Dossier Paru le 01 décembre 2023
TRANSPORT FLUVIAL

Le secteur du Rhin impacté en 2022

L’an passé, le secteur du transport fluvial n’a pas échappé aux effets négatifs du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Les phénomènes de basses eaux, l’augmentation rapide des prix des produits de base et la crise énergétique ont eu une influence à la baisse sur les activités de transport fluvial. Tous les segments de marchandises, à l’exception du charbon, ont présenté un taux de croissance négatif de leurs volumes de transport. Un bilan établi par la Commission Centrale pour la Navigation du Rhin, CCNR, dans son rapport annuel très détaillé.

La baisse des volumes de marchandises transportés représentait -7,8 % sur le Rhin traditionnel, de Bâle à la frontière entre l’Allemagne et les Pays-Bas, et -5,7 % dans le delta du Rhin aux Pays-Bas, de la frontière entre l’Allemagne et les Pays-Bas à la mer du Nord, par rapport à 2021 © D. PERONNE

En 2022, une récession économique a été observée dans le secteur du transport fluvial de marchandises. En Europe, la quantité de marchandises transportée a diminué de 5,5 %. Sur l’ensemble du Rhin, de Bâle à la mer du Nord, cette baisse a atteint 6,8 % par rapport à 2021. Plus précisément, la baisse des volumes de mar­chandises transportés représentait -7,8 % sur le Rhin traditionnel, de Bâle à la frontière entre l’Allemagne et les Pays-Bas, et -5,7 % dans le delta du Rhin aux Pays-Bas, soit le secteur de la frontière entre l’Allemagne et les Pays-Bas à la mer du Nord, par rapport à 2021. À la fin de l’année 2021, et pendant les deux premiers mois de l’année 2022, alors que des signes positifs laissaient envisager une croissance des volumes de transport sur le Danube, la guerre en Ukraine a pesé sur la navigation danubienne. En conséquence, les volumes de transport ont diminué pour tous les segments de marchandises en 2022.

En raison de la crise énergétique observée en 2022, la demande de gaz naturel a augmenté et les prix se sont envolés en début d’année. La préférence a ainsi été donnée à d’autres options énergétiques, telles que le charbon, au détriment du gaz naturel. La demande de charbon a donc fortement augmenté, favorisant un taux de crois­sance de +10,6 % pour l’ensemble du Rhin par rapport à 2021. Les effets de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, exacerbés par des épisodes de basses eaux en 2022, l’augmentation des prix des produits de base, qui a gonflé les coûts de production, ainsi que la fermeture des ports ukrainiens de la mer Noire, sont autant de facteurs qui ont contribué au ralentissement de la demande pour les segments restants et, par conséquent, une réduction de leurs volumes de transport. Sur le Rhin, de fortes baisses ont été enre­gistrées pour les métaux avec -7,5 %, les matériaux de construction (sables, pierres, graviers) avec -12,1 %, les conteneurs, -11,1 %, et les produits agroalimentaires, -5,9 %. Contrairement à la hausse significative enregistrée en 2021, le segment du minerai de fer a subi une légère baisse, -2,8 %, en 2022. Les produits chimiques ont, eux aussi, connu une légère baisse, avec -1,6 %, en 2022, par rapport à la croissance modérée observée l’année précédente.

Sur le Danube, les volumes de transport ont été impactés néga­tivement, en particulier dans les sections supérieure et moyenne du fleuve. Plus précisément, le transport de céréales et de vrac agricole vers l’aval, des ports du Danube moyen en direction de Constanţa, a considérablement baissé. En revanche, dans la région du Danube inférieur, en particulier sur les canaux reliant le Danube à la mer Noire, le transport de marchandises a enregistré une nette tendance à la hausse. Certains ports maritimes, tels que Hambourg et le North Sea Port, ont présenté eux des taux de croissance positifs en 2022. Le port de Rotterdam a connu une diminution de son volume de fret fluvial (-4,1 %), de même que le port d’Anvers-Bruges (-7,5 %). Dans le port de Constanţa, la manutention fluviale a conservé un niveau similaire à celui atteint en 2021. Depuis le début de la guerre, la manutention fluviale en rapport avec l’Ukraine a atteint 5,4 millions de tonnes dans ce port. De même, une baisse a été observée dans les principaux ports intérieurs en 2022, sauf pour les deux ports ukrainiens de Reni et d’Ismaïl qui ont enregistré une croissance exceptionnelle de leurs volumes de transport fluvial, résultant de la nécessité de soutenir les exportations ukrainiennes de céréales via des itinéraires alternatifs.

Des taux de fret qui explosent

En 2022, le transport fluvial a été également fortement impacté par les périodes de basses eaux observées en juillet et en août 2022. Entre 2015 et 2022, les deux années ayant présenté le plus grand nombre de jours d’étiage étaient 2018 et 2022. Cela s’est traduit, à la fois sur le Rhin et le Danube, par un nombre supérieur de jours d’étiage critique en 2022 par rapport à 2021. Ce nombre est toutefois resté inférieur à celui enregistré en 2018. Par exemple, à l’échelle de Kaub, sur le Rhin moyen, le nombre de jours auxquels l’étiage équivalent n’a pas été atteint était de 41 en 2022, contre 10 en 2021 et 107 en 2018. Sur le Danube, les deux échelles de Pfelling et Hofkirchen, situées dans la partie supérieure du fleuve, ont enregistré un nombre supérieur de jours d’étiage en 2022 par rapport à 2021.

Sous l’effet des basses eaux, tous segments de marché confondus, les taux de fret ont augmenté en moyenne de +42,5 % en 2022 par rapport à 2021. Depuis 2020, en raison de la reprise de la demande après la pandémie, les taux de fret applicables au vrac sec et aux conteneurs ont suivi une tendance à la hausse, accentuée en 2022 par la forte progression du transport de charbon, le transfert de la capacité des bateaux du Rhin vers la région du Danube et les basses eaux. En revanche, les taux de fret applicables aux car­gaisons liquides ont suivi une tendance à la baisse depuis 2019 en raison d’une évolution plus faible de la demande de transport par rapport aux cargaisons sèches, à la fois pendant et après la pandémie. Les taux de fret applicables aux cargaisons liquides ont aussi enregistré une forte augmentation en 2022, principalement en raison des périodes d’étiage. Pour le marché au comptant du vrac sec, de nature instable, on retiendra, pour illustrer l’augmen­tation des indices des taux de fret entre 2021 et 2022, qu’à la fin de l’année 2022 (T3 et T4), les indices des taux de fret avoisinaient 240,9 et 203,9 points, respectivement, alors qu’à la fin de l’année 2021 (T3 et T4), ils avaient été de l’ordre de 118,1 et 159,1 points. En ce qui concerne les cargaisons liquides, les indices des taux de fret correspondaient à 140,7 et 134,4 points en 2022 (T3 et T4), contre 92,9 et 114,2 points en 2021 (T3 et T4).

En 2022, la flotte de navigation intérieure en Europe comprenait près de 10 000 bateaux immatriculés dans les pays rhénans, 3 500 dans les pays danubiens et 1 200 dans d’autres pays européens. Dans l’ensemble, entre 2016 et 2020, l’activité de nouvelles constructions de bateaux a connu une reprise, qui s’est avérée plus prononcée pour les cargaisons liquides que pour les cargaisons sèches. L’année 2021 a été marquée par un fléchissement de l’activité de nouvelles constructions en raison du recul de la demande de transport résultant de la pandémie, qui s’est encore accentué en 2022. Alors que le nombre de nouveaux bateaux à cargaison sèche est resté identique (21 unités) à celui relevé en 2021, le nombre de bateaux-citernes nouvellement construits (31 unités) a diminué de 27 unités par rapport à 2021. Le nombre de petits bateaux à cargaison sèche poursuit sa tendance à la baisse, tandis que le nombre de bateaux de taille supérieure a tendance à augmenter (cargaison liquide) ou à rester stable (cargaison sèche). Pour ce qui est des innovations contribuant à réduire les émissions de la flotte de navigation intérieure, on peut noter que le nombre de bateaux innovants en service représente moins de 0,2 % de l’ensemble de la flotte de navigation intérieure en Europe. Ce nombre a cependant augmenté de manière significative entre 2021 et 2022.

Un acteur-clé de la navigation sur le Rhin

La Commission centrale pour la navigation du Rhin, CCNR, est une organisation internationale exerçant un rôle réglementaire essentiel pour l’organisation de la navigation sur le Rhin. Elle intervient dans les domaines technique, juridique, économique, social et environnemental. Dans l’ensemble de ses domaines d’action, l’efficacité du transport rhénan, la sécurité, les considérations sociales ainsi que le respect de l’environnement dirigent ses travaux. Au-delà du Rhin, de nombreuses activités de la CCNR concernent aujourd’hui les voies navigables européennes au sens large. Elle travaille étroitement avec la Commission européenne, ainsi qu’avec les autres commissions fluviales et institutions internationales.

Sur le Danube, le transport de céréales et de vrac agricole vers l’aval a considérablement baissé. Ici le Danube en Serbie © D. PERONNE

Tendances inflationnistes

En ce qui concerne le transport de passagers, les chiffres traduisent une reprise après la pandémie de Covid-19. S’agissant des croisières fluviales, les chiffres annuels relatifs aux mouvements des bateaux de croisière sur le Danube, le Rhin et la Moselle illustrent un net rebond en 2022, par rapport à 2021, retrouvant ainsi leurs niveaux d’avant la crise sanitaire. En termes de mouvements de bateaux, l’activité de croisière sur le Danube supérieur, à la frontière entre l’Autriche et l’Allemagne, et sur la Moselle, a dépassé de 5 % et de 1 %, respectivement, les niveaux précédant la pandémie. Sur le Rhin, ce chiffre est resté inférieur de 6,5 % au niveau atteint en 2019. Outre les mouvements de bateaux, l’évolution du nombre de passagers et le taux d’utilisation des bateaux de croisière sont également des facteurs essentiels à prendre en compte dans l’évaluation de la reprise du secteur de la croisière fluviale. Les chiffres pour ces deux indicateurs confirment que les croisières fluviales ont connu une reprise significative, même si celle-ci reste légèrement inférieure aux niveaux atteints en 2019.

Malgré la fin de la pandémie de Covid-19, les nouvelles construc­tions dans le secteur de la croisière fluviale ont conservé un rythme plutôt lent en 2022. L’année a été marquée par des tendances inflationnistes qui ont contribué à l’augmentation des coûts de construction, entravant ainsi la construction de nouveaux bateaux, qui devrait rester limitée en 2023. Le conflit russo-ukrainien a en revanche généré une demande accrue de capacités hôtelières pour accueillir les réfugiés de guerre. En conséquence, certains bateaux font office d’hôtels flottants, parfois définitivement, notamment les plus anciens, ou parallèlement à leurs activités de croisière.

Dans l’ensemble, les perspectives pour le transport de marchandises semblent favorables, en particulier à partir de 2024. Il est cependant difficile, en 2023, d’établir des prévisions précises pour l’avenir proche en raison des conditions sous-jacentes instables dues à la guerre entre la Russie et l’Ukraine et à la crise énergétique qui en découle. En ce qui concerne les croisières fluviales, la demande devrait revenir aux niveaux pré-pandémie en 2023. Toutefois, les perspectives pour l’activité de nouvelles constructions dans le secteur de la croisière fluviale semblent encore incertaines dans un avenir proche.

Un niveau d’emploi également en baisse

En ce qui concerne le niveau d’emploi dans le secteur du transport fluvial de passagers en Europe, une forte baisse a été enregistrée entre 2019 et 2020. Celle-ci découlait de la pandémie de Covid-19, qui a porté un coup sévère au transport de passagers et interrompu la tendance positive observée depuis 2010. Le nombre de personnes employées était de 17 895 en 2010, de 23 100 en 2019 et de 17 503 en 2020. Pourtant, le nombre d’entreprises n’a cessé d’augmenter depuis 2013, de 3 529 en 2013 à 4 231 en 2020. Dans le secteur du transport fluvial de marchandises, le niveau d’emploi a suivi une tendance légèrement à la baisse depuis 2010 : 23 300 en 2010, 22 365 en 2019 et 22 417 en 2020. Le taux d’emploi le plus bas a été atteint en 2018, un développement qui pourrait être imputé aux basses eaux. Dans ce même secteur, le nombre d’entreprises en activité a suivi une tendance similaire, de 5 995 en 2010 à 5 486 en 2020. Le chiffre d’affaires net enregistré dans l’UE – de même qu’en Suisse et en Serbie – pour les entreprises de transport fluvial de marchandises en 2020 correspondait à environ 6,6 milliards d’euros. Ce chiffre s’élevait à 1,6 milliard d’euros pour les entreprises de transport fluvial de passagers en 2020.

Dominique PÉRONNE