Dossier Paru le 06 octobre 2023
ENQUÊTE DE LA BANQUE DE FRANCE

Ralentissement confirmé pour fin 2023

L’actualisation de l’enquête annuelle de la Banque de France confirme 2022 comme année de croissance soutenue, une année marquée par le retour de l’inflation. Et comme prévu en début d’année, 2023 annonce un ralentissement de l’activité, en particulier dans le secteur des services et de la construction alors que l’industrie a mieux résisté.

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Jean-Michel Clavié, directeur départemental de la Banque de France de la Moselle, a fait, lors de cette session de septembre, traditionnellement consacrée à l’actualisation de l’enquête an­nuelle menée en février et mise à jour par l’enquête de mi-année, un retour sur 2022. « C’est une année marquée en mars par le premier coup d’envoi de la remontée des taux d’intérêt. Et depuis cette date les banques centrales ont relevé à de multiples reprises leur taux directeur avec comme effet collatéral, le resserrement des conditions du crédit ce qui a entraîné un essoufflement de l’activité un peu partout dans le monde. » Mais le responsable de la BDF départementale tempère ce propos par le constat qu’aux États-Unis en 2023, « les ventes de détail ont retrouvé malgré tout une certaine vigueur tout à fait inattendue » tout en s’interrogeant si cette reprise serait durable. Jean-Michel Clavié reconnaît que la donne actuelle est compliquée, notamment pour les banques centrales en matière de politique monétaire « pour assurer un juste équilibre dans l’orientation des instruments afin de maintenir un juste niveau d’activité économique mais sans enraciner dans le temps des taux d’inflation trop élevés. »

« Contexte géopolitique complexe »

Il rappelle ensuite le « contexte géopolitique actuel très complexe avec le maintien de la guerre en Ukraine et la morosité de l’éco­nomie en Chine. » Il souligne qu’en Chine justement il y a un an « le moteur de l’économie était quasiment à l’arrêt en raison de la politique du zéro Covid. Aujourd’hui rien de tel, le problème de l’économie chinoise au-delà des difficultés du secteur immobilier, est davantage le fait de la morosité de la demande intérieure. » Un phénomène qui a des répercussions en Europe « car la Chine est un partenaire commercial important de la zone euro. La situation de la zone euro se complexifie considérablement, doublement car l’inflation est très élevée. Une inflation très diversifiée selon les États membres. »

La remontée des cours du pétrole…

Pour M. Clavié, « la plus grosse difficulté actuelle, est le retour en force de l’évolution des cours du pétrole, une remontée des cours générée par des coupes volontaires de la part de l’Arabie saoudite et plus généralement des pays de l’OPEP et de la Russie. Cette remontée vive des cours du pétrole, qui est un facteur exogène, est une des explications majeures à la remontée du taux d’infla­tion sur le mois d’août. Et cette politique de l’OPEP ne donne malheureusement aucun signe d’apaisement pour les semaines ou mois à venir. » 

…la baisse des prix des matières premières

Dans le même temps, la Banque de France observe depuis dix mois « une forte décote sur le cours de l’ensemble des matières premières. C’est dû à la reprise de l’outil industriel chinois mais pour l’essentiel à un certain essoufflement de la demande mondiale. » Une des conséquences directes est la résorption des difficultés d’approvisionnement. « En avril 2022 près de deux tiers des en­treprises se disaient fortement pénalisées par les problématiques d’approvisionnement qui désorganisent systématiquement les plans de production. Sur notre dernière enquête début septembre, ce ne sont plus que 17% de ces mêmes entreprises industrielles qui nous disent être encore contraintes par ces difficultés d’ap­provisionnement. » Et dans le secteur du bâtiment ce ne sont plus que 10% d’entre elles qui sont soumises à ce type de difficultés.

Vers un mouvement de désinflation

La baisse des prix des matières premières que les dirigeants d’en­treprise ont constatée dans l’enquête, constitue un signe positif selon Jean-Michel Clavié : « Nous sommes revenus à une situation quasi normale, et ceci offre des perspectives encourageantes sur le plan de l’inflation. » De fait, dans l’industrie, les entreprises en­registrent depuis 5 mois d’affilée cette baisse des prix. Toutefois, pour les produits finis on est à un niveau de stabilisation des prix. La BDF corrobore cette donnée par le fait que dans l’industrie comme dans les services et la construction, la proportion d’en­treprises ayant augmenté leur prix, continue de reculer et de se rapprocher du niveau d’avant crise sanitaire. Selon Jean-Michel Clavié « le mouvement est en train de s’inverser depuis cet été. On voit davantage d’industriels baisser leur prix que l’augmenter. On peut espérer que le mouvement de désinflation qui s’est amorcé va s’accentuer dans les prochains mois. »

Le point sur l’inflation

En France, la remontée de l’inflation en août est selon la BDF « exclusivement due à la donne énergétique liée à la hausse du prix du pétrole et du relèvement du prix de l’électricité. » La BDF remarque également que la « composante des prix alimentaires qui depuis 6 mois reste certes positive, décroît de mois en mois. » Autre remarque, le ralentissement des prix depuis trois mois des biens de consommation. La Banque de France tente de se projeter sur les perspectives du niveau de l’inflation dans les prochains mois. « Après avoir atteint son pic de 7% en février dernier, l’inflation devrait continuer de refluer progressivement pour se fixer aux alentours de 4,5% à la fin de l’année en moyenne, en moyenne annuelle, à 5,8% en glissement annuel. Grosso modo on sera autour de 5% d’inflation. Dans nos prévisions ce taux sera divisé par deux et ramené à 2,5%. En 2025 on devrait parvenir à la cible des banques centrales, c’est-à-dire 2%. »

Zone euro en ralentissement

La Banque de France est très affirmative sur la question : « l’éco­nomie de la zone euro est clairement entrée en phase de ralen­tissement et elle va y rester au cours des prochains mois. Il s’agit bien de ralentissement certainement pas d’un retournement ou d’un risque de récession. » L’explication saute aux yeux. Avec le renchérissement des prêts, les particuliers comme les entreprises, empruntent moins. Le ralentissement des affaires fait qu’elles in­vestissent moins. L’activité manufacturière mais aussi les services font face à des difficultés. « Pour autant, malgré ce ralentisse­ment assez généralisé, le chômage reste extrêmement bas dans toute la zone euro, et particulièrement en France. Et les salaires continuent d’augmenter. Les créations d’emploi sont encore très dynamiques, même si elles s’amoindrissent » remarque la BDF. Mais le ralentissement devrait malgré tout générer une remontée du taux de chômage. « Une remontée modérée en 2024 et 2025 » estime M. Clavié. De fait, on devrait s’attendre en toute logique « à une phase d’atonie de l’activité jusqu’à la fin du premier semestre 2024, et ensuite à une reprise lente et progressive. »

Les prévisions de croissance

Les dernières prévisions de croissance laissent apparaître des données encourageantes. Ainsi le FMI dans ses prévisions de juillet dernier envisage une hausse de 2,8 à 3% du taux de croissance mondial, mais elles sont restées plates pour la zone euro bloquée à +0,9%. « La BCE, banque centrale européenne a été moins op­timiste et table sur une croissance pour l’ensemble de la zone euro de +0,7% en 2023, 1% en 2024 et 1,5% en 2025. Les perspectives économiques s’essoufflent. L’Allemagne concentre toutes les craintes avec une entrée quasi certaine en récession cette année. » Jean-Michel Clavié constate que dans ce paysage économique européen, « la France s’en sort plutôt mieux. » À preuve la Banque de France a revu sa prévision de croissance à la hausse par rapport à celle de juin qui était à +0,7%. Elle est passée à +0,9%. « C’est toujours bon à prendre » estime le directeur départemental de la BDF. Il le justifie par trois explications principales.

Un deuxième trimestre dynamique

À commencer par la bonne surprise de ce deuxième trimestre très dynamique avec une croissance de +0,5%, alors que l’on attendait + 0,2%. « Ce n’est pas tendanciel, mais juste un effet de rattrapage sur deux secteurs principaux : le raffinage qui a reconstitué de la production après les grèves du début de l’année. De la même façon, la remise en route de centrales électriques a permis de refaire de la production électrique. » Dans le même temps, les exportations se sont avérées très solides dans le domaine de l’aéronautique et de l’automobile auxquels s’ajoutent le retour des touristes étrangers en France. En revanche, les prévisions de croissance de la BDF sont revues à la baisse pour 2024 passant de 1% à +0,9%. « C’est le fait d’une baisse de la demande extérieure. Reste aussi l’inter­rogation autour du moteur principal de l’économie de la France, la demande intérieure. Comment sera-t-elle l’année prochaine ? Avec le ralentissement de l’inflation, assistera-t-on à un redémar­rage de la consommation ? » Autant de questions sans véritable réponse à ce jour.

Les prévisions pour le dernier trimestre

Jean-Michel Clavié a achevé son tour d’horizon macroéconomique par les prévisions à court terme. Pour le mois de septembre, les chefs d’entreprise anticipent une progression de l’activité. Dans l’industrie c’est le cas pour l’aéronautique et l’automobile, là aussi pour des effets de rattrapage. Néanmoins, la fin d’année est plus floue, plus difficile du fait de carnets de commandes particulièrement bas. Dans les services marchands au contraire l’activité est plus favorablement orientée, mais à un rythme moins soutenu. Un net repli est même prévu dans les activités de loisirs et de services à la personne. Le repli sera de moindre ampleur dans les services de l’édition, les services informatiques ou encore juridiques et comptables. La réparation automobile tire son épingle du jeu et s’affiche à la hausse pour cette fin d’année.

Enfin, l’activité est plus contrastée dans la construction. Le gros oeuvre enregistre une baisse dans le BTP et une hausse dans le second oeuvre avec des carnets de commandes bien remplis et grâce aux travaux de rénovation énergétique. Enfin pour les Travaux publics c’est plus compliqué car ils dépendent plus que jamais de la commande publique.

Pour conclure son panorama macro-économique Jean-Michel craint tout de même une hausse du chômage en 2024 autour de 7,5 voire 7,8% à l’horizon 2025. » Il évoque enfin « le comportement d’épargne des Français. Nous épargnons depuis le début de l’entrée en crise sanitaire à peu près 20% des revenus de notre pays, c’est 5 points de plus que la normale. Comment allons-nous remettre ce surcroît d’épargne dans l’économie ? Quel sera l’impact du coût du financement du crédit dans les prochains mois ?»

Dans le Grand Est : 2022 un bon cru

Didier Fichaux, adjoint du directeur départemental a brossé le tableau de l’activité dans les différents secteurs économiques du Grand Est à partir de l’analyse de près de 30 000 bilans d’entre­prise. Au préalable, il rappelle le poids plus important de l’industrie dans notre région (37, 3%) contre 24,6 % dans l’ensemble du pays. L’industrie affiche, en 2022, une santé insolente avec une hausse du chiffre d’affaires de 17,9% (par rapport à 2021) des entreprises industrielles, avec cependant des effectifs en faible hausse. Des entreprises dont le taux d’investissement baisse, alors que leur taux d’endettement s’est stabilisé.

Les services marchands sont dans la même veine avec une hausse de chiffres d’affaires de 15,8% et un renforcement des effectifs de +5,3%).

La construction affiche un taux de croissance inférieur aux autres secteurs avec +7,2%. Cela tient des « spécificités de son cycle d’exploitation et aux clauses de révisions tarifaires. » Dans ce contexte, les effectifs et la rentabilité évoluent peu.

Le secteur du commerce a vu augmenter son volume d’affaires de 12%. Un secteur qui a poursuivi ses recrutements (+2,6%). Le commerce affiche une rentabilité stable.

2023 en retrait

Didier Fichaux aborde les résultats de l’enquête pour 2023 « une année de ralentissement. Certaines prévisions haussières de début d’année enregistrent une révision prudente. » C’est le cas des ser­vices marchands dont la croissance marque le pas. En revanche, les industriels et les acteurs de la construction confirment voire accentuent leurs attentes initiales. « Dans l’ensemble, 52% des dirigeants anticipent un maintien de leurs rentabilités. »

L’industrie se démarque avec des projections dynamiques à mi-par­cours de cette année : 4,6% revues à +8,1%, ce qui a boosté l’emploi industriel. Un quart des chefs d’entreprise interrogés envisagent du reste une progression de leurs performances : « c’est la proportion la plus élevée de l’ensemble des secteurs. » Et c’est la fabrication de matériels de transport qui se montre le plus dynamique.

Les services marchands, comme annoncé, sont au ralenti à fin juin. Les embauches seront moins nombreuses et surtout les dif­ficultés de recrutement perdurent dans certaines branches. Seuls 13% des dirigeants prévoient une croissance de leurs résultats. Les acteurs du transport et de l’hôtellerie-restauration se montrent moins optimistes qu’il y a 6 mois.

Enfin les acteurs de la construction relèvent leurs prévisions de croissance d’activité de +0,3% à +0,5%. Ils tablent sur des effectifs analogues à 2022 pour y arriver. Cependant le manque de visibilité dans le gros oeuvre et l’attractivité des métiers des travaux publics freinent leur expansion. La majorité des entreprises mise sur une stabilité des marges. Néanmoins, la fin d’année pourrait s’avérer délicate dans le BTP en raison de la conjoncture dans le logement avec la chute dans le neuf. Certaines fédérations de BTP craignent des pertes d’emplois.

Jean-Michel Clavié présente les résultats de l’enquête annuelle révisée en septembre

Bernard KRATZ