Dossier Paru le 10 octobre 2023
119e CONGRÈS DES NOTAIRES DE FRANCE

Les notaires prêts à faire face aux défis de demain

Le 119e congrès des notaires de France a réuni plus de 4 000 des 17 000 notaires de l’Hexagone, à Deauville, venus aborder le sujet central du logement. L’occasion également de faire le point sur l’actualité de la profession avec l’allocution de Sophie Sabot-Barcet, première femme présidente de l’instance nationale.

Patrice Vergriete, ministre chargé du Logement, était présent pour répondre à certaines interrogations de la profession, notamment à propos de rénovation énergétique. De gauche à droite, Patrice Vergriete, ministre chargé du Logement,Yves Delecraz président du 119e congrès et Sophie Sabot-Barcet, présidente du CSN © CSN

Du 27 au 29 septembre, Deauville était la « capitale du notariat français ». Une profession qui a vu son accès modifié par la re­forme de la formation. Alors que deux voies, une universitaire et une professionnelle, permettaient jusqu’à il y a peu d’accéder à la profession, elles sont désormais fusionnées. Alors que le contenu de la formation est paru au Journal officiel, en octobre 2022, ses modalités ont finalement été annoncées le 5 juillet 2023 par décret. Une des belles réussites selon Sophie Sabot-Barcet, présidente du Conseil supérieur du notariat (CSN) depuis octobre 2022. « Cinquante ans, jour pour jour, après le décret fondateur de juillet 1973, quel beau clin d’oeil », s’est-elle exclamée.

Une nouvelle formation

C’est donc une formation de 24 mois, répartie sur trois périodes, que vont suivre dès la rentrée prochaine les futurs notaires, qui sont à la fois « officier public », « expert juridique » et « chef d’en­treprise », a rappelé Sophie Sabot-Barcet. Ce nouveau diplôme mêle « apprentissages académiques et doctrinaux » et « une part essentielle de pratique, la marque de fabrique du notariat français depuis toujours ». Un diplôme « modernisé », « en adéquation avec les aspects essentiels du métier », « simplifié, mais d’un haut niveau d’exigence », a souligné le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. Néanmoins, la présidente du CSN met en garde : « Pour autant, la réforme de la formation initiale est-elle finie ? Je ne le pense pas. » Des amélioration sur la « gouvernance stratégique et opérationnelle » sont encore à apporter, selon Sophie Sabot-Barcet.

Autre réforme, celle de la discipline. Elle a abouti, durant cette année 2023, à la mise en place de dix chambres disciplinaires régionales et une cour nationale de discipline des notaires. Cette dernière a été installée le 23 juin 2023, « au cours d’une séance qui fera date dans l’histoire du notariat », selon la présidente du CSN. Mais la profession attend toujours son Code de déontologie, dont le projet de décret, à l’initiative du CSN, a été soumis dès juillet 2022 au ministre de la Justice. « En janvier 2023, vous m’aviez confié, Mon­sieur le ministre, que le texte serait validé par arrêté au cours du premier semestre », a interpellé Sophie Sabot-Barcet, qui regrette le temps d’étude de l’Autorité de la concurrence (ADLC). « Soyez-en assurés, nous partageons cette attente et avons fait part à nos interlocuteurs de notre souhait de voir aboutir très rapidement les travaux de l’ADLC », a ajouté le Garde des Sceaux.

Autre réalisation, achevée cette fois, l’accès des notaires au fi­chier immobilier. Un chantier qui a abouti à une convention-cadre entre le CSN et l’État, signée en juin 2016 et à la prise en main de nouveaux outils pour l’ensemble de la profession. « C’est un moment historique dans nos liens avec la Direction générale des finances publiques, avec laquelle nous poursuivons des chantiers très porteurs, comme le chantier E-enregistrement », a souligné Sophie Sabot-Barcet.

Acteurs de la médiation

« Le notaire a pour ADN la prévention des conflits », a lancé la pré­sidente du CSN, qui a rappelé l’ambition de la profession, depuis 2018, de donner une vraie place aux notaires dans la médiation. Une ambition soutenue par le ministre de la Justice, qui a rappelé la priorité donnée au développement des modes amiables. « Il est indéniable que les notaires sont d’excellents médiateurs puisqu’ils le sont déjà au quotidien dans leurs études. C’est pourquoi j’ai souhaité que deux de vos confrères notaires représentent la pro­fession au sein du Conseil national de la médiation, que j’ai installé en juin. […] Ce changement de paradigme, de culture, ne pourra pas se faire sans vous ! » a-t-il déclaré.

L’accompagnement des ménages étant au coeur des missions de la profession, le CSN se dit prêt à « aider les Français à relever le défi de la rénovation énergétique », sujet central du congrès sur le thème du logement, afin de l’intégrer « dans leur cycle de vie, dans l’enchaînement de leurs projets ». Sophie Sabot-Barcet a an­noncé le déploiement, à partir de l’an prochain, d’un plan d’action « pour que le conseil en rénovation ne soit plus seulement le fait de spécialistes titulaires de labels, mais pour qu’il s’intègre dans la pratique quotidienne du plus grand nombre d’études possibles. »

Lutte contre la cybercriminalité

Alors que la profession notariale, comme beaucoup d’autres, a accéléré dans la dématérialisation, celle-ci est, par la nature de son activité, encore plus exposée à la cybercriminalité. « Le notariat a été confronté depuis l’été 2021 à une vague d’attaques multi­formes », a constaté Sophie Sabot-Barcet, avec un pic d’attaques sans précédent en 2022-2023. Afin d’assurer la sécurité informa­tique, « le CSN va relever le niveau d’exigence pour la délivrance des agréments, et donc des renouvellements d’agréments, pour les opérateurs qui contribuent à l’élaboration, la transmission et la conservation des actes sur support électronique », a annoncé la présidente de l’instance, qui a demandé à ce que les notaires aient accès au fichier des titres d’identité perdus ou volés. Concernant la lutte contre le blanchiment (LCBFT), la profession s’est félicitée d’être « le premier déclarant de déclaration de soupçons de la sphère non financière » (+45% en un an).

Autre axe de progrès pour la profession : la révision, tous les deux ans, de la carte d’installation voulue par la loi Croissance de 2015. « Un point urticant, voire une source d’exaspération », a lancé Sophie Sabot-Barcet. Et d’ajouter : « Le processus actuel semble frustrer absolument toutes les parties prenantes. » Alors que le dernier avis de l’Autorité de la concurrence a été rendu en juillet dernier pour la période 2023-2025, la profession interpelle sur la méthode. « On ne peut pas établir des projections à six ans, sur un horizon 2029 par exemple, en se fondant sur des éléments d’activité des notaires des exercices 2017 à 2021. 2017-2021 versus 2029 ! », s’est exclamée la présidente du CSN, qui note une régression du chiffre d’affaires des études de France de 10% par rapport à 2022. « Cet avis [de l’ADLC, ndlr] a été, en réalité, perçu par beaucoup comme déconnecté de la situation économique actuelle », a précisé Éric Dupond-Moretti. Et d’ajouter : « L’avis étant désormais rendu, il incombe au gouvernement de prendre ses responsabilités et de se positionner sur la suite à y réserver. »

« Avec le changement d’ère économique et politique que nous connaissons, le passé démarre en janvier 2022 », a appuyé Sophie Sabot-Barcet. Une façon d’affirmer que les notaires sont bien ancrés dans le présent et prêts pour les défis futurs.

Pour faire face à la crise du logement, les notaires veulent innover

L’ensemble des 13 propositions émises par les trois commissions de travail du 119e congrès des notaires de France ont été adoptées lors de leur présentation à la profession du 27 et 29 septembre, à Deauville. Des propositions autour du logement qui connaît actuellement une crise de l’offre et de la demande.

« Nous vivons une crise du logement, grave, importante, qui touche tous les secteurs, mais qui peut être une opportunité pour essayer d’apporter des innovations », a affirmé Patrice Vergriete, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires chargé du Logement, présent au 119e congrès des notaires de France. Une crise de l’offre, présente depuis quelques temps, qui se couple, depuis peu, à une crise de la demande.

Une crise de l’offre à laquelle la première commission de travail a pu apporter quelques réponses avec quatre propositions pour développer cette offre de logement. La profession a, tout d’abord, adopté une proposition qui vise à « faciliter la délivrance des permis de construire », en généralisant la consultation préalable, afin d’éviter les recours par la suite. Ce qui pourrait, en conséquence, réduire les délais d’instruction des demandes de permis de construire.

Les notaires ont émis le souhait de « développer les partenariats entre le public et le privé, notamment par une simplification du droit de la commande publique ». Cette proposition devrait no­tamment permettre de faciliter la prise en compte des besoins des bailleurs sociaux lorsqu’ils achètent en VEFA (vente en l’état futur d’achèvement).

Bureaux et pavillons, nouvelles sources de production de logements ?

Le secteur de l’immobilier a subi les effets du Covid et du déve­loppement du télétravail. Ainsi, les millions de mètres carrés de bureaux vides sont autant de mètres carrés qui pourraient devenir des logements. Les notaires se sont donc emparés de ce sujet et ont proposé de « créer un régime de la construction réversible ».

Le tissu pavillonnaire est apparu comme une autre source de pro­duction de logements pour la profession. Elle a proposé de favoriser la mise en concordance des cahiers des charges de lotissement, documents contractuels privés et modifiables uniquement à l’una­nimité, avec la réglementation d’urbanisme en faveur du logement.

Vers un statut fiscal du bailleur privé global, cohérent et attractif

Le statut du bailleur privé a été au coeur des propositions de la deuxième commission, toutes entendues par le ministre délégué au Logement qui « partage l’objectif final pour bien accompagner le bailleur », mais qui souhaite l’atteindre par « petites touches ».

La première proposition vise à « créer un statut fiscal du bailleur privé, global, cohérent et attractif » avec, entre autres, le choix laissé au bailleur d’opter pour le statut de loueur professionnel ou de particulier, et surtout, la fin du distinguo entre location nue ou meublée. Le statut de loueur immobilier professionnel ne serait donc plus réservé aux loueurs en meublé.

Pour en finir avec l’inégalité de traitement fiscal de la performance énergétique, les notaires ont adopté une proposition permettant d’étendre la possibilité d’imputer, sur son revenu global, le déficit de revenus fonciers provenant de la réalisation de travaux de ré­novation énergétique aux logements loués meublés et logements neufs. Actuellement, cela est permis uniquement pour le parc locatif ancien loué nu, par la loi de Finances 2023.

L’axe solidaire a également été abordé avec une proposition adop­tée pour « généraliser », par une simplification des conditions, le dispositif fiscal Loc’Avantages. Un dispositif, méconnu, favorable à la location sociale ou intermédiaire permettant aux propriétaires, qui ont signé une convention avec l’Agence nationale de l’habitat (Anah), de bénéficier d’une réduction d’impôt.

Pour favoriser l’accession à la propriété, les notaires ont présenté une proposition pour « simplifier » deux des trois droits de préemption du locataire (celui résultant du congé pour vente et celui décou­lant de la vente d’un immeuble entier) et « supprimer le droit de préemption du locataire en cas de première vente après division ».

Maintenir dans le temps les décotes pour tous les modes d’accessions aidés

Par ailleurs, toujours dans cet objectif, les notaires veulent « péren­niser les décotes » dont bénéficient les premiers accédants dans les modes d’accessions aidés. Cette décote se faisant uniquement au profit du premier accédant, ce dernier peut réaliser d’importantes plus-values dès la première revente, au prix du marché. Ainsi, pour faire en sorte que le bien reste sur le marché du logement intermédiaire, les professionnels ont émis le souhait de créer un régime juridique commun à tous les modes d’accessions aidés (hors BRS, bail réel solidaire).

Protéger les logements des chefs d’entreprise et des aînés

Après l’accession, vient la protection. La troisième commission s’est intéressée à trois profils distincts : le chef d’entreprise, les aînés et la famille. Pour le chef d’entreprise, les notaires ont adopté une proposition visant à « étendre aux dirigeants de sociétés le béné­fice de l’insaisissabilité automatique de la résidence principale », une protection déjà mise en oeuvre pour l’entrepreneur individuel.

Pour le logement des aînés, la monétisation de l’immobilier apparaît comme un levier pour le financement de la dépendance, notam­ment à travers la solidarité familiale. La profession a émis le souhait de « repenser les solutions viagères dans le cadre familial ». Tout d’abord, les notaires ont proposé la modification de la nature de la présomption, dans l’article 918 du Code civil. Mais aussi, d’élargir le champ du prêt viager hypothécaire (PVH), qui n’a pas rencontré le succès escompté, à tout bien immobilier, quelle qu’en soit la destination. Concernant le logement de la famille, les notaires ont émis le souhait de rétablir l’esprit de l’article 215 - alinéa 3.

La rénovation énergétique, un sujet central

La rénovation énergétique du logement s’est invitée comme sujet majeur de ce congrès, mis en avant par Sophie Sabot-Barcet lors de la séance solennelle et par Patrice Vergriete. « La transition écologique n’est pas une option », a martelé le ministre délégué au logement. Il a par ailleurs indiqué que le report de l’échéance de l’interdiction de mise en location des logements énergivores (classés G), dès 2025, n’était pas envisagé.

Alors que l’on compte 5,2 millions de passoires énergétiques (logements classés G ou F) en résidence principale en France (soit 17% du parc), les notaires ont présenté une proposition sur l’accélération de la rénovation énergétique des copropriétés. Ainsi, la profession a apporté des solutions de financement de ces travaux coûteux grâce au tiers financement, soit par les baux réels (réhabilitation et solidaire), soit par les contrats de performance énergétique (CPE). Cela permettrait aux co­propriétaires d’avoir une solution clés en main proposée par un groupement d’opérateurs, qui assure les résultats, avec un financement étalé dans le temps.

Cette proposition commune aux trois commissions sera, comme toutes les autres, soumise aux pouvoirs publics.

Chloé GUEROUT