Dossier Paru le 21 novembre 2023
COLLOQUE

ENFANCE ET RÉSILIENCE

SOS France Victimes 67, association de la ville de Strasbourg a organisé ce colloque pour aborder les violences sexuelles et intrafamiliales subies par les mineurs et pour pouvoir parler de l’accompagnement des victimes mineures.

Ce colloque a été organisé grâce au soutien de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg dans le bâtiment de l’ERAGE de la ville de Strasbourg, ce qui a permis que non seulement de nombreux avocats s’y inscrivent mais aussi y participent et que des futurs avocats viennent rechercher des informations sur ce thème dont ils vont devoir s’occuper durant toute leur carrière.

Il est important assurément de relever que beaucoup de personnes étaient présentes, ce qui permet de remercier l’association SOS France Victimes 67 d’avoir choisi ce thème, association dont il a été récemment question dans Les Affiches d’Alsace et de Lorraine qui a publié le dossier « La justice restaurative » le 27 octobre 2023 (n° 86, p. 4) et le dossier « Saverne, le seul tribunal bas-rhinois pro­posant la mesure de mesure de justice restaurative le 31 octobre 2023 (n° 87, p. 4) en notant que cette association est bien porteuse du projet « Justice restaurative » dans le cadre d’une convention signée avec le tribunal judiciaire de Saverne. Cela permet de mieux répondre aux besoins des victimes, ce qui fait partie des objectifs visés par cette association.

Elle s’occupe effectivement de l’ensemble des victimes quelles que soient les formes de violences, mais lors de ce colloque, ainsi que l’a présenté André Laurent, président de l’association, l’accent a été mis sur les victimes mineures et sur les violences qu’elles subissent malheureusement au sein de leur famille, à savoir les violences intrafamiliales et sexuelles. Différents thèmes ont été abordés lors de ce colloque pour montrer l’importance des violences et leur pluralité.

Zoom sur les travaux de la CIIVISE

En vue de creuser cette thématique, après les discours d’accueil mettant l’accent sur la nécessité de bien accompagner les victimes et de tenter de prévenir les violences, tout en reconnaissant les droits de l’enfant et en prenant soin non seulement des enfants mais aussi des personnes qui leur viennent en aide, la parole a été donnée à un représentant de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), créée en 2021.

Ses membres estiment que la gravité des cas d’abus sexuels ou d’inceste n’est pas suffisamment prise en compte en France et qu’il faut insister sur les protections à mettre en place, à la fois pour les femmes et les enfants. Lors de son intervention à l’occasion du col­loque, Arnaud Gallais, co-fondateur du collectif Prévenir et protéger a mis l’accent sur la multitude de violences sexuelles à l’égard des mineurs (auteur du livre « J’étais un enfant », Flammarion, 2023).

En effet un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles en Europe, 160 000 enfants étant repérés chaque année par le Conseil de l’Europe, sachant que les enfants en situation de handicap sont les plus exposés. Il a noté également une augmentation de 16 % des violences intrafamiliales, regrettant que beaucoup de viols sur mineurs fassent l’objet de plainte, sachant toutefois que 73 % des plaintes sont classées sans suite. Dans le cadre des violences sexuelles il faut certes parler d’inceste mais ne pas oublier non plus les problèmes liés à la prostitution et à l’excision. Pour aider les mineurs, il importe en outre de bien leur donner la parole et de prendre en compte leurs sentiments et notamment les troubles psychologiques dont ils souffrent. Il faut aussi mieux soutenir les mères car beaucoup d’entre elles ne dénoncent pas les drames vécus en famille et, au fil du temps, on a noté que 330 000 enfants avaient été victimes de viols ou d’agressions sexuelles de 1950 à 2020, mais que 90 % des dossiers étaient déjà prescrits lorsque ces drames ont été connus. Il faut à la fois demander aux parents de dire la vérité mais aussi aux frères et soeurs de témoigner tout en mettant des actions préventives en place. Il importe de proposer aux victimes un accompagnement efficace et adapté à leur situation.

Grâce à cette intervention, l’accent a été mis sur l’ampleur des violences sexuelles et leurs retombées tout au long de la vie de l’intéressé, sans oublier ses problèmes de santé et sur la nécessité de mieux sanctionner les agresseurs. Il importe de sortir du huis clos familial et de tenir compte d’un problème de santé publique. Il faut vraiment aider les jeunes victimes car beaucoup d’entre elles souffrent de dépression, de troubles alimentaires, de conduites addictives, de psycho traumatisme et certaines ont même fait des tentatives de suicide. C’est essentiel aussi pour leur permettre de grandir et de créer de nouvelles familles avec des relations affec­tives et sexuelles. Afin de les aider, il convient de plus de rappeler que tous les professionnels doivent mettre en place le repérage des violences sexuelles et ensuite être auteurs de signalements. Pour ce faire, une campagne nationale sur les violences sexuelles faites aux enfants a été organisée. Il faut que les choses avancent car, si les victimes prennent la parole c’est pour avoir des soutiens mais aussi des réponses, aussi est-il fort dommage que parfois les avocats ou les policiers ne les entendent pas.

La prise en charge médico-psychologique de l’enfant victime de violences sexuelles et intrafamiliales

Julie Rolling, pédopsychiatre et chef de clinique aux hôpitaux uni­versitaire de Strasbourg (HUS) a ensuite mis l’accent sur les tristes retombées des différentes formes de violences sur les mineurs. Grâce à son intervention, on comprend mieux les enjeux de la prise en charge des enfants agressés sexuellement ou victimes de violences intrafamiliales et la nécessité de mettre en place des soins cliniques et psychopathologiques. Il importe que les thérapies proposées soit bien ciblées sur le traumatisme qu’ils subissent.

Il faut aussi veiller à ce que l’enfant ne soit pas puni quand il révèle une situation d’agression sexuelle en le projetant sur la scène de l’innommable ou de l’impensable car cela le rend triste. Lorsque le dysfonctionnement familial a été repéré, il importe d’aider rapi­dement les enfants car, lorsqu’ils parlent, ils se sentent mal et a fortiori encore plus si les révélations qu’ils font conduisent à mettre leur parent en prison. Ils sont assurément victimes de souffrance de différentes natures. Il est important de les aider à sortir de cette zone d’inconfort mais aussi de tenir compte de l’impact émotionnel sur les personnes qui entendent les propos tenus par les jeunes victimes. Il est surtout essentiel que, lorsqu’ils ont été repérés dans un tel contexte de violences, le nécessaire pour les accompagner soit fait, car il faut les encourager à révéler ce qu’ils vivent dans le but d’éviter les voiles du silence.

Il ressort de cette intervention qu’il est important que les enfants ne soient pas toujours aux côtés de leurs parents pour faire connaître leurs problèmes. En effet, ils parlent beaucoup plus durant les temps de leur hospitalisation parce qu’ils ne sont pas à la maison et se sentent plus protégés, leurs parents ne les entendant pas parler de ces attitudes violentes. C’est important qu’ils parviennent à faire connaître ces drames vécus en famille car leurs repérages sont difficiles.

Il est dès lors primordial que plein d’associations se mobilisent pour bien les accompagner et que de nombreux professionnels accordent aux enfants traumatisés un soutien psychologique. Certes il est délicat de forcer une personne à parler mais ces prises de parole permettent de lutter contre l’isolement de la victime. Il faut surtout que les professionnels soient sensibilisés à l’audition des enfants et leur expliquent que rien n’est de leur faute, mais mettent aussi en place des mesures d’assistance, de soutien et de suivi.

Regards croisés sur les violences intrafamiliales et sexuelles

Pour permettre au public et notamment aux professionnels en charge des mineurs présents lors de ce colloque de bien comprendre les lourds ressentis des victimes, trois ateliers ont ensuite été proposés.

En vue d’animer le premier atelier visant la lutte contre les violences sexuelles et la prostitution des mineurs, Juliette Thomann, avocate au Barreau de Strasbourg a donné la parole à trois intervenants. Sophie Bohn, déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité femmes-hommes, Danielle Merian, avocate et Arnaud Gallais, cofon­dateur du collectif «Prévenir et Protéger» ont donné de nombreuses illustrations de dossiers qu’ils ont eu entre les mains afin de montrer comment il faut tenter de prévenir ces violences, mais aussi et surtout de bien accompagner toutes les victimes.

Le deuxième atelier a été animé par Anaïs Fuchs, avocate au Barreau de Strasbourg pour mettre l’accent sur le traitement judiciaire des violences sexuelles sur mineurs. Elle a donné la parole à Constance Champrenault, vice procureure au Parquet de Saverne, à Alexis Walch, médecin légiste et référent UAPED puis à Jean-Luc Frey, juge auprès de la chambre des mineurs de la Cour d’Appel de Colmar. Cela a permis de comprendre comment la justice s’engage en la matière, l’accent étant une nouvelle fois mis lors de ce colloque sur les jeunes victimes de violences sexuelles.

Enfin le troisième atelier animé par Monia Zoghlami, directrice de l’as­sociation Themis de Strasbourg, autre association très engagée dans le soutien apporté aux enfants, a permis de comprendre la place des professionnels dans l’accompagnement des victimes mineures. Lesdits professionnels sont des avocats, des membres de l’Action sociale ville de Strasbourg et des participants à de nombreuses associations ou institutions, à savoir le Colosse aux pieds d’argile, association reconnue d’utilité publique qui a pour missions la sensibilisation et la formation aux risques de violences sexuelles, l’ARSEA, association régionale spécialisée d’action sociale d’éducation et d’animation, le CRP, centre régional psychotraumatisme, la PJJ, protection judiciaire de la jeunesse et bien sûr SOS France victimes 67.

Tous sont aptes à prendre en compte les situations de violences. Il ressort de cet atelier qu’il est essentiel de rechercher la place de la famille car tout le monde doit pouvoir se coordonner. Cela permet surtout de bien accompagner ensuite l’enfant en cherchant à quel moment le traumatisme qu’il vit a la possibilité d’être traité. Pour bien faire, il importe donc de prendre attache avec les professionnels qui s’occupent des enfants, notamment les éducateurs de la PJJ, les cliniciens et les membres des associations engagées en ce domaine. Il faut leur apporter rapidement un soutien psychologique et intervenir le plus tôt possible.

Accompagnement des victimes mineures de violences intrafamiliales et sexuelles

En fin de colloque, j’ai eu la parole pour faire un bilan des interventions en mettant l’accent sur certains points à creuser.

Il ressort de cette journée que de nombreuses formes de violences visent les mineurs et qu’il est urgent de mieux les accompagner. Les violences sexuelles ont bien été abordées mais pour les violences in­trafamiliales, il convient de préciser quels sont les domaines à creuser. Il est vrai que si les parents ont assurément pour mission d’élever et d’éduquer leurs enfants en les protégeant, il arrive souvent que des mineurs soient maltraités, traumatisés, victimes d’inceste ou victimes indirectes des violences conjugales dont souffre un de leurs parents, raison pour laquelle les enfants ne peuvent pas toujours bien vivre en famille et qu’il faut les accompagner. .

Il était au départ question de violences physiques, mais que ce soit pour les adultes ou les enfants, les violences psychologiques ou sociologiques, ainsi que verbales, éducatives voire numériques (cyberpédocriminalité ou la pédocriminalité en ligne) sont désormais envisagées. Surtout, s’il est vrai que le statut de victimes de violences conjugales a été longtemps dénié aux enfants, les choses ont changé. Quand les agissements violents ne les impactaient pas directement et que les agressions se limitaient aux relations au sein du couple, il était affirmé qu’un « mauvais conjoint » n’était pas forcément un « mauvais parent », néanmoins désormais ils ne sont plus de simples témoins puisque leur traumatisme est pris en compte en les considérant comme des victimes par ricochet ou indirectes.

Comme ils sont bien des victimes du parent qui a été auteur de vio­lences contre son conjoint ou compagnon, plein de textes juridiques montrent que l’État entend les prendre en charge. Selon les cas ; un administrateur ad hoc peut être désigné, une mesure d’assistance éducative mise en place, la résidence alternée des parents séparés peut aussi être bloquée et le juge a la possibilité d’opter pour un retrait de l’autorité parentale, de même que pour le retrait du droit de visite et d’hébergement de l’auteur des violences qui ne vit plus au quotidien avec la jeune victime, sachant que parfois c’est un droit de visite médiatisé qui est mis en place, notamment auprès de l’association SOS France victimes 67.

Pour améliorer l’accompagnement des victimes mineures de violences sexuelles et intrafamiliales, il faut aussi ajouter qu’il est essentiel que les juges prennent des mesures complémentaires, à savoir mettent en place un stage de sensibilisation aux violences conjugales dans le but d’éviter des récidives, sans oublier les enquêtes sociales et optent pour une prise en charge médico-psychologique des victimes.

Il importe également d’insister sur la place de la parole de l’enfant et de l’aider à s’exprimer. Si ses parents ne sont plus en capacité de jouer leur rôle, outre le recours à un administrateur ad hoc, la désignation systématique d’un avocat serait précieuse, afin de soutenir l’enfant de manière efficiente.

Pour renforcer les mesures d’accompagnement des mineurs victimes de violences, il faudrait aussi que les procédures en cours soient trai­tées plus rapidement car, lorsque l’auteur de violences a été repéré, mais que sa place n’a pas encore pu être revue faute de décision judiciaire, il peut avoir un comportement encore plus malsain vis-à-vis des enfants, certains ayant même été assassinés pour qu’ils se taisent.

L’enfant doit être protégé car il fait partie des incapables juridiques et des personnes vulnérables. Il est donc essentiel de bien soutenir les victimes mineures et il faudrait sans doute aussi augmenter le nombre de professionnels qui s’occupent de ces violences sexuelles et intrafamiliales.

Il ressort de toutes ces interventions que le Gouvernement a beaucoup fait avancer les choses ces dernières années, mais aussi que de nom­breuses associations s’intéressent au sort des victimes, raison pour laquelle il est pertinent de remercier SOS France victimes 67 d’avoir sollicité plein d’intervenants pour le vendredi 10 novembre 2023 à l’ERAGE, mais surtout de bien s’occuper de toutes les victimes et notamment des jeunes victimes qui sont bien accompagnées par cette association strasbourgeoise.

Isabelle CORPART