• Accueil
  • Dossier
  • S’inspirer du partage judiciaire de droit local pour l’étendre à l’ensemble du territoire français ?
Dossier Paru le 12 janvier 2024
DROIT LOCAL

S’inspirer du partage judiciaire de droit local pour l’étendre à l’ensemble du territoire français ?

Lexisnexis a eu l’excellente idée de publier à la fin de l’année 2023 un manuel traitant du partage judiciaire de droit local alsacien mosellan (1). Il a été inspiré par la thèse que j’ai eu l’honneur de soutenir à l’université de PARIS PANTHEON ASSAS en juillet 2022 sous la direction du professeur Michel GRIMALDI (2). À sa lumière, le lecteur pourra se faire une idée plus précise de la pertinence de cette procédure d’exception, tout en se familiarisant aux règles qui gouvernent cette matière cruciale permettant de sortir d’une indivision.

eskay lim-stock.adobe.com

La loi n°2006-728 du 23 juin 2006 et le décret n° 2006-1805 du 23 décembre 2006 ont profondément remodelé le partage judiciaire de droit général après une longue période de stabilité législative puisqu’une bonne partie de ses dispositions datait d’une loi du 2 juin 1841 et du décret-loi du 17 juin 1938. Guidé par la volonté de simplifier et d’accélérer les procédures, le législateur a réduit le recours au partage judiciaire dans ses cas d’ouverture3, tout en privilégiant le partage amiable devenu polymorphe4, puisqu’à côté d’un partage amiable « pur » visé par l’article 835 du Code civil, cohabitent désormais des partages amiables autorisés. La défaillance, la présomption d’absence, l’existence d’un régime de protection, l’éloignement ou l’impossibilité d’exprimer sa volonté ne constituent plus des obstacles à la conclusion d’un partage amiable, à condition de respecter des formalités particulières à chaque cas5. Ces nouveaux partages sollicitent l’intervention parfois de quatre professionnels du droit différents6 et loin d’avoir simplifié les procédures, les praticiens peuvent avoir le sentiment que le législateur les a complexifiées. Dans ces nouvelles formes de partages amiables, le juge n’est jamais bien loin, son intervention est requise, en amont ou en aval, pour les valider.

À bien des égards, le droit local alsacien mosellan propose, dans ce domaine, un partage judiciaire différent de celui de la France de l’intérieur. Accessible, simple et économique sont les premiers qualificatifs venant à l’esprit pour qui le pratique régulièrement s’il fallait en décrire les traits principaux, offrant au notaire, s’agissant de sa gestion, la part du lion. De façon assez inattendue, ce par­tage a été plus conçu comme un mode alternatif de règlement de conflit qu’une véritable procédure judiciaire.

L’effacement du juge au profit du notaire est tel qu’il est permis d’évoquer ce mode de règlement de conflit comme un moyen original de sortie d’indivision ne revêtant, qu’en apparence, les habits d’une procédure judiciaire car, très vite, après son ouverture décidée par le juge, elle se déroule exclusivement chez le notaire. Elle échappe aux règles contentieuses, tout en profitant de la souplesse de la procédure gracieuse, le législateur ayant tout mis en œuvre pour arriver à son but ultime : sortir amiablement du conflit. Si le souci du législateur est de simplifier la vie de ses concitoyens qui seront tous, un jour ou l’autre, confrontés à une indivision à partager, la connaissance précise de ces règles particulières venues tout droit de la période germanique traversée par l’Alsace et la Moselle, est un moyen de pratiquer à bas coût, une comparaison pertinente entre les deux procédures et devrait convaincre ce dernier que le droit local peut être aujourd’hui encore une réelle source d’inspiration.

La procédure de partage judiciaire de droit local se distingue de sa grande sœur de droit général lors des trois moments clés de son déroulement : à son ouverture, pendant les débats et à son issue.

A) À son ouverture

Contrairement au droit général, il n’est nul besoin de démontrer que les indivisaires ont préalablement tenté de trouver un terrain d’entente comme l’exigent l’article 840 du Code civil et l’article 1340 du Code de procédure civile. Il suffit de prouver qu’il existe une indivision et que le requérant entend en sortir, ce qui n’est finalement qu’une conséquence logique du droit discrétionnaire et d’ordre public reconnu à tout indivisaire de provoquer le partage. Ce dernier saisira le tribunal ou la chambre de proximité compétent par requête dans le cadre d’une procédure simplifiée puisqu’elle est gracieuse par assimilation.

Cette requête n’est pas soumise à des règles de forme contrai­gnantes. Le requérant enverra au juge du tribunal de proximité une simple requête en recommandé en reprenant sommairement la masse à partager, l’identité des indivisaires et les propositions quant au choix du notaire à commettre. Contrairement aux prévisions du droit général7, les éléments du passif n’ont pas à y figurer. Dans cette procédure, il ne faut pas s’interroger sur le caractère complexe ou non du dossier, un notaire y est commis systématiquement. Enfin le requérant peut présenter directement sa requête, la postulation n’est pas obligatoire.

Le juge saisi bénéficie d’un large pouvoir d’investiguer sans être contraint de faire comparaître les parties et sans être limité par le périmètre du contentieux. La procédure relève de la forme gracieuse dont les règles sont logées dans l’annexe du Code de procédure civile.

Elle s’ouvre par une ordonnance d’ouverture bénéficiant de l’au­torité de la chose jugée.

B) Pendant les débats

Une fois le notaire commis, la procédure se déroule entièrement dans son étude. Il y tiendra un rôle prééminent tant dans la direction de la procédure que pour la terminer.

Les parties sont invitées à fournir toutes indications utiles pour préparer l’acte de partage. Une caducité de la procédure est pré­vue si les parties ne réagissent pas à cette invitation au bout de 6 mois. L’initiative des réunions relève exclusivement du notaire.

Une convocation judiciaire est adressée à chaque indivisaire. L’article 225 alinéa 2 de la loi de 1924 prévoit un dispositif tout à fait original permettant de lutter contre l’inertie d’un coindivisaire. Si des propositions de partage sont faites lors d’une réunion alors qu’un indivisaire n’a pas comparu, il est censé les avoir acceptées dans la mesure où les prescriptions relatives aux règles du partage ont été respectées. L’expertise des biens indivis est de droit si l’une des parties la réclame. Elle est obligatoire en présence d’une personne vulnérable si le partage doit s’effectuer sans formation de lot. Si des difficultés bloquent le bon déroulement de la procé­dure, le notaire dresse un procès-verbal de difficultés en invitant les parties à saisir le juge du fond si ces questions relèvent de ce domaine. Ce procès-verbal ne présente aucun caractère exhaustif, mais est indispensable pour saisir la juridiction au fond. Il dépend entièrement du notaire commis qui n’a pas à établir de rapport comme le juge commis doit le faire en droit général. La maîtrise des débats, de leur fréquence et des sujets abordés, est entièrement entre les mains du notaire commis jusqu’à l’issue de la procédure.

C) À l’issue de la procédure

L’issue de la procédure peut prendre plusieurs formes : une licitation avec une répartition du prix, un partage amiable, un partage avec tirage au sort et une ordonnance de retrait de procédure.

La licitation suppose que le partage en nature n’est pas faisable sans qu’il en résulte une dépréciation des biens à partager (article 228 al 2. L civ. 1924). En matière immobilière, elle est particulièrement bien réglementée. La loi de 1924 lui consacre un chapitre complet et plus spécifiquement quatorze articles (243 à 256). Lorsqu’elle porte sur un meuble cette réglementation est beaucoup plus souple. Un seul article lui est consacré.

L’intégralité de la vente aux enchères est gérée par le notaire com­mis, du cahier des charges jusqu’au procès-verbal d’adjudication. Les enchères sont portées directement par les enchérisseurs, sans avoir à être représentés par un avocat. En cas de désertion d’en­chères, c’est au notaire qu’il appartient de constater l’adjudication provisoire et d’organiser de nouvelles enchères si l’une des parties intéressées le demande, l’intervention du juge n’est pas exigée.

La procédure peut également se terminer par la signature d’un acte de partage amiable avec la particularité, en droit local, qu’il doit obligatoirement revêtir la forme notariée s’il porte sur des immeubles ou des droits réels et ceci à peine de caducité (article 42 de la loi d’introduction). Ici, contrairement au droit général, le non-respect de la forme affecte la validité du partage. Cependant les règles de fond sont identiques.

Plus orignal est le partage établi dans le cadre de la procédure après tirage au sort des lots.

Le notaire fait une synthèse des débats et des accords des co­partageants. La composition des lots et le tirage au sort y sont relatés. L’ensemble des difficultés est censé avoir été aplani. Cet acte n’exige ni la présence des parties, ni par voie de conséquence leur signature. Cependant, cela suppose que leur accord ait été exprimé clairement lors des débats et que le notaire se contente de le relater sans en modifier la contenance. Ce partage est ensuite homologué toujours dans le cadre d’une procédure gracieuse, sauf si les parties ont transigé en décidant d’abandonner prématurément la procédure.

C’est l’article 235 de la loi d’introduction qui impose l’homologation du partage par le tribunal. Le notaire commis transmet la copie des procès-verbaux des débats et du partage et requiert le juge d’homologuer le partage. La procédure est essentiellement écrite, sans débats. L’intensité de ce contrôle dépendra de la qualité des copartageants. En présence de personnes protégées telles que visées dans l’ancien article 838 du Code civil (mineurs, majeurs en tutelle, présumés absents), ce contrôle sera un contrôle d’oppor­tunité et de régularité formelle, alors que si tous les copartageants sont maîtres de leurs droits, il se limitera à une vérification de pure forme, ce qui aura le mérite de purger la procédure de tout vice de forme. Le juge rendra ensuite une ordonnance de retrait mettant fin à la commise du notaire.

En conclusion, après ce rapide aperçu, quelques qualités principales ressortent de cette procédure de droit local .

Le coût tant pour l’État que pour le justiciable est moindre par rapport à celui engendré par la procédure de droit général.

On relève une grande souplesse gouvernant l’ensemble de la pro­cédure, due avant tout à la nature gracieuse de la procédure, mais aussi au caractère très pragmatique de ses règles.

Des deux qualités qui précèdent découle la troisième : l’efficience prise dans son sens économique caractérisant « une situation dans laquelle un objectif fixé est réalisé en utilisant pour cela le moins de ressources possibles8». L’objectif recherché pour le requérant est de sortir d’une indivision en liquidant ses droits dans une masse à partager, dans des délais raisonnables et à moindre coût. Enfin, et c’est là sa quatrième grande qualité, cette efficience ne nuit pas à la sécurité juridique offerte au justiciable puisque l’ensemble des garanties classiques propres à une procédure judiciaire découlant de la notion de procès équitable s’applique : l’impartialité et l’in­dépendance du notaire commis, la loyauté de l’égalité des armes, le respect du principe du contradictoire, l’obligation d’informer les parties sur les règles de droit, le respect d’un délai raisonnable. De plus, les personnes vulnérables et les présumés absents sont particulièrement bien protégés puisque plus de treize articles de la loi d’introduction leur sont consacrés, le juge assurant une surveillance particulière à la préservation de leurs intérêts à des moments clés de la procédure sans pour autant exercer un pouvoir de direction de la procédure.

À un moment où le droit de la famille se déjudiciarise de plus en plus et que le budget de la Justice peine à couvrir les besoins des justiciables, le législateur serait bien inspiré de rajouter cet outil hybride mais efficace à l’arsenal judiciaire pour désengorger les tribunaux.

 

Notes

1. O. Vix, Le partage judiciaire de droit local alsacien mosellan, LexisNexis sept. 2023.

2. O. Vix, De l’intérêt d’étendre certaines règles du droit civil alsacien mosellan à l’ensemble du territoire français : l’exemple du partage judiciaire et du livre foncier , Thèse sous la dir de M. Grimaldi, Paris Panthéon Assas, juil. 2022.

3. C. civ., art. 840.

4. L. Lauvergnat, « Point de vue sur la pratique des partages amiables », Gaz Pal. 2010, n° 238, p. 10.

5. Visés aux articles 835 à 839 du Code civil.

6. V. par ex. C. civ., art. 837.

7. Circ. n°73-07/C1/5-2/GS, 29 mai 2007 du garde des Sceaux, ministre de la Justice, p. 40.

8. Lexique d’économie – éconoclaste (econoclaste.eu).

 

livre

Le partage judiciaire de droit local alsacien-mosellan

 

La procédure de partage judiciaire issue de la loi allemande du 14 juin 1888 et introduite par la loi du 1er juin 1924 dans la législation française fait partie des trésors juridiques enfouis dans l’histoire locale alsacienne-mosellane.

Cette procédure hybride, toujours applicable dans les trois départements de l’Est de la France, combine la souplesse de la procédure judiciaire gracieuse avec l’expertise et le statut d’un officier public, particulièrement rompu aux techniques liquidatives les plus complexes, tout en conférant à ce dernier un rôle de conciliateur.

C’est au notaire que revient la direction de ce partage judiciaire à mi-chemin entre le partage judiciaire de droit général et un partage amiable « accompagné ».

Les moyens qu’il confère sont particulièrement efficaces pour lutter contre l’inertie des copartageants les plus récalcitrants et procéder, en cas de désaccords, à une vente aux enchères simplifiée.

Ce manuel s’adresse à tous les patriciens actuels et futurs de la procédure et plus généralement à tous ceux qui pourraient en être les acteurs.

O. Vix, Le partage judiciaire de droit local alsacien-mosellan : LexisNexis, 2023 (préf. M. Grimaldi et avant-propos E. Sander).

Olivier VIX, docteur en droit, notaire