Dossier Paru le 08 septembre 2023
REF 2023

Rencontre des entrepreneurs de France

La cloche de la rentrée économique a sonné, avec la grand-messe annuelle du Medef en guise de starting-blocks. Les patrons visiblement n’ont pas perdu l’impulsion en cours d’été. Débrief.

Patrick Martin et Elisabeth Borne

Longchamp, 28 août 2023. Dans les vestiaires, équipes économiques et politiques s’échauffent, à l’appel du Medef (Mouvement des Entrepreneurs de France), qui domine toujours largement le championnat des syndicats patronaux.

Son nouvel entraîneur, Patrick Martin, n’est pas un inconnu pour les 190.000 affiliés. Il fut le binôme du tonitruant Geoffroy Roux de Bézieux sur la mandature précédente, et si la forme est différente, le fond, lui, s’inscrit dans une continuité rassurante pour un patronat toujours combatif. Au menu, un cocktail un peu paradoxal quoique récurrent, mix d’optimisme génétique et d’une note de fatalisme devant la complexité publique, qu’elle soit élue ou salariée.

Dans la voix de Patrick Martin, un soupçon d’émotion à son entrée sur scène, pour sa première REF en qualité de président plein et entier. C’est lui qui a sollicité Emmanuel Macron pour la petite intervention en ouverture, pour qu’il «souligne la contribution imminente des entreprises et le rôle des partenaires sociaux dans la réussite de la France».

Montrer la voie et monter la voix

C’est à un Medef «de réflexion, de prospective et d’anticipation» que le nouveau président fait référence. Voilà le visage que Patrick Martin veut offrir au syndicat patronal qu’il pilote désormais. «Assumons avec fierté le rôle qui est le nôtre pour construire un avenir meilleur pour tous. Nous avons nécessité à partager notre vision et nos convictions, pour faire entendre la voix (forte) des entrepreneurs de France.» Des visions légitimes, «pour ceux qui créent de la richesse et innovent, loin de s’exalter dans les commentaires stériles. (...) Nous sommes une force d’entraînement».

Les deux invités d’honneur (par contumace) sur cette session 2023 ne le contrediront pas : Emmanuel Macron et, surprise inattendue, le pape François, qui a livré missive officielle aux entrepreneurs de France et affiliés pour livrer sa vision pontificale de l’éco-écosystème. «Quand je pense aux chefs d’entreprise, le premier mot qui me vient à l’esprit est : bien commun. (...) Vous êtes un moteur essentiel de la richesse, de la prospérité, du bonheur public». Un pape raccord avec le discours républicain, à la limite du libéral, sans tabou confessionnel.

Pour l’amour du risque

Demain ne meurt jamais : la thématique 2023, avec pour habillage musical Don’t stop me now. Le message aura l’avantage d’être clair pour la Queen Elisabeth (Borne). Engagement, valorisation des initiatives entrepreneuriales qui se multiplient comme les petits pains, souvent menées trop discrètement et qu’il faudra mieux reconnaître pour faire briller un peu plus haut l’image du patronat et des entreprises : le credo d’un Patrick Martin droit dans ses bottes. Le message pontifical en juge de paix, il assume la part de responsabilité du patronat dans l’évolution sociale et sociétale. Mission : «ne pas compromettre l’avenir par des décisions absurdes, nous ne sortirons par le haut qu’en réunissant les conditions économiques et sociales nécessaires à notre souveraineté, à la réindustrialisation du pays, à l’équilibre de nos régimes sociaux et de nos finances publiques». Sans occulter pour autant le fait que les entreprises soient victimes des désordres publics à la dent dure. «Nous avons les solutions, mais il faut nous en laisser la liberté et les moyens». Dans un climat de confiance que les parties prenantes économiques et politiques appellent chacune de leurs voeux pieux. En filigrane, on tourne et retourne autour des mauvais signaux gouvernementaux.

L’avenir n’est jamais que du présent à mettre en ordre, disait St-Ex. Côté Medef, on est raccord.

Le mot CVAE est lâché, une dérobade serait un très mauvais signal. «Sa suppression était intégrée dans nos business plans», harangue le président Martin devant un public forcément conquis. Idem pour l’assurance maladie ou sur l’investissement locatif, sur la table des interrogations gouvernementales : «n’enrayons pas la machine, nous vous faisons confiance. (...) N’altérez pas la confiance entre l’État et les décideurs économiques, elle est indispensable à notre réussite, qui doit s’inscrire aussi dans nos relations de travail avec le Parlement.» La politique de l’offre prônée dès le premier quinquennat Macron a donné de bons résultats, alors pas question, côté patrons, de la répudier pour de simples postures politiciennes.

Le poids des maux

Dans une période de transition(s), d’instabilité, de crises conjuguées au pluriel, le Medef, dans son jeu collectif et son esprit XV de France, aussi enthousiaste qu’une flamme olympique, sera-t-il le rempart contre trop d’austérité et de fiscalité ?

La réponse ne pourra venir que de la team publique, pour qui les moindres éconocroques sont à diriger en priorité vers le désendettement. Le retard à l’allumage pour la suppression complète de la CVAE en est un stigmate, que le Medef espère isolé.

Et surtout non contagieux, à l’orée des réformes qu’il reste à mener.

 

Elisabeth Borne : «oui, nous menons une politique pro-business»

Allocution sous forme de questions-réponses en tribune pour Elisabeth Borne, Première ministre. Moins solennel, dans l’esprit «sans tabou» de #LAREF telle qu’imaginée par Patrick Martin, nouveau président du Medef. Et quelques annonces…

Après le message «volontariste» d’Emmanuel Macron aux dires du président du Medef Patrick Martin, la REF a accueilli le 28 août en tribune Elisabeth Borne, qui d’entrée de jeu aura souligné la politique «pro-business» enclenchée par le gouvernement, politique propre à «créer des emplois pour sortir du chômage de masse, et je vous confirme que nous allons continuer.» Déclaration d’amour écoutée et entendue, place à la dot, et retour paroi sur la CVAE, épine du moment, promesse gouvernementale pour 2024 désormais étalonnée sur un échéancier courant jusqu’en 2027. La CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), un symbole de la fiscalité sur la production, 4 des 8 Mds€ prélevés annuellement sur les entreprises qu’il reste à supprimer : ça ne sera pas pour l’année prochaine, mais progressivement, à raison d’1 Md€ par an quand même, d’ici 2027, ce qui change un peu la donne côté compétitivité. Elisabeth Borne le confirme, «la totalité de la CVAE sera supprimée avant la fin du quinquennat, au rythme le plus rapide possible, en tenant compte d’un autre objectif, qui est la nécessité de tenir notre trajectoire de maîtrise de nos finances publiques». Une dette non rectifiée, et pour elle l’impact serait immédiat sur les taux d’intérêts, ce qui pour la chef de gouvernement ne serait pas la solution pour les entreprises. Il faudra donc ménager la chèvre publique pour venir à bout du chou privé, via une recette cocktail «compatible avec notre trajectoire de finances publiques.» Dans un contexte macro-économique bien plus incertain qu’au moment des promesses de suppression rapide. Conclusion : «dans ce contexte, chacun doit prendre sa part, l’État prend la sienne, notamment avec une baisse (en volume) de 3% de ses dépenses dès l’an prochain.» On comprend mieux dès lors l’appui au «collectif» souhaité par Emmanuel Macron en préambule.

Indemnités journalières et arrêts maladie ?

Faire porter aux entreprises (et aux mutuelles) les jours de carence ? Si la piste a semble-t-il été abandonnée par le ministre de la Santé, les choses ne sont pas si claires. «Le nombre et le coût des arrêts maladie augmentent, souligne Elisabeth Borne. Autant d’argent qui ne peut pas aller au financement de notre hôpital... Tout le monde a intérêt à ce que l’on puisse contenir les dépenses liées à ces arrêts maladie.» Et de souligner qu’une partie de cette hausse est à corréler à la hausse des salaires, le revers en quelque sorte d’un emploi en forme. Là-encore, tout le monde devra sinon mettre la main à la poche, au moins faire l’effort pour contenir ces dépenses, «sans qu’il y ait une décision unilatérale qui tomberait sur les seules entreprises.» Soulagement dans les tribunes. Autre sujet social, l’Unedic et ses excédents, et la crainte pour le patronat de voir l’État ponctionner 11 à 12 milliards sur les futures performances. Pour la Première ministre, encore un revers de médaille : c’est aussi grâce à la réforme de l’assurance chômage portée dans le premier quinquennat (par la ministre du Travail d’alors, une certaine... Elisabeth Borne, ndlr) que ces excédents existent. Pour elle, il est de bon augure que les dépenses d’assurance chômage baissent de 15 Mds€ à horizon 2027. Pour autant, «c’est un bon investissement pour l’Unedic que de participer à la formation des plus éloignés de l’emploi, faire du préventif, accompagner davantage les demandeurs, autant de dépenses d’assurance chômage évitées demain.» Patrons de France, c’est pas gagné pour récupérer vos billes, mais c’est pour la bonne cause.

La rentrée vue de Matignon

Elisabeth Borne dit «partager la lucidité optimiste ou l’optimisme lucide du président de la République. Nous avons des fondamentaux solides, deux millions d’emplois créés depuis 2017, un pays qui est le plus attractif d’Europe depuis quatre ans, une croissance de 1% pendant que l’Allemagne est en récession. La réussite de notre politique de réindustrialisation avec 100.000 emplois déjà créés, c’est cela, la politique pro-business, c’est de l’engagement, on ne doit pas changer de cap, et nous continuerons cette politique de soutien au monde économique. (...) Je crois dans une croissance respectueuse de la planète, économique en ressources et riche en emplois.» Une croissance compatible avec les enjeux climatiques, en phase avec les textes comme la loi Industrie Verte, mais aussi avec la stratégie mise en oeuvre pour recouvrer une certaine autonomie. Les 54 Mds€ mis sur la table via France 2030 sont d’ailleurs là pour sanctuariser une innovation nécessaire sur les secteurs d’avenir, décarbonation en tête (...) «Un combat que nous gagnerons ensemble», et sans décroissance au menu. «La décroissance, c’est la remise en cause de notre modèle social, je ne crois pas que ce soit une solution.»

Synthèse et cocoricos

Un message, Mme Borne ? «Nous sommes dans une période de bouleversement, dans un monde qui nous impose de défendre notre modèle démocratique et social. Je le dis et le redis, il n’est pas question de taxer plus les entreprises, nous sommes la majorité qui les a le plus libérées depuis des décennies, (...) notre croissance cumulée depuis 2017 est supérieure à celle de l’Allemagne, de l’Italie ou de l’Espagne, et nous ne changerons pas de cap, il n’y aura pas de hausse d’impôt». Et puis l’instabilité fiscale, ça n’a jamais fait bon ménage avec l’activité, «les entreprises ont besoin de visibilité, je m’étais engagée sur la CVAE, elle sera supprimée d’ici la fin du quinquennat», martèle-t-elle, mentionnant aussi, au titre des atouts sur le flanc immobilier cette fois, un PTZ revivifié.

Supprimer les perturbateurs ?

Sur le volet de la simplification, «un travail est engagé entre entreprises, parlementaires et administration pour des résultats visibles dès 2024. Je suis convaincue que les défis actuels sont des opportunités, avec de nouveaux modèles fondés sur la sobriété, sur la ré-invention de la croissance autour de la planification écologique, secteur par secteur, territoire par territoire. Un modèle nouveau, français, clair, efficace et crédible», pour faire rimer réindustrialisation et décarbonation.

La morale de cette séquence, sur un climat un peu plus tendu qu’à l’ordinaire : «La politique de l’offre n’est pas naturelle dans notre pays... Trop souvent les baisses d’impôt ou les aides aux entreprises sont perçues comme des cadeaux. S’il y a des résultats au niveau macro-économique, il faut que dans leur quotidien nos concitoyens en ressentent les effets, il faut que les chefs d’entreprise écoutent leurs salariés, sur leurs conditions de travail, sur leur pouvoir d’achat», parlant là-encore de «responsabilité partagée».

Si l’applaudimètre était un tantinet mollasson dans les tribunes de Longchamp, ces petites preuves d’amour, dans un couple État-patronat qui finalement aura duré, auront un peu ravivé la flamme.

Isabelle AUZIAS pour RésoHebdoEco – www.reso-hebdo-eco.com