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Dossier Paru le 27 octobre 2023
LA JUSTICE RESTAURATIVE

Pour sortir des impasses de la logique punitive et humaniser la société

En avril dernier, le film « Je verrai toujours vos visages », réalisé par Jeanne Herry a mis en lumière la justice restaurative. Une mesure qui permet aux victimes et aux agresseurs de se rencontrer dans un cadre particulier. Depuis 2014, la loi permet aux personnes concernées par une infraction d’être informées sur leur droit de participer à des mesures de justice restaurative. Lorsque certaines questions demeurent sans réponse après une infraction, les mesures de justice restaurative offrent l’opportunité aux personnes volontaires, qu’elles soient victimes ou infracteurs (auteurs des faits), de bénéficier d’un espace d’écoute et de dialogue, respectueux de leurs droits et de leurs choix.

La justice restaurative, comme complément à la peine légale

Actuellement, la façon dont le système juridique et pénal occidental (justice punitive) considère la justice a beaucoup de points forts. Mais ce système rencontre aussi ses limites et connaît des échecs, car les victimes, les infracteurs (auteurs des faits) et les membres des sociétés qui les entourent, ont souvent le sentiment que leurs besoins respectifs ne sont pas pris en compte. Quant aux pro­fessionnels de la justice (juges, avocats, procureurs, contrôleurs judiciaires, personnels pénitentiaires), ils expriment fréquemment une certaine frustration. Beaucoup de ces acteurs estiment que le processus inhérent à la justice pénale aggrave les blessures et les conflits au sein de la société, plutôt que de contribuer à les guérir et à restaurer la paix. C’est là que la justice restaurative se positionne comme une alternative, pour prendre en compte les besoins des personnes. Cette mesure de justice restaurative, pratique complé­mentaire au traitement pénal de l’infraction, vise à restaurer le lien social endommagé. Elle s’appuie sur le dialogue entre personnes se reconnaissant victimes et auteurs d’infractions – qu’il s’agisse des parties concernées par la même affaire ou non – et a pour objectif la recherche de l’amendement du condamné, associée à celle du mieux-être de la victime (directe ou indirecte). L’objectif ? Inciter les personnes auteures d’infractions à la prise de conscience de leur acte et à un sentiment de responsabilisation, et permettre aux victimes de se reconstruire après le traumatisme vécu, tout en intégrant la notion de réparation sociale.

Répondre aux besoins de la victime, plutôt que de punir l’auteur des faits

La justice restaurative a pour vocation de réintégrer la victime, l’infracteur et la communauté dans un processus élargi de réparation. Elle vise à réparer les relations entre la victime, l’infracteur et leur environnement social. Il s’agit de donner, à l’auteur des faits, l’occasion de comprendre ses actes et d’en assumer le poids, et de lui permettre parfois d’éviter sa désocialisation. Quant à la victime, cette façon d’envisager le processus de la justice lui offre d’y prendre une part active, et ainsi de reconstruire ce qui peut l’être, au sein d’une communauté qui la soutient.

Par contre, et ce point est important, la justice restaurative n’est pas destinée en premier lieu à susciter le pardon ou la réconciliation, ni à prévenir la récidive. Elle n’est pas non plus une médiation, visant à trouver un accord suite à l’infraction, et elle n’apporte aucun bénéfice pénal à l’auteur des faits. Elle vient compléter l’éventuelle sanction judiciaire.

Cette procédure est préconisée dans les cas d’infractions mineures ou commises par des primo-infracteurs, mais également dans le cas d’affaires plus graves.

La justice restaurative a pour seul objectif d’offrir, à toutes les per­sonnes concernées par le crime, un espace de dialogue sécurisé et respectueux de tous ceux qui y participent.

Une démarche sécurisée et encadrée

Des mesures de justice restaurative sont proposées depuis 2014 en France à des victimes de vols, de viols et aux auteurs d’infraction afin de dialoguer dans des dispositifs sécurisés. Ces lieux sont encadrés par des professionnels et des bénévoles. Pour pouvoir participer à une démarche de justice restaurative, l’auteur des faits doit admettre au moins une certaine responsabilité pour l’infraction commise. L’objectif est de mettre en contact les victimes et les agresseurs, afin que l’infracteur se rende compte du mal qu’il a pu faire, et que la victime mette un visage sur l’auteur de l’acte. La rencontre se fait généralement après le procès. Elle est proposée à la victime. Lors de cette rencontre, les victimes ont l’occasion d’exprimer l’impact détaillé de l’acte criminel sur leur vie, de re­cevoir des réponses aux questions qui les hantent sur les faits et de participer à la mise en responsabilité du criminel pour ses faits et gestes. Les criminels peuvent raconter l’histoire du « pourquoi du crime » et quel effet il a eu sur leur vie. En amont, un travail individuel de préparation permettra aux personnes impliquées de décider si elles souhaitent communiquer ou échanger et sous quelles modalités.

Plusieurs garanties sécurisent ces dispositifs : la reconnaissance des faits, la possibilité d’arrêter le processus à tout moment, l’ac­compagnement des participants par des intervenants formés et la confidentialité des échanges.

Le déroulement d’une séance

La rencontre directe, en face-à-face, est préparée au préalable. Parfois, cette préparation peut durer un an, mais elle est indispen­sable, car on ne peut pas mettre une victime face à son agresseur, du jour au lendemain.

Quant à la rencontre, elle peut prendre différentes formes : rencontre entre victime et agresseur, réunion du groupe familial, cercle... La confidentialité et la sécurité sont garanties. Une rencontre permet à la victime de mettre un visage sur son agresseur, et inversement. Mais aussi de poser des questions directement, et de négocier la façon de redresser les torts subis. L’auteur des faits peut ainsi en­tendre, commencer à comprendre les effets qu’ont eus ses actes, et cela permet l’émergence d’une responsabilisation.

Concrètement, la victime et l’infracteur sont reçus individuellement, avant la rencontre. Ensuite, après avoir donné leur accord, la vic­time, son agresseur et l’animateur se retrouvent autour d’une table. Le facilitateur (animateur formé en justice restaurative) prépare et dirige la réunion : il veille à l’équilibre de la procédure. Les membres des familles des victimes ou des infracteurs peuvent également participer, mais leur rôle et leur soutien sont secondaires. Une rencontre indirecte est parfois plus judicieuse. Elle se fera sous la forme d’une lettre, d’un échange de vidéos, ou par la représentation par un tiers de l’un des interlocuteurs.

Parfois, la victime est indisponible ou ne souhaite pas prendre part au processus, alors que l’infracteur s’engage à tenter de comprendre ce qui s’est passé et à prendre ses responsabilités. Dans ce cas, des programmes spécifiques ont été développés : la rencontre est proposée avec des victimes d’autres infractions, pour qu’elles soient entendues et que l’on puisse s’inspirer d’actes de réparations symboliques proposés par elles. Dans ce cas, il s’agit d’un groupe constitué de victimes, d’infracteurs et de représentants de la société, encadré par deux animateurs en justice restaurative.

Le processus de reconstruction de la victime

La justice restaurative est un outil offrant la possibilité de faire prendre conscience à l’auteur des faits, les conséquences de son acte. Pour la victime, cette méthode lui donnera le sentiment d’avoir été entendue dans sa souffrance, et facilitera le processus de réparation psychologique, suite au traumatisme vécu. Les vic­times ont des besoins essentiels : elles ont besoin de recevoir des réponses à leurs questions ! Pourquoi l’infraction a été commise, que s’est-il passé ? Pour se reconstruire, guérir ou transcender le traumatisme, la victime doit pouvoir raconter ce qui s’est passé, ce qu’est devenue sa vie. Par ailleurs, les victimes ont très souvent le sentiment que tout contrôle sur leur propre vie leur a été enlevé : contrôle sur leurs possessions, leurs corps, leurs émotions, leurs rêves..., car le traumatisme bouleverse leur vision du monde et d’elle-même, leur façon de concevoir leur propre vie et d’en parler. Outre le besoin de réparation matérielle, la victime est en attente de réparation symbolique, c’est-à-dire des excuses. Et c’est sans doute ce qui incite la victime à faire appel à la justice restaurative. Le désir de montrer à son agresseur les conséquences de son acte et les effets engendrés, mais aussi de pouvoir lui crier toute sa colère, sa vie volée, sa frustration, sans être jugée par la société. Le besoin de voir l’auteur des faits comme un être humain, et non plus avec sa toute puissance d’agresseur, libère l’emprise qu’il a sur la victime, et lui permet d’atténuer sa peur et ses angoisses. Essayer de comprendre l’élément déclencheur peut aussi être rassurant. Puis, un sentiment s’installe vis-à-vis de l’agresseur.

Un risque existe toutefois lorsque la victime est altruiste, a de l’empathie envers son agresseur, ou le désir de le faire changer. Car dans ce cas, la victime peut initier cette démarche en se disant que si l’agresseur ira mieux, il n’aura plus ce besoin d’agresser. Cette démarche n’est pas le but de la mesure de justice restaurative.

Pendant tout ce processus (de la préparation à la rencontre), un long cheminement se fait pour la victime et ses proches. Cette démarche rouvre des blessures anciennes, et parfois amène l’en­tourage à parler de l’agression, sur lequel un « couvercle » avait été mis, et ainsi à libérer les non-dits.

La prise de conscience de l’infracteur, contre la récidive

La responsabilisation de l’infracteur est également au cœur de la réflexion. Contrairement au processus du débat contradictoire – qui impose aux infracteurs de se préoccuper uniquement d’eux-mêmes dans le cadre de leur défense – le concept de la justice restaurative s’attache à faire comprendre aux infracteurs les conséquences de leurs actes, et les encourage à ressentir de l’empathie envers les victimes. Les auteurs des faits ont également des besoins spéci­fiques. Si la société attend d’eux qu’ils prennent leurs responsa­bilités, il va de soi que leurs besoins doivent être pris en compte : la possibilité d’être soigné (en cas d’addiction), le traitement des traumatismes qui ont conduit au comportement délictuel...

L’infracteur, lorsqu’il accepte de rencontrer la victime, a souvent envie de lui faire comprendre qu’il n’est pas seulement un agresseur, mais qu’il a aussi une vie, avec une mère qui l’aime, une com­pagne, peut-être des enfants... Qu’il n’est pas un monstre. L’envie d’expliquer quel garçon il était ce jour-là, ce jour de l’agression. D’expliquer son vécu qui l’a amené à commettre cet acte (parfois il a subi lui-même des violences) et ses démarches pour sortir de son cercle de violence...

Est-ce que cette démarche répare leur côté victime ? Difficile de l’affirmer. Mais parfois, une main tendue fait la différence.

Le rôle implicite de la société

Les membres des différentes communautés ont des rôles importants à jouer et peuvent également avoir des responsabilités à l’égard des victimes, vis-à-vis des infracteurs et envers elles-mêmes. Car c’est la société dans son ensemble qui a un rôle ! Au Canada, où la justice restaurative est systématiquement appliquée aux infracteurs mineurs, et en impliquant les différents organismes et associations, la récidive a significativement baissé.

Pour le magistrat, lors de la mise en place de la mesure de justice restaurative, il y a lieu de toujours rester vigilant : « que cherche l’auteur des faits quand il accepte ou demande à voir sa victime ? Soit l’un est sincère et l’autre non, et dans ce cas la mesure est un échec et les dégâts sont considérables. Soit les deux sont sincères, et dans ce cas c’est une démarche intéressante. Sonder les âmes, c’est vraiment difficile ! ».

Le rôle central de l’animateur en justice restaurative

L’animateur, spécifiquement formé à ce type de médiation, est chargé de préparer la victime et l’infracteur avant la rencontre. Cette démarche est longue, elle se déroule souvent sur plusieurs mois. Elle va réveiller des souvenirs douloureux, parfois aussi au­près de l’entourage, qui ne va pas forcément comprendre l’intérêt de cette rencontre. Il faut aussi envisager le pire, par exemple la frustration de n’avoir pas pu dire ou obtenu ce qui était attendu. La justice restaurative est un enjeu pour les médiateurs présents pendant les rencontres, qui se doivent de ne pas interférer, de ne pas juger, mais aussi de créer un espace sécurisé d’expression des émotions. Leur intervention doit être ponctuelle, ou réclamée par l’un des protagonistes. La justice restaurative offre un espace confidentiel, sécurisé et volontaire, de paroles et d’échanges sur les ressentis, les émotions, les attentes de toutes les personnes (auteurs, victimes, société civile) concernées par l’infraction et ses répercussions.

Si vous avez commis ou subi une infraction, et que vous souhaitez participer à une mesure de justice restaurative

Contactez les associations d’aide aux victimes. Pour le Bas-Rhin : SOS France Victimes 67 : 15 rue Schulmeister, 67100 Strasbourg, tél 03 88 79 79 30, courriel : secretariat@sosfrancevictimes67.org, site internet : www.sosfrancevictimes67.org

Ou contactez la coordinatrice IFJR pour le département Nord-Est : Héloïse Squelbut Tél 06 08 99 80 44 – courriel : coordination.nord-est@justicerestaurative.org. Plus d’information sur le site internet de IFJR : www.justicerestaurative.org

La justice restaurative au niveau mondial

La justice restaurative trouve ses origines dans les traditions culturelles et religieuses, notamment chez les peuples autochtones d’Amérique du Nord et de Nouvelle-Zélande. Puis, elle a commencé à se développer dans les années 1970, à partir d’expériences menées dans plusieurs communautés composées d’un nombre important de membres mennonites, aux États-Unis et au Canada. Depuis, elle a trouvé sa place, parfois de manière expérimentale, dans plusieurs pays. Toutefois, depuis 1989, la Nouvelle Zélande l’a totalement intégrée dans son système juridique de traitement de la délinquance juvénile. De nombreux pays ont adopté des méthodes fondées sur la justice restaurative dont le Canada, l’Angleterre, l’Australie, l’Écosse, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, les États-Unis, le Japon, la Belgique. En France, la justice restaurative peine à trouver sa place.

Différentes mesures de justice restaurative sont possibles

Il existe plusieurs modalités de rencontre :

• La médiation restaurative :

Elle consiste en un processus de dialogue, pouvant consister en une rencontre en face-à-face ou sous forme de lettre ou de vidéo, en présence d’un animateur, entre la personne qui a été victime d’une infraction et la personne qui en a été l’auteur. Elle leur offre l’opportunité de discuter des conséquences et des répercussions du crime commis ou subi, en toute confidentialité. Ce processus de dialogue, intervenant après une préparation adaptée, respecte le rythme de chacun, indépendamment de la procédure pénale.

• Les Rencontres Détenus-Victimes (RDV)/Condamnés- Victimes (RCV) :

Les Rencontres Détenus-Victimes (RDV) invitent un groupe de personnes détenues et un groupe de personnes ayant été victimes d’une infraction (quatre personnes minimum respectivement), qui ne sont pas concernées par la même affaire, à se rencontrer. À l’occasion de cinq rencontres plénières et d’une rencontre bilan, les participants abordent les répercussions consécutives à l’infraction dans leurs vies respectives. Ces rencontres peuvent également avoir lieu en dehors de la prison, entre un groupe de personnes condamnées, et un groupe de personnes victimes. Il s’agit alors de rencontres Condamnés-Victimes (RCV).

• La conférence restaurative :

Elle propose, en plus du face-à-face entre la personne victime et la personne auteure de l’infraction, la participation des proches et personnes de confiance de chacune d’entre elles. Elle permet ainsi d’envisager les modalités du soutien que l’environnement familial et social est susceptible d’apporter aux participants.

• Le cercle restauratif :

Ce cercle, de nature originale, apparaît particulièrement adapté lorsque l’action publique n’est pas envisageable (prescription des faits, faits non suffisamment constitués, ordonnance de non-lieu, jugement de relaxe ou arrêt d’acquittement). Il s’agit d’offrir un espace de parole à celles et ceux qui, face à de telles situations légitimes en soi, se posent néanmoins les questions du « pourquoi » et du « comment », de nature à perturber leur vie personnelle et sociale aussi longtemps qu’elles n’auront pas été posées.

• Les Cercles de Soutien et de Responsabilisation (CSR) :

Les Cercles de Soutien et de Responsabilisation (CSR) sont exclu­sivement réservés aux personnes ayant commis des infractions à caractère sexuel, isolées socialement avec un risque de récidive élevé.

Ils se déroulent après leur sortie de prison, quel qu’en soit le régime (semi-liberté, libération conditionnelle).

• Les Cercles d’Accompagnement et de Ressources (CAR) :

Les Cercles d’Accompagnement et de Ressources (CAR), quant à eux, concernent les personnes ayant commis des infractions de toute autre nature que sexuelle : crimes contre les personnes, les biens, notamment. Ils visent à accompagner le bénéficiaire vers la reconquête de son autonomie personnelle et sociale en présence de 3 ou 4 personnes appelées « bénévoles de la communauté » et d’un coordinateur.

La justice restaurative s’est développée à la demande du garde des Sceaux [NDLR : en mars 2017, Jean-Jacques Urvoas, ministre de la justice, a adressé à l’ensemble des magistrats, une circulaire relative à la mise en œuvre de la justice restaurative].

Quelques références légales

La loi du 15 août 2014 est venue consacrer la justice restaurative dans l’article 10-1 du sous-titre II du titre préliminaire du livre Ier du code de procédure pénale concernant les principes fondamentaux gouvernant le déroulement de toutes les procédures pénales, et l’a décliné au stade de l’exécution de la peine dans l’article 707 de ce même code.

Au niveau européen, la justice restaurative est mentionnée dans la directive 2012/29UE du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité, dont la transposition a été réalisée par la loi du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne.

La circulaire du ministre de la justice du 15 mars 2017 a clarifié l’articulation entre la justice pénale et la justice restaurative. Elle a précisé le cadre normatif, défini les principes et les conditions de mise en oeuvre de la mesure de justice restaurative, ainsi que les modalités concrètes de contrôle et de mise en oeuvre du dispositif à tous les stades de la procédure. En outre, elle a prévu la mise en place d’un comité national de justice restaurative (CNJR), piloté par le SADJAV (Le service d’accès au droit et à la justice, et de l’aide aux victimes), chargé d’évaluer la pertinence des formations proposées et d’expertiser les dispositifs (instance composée de la DAP, de la DPJJ et de la DACG). Le CNJR se réunit donc régulièrement, en vue d’un partage d’informations et d’élaboration d’axes méthodologiques conjoints, afin d’accompagner le développement de la justice restaurative conformément aux orientations souhaitées par le ministère.

L’Institut Français pour la Justice Restaurative intervient au niveau national

L’Institut Français pour la Justice Restaurative (IFJR) est une organisation dédiée à la promotion de la justice restaurative, à l’aide au développement de programmes de justice restaurative et à la mise en oeuvre de dispositifs de dialogues restauratifs. Théophile Levesque, assistant coordinateur de l’antenne Nord-Est, nous présente les missions de cet organisme.

Quel est le volume de médiation de justice restaurative au niveau national ?

Théophile Levesque : L’IFJR est référente de l’action de justice restaurative au niveau national. Nous avons quatre antennes, ré­parties sur l’ensemble de la France. L’antenne Nord-Est s’étend sur 25 départements.

Sur l’année 2023, au niveau national, 69 médiations restaura­tives (rencontres victimes avec leurs agresseurs) ont été menées par l’IFJR ou sont encore en cours [il y en a eu 49 en 2022]. Et 44 rencontres en groupe : détenus-victimes/condamnés-victimes ont été organisées [contre 9 rencontres en 2022].

Lorsque nous informons les personnes de l’existence de la jus­tice restaurative, nous sommes très largement sollicités. À titre d’exemple, dans la Somme, nous avons monté un projet et nous avions besoin d’une personne pour constituer un groupe de mé­diation, suite au désistement d’une victime. Nous avons contacté 150 personnes qui avaient été suivies par l’association d’aide aux victimes, et 50 d’entre-elles ont répondu positivement en indiquant souhaiter intégrer le groupe. La demande de la part des victimes est forte !

Le nombre d’actions est inégal, en fonction des territoires. Aujourd’hui, même s’il y a une volonté nationale de mettre en place un programme de justice restaurative à l’échelle de l’État, elle dépend, pour différentes raisons, du dynamisme de chaque service. Donc, si une institution veut mettre en place ce dispositif, cela lui coûte beaucoup du point de vue humain, car rien n’est systématisé au niveau du fonctionnement et de la coordination des instituts, et ce, même si nous avons un recul au niveau des expériences menées au niveau national et que nous accompagnons les gens. Il faut inévitablement innover et partir de zéro pour chaque nouveau programme, car il n’y a pas de service dédié aujourd’hui, comme on peut l’avoir dans d’autres pays. De fait, ces institutions chargées de sa mise en œuvre, déjà surchargées, prennent encore cette mission supplémentaire. C’est énergivore et chronophage, mais ce travail a l’avantage de reposer sur des professionnels qui ont déjà une expérience par ailleurs.

Quels sont les moyens de communication employés pour faire connaître cette mesure, lorsqu’elle est active dans une ville ou un département ?

T.L. : Il n’existe pas de méthode type. L’information auprès des justiciables se fait essentiellement par le biais des institutions concernées. Mais tout est modulable. L’IFJR consacre une grande partie de son action à sensibiliser et développer l’information auprès des différents partenaires, afin de lever des leviers. Il faut recon­naître que la loi est assez floue, d’où l’importance d’apporter des précisions et de répondre aux questions. Le film « Je verrai toujours vos visages » de Jeanne Herry a également beaucoup aidé à faire connaître le fonctionnement de ce dispositif. La réalisatrice a été accompagnée par ma collègue Noémie Micoulet – qui avait déjà aidé Maiana Bidegain dans le cadre du documentaire « Rencontre avec mon agresseur » – pour comprendre le fonctionnement de la justice restaurative. D’ailleurs Jeanne Herry a suivi trois fois la formation d’animatrice en justice restaurative : en tant que stagiaire, puis en tant qu’observatrice, et une troisième fois dans le cadre de la validation du statut d’animatrice. De fait, la réalisatrice Jeanne Herry a elle-même le statut d’animatrice de justice restaurative.

Beaucoup de scènes du film sont inspirées de faits qui se sont réellement produits, lors de médiation de justice restaurative. Ce n’est pas romancé, mais véritablement mis en scène avec réalisme. La réalisatrice avait envie de montrer ce qui se passe réellement, lors des rencontres détenus-victimes en justice restaurative. À la fin du film, toutes les personnes se remercient et s’entraident, mais ne se pardonnent pas forcément. Certes, la scène est très démonstra­tive, mais cela peut réellement se passer ainsi. D’autres fois, c’est moins démonstratif, cela dépend du caractère des participants.

Y a-t-il un accompagnement continu des institutions partenaires ?

T. L. : L’IFJR est présent du début à la fin de la mise en place du programme de justice restaurative. Nous avons trois missions. La première est de former les animateurs (durée de la formation : une semaine). À ce moment-là nous sommes déjà dans l’échange et le retour de pratique. La seconde mission est axée sur l’accompa­gnement des territoires souhaitant mettre en place un programme de justice restaurative. Mais aussi sur les actions d’information et de sensibilisation. Par la suite, plus les territoires sont engagés, plus ils deviendront indépendants. Et lorsqu’ils sont autonomes, nous sommes de moins en moins présents. Notre troisième mission est la supervision des animations, sur l’aspect technique. Nous accompagnons les animateurs dans les situations nouvelles, ou lorsqu’ils souhaitent un point de vue éclairé. Nous sommes aussi amenés à pallier l’absence d’animateur, lorsqu’il y a une demande de médiation de justice restaurative. J’essaye de leur apporter l’expérience nationale et l’expérience de mon antenne, de leur indiquer ce que l’on fait ailleurs, ce qui peut être mis en place, notamment pour apporter une harmonisation au niveau national.

La justice restaurative est un droit pour tous !

Quelques exemples d’expériences menées sur le territoire (source IFJR) :

- Dans l’Ain, un groupe « justice restaurative de l’Ain » composé de psychologues, juristes d’association d’aide aux victimes et de conseillères pénitentiaires d’insertion et de probation s’est formé. En 2022, ce groupe a pu mettre en œuvre 12 médiations restauratrices. 68% des demandeurs sont des auteurs : 9 pour agressions sexuelles, 2 pour vols avec violence, 1 tentative d’assassinat.

- Dans l’Hérault, le premier Cercle de Soutien et de Responsabilité (CSR) a vu le jour en 2016. Il a été le fruit d’un travail partenarial entre le SPIP et l’AAV (association d’aide aux victimes). Depuis, le SPIP a pu également mettre en oeuvre 3 Rencontres Condamnés-Victimes (RCV). L’intervention d’un CPIP (Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) et d’un bénévole, lors de cette table ronde, a permis aux participants de comprendre les enjeux, le cadre d’intervention et la place des bénévoles dans les mesures de justice restaurative.

- Dans le Vaucluse, les Rencontres Détenus-Victimes (RDV) et les Rencontres Condamnés-Victimes (RCV) sont conduites notamment dans le cadre d’infractions d’homicide volontaire et les tentatives d’homicide. Un groupe projet a été constitué dans lequel s’investissent chacun des binômes (SPIP/AAV) pour informer et accompagner les participants. L’expérience de la mise en oeuvre de 7 dispositifs de justice restaurative a permis à la CPIP et l’administrateur de France Victime 84, également membre de la communauté, de démontrer aux professionnels qu’au-delà des bénéfices pour les participants, la justice restaurative favorise l’enrichissement et l’évolution des pratiques professionnelles.

Sources

– Film : « Je verrai toujours vos visages », film dramatique français écrit et réalisé par Jeanne Herry, sorti en 2023 : Ce film montre les rencontres entre des hommes condamnés et des victimes, ainsi que toute la préparation à ces rendez-vous, qui fait partie intégrante du processus des mesures restauratives

– Film documentaire : « Rencontre avec mon agresseur » de Maiana Bidegain, co-réalisé avec Sébastien Koegler. Produit par Mélissa Theuriau. Ce documentaire retrace le parcours d’une victime faisant appel à la justice restaurative pour rencontrer son agresseur.

– Livre « La justice restaurative » de Howard Zehr : Éditions Labor et Fides – 98 pages. L’auteur enseigne la justice restaurative à l’Université mennonite* d’Harrisonburg en Virginie (États-Unis). Consultant et conférencier, il a notamment accompagné le travail des avocats de la partie civile lors du procès de l’auteur de l’attentat d’Oklahoma City en 1997, en vue d’une meilleure prise en compte des besoins des victimes. Dans ce livre, le fondateur de la justice restaurative explique les grandes lignes de sa philosophie. Il en présente de façon synthétique le concept.

* Le mennonisme, parfois nommé mennonitisme, est un mouvement chrétien anabaptiste évangélique issu de la Réforme radicale. Ce mouvement a des croyances spécifiques, comme le rejet de la violence et le refus de l’usage d’armes contre les humains.

CH. BE