Dossier Paru le 29 septembre 2023
CHAMBRE DES NOTAIRES DE LA MOSELLE

Recul inquiétant des transactions immobilières

La conjoncture immobilière est en train de se retourner progressivement en Moselle et dans le Grand Est. Après l’euphorie de deux années exceptionnelles, le premier semestre 2023 marque un tournant avec un très net ralentissement du marché immobilier dans le département.

De gauche à droite : Me Éric Ricou, président du conseil interrégional des notaires d’Alsace Moselle, Me André Lombardi, président de la Chambre des notaires de Moselle et Me Catherine Claudel, notaire à Courcelles-Chaussy.

 « Après des années de hausse constante de l’immobilier, là nous observons un repli. Il ne se manifeste pas de la même manière selon les secteurs. Au niveau national, il se traduit par un ra­lentissement du volume, pas forcément une baisse de prix. » Éric Ricou, président du conseil interrégional des notaires d’Alsace Moselle (528 notaires et 188 offices), qui a succédé à Pierre-Yves Thuet, plante le décor de cette conjoncture du marché immobilier à la mi-2023. De fait, la tonalité de ce point presse, à la veille de l’automne contraste singulièrement avec le premier rendez-vous des notaires sur la question, en mars dernier. À ce moment-là c’était encore le printemps de l’immobilier. Éric Ricou attribue ce début de retournement aux conditions d’accès au prêt immobi­lier avec la hausse des taux du crédit bancaire, ce resserrement impose des critères d’attributions très draconiens. La hausse des taux directeurs de la BCE (Banque Centrale Européenne) dont la dernière date du 14 septembre de +0,25 pt, dans le but de juguler la tendance inflationniste, dissuade de potentiels acquéreurs d’un bien qui n’ont plus les moyens d’y parvenir. Avec le dépassement du seuil d’usure du fait de l’augmentation des taux, certains dos­siers de prêts ont été bloqués. Mais selon le président interrégional des notaires d’Alsace Moselle « le ministre de l’Économie par un arrêté du 20 janvier 2023, compte réviser mensuellement ce taux d’usure, ce qui permet de prévoir un ajustement. » La tonalité est encore plus sombre dans le neuf, avec quelque 30% de demandes de permis de construire en moins, en raison de la forte hausse des coûts de construction, ce qui suscite de fortes inquiétudes au sein des métiers du bâtiment.

Vers un ajustement des prix

Dans son analyse, Éric Ricou remarque « qu’après les hausses des années euphoriques, on pouvait penser ne pas continuer comme ça. Il y a eu un effet rééquilibrage au demeurant assez logique. On nous annonce une stabilisation des taux pour 2024, elle serait la bienvenue. Pour l’instant en France nous avons encore un peu de croissance. Peut-être doit-on considérer être à un point de jonction aujourd’hui, il faut un peu de temps pour que les prix s’ajustent à la demande. » Enfin il confirme que le congrès national des notaires de fin septembre doit s’emparer du sujet du logement.

La baisse des transactions en Moselle

Me André Lombardi, président de la Chambre des notaires de Moselle, prend soin de rappeler que cette deuxième conférence de presse sur l’immobilier se fait sous l’égide de la marque N.A.M., les notaires d’Alsace Moselle. Il rappelle le beau constat du prin­temps avec ces deux années exceptionnelles jugées hors normes par le conseil supérieur du notariat, notamment avec un nombre de transactions frisant 1,2 million dans le pays et aussi en termes d’augmentation des prix de l’immobilier. Il n’y a pas si longtemps le prix de vente des biens immobiliers s’était envolé de plus de 37% sur les 5 dernières années dans notre région. Malheureusement on le constate, au premier semestre 2023 « le marché immobilier ralentit. » Les chiffres le démontrent : -12% pour les terrains à bâtir, -20% pour les appartements anciens. En attendant remarque Me André Lombardi « les prix se sont stabilisés, et nous n’avons pas encore constaté de baisse. Il n’y a pas encore de corrélation entre le volume de transactions et les prix. Mais cela finira par arriver. » Actuellement dans le département, le prix médian des maisons a augmenté de 3% et plus particulièrement de 4% sur Metz, celui des appartements a progressé de 5,3% sur Metz et de 7,6% sur la Moselle. Seul le prix médian des terrains à bâtir a diminué de 1,3%.

Appel aux pouvoirs publics

À l’instar de Me Ricou, le président des notaires mosellans lie cette diminution du volume des transactions, « à la diminution du pouvoir d’achat et à l’inflation, aux conditions d’accès des prêts immobiliers avec une baisse de 40% de l’octroi de prêts, et il faut l’avouer à une certaine réticence des vendeurs à baisser leur prix de vente. » Cette tension se répercute selon Me André Lombardi sur le marché locatif. « Il est encore aggravé par le calendrier imposé par le gouvernement aux passoires énergétiques. À moyen terme on peut craindre de voir près de 400 000 logements se retrouver hors marché. »

Le président de la Chambre des notaires de la Moselle se veut alarmiste. « On craint une crise du logement tant pour l’accession à la propriété que pour la location. Il faudrait réagir assez vite. Nous attendons une prompte réponse des pouvoirs publics à ces problématiques. »

3 500 transactions au 2e trimestre

Me Catherine Claudel a précisé dans son intervention quelques données chiffrées. À l’échelle du pays elle relève que les prix des marchés immobiliers du bâti ancien sont toujours orientés à la hausse mais ils sont en nette érosion : +3,4% en mai pour les appartements anciens contre +7,5% il y a un an, +2% pour les maisons anciennes contre +9,3% il y a un an.

En Moselle les notaires ont enregistré 3 500 transactions immobi­lières au second trimestre 2023 « le plus faible nombre de ventes sur cette même période ces 5 dernières années. » En mars, elle remarquait que la moyenne se situait à 4 000 transactions par trimestre avec un pic au troisième de 2022 à 4 700 ! Les secteurs les plus dynamiques en termes de ventes de maisons anciennes : le Pays du fer, le Bassin houiller, Metz et environs et le Pays de Sarreguemines-Bitche. « Mais cette baisse des transactions n’a pas encore impacté les prix » dit-elle.

Évolution des prix des maisons anciennes

Ces secteurs connaissent une hausse annuelle des prix de vente médian supérieure à +2%, à l’exception de Metz et environs qui baisse de 2,3% (215 000 €, -2,3%). Le secteur du Pays du Sel (122 000 € +11,2%), le Saulnois dans le sud du département, en­registre la hausse annuelle la plus importante. « Cela s’explique car les prix y sont plus bas. » Le Bassin houiller : 151 400 € (+2,6%), Pays de Sarreguemines-Bitche 135 000 € (+6,3%), Pays du fer et le secteur de Thionville 263 000 € (+4%). À fin juin 2023, le marché des maisons anciennes connaît une progression de 3% en Moselle, pour un prix de vente médian atteignant 199 500 €. À Metz la hausse est de +4% (prix médian de 276 800 €). Me Claudel constate que le prix médian des maisons anciennes en Moselle enregistre une progression pour la cinquième année consécutive. Sur les 5 années la hausse cumulée est de +24% (+29% à Metz).

Marché des appartements anciens : le F3 en pôle position

Sur le marché des appartements anciens, Me Claudel constate que le prix médian est également en hausse sur un an : + 7,6% en Moselle (prix médian de 2100 €/m²), à Metz +5,3% (2400 €/m²). Des prix en hausse dans la majorité des communes du département de Forbach (+9,2% à 900 € le m²) à Hettange-Grande (+6,5% à 2960 €/m²) via Sarreguemines (+7,2% à 1330 €/m²) et Thionville (+5,5% à 2410 €/m²). Seule la commune de Woippy enregistre une baisse (-2,4% à 2280 €/m²).

Les appartements les plus vendus en Moselle sont toujours les 3 pièces. Ils représentaient déjà 34% des transactions en 2022, contre 37% en 2023. Une hausse qui se fait au détriment des 5 pièces. Mais les maisons anciennes de 6 pièces restent cepen­dant les plus vendues avec 36% des transactions.

Les terrains à bâtir

Me Claudel relève que la baisse est encore très légère pour ce qui est des terrains à bâtir en Moselle (-1,3%), alors que la hausse était de +9,3% un an plus tôt. Le prix médian d’un terrain à bâtir dans le département est de 75 000 euros pour une surface médiane de 630 m². Sur le plan national, il est de 60 500 €. « La surface des terrains à bâtir tend à diminuer. La superficie médiane est de 4,70 ares dans le secteur de Thionville qui reste le plus dynamique avec 28% des ventes quand Metz et environs atteint 18% » ajoute la notaire de Courcelles-Chaussy. Les parcelles les plus vendues correspondent aux terrains de moins de 900 m², elles représentent 70% des transactions départementales sur le marché du foncier.

Concernant le profil des acquéreurs, Me Claudel relève que la pro­portion d’étrangers par secteur dépasse 6% sur les trois secteurs frontaliers avec le Luxembourg et l’Allemagne : le Thionvillois, le Bassin houiller et Sarreguemines-Bitche. Elle remarque également que la tranche des acquéreurs la plus importante est celle des 30/39 ans qui représente 32%. Quelque 33% de ces acquéreurs sont d’une profession intermédiaire, et 84% sont Mosellans.

L’impact de ce retournement de conjoncture

Les conséquences de cette nouvelle donne conjoncturelle du marché immobilier ont également été évoquées par les notaires. Ainsi dans les frais de notaires, constitués de droits d’enregistrement, figurent une taxe départementale, une taxe communale. « Cette chute du volume de transactions au 1er semestre de plus de 20% a des répercussions catastrophiques sur les recettes fiscales qui servent notamment à financer l’action sociale du département. Et son impact est immédiat sur le budget des collectivités » assure Me Lombardi. Qu’en est-il des études de notaires ? « Nous ressentons la crise. Le premier semestre n’a pas été confortable. On est directement impacté. Certaines études seront peut-être en difficulté au niveau national. On n’est pas les seuls. Dans le bâtiment, on parle de 150 000 pertes d’emplois. Sans oublier les agences immobilières ou les promoteurs. Le marché se retourne très rapidement. Il y a 6 mois on ne vous annonçait que des bonnes nouvelles. Il faut rester calme devant cette situation » précise le président de la chambre des notaires de la Moselle. Et quelles mesures attendent les notaires de la part des pouvoirs publics ? « Que les banques remettent un peu en place le financement. On est presque à un dossier sur deux qui est refusé. Un taux de crédit à 5% c’est une baisse de pouvoir d’achat de 20 à 25% pour les ménages. C’est énorme. » Selon Me Éric Ricou « la demande d’accession à la propriété est encore très forte. Il faut espérer une stabilisation, que les prix soient ajustés et qu’en matière de financement on n’écarte pas trop de personnes dans leur projet d’accéder à la propriété. » Me Claudel rappelle qu’il y a quelques années « existaient des aides pour permettre aux primo-accédants de réaliser leur projet d’acquisi­tion. Ils pouvaient déduire les intérêts de leurs revenus. C’était incita­tif. » En définitive « c’est tout le débat à propos des niches fiscales » estime Me Éric Ricou. Les notaires confirment que « le ralentissement est général. » Il est bien ressenti en Moselle comme dans les deux départements alsaciens.

Logement vertueux : la question de l’assainissement

Me Catherine Claudel a fait un focus sur les problèmes liés à l’assai­nissement dans le cadre des transactions immobilières, qui le plus souvent débouchent sur des contentieux. « On remarque que de nombreux contentieux émergent à la suite de cessions quand les acquéreurs s’aperçoivent que le raccordement du tout-à-l’égout n’est pas conforme, ou qu’il y a une fosse septique. C’est arrivé, même à Metz. » Selon Me Lombardi, cela concerne essentiellement les mai­sons voire de petites propriétés. Me Claudel évoque le cas survenu dans son secteur d’une copropriété où grâce à un contrôle les trois copropriétaires ont pu constater que les eaux usées étaient branchées sur la canalisation des eaux pluviales, ce qui a engendré une pollution importante. Et la mise en conformité a représenté un montant de 10 à 15 000 euros. Une somme importante. « Comme le diagnostic a été fait avant la signature du compromis de vente on a pu en discuter et se mettre d’accord entre vendeur et acquéreur. Mais si cela est révélé après la vente cela engendre naturellement un contentieux. » Ce type de diagnostic existe cependant dans certaines communes où il est obligatoire. C’est le cas de la communauté de communes du Pays de Pange ou le Pays Boulageois. « On ne peut qu’inviter les vendeurs, même si le diagnostic n’est pas obligatoire, à l’effectuer avant la vente. Cela permet à l’acquéreur d’acheter en toute connaissance de cause » ajoute Me Claudel qui invite les acheteurs de biens immobiliers à s’informer auprès des communes ou communauté de communes en se rendant sur le site internet.« En cas de contentieux, cela ne se résout jamais en annulation de la vente, mais cela peut conduire à des dommages et intérêts » précise Me Lombardi.

Le diagnostic énergétique

Me Éric Ricou parle de phénomène général. « On tend et c’est une bonne chose à avoir des logements vertueux, en termes d’énergie, en termes d’assainissement. Cela pose la question du coût pour les clients, que ce soit pour l’assainissement ou pour la mise aux normes énergétiques. L’énergie est un enjeu. Nos clients sont très attentifs à ce sujet lors d’une vente immobilière. On aborde forcément la question du diagnostic énergétique. »

Pour Me André Lombardi « il y a un revers de la médaille de cette tendance à améliorer toujours et encore le logement. Le diagnostic énergétique entré en vigueur au mois d’avril aura pour effet à moyen terme de faire sortir un certain nombre de logements du marché im­mobilier. Pourquoi ? Parce que parfois les travaux sont impossibles à faire, certaines fois le vendeur ne peut pas les faire ou ne le veut pas. On va vers un marché qui va encore se tendre davantage. Cette tendance vertueuse a des effets un peu pervers, le calendrier étant manifestement trop serré. Ce calendrier ne pourra pas être tenu. On ira vers des difficultés. » Ce calendrier est le suivant : 2025 pour la catégorie G, 2028 pour les F et 2034 pour les E. Me Éric Ricou n’hésite pas à poser la question : « Faut-il revoir cet agenda ? Il faut souhaiter que les pouvoirs publics soient sensibles à cette problématique. »

Installation de la Chambre disciplinaire

En marge de la question immobilière, les notaires ont aussi évoqué l’installation toute récente de la nouvelle chambre disciplinaire qui siège à Nancy. Une installation faite mi-septembre. Cette chambre, et c’est une nouveauté d’importance, n’est plus présidée par un notaire mais par un juge. « On a voulu améliorer ce système de discipline. Le code de déontologie a été revu, adapté pour certaines règles datant de 1945. En accord avec la Chancellerie, ce code de déontologie, le règlement national a été revu, amélioré et adapté à la société d’aujourd’hui » explique Me André Lombardi. Me Éric Ricou rappelle que « cette audience solennelle d’installation s’est faite sous la direction d’un magistrat. Le but de cette chambre disciplinaire est de professionnaliser la discipline, d’avoir l’oeil des magistrats. Elle a des pouvoirs assez renforcés, des pouvoirs d’enquête. Le but de la loi est de renforcer le pouvoir disciplinaire, nous saluons cette initiative. Notre profession se doit d’être exemplaire. » Du reste ce sont les no­taires qui sont à l’origine de cette amélioration et de changement au niveau de la procédure. Auparavant la discipline se faisait au niveau départemental, désormais cela va passer à l’échelle régionale du Grand Est. La chambre régionale de discipline a en charge les 1080 notaires de Lorraine, d’Alsace, et de Champagne-Ardenne à l’exception de la Haute-Marne. Cela ne signifie pas que tous les cas des plaignants iront jusqu’au contentieux, les notaires privilégiant le plus souvent la médiation. Me Éric Ricou explique : « Les notaires d’Alsace-Moselle ont un centre de médiation. Là, on quitte le champ disciplinaire. Du fait de leur expertise, les notaires sont en mesure de répondre à cette attente de médiation. Les pouvoirs publics encouragent la résolution amiable pour désengorger les tribunaux. La conciliation, la médiation, ce sont des marques de fabrique au sein des notaires d’Alsace-Moselle. » Il en sera beaucoup question lors des célébrations, l’an prochain du centenaire du droit local. Cette chambre disciplinaire assurera d’une certaine façon la mission d’un Conseil de l’ordre des notaires.

Bernard KRATZ