Dossier Paru le 05 avril 2024

LES ARBRES ONT AUSSI DROIT AU DROIT

5 ans après la Déclaration des droits de l’arbre, selon laquelle les arbres doivent « être considérés comme des sujets de droit », la situation juridique des arbres en ville et à la campagne s’est-elle améliorée ? En attendant le vote éventuel d’une future « loi arbre », le Barème de l’arbre accompagne le mouvement de réflexion et des actions déjà concrètes. Explications.

La Déclaration des droits de l’arbre a été proclamée lors d’un col­loque à l’Assemblée nationale, le 5 avril 2019. L’article 1 annonce la couleur : « L’arbre est un être vivant fixe qui, dans des propor­tions comparables, occupe deux milieux distincts, l’atmosphère et le sol. Dans le sol se développent les racines, qui captent l’eau et les minéraux. Dans l’atmosphère croît le houppier, qui capte le dioxyde de carbone et l’énergie solaire. De par cette situation, l’arbre joue un rôle fondamental dans l’équilibre écologique de la planète. » L’article 2 annonce que « l’arbre, être vivant sensible aux modifications de son environnement, doit être respecté en tant que tel, ne pouvant être réduit à un simple objet. » Enfin, à l’article 3, il est affirmé que « l’arbre doit être considéré comme sujet de droit, y compris face aux règles qui régissent la propriété humaine. »

Portée par l’association ARBRES (Arbres Remarquables : Bilan, Recherche, Études et Sauvegarde), la Déclaration des droits de l’arbre entend être la première branche d’une éventuelle future lé­gislation sur l’arbre en ville et à la campagne, en-dehors des forêts et des vergers. Un groupe de travail a été constitué : il réunit des juristes, des notaires, des élus, des architectes des monuments de France, des géomètres, des inspecteurs des sites, des arbo­ristes, des élagueurs... qui ont rédigé des propositions mises à la disposition du législateur.

60 articles de loi souvent obsolètes

« Les communes nous sollicitaient souvent sur la législation autour de l’arbre, explique Augustin Bonnardot, forestier-arboriste au CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) de Seine-et-Marne, et cheville ouvrière de ce projet. Par ailleurs nous avons voulu identifier les meilleurs dispositifs pour protéger au mieux les arbres remarquables du département de Seine-et- Marne. Or, il existe treize codes disparates, dans lesquels soixante articles souvent obsolètes traitent de l’arbre hors forêt. L’idée est donc de faire voter une nouvelle loi claire, simple et compréhen­sible par les usagers, qui pourrait trouver sa place dans le code de l’environnement. »

Un certain nombre de propositions sont d’ores et déjà sur la table. Il s’agirait, d’une part, de permettre aux élus locaux de protéger les arbres en définissant un périmètre de protection aérien et souterrain, qui pourrait être intégré dans les plans locaux d’urbanisme. Les arbres vraiment exceptionnels, dits « d’intérêt national », pourraient, d’autre part, bénéficier d’une protection encore plus forte, grâce à un suivi très régulier des inspecteurs des sites, au même titre qu’on protège un bâtiment historique, public ou privé. Parmi les propositions les plus précises, la question souvent épineuse des arbres en limite de propriété est abordée.

Selon l’article 673 du code civil, lorsque les branches ou les racines d’un arbre dépassent chez le voisin, celui-ci peut faire couper les premières et couper lui-même les secondes, au risque d’abîmer l’arbre, voire de le détruire. La loi nouvelle permettrait de l’en em­pêcher dès lors que l’arbre serait protégé.

Le Barème de l’arbre

Sans attendre l’éventuelle évolution de la législation, trois associa­tions (Plante et Cité, Copalme et le CAUE 77) ont mis sur pied, en 2022, un Barème de l’arbre. « Nous reprenons toutes les caracté­ristiques d’un arbre, explique Augustin Bonnardot. Nous relevons ses avantages et ses inconvénients, en les dotant de curseurs qui font monter ou baisser la valeur de l’arbre. Cela permet donc de connaître la valeur financière d’un arbre, à partir de laquelle on pourra également calculer financièrement le pourcentage des dégâts éventuels causés à l’arbre et donc le montant des réparations. »

La plupart des grandes villes françaises et bon nombre de com­munes plus petites ont adopté le Barème de l’arbre par délibération de leur conseil municipal, le rendant donc opposable à des tiers, par exemple à l’occasion de dégradations provoquées lors de travaux. Cela peut également être utilisé par des particuliers, ne serait-ce que pour valoriser une propriété. Le Barème de l’arbre est disponible sur une application web gratuite et utilisable par tous.

Jean de MISCAULT

En savoir plus : https://www.baremedelarbre.fr/

JEAN-MARIE VOGT, ADJOINT À LA MAIRE DE SCHILTIGHEIM, AU CADRE DE VIE, AUX TRAVAUX ET À L’ÉCOLOGIE :

« Nous appliquons le Barème de l’arbre »

Le conseil municipal de Schiltigheim a adopté une délibération pour appliquer le Barème de l’arbre. Pourquoi ?

Jean-Marie Vogt : Effectivement, le 26 septembre 2023, le conseil municipal de Schiltigheim a voté une délibération d’approbation du barème d’évaluation de la valeur financière des arbres. Dans le cadre de notre politique de végétalisation des cours d’école, lorsque nous avons voulu intervenir sur la cour du groupe scolaire Exen, en 2022, nous nous sommes rendu compte que des réseaux d’écoulement passaient juste sous les arbres plantés au milieu de la cours. Afin d’éviter de les couper, nous avons trouvé une solution technique qui a permis de passer sous les arbres. C’est cela qui nous a incité à chercher un outil juridique, qui soit opposable aux entreprises conduisant des chantiers sur notre domaine public et qui évite de couper les arbres. C’est ainsi que nous avons découvert le Barème de l’arbre.

Comment cela s’applique-t-il pour la Ville de Schiltigheim ?

J.-M. V. : Il existe un logiciel, qui nous permet de déterminer la valeur d’un arbre sur notre foncier communal et donc de l’indiquer dans nos marchés publics. Si une entreprise, intervenant sur un de nos chantiers, abîme ou détruit un arbre, elle paie le montant établi par le Barème.

Vous l’appliquez déjà ?

J.-M. V. : Oui, actuellement nous faisons des travaux sur notre réseau de chaleur, pour alimenter notamment un groupe scolaire. Le réseau traverse un parc communal : nous avons calculé le Barème de trois ou quatre arbres de ce parc et en avons averti l’entreprise qui réalise le chantier. Et évidemment, cette dernière a trouvé une solution pour ne toucher ni aux arbres, ni à leurs racines. Dans le cas contraire, elle devrait payer pour la valeur fixée par le barème. Alors cela n’est pas sans effet du point de vue financier, puisque les entreprises doivent sortir la terre par aspiration, ce qui coûte plus cher.

Du coup, le barème de l’arbre pourra-t-il être appliqué au projet de la nouvelle ligne de tramway vers Schiltigheim ?

J.-M. V. : Le projet d’extension du tram nord n’est pas porté par la Ville mais par l’Eurométropole. Et les arbres éventuellement concernés sont des arbres d’alignement appartenant à l’Eurométropole. Il est, quoi qu’il en soit, prévu qu’aucun arbre ne soit abattu sur la nouvelle ligne de tram.

La Ville peut-elle opposer la Barème aux arbres privés ?

J.-M. V. : Malheureusement non. Si un privé veut couper un arbre sur sa propriété, il peut le faire, sauf si notre PLU le lui interdit au titre des espaces naturels à préserver. En revanche, lorsqu’ils vendent une propriété, certains notaires encouragent le vendeur à appliquer ce Barème de l’arbre, qui permet de protéger le ou les arbres présents sur le terrain et de valoriser la propriété.

UNE VALEUR (IN)ESTIMABLE

Annexé à des actes notariés, le barème de l’arbre apporte également sa précieuse contribution à la préservation des arbres urbains ou champêtres, en terrain privé.

*Un platane de 250 ans, de 6 mètres de circonférence et de 30 mètres de haut, enraciné sur une propriété privée à Thiaucourt- Régniéville (54) a fait l’objet d’un testament précurseur.

Outre le label «Arbre Remarquable de France», décerné par l’Association A.R.B.R.E.S., une fiche d’évaluation du vénérable végétal a été jointe, pour mémoire, aux dispositions de dernières volontés.

Au décès de la testatrice, un notaire donnera lecture des volontés de préservation du platane, dont la valeur a été estimée, au jour du testament, à 50 000 euros !

Conférer une appréciation en euros à cet arbre exceptionnel ne sera pas destinée à le transformer, en billes de bois horizontales.

C’est vivant que cet arbre a une valeur.

Dans un environnement favorable, les platanes ont une belle es­pérance de vie.

Ainsi, tel un joyau donnant de l’éclat à son écrin, la valeur du platane remarquable rejaillira, immanquablement, sur l’ensemble de la propriété, lors des transmissions patrimoniales successives.

Pour veiller sur l’arbre, un exécuteur testamentaire a été nommé. Si nécessaire, le barème de l’arbre sera rappelé pour dissuader de toutes atteintes préjudiciables à son intégrité ou de velléités d’abattage, sans raison valable.

Si de tels méfaits venaient à être commis, le barème de l’arbre pourra être présenté au juge, pour lui servir de référence à la fixation du quantum de la sanction financière réclamée.

*Dans le cadre d’une Obligation Réelle Environnementale de 99 ans, un Robinier a lui aussi fait l’objet d’une fiche d’évaluation. Il en ressort une valeur de 30 000 euros.

Cet arbre de 150 ans se trouve dans une propriété privée à Villenouvelle (Haute-Garonne).

Au cours de l’été 2023, le thermomètre est monté à plus de 40 de­grés dans cette ville ! Le rôle de climatiseur naturel (et gratuit) de cet arbre a été reconnu et apprécié à sa juste valeur. Sous son généreux feuillage, la température de la terrasse y a été réduite de plusieurs degrés ; un véritable îlot de fraîcheur à lui tout seul. La maison où se trouve l’arbre, a été vendue récemment. Confor­mément à l’article 132-3 du Code de l’environnement, l’O.R.E. a été transmise de plein droit aux acquéreurs.

Avant la disparition naturelle de cet arbre, plusieurs générations de propriétaires se succéderont et tous bénéficieront de ses nom­breux bienfaits.

Les Robiniers ont une très grande espérance de vie.

À titre d’exemple, l’arbre le plus vieux de PARIS est précisément un Robinier ! Il se trouve Place Viviani. Il a été planté en 1601 !

*À ce jour, lors des acquisitions de maison, des taxes communales et départementales sont perçues sur le prix de vente, déduction faite de la valeur des biens meubles qui s’y trouvent, telles que cuisine équipée ou salle de bains.

Si cette aubaine fiscale pour les acquéreurs se justifie uniquement par l’application d’une simple distinction juridique entre «bien meuble» et «bien immeuble»; elle n’en constitue pas moins, un manque à gagner, sans aucune contre-partie concrète, pour les habitants des communes ou des départements concernés.

Pourtant, on le sait, les multiples bienfaits des arbres dépassent largement les limites de propriété des terrains sur lesquels ils sont enracinés.

Il en est ainsi, notamment, de leur beauté paysagère, dont profite tout le voisinage ou encore de la captation du CO2 qui croît avec l’âge de l’arbre.

Ne pourrait-on pas envisager, lors des ventes de maison, de déduire, a minima, de la base imposable des droits de mutation, une valeur conférée aux arbres les plus remarquables, établie en référence au barème ?

En contre-partie, les nouveaux propriétaires prendraient l’enga­gement de les maintenir et les conserver, tant qu’ils ne présentent pas de danger avéré.

Les arbres sont au cœur des patrimoines immobiliers. Ils parti­cipent de leur valorisation et de leur pérennité au bénéfice de la communauté du Vivant.

Malgré tout ce que l’on sait sur les arbres, malgré tout ce qu’on leur doit, notre Code civil n’est pas indulgent avec les arbres.

Une mise à jour impérieuse s’impose, en accord avec les connais­sances scientifiques et les enjeux environnementaux.

Dans cette attente, le barème de l’arbre élaboré par des spécialistes offre de nombreuses possibilités d’utilisation et de suggestions pour les préserver.

Dans notre monde marchand, attirer l’attention sur l’importance fondamentale des arbres, en leur accolant une valeur en euros, est un passage obligé.

C’est un long chemin d’orientation, destiné aussi à faire prendre conscience que les arbres – êtres vivants, prodiges de la Nature, évoluant en silence à nos côtés – ont, en réalité, une valeur ines­timable !

Bon anniversaire !

Maître Benoît HARTENSTEIN, Notaire à Metzervisse