sanctions peuvent être lourdes.

II - La mise en œuvre de la responsabilité des propriétaires de piscine

Un petit garçon âgé de deux ans et demi s’était rendu avec de jeunes amis dans le jardin d’une propriété non entièrement clôturée. Les ayant quittés, il a pénétré tout seul et sans la surveillance de ses parents dans une autre propriété située quelques maisons plus loin, dans laquelle était installée une piscine à l’arrière de la maison. Il a été retrouvé inanimé dans l’eau après être tombé dans le bassin et malheureusement, placé en service de pédiatrie, il est décédé dix jours plus tard.

Ses parents et ses frères et sœurs ont introduit une action en responsabilité civile en invoquant la faute des propriétaires de la piscine et leur préjudice lié au décès. Selon eux les gardiens de la piscine ont mal assuré la surveillance des lieux et ont manqué de vigilance car elle n’était pas recouverte par une protection rigide mais par une simple bâche et parce que les lieux n’étaient pas clôturés, si bien que leur jeune fils avait pu pénétrer dans leur jardin. Estimant que ladite bâche n’offrait pas les garanties de sécurité nécessaires pour éviter des risques de noyade, d’autant que la piscine était installée sur une propriété non close, les membres de la famille souffrant de leur deuil ont déposé une plainte contre les propriétaires, cependant le tribunal correctionnel a relaxé les habitants du chef d’homicide involontaire. Il a toutefois déclaré recevable la constitution de partie civile de la famille, cependant ensuite les juges de la cour d’appel ont débouté les parents de leur demande d’indemnisation le 15 avril 2021 (CA Douai, 3e chambre, 15 avr. 2021, n° 19/06085), considérant que les propriétaires n’avaient pas commis de faute. Parents et enfants se sont alors pourvus en cassation parce que selon eux les juges de la cour d’appel ont violé les articles 1382 et suivants du Code civil remplacé par les articles 1240 et suivants (ordonnance n° 2016-131 du 10 févr. 2016).

Si une personne se noie dans une piscine, tout propriétaire qui n’a pas respecté la loi sur la sécurité des piscines privées s’expose à une amende pouvant atteindre 45 000 euros et parfois à trois ans de prison pour homicide involontaire. Conformément à l’article 221-6 du Code pénal « le fait de causer par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende. En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75.000 euros d’amende ». Dans cette affaire, la famille de la jeune victime avait porté plainte mais le tribunal correctionnel avait relaxé les propriétaires du chef d’homicide involontaire, écartant les sanctions pénales. Il restait toutefois à rechercher si des sanctions civiles pouvaient être encourues car, conformément à l’article 1242 du Code civil « On est effectivement responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

Le problème vient du fait que les propriétaires d’une piscine peuvent voir leur responsabilité civile engagée en cas de noyade, mais leur faute d’imprudence doit être établie. La faute évoquée dans ce dossier était liée au fait de ne pas avoir installé sur la piscine une bâche suffisamment rigide et de ne pas avoir exercé une surveillance constante, mais elle n’a été reconnue ni par les juges du fond ni par la Cour de cassation rendant un arrêt de rejet du pourvoi. Pour les juges, il n’y a effectivement aucun lien de causalité entre la noyade d’un enfant non surveillé par ses parents et l’attitude des propriétaires d’une propriété privée dans laquelle le très jeune enfant a pu pénétrer sans autorisation et de manière isolée. En effet, l’enquête lancée par le procureur de la République a bien montré que les habitants faisaient le nécessaire pour sécuriser les lieux, mettant en place une bâche de sécurité rigide quand ils étaient absents de leur domicile. En revanche, pour pouvoir se baigner régulièrement ils procédaient au nettoyage de leur piscine et y installaient une bâche non rigide, ne pouvant pas imaginer que quelqu’un allait rentrer chez eux sans leur autorisation. On ne peut donc pas leur reprocher la violation des normes de sécurité, l’enquête programmée en l’espèce par le procureur de la République montrant que les propriétaires ont respecté les règles imposées. Dès lors, ils ne sont pas jugés responsables malgré le drame vécu par la noyade, que l’enfant ait décidé de nager ou ait chuté dans le bassin. En effet, les propriétaires avaient fait installer une bâche de sécurité rigide qu’ils utilisaient quand ils quittaient leur domicile, mais ce n’était pas le cas lors de ce drame. Il ne leur est effectivement pas imposé d’exercer une surveillance constante de leur bassin ou de mettre en place cette bâche plus protectrice à tout moment, notamment quand ils veulent se baigner ou quand ils sont bien présents à leur domicile.

Puisqu’aucune faute n’est prouvée en l’espèce, la demande d’indemnisation des requérants liée à la noyade du très jeune enfant dans une piscine a été rejetée, notamment parce qu’à cet âge, un enfant ne doit pas être laissé sans surveillance parentale et que les habitants ne pouvaient pas penser qu’un mineur viendrait se promener tout seul autour de leur piscine sans qu’ils soient prévenus. Puisque la responsabilité civile des propriétaires ne peut pas être engagée, ils sont mis hors de cause dans ce dossier, malgré le triste décès lié à une noyade survenue à leur domicile. Si leur faute avait été reconnue, ils auraient toutefois pu aussi de leur côté invoquer une faute de la victime car le mineur était entré chez eux sans autorisation et sans avoir le droit de déambuler autour de leur piscine.

L’essentiel en la matière est que chacun demeure prudent. Au cours des années 2003/2004, dans le cadre de la campagne de prévention contre les noyades en piscine, sachant que de nombreux bassins s’ajoutent chaque année, le gouvernement a renforcé le dispositif réglementaire mais a aussi tenté de sensibiliser le public en distribuant des dépliants informatifs : « Ce qu’il faut savoir avant de se mettre à l’eau » et « Piscine protégée, faut quand même me surveiller ». Malheureusement alors que la réforme de 2003 va bientôt fêter son vingtième anniversaire, on constate que les drames ne cessent pas, de nombreuses noyades continuant à survenir dans des piscines mais aussi dans la mer ou les cours d’eau.

Pour les piscines, il est important que les propriétaires soient vigilants et comprennent bien que, pour éviter d’être jugés responsables en cas de décès lié à une baignade ou un dérapage dans leur bassin, ils doivent bien respecter les mesures sécuritaires mises en place.

Néanmoins, si c’est la noyade que l’on veut éviter, il est clair que toutes les barrières, alarmes, couvertures de protection et autres mesures techniques ne remplaceront cependant jamais une vigilance constante de chacun.

Par ailleurs, permettre à un enfant d’accéder seul à un point d’eau entre en contradiction avec les missions parentales, même s’il est vrai que les mineurs sont naturellement attirés par l’eau, ce qui peut les conduire à tenter d’échapper à la vigilance des adultes. Laissés sans surveillance même de courts instants, les enfants en bas âge risquent de tomber dans des eaux trop profondes pour pouvoir regagner seuls les bords. Or il suffit de quelques minutes pour qu’ils se noient. Les piscines sont et restent des zones de danger pour les enfants qui ne savent pas encore nager. Les systèmes les plus performants ne remplaceront jamais la surveillance avisée des adultes même si le risque zéro n’existe pas.

Isabelle CORPART, Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace