Dossier Paru le 09 avril 2024
IMMOBILIER

Premiers frémissements sur le marché immobilier

« Catastrophe », « chute colossale » : qu’ils opèrent dans l’ancien ou dans le neuf, les professionnels alsaciens rivalisent d’expressions pessimistes pour caractériser la dégringolade du volume des ventes immobilières en 2023. Il n’empêche qu’en ce début d’année 2024, ils s’évertuent à détecter les premiers signes de frémissement… en attendant l’électrochoc.

De gauche à droite : Me Gabriel Weyl, Président de la Chambre des notaires du Bas-Rhin et Me Olivier Fritsch, Président de la Chambre des notaires du Haut-Rhin.

En Alsace, en 2023, tous types de biens confondus (appartements anciens, appartements neufs, maisons anciennes et terrains à bâtir), les volumes de ventes immobilières ont lourdement dégringolé : -34 % dans le Bas-Rhin et -20 % dans le Haut-Rhin. Selon les chambres des notaires des deux départements, « les volumes des transactions immobilières ont retrouvé un niveau comparable à ceux enregistrés durant la période 2016-2017. » « La chute est colossale », résume Gabriel Weyl, président de la chambre bas-rhinoise. Quant au profil des acheteurs, trois faits se distinguent : l’âge des acquéreurs augmente, le nombre de primo-accédants diminue et la durée moyenne de détention des biens s’allonge.

Baisse des volumes, mais quid des prix ? « Ils ont commencé à baisser, mais nous ne connaissons toujours pas de chute specta­culaire des prix », répondent en cœur les notaires alsaciens. Pour les appartements anciens, les prix médians augmentent encore de +0,9 % pour s’établir à 2 840 €/m² dans le Bas-Rhin et dimi­nuent de -3,7 % (1 850 €/m²) dans le Haut-Rhin. Pour les maisons anciennes, la baisse est de -2,2 % dans le Bas-Rhin (prix médian d’une maison : 264 K€) et de -1,7 % dans le Haut-Rhin (245 K€).

Différences d’une rue à l’autre

Mais attention, avertit Olivier Fritsch, président de la chambre haut-rhinoise : « On note des différences d’une ville, d’un quartier, voir d’une rue à l’autre. » Ainsi les prix des maisons anciennes diminuent de -5,2 % à Lapoutroie-Kaysersberg et -4,5 % à Neuf-Brisach, tandis qu’ils augmentent de +1,6 % à Saint-Louis, +4,3 % à Thann-Cernay et +9,3 % à Masevaux, sans qu’on sache toujours rationnellement expliquer pourquoi. Même constat sur le marché des appartements anciens à Strasbourg : +9,3 % à la Canardière ouest, +8,6 % à Kablé, +5,6 % à Hautepierre, mais -1,8 % à la Robertsau, -8,8 % à l’Esplanade et -8,9 % à Cronenbourg ouest. Autre fait marquant pour la vente des appartements anciens : la très forte réduction des surfaces médianes vendues. « En un an, c’est une pièce de moins par appartement vendu », résume Gabriel Weyl.

Finalement, sur l’évolution des prix, c’est celle des terrains qui fait figure d’exception. Le prix des terrains à bâtir augmente de +11,2 % dans le Bas-Rhin (prix médian : 103 K€) et +11,1 % dans le Haut- Rhin (100 K€). Explication avancée : « La pénurie persistante et l’anticipation de la ZAN (Zéro Artificialisation nette) à l’horizon 2050, selon Olivier Fritsch. C’est quelque chose qu’on entend de plus en plus chez les lotisseurs. » « Beaucoup de particuliers achètent des terrains aujourd’hui, tout en reportant l’acte de construction pour quelques années plus tard », confirme le président de la chambre des notaires du Bas-Rhin. Conséquence assez logique de cette hausse continue du prix des terrains : la diminution de leur surface. Dans le Bas-Rhin, 60 % des terrains vendus ont une superficie inférieure à 6 ares (82 % dans l’Eurométropole de Strasbourg).

Alors, face à ce bilan 2023 assez peu reluisant, quelles sont les perspectives pour 2024 ? « Le marché commence, semble-t-il à bouger, analyse Gabriel Weyl. On retrouve des taux d’intérêt inférieurs à 3,8 %, alors qu’on avait franchi la barre des 4 %. Les assouplissements annoncés sur le DPE pour les biens de moins de 40 m² sont aussi un point encourageant. Et on constate une légère augmentation des visites de biens. » Son collègue haut-rhinois tempère : « Les gens ont besoin de retrouver confiance en l’avenir pour pouvoir s’engager. »

« Catastrophe » dans le neuf

« Il y a à peine deux ans, nous nous battions tous sur n’importe quel bout de terrain. Maintenant nous avons tous levé le pied. Notre principal problème, c’est de trouver des clients. » Olivier Kinder, président de la FPI Grand Est (Fédération des Promo­teurs Immobiliers) ne mâche pas ses mots : « Depuis deux ans, tous le secteur de la promotion immobilière est installé dans une crise durable. »

À Strasbourg, les mises en vente de logements neufs ont chuté de -52 % : 283 au deuxième semestre 2023, contre 597 à la même période de 2022. Dans le sillon lorrain (Nancy, Metz, Thionville), la chute est de 45 % (de 428 à 235 sur les mêmes périodes). « C’est une catastrophe, résume le président régional des promoteurs. Le marché est tellement atone que, même quand nous avons l’autorisation de construire, bien souvent nous ne lançons pas la commercialisation, faute de clients potentiels. » Quant aux prix, ils sont quasiment stables sur l’Eurométropole (4 503 €/m² au second semestre 2022, 4 556 €/m² au second semestre 2023), tandis qu’ils augmentent encore de 11 % dans le sillon lorrain (de 3 565 € à 3 950 €).

Quant aux perspectives pour 2024, elles sont plus qu’incertaines. D’un côté, la baisse des taux accompagnée d’un assouplis­sement des conditions de crédit bancaire pourraient redonner un peu d’oxygène au secteur. Par ailleurs les promotionnels continueront de se battre pour contenir la hausse des prix : négociations ardues du prix des terrains, stabilisation des coûts de construction notamment grâce à des innovations techniques.

« En revanche, souligne Olivier Kinder, il est de plus en plus difficile d’obtenir des permis de construire, ce qui contribue à ralentir l’offre commerciale. » Le président de la FPI Grand Est veut malgré tout voir dans le succès des Rencontres de l’immobilier, organisées les 23 et 24 mars au PMC de Strasbourg par un groupement de promoteurs, un signe encourageant : « C’était une reprise de contact avec les clients. Ils s’intéressent aux projets en cours. Nous avons repris quelques couleurs… en attendant l’électrochoc. »

Olivier Kinder et Mélanie Biernacki, président et déléguée régionale de la FPI.

Jean de MISCAULT