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Dossier Paru le 07 mai 2024
LE LIVRE À METZ

Le Prix Marianne de la Chambre des notaires de Moselle à François Heilbronn

Le 26e prix Marianne de la Chambre des notaires de la Moselle a été remis le 19 avril à François Heilbronn, auteur de Deux étés 44, Metz 1744 - Drancy 1944 aux Éditions Stock. L’auteur dans ce roman fait le lien entre la maladie qui conduisit Louis XV aux portes de la mort à Metz en 1744 et l’agonie d’un dénommé Henri Klotz, 200 ans plus tard à Drancy. Trait d’union entre les deux événements, Isaïe Cerf Oulman, médecin juif qui sauva la vie du roi, qui n’est autre que l’aïeul du prisonnier du camp de la honte.

Dominique Barberis, André Lombardi, et François Heilbronn

La cérémonie de remise du Prix Marianne de la Chambre des notaires au fil des ans est égale à elle-même. Elle conserve ce charme discret dans l’élégant décor voûté du Grenier de Chèvremont, que le conservateur du Musée de la Cour d’Or de Metz, Philippe Brunella nous présente à chaque fois avec quelques détails de plus, avant que ne se déroule l’éloge de l’écrivain pri­mé et de son ouvrage, devant un auditoire dense et attentif. Ce n’est qu’à l’issue des discours, que les échanges avec l’auteur vont se laisser aller à la table des dédicaces où trônent ce soir-là des piles de livres : cette année, ceux de l’auteur, mais aussi de la présidente du jury, Dominique Barberis qui vient de signer Une façon d’aimer (Gallimard) couronné du Grand Prix du roman de l’Académie française et Un dimanche à Ville d’Avray en Folio. Une Dominique Barberis, qui délivre habituellement une très brillante et exhaustive analyse de l’ouvrage et qui, cette année, a été plus concise et laissé ce soin à Me André Lombardi, le président de la Chambre des notaires de Moselle, visiblement enthousiasmé par la qualité de ce roman, le premier de François Heilbronn Deux étés 44, Metz 1744 – Drancy 1944. Avant de se plonger dans cette œuvre remarquable, laissons-nous prendre par le ressenti des intervenants du Prix Marianne.

Un tabellion comme aïeul

Très joliment Philippe Brunella a introduit cette manifestation d’un clin d’œil au roman de François Heilbronn tout comme aux notaires. « Il y a longtemps, un de mes aïeuls était tabellion pour un notaire de Morhange. Vers 1526…1530 nous avons des traces de son écriture. Et la 14e génération que je forme a donc eu un ancêtre qui a travaillé pour ce qu’on peut peut-être qualifier de notaire de l’époque. En tout cas, il rédigeait des actes. Il se trouve que je suis devenu conservateur. Quelque part, la littérature, l’écri­ture, les actes notariés sont un des éléments essentiels pour qui veut écrire l’Histoire. Il me semble, je n’en suis pas certain, que le lauréat du Prix Marianne a plongé également dans les archives et a eu le bonheur de lire un grand nombre de textes, grâce à une belle écriture lisible lui permettant de raconter l’histoire dont il sera question dans un instant… Je me sens particulièrement à l’aise ce soir en raison de cet ancêtre qui était tabellion. » Du Musée de la Cour d’Or de Metz, il rappelle qu’il s’agit « d’un petit musée de province, de 6000 m2 et de 46 salles égrenant l’histoire de notre territoire, l’histoire de l’art avec ses vicissitudes, entre l’époque romaine et le XXe siècle. Le Grenier de Chèvremont, construit au milieu du XVe siècle, était le lieu d’échanges où l’on chargeait et déchargeait les sacs de grain, le grain de la ville qui était stocké sur les quatre étages. On peut estimer que 900 à 1000 tonnes ont pu être conservées dans ce grenier et permettait ainsi à la ville de Metz de garder une forme d’indépendance. »

Talent d’historien et de romancier

Aline Brunwasser, présidente du festival du Livre à Metz a salué ce premier ouvrage de François Heilbronn. « En mêlant un travail d’historien à un talent de romancier, vous nous en apprenez beau­coup sur Louis XV et sur la royauté, et sur la communauté juive de Metz qui s’appliquait déjà à s’inscrire dans un destin parfaitement dévolu à la France. Et comment, à deux siècles de distance, ces mêmes Juifs, et parmi eux les descendants de Isaïe Cerf Oulman, furent les victimes d’une barbarie insoutenable. » Elle n’oublie pas de relever que ce Prix Marianne de la Chambre des notaires, est un des quatre prix délivrés au festival du Livre à Metz avec le Prix du Livre à Metz Marguerite Puhl-Demange, le Prix Graoully Jeunesse, et le Prix Frontière décerné par l’Université de Lorraine : « des pépites littéraires qui confèrent à la ville de Metz et à la région une attractivité indéniable dans le domaine de la culture et de la littérature. »

Une quinzaine de pages pour un acte de vente…

Patrick Thil, adjoint au maire de Metz, délégué à la culture a salué pour commencer, les notaires. « Vous écrivez l’histoire du particu­lier, moi je la lisais en tant que conservateur des hypothèques. Et ça prend de plus en plus de temps : j’ai connu une administration où l’on recevait une quinzaine de pages pour un acte de vente, aujourd’hui c’est plutôt 150… Vous êtes des hommes de plume. » Il félicite « notre ami François que nous avions reçu pour le lance­ment de son livre dans les grands salons de l’hôtel de ville. C’est un grand plaisir d’entendre cette histoire ce soir. C’est un grand clin d’œil aussi à la communauté juive de Metz à qui nous devons beaucoup pour notre histoire et notre culture. » Il aura un mot pour Dominique Barberis, présidente du jury, « qui vient de recevoir le prix le plus cher à mon cœur, de tous les grands prix nationaux, celui de l’Académie française, dans lequel je me retrouve le plus. »

L’anecdote de Nicole Faessel

Nicole Faessel, élue municipale, présidente de l’Association plumes à connaître (APAC) est venue raconter sa rencontre, un soir de février 2023 avec l’auteur. «Je me suis arrêtée à la librairie La Pensée Sauvage de l’avenue de Nancy où une affiche présentait votre livre. Je me suis présentée en tant que présidente de l’his­toricité européenne de la Lorraine, à l’époque j’avais le genou très fatigué, et en raison d’une entorse, m’appuyait sur une béquille. Je m’assois à côté de deux jolies femmes très élégantes… qui avaient également une béquille. Je leur dis bienvenue au club. On se met à évoquer nos maux : entorse, prothèse, l’âge. Elles me disent : on est jumelles. Nous sommes les sœurs du romancier.» Une entrée en matière qui lui donne l’occasion, à l’issue de la conférence de l’écrivain, de se faire dédicacer le livre avant de l’inviter à un salon du général gouverneur à Metz. Faute d’argent sur elle, elle ne put régler le livre, mais repartir tout de même avec. Elle fut naturelle­ment surprise de voir que François Heilbronn venait d’obtenir le Prix Marianne et qu’il allait revenir à Metz pour cette occasion.

« Se distinguer autrement »

André Lombardi, président de la Chambre des notaires de la Moselle, évoque à son tour ce prix Marianne : «C’est une belle occasion pour le notariat de se distinguer autrement, au travers de ce prix qui couronne un essai, un ouvrage historique, une biographie, à l’exclusion du genre littéraire du roman.» Il glisse en passant un bel hommage à Dominique Barberis, à son œuvre couronnée de plusieurs prix (Prix des Deux Magots, Prix Jean Freustié, Prix de l’Académie française), son roman Un dimanche à Ville d’Avray a figuré dans les sélections du Goncourt et du Fémina, de la rentrée littéraire 2019. « Merci Madame Barberis de l’honneur que vous nous faites, que vous faites au notariat mosellan, en étant toujours à nos côtés. » Il en vient à justifier ce titre de Prix Marianne. « Parce que les notaires, officiers publics travaillent sous la protection de Marianne, symbole de la République qui figure sur notre sceau et les panonceaux à l’entrée de nos études. La République Française et ses valeurs auxquels les notaires sont viscéralement attachés. Mais la République Française n’est pas seulement l’apanage du notariat. Certains d’entre nous la vivent comme un sacerdoce, comme une profession de foi, comme un engagement chevillé au corps. Et s’il y a parmi nous une personne qui correspond bien à cette description, c’est M. François Heilbronn, lauréat du Prix Marianne 2024. »

André Lombardi s’est alors lancé, non sans talent, dans un portrait de l’auteur et dans l’analyse de son livre.

« Votre histoire nous a touchés »

Professeur à Sciences Po Paris, diplômé de Sciences Po, détenteur d’un Master de la Harvard Business School, François Heilbronn est un militant engagé depuis sa jeunesse au sein de la communauté juive, car il est vice-président du Mémorial de la Shoah. « Deux étés 44 est son premier récit historique. Quel récit ! » assure Me Lombardi. De fait, ce récit établit un parallèle entre deux moments de son histoire familiale : le 15 août 1744 et le 15 août 1944. Il y décrit plus généralement l’histoire des Français de confession juive en France. Et de citer Louis Aragon : « La lecture d’un ro­man jette sur la vie une lumière. La lumière qui émane de votre récit de votre famille, a éblouit mes yeux de l’esprit. Votre histoire nous a impressionnés, émerveillés, fascinés. En un mot, votre histoire nous a touchés. C’est la raison pour laquelle notre jury vous décerne ce soir notre Prix Marianne. » Ce n’est pas peu dire car pour André Lombardi ce livre incarne « une quête de vérité de l’auteur sur son histoire familiale à travers ses ancêtres. » Il va plus loin. « Cette œuvre nous a questionnés sur nous-mêmes. Elle nous éclaire avec sobriété, beaucoup d’humilité. » À travers cette histoire François Heilbronn met en parallèle à deux siècles d’intervalle, deux événements qui ont marqué l’histoire de notre pays, mais aussi « notre ville de Metz et la communauté juive de France. » Dans le détail, il rappelle comment le docteur Oulman a sauvé la vie de Louis XV, de passage à Metz quelques jours avant de rejoindre ses troupes en Alsace pour livrer la guerre aux Autrichiens. Il reprend la dramaturgie du récit dans cet épisode messin : « La rumeur s’amplifie. Le Roi se meurt ! C’est la conster­nation à l’hôtel du Gouverneur de la ville de Metz. Ses médecins sont impuissants… Il se confesse et reçoit les derniers sacrements. Mais en à peine trois jours le monarque est sauvé par un médecin de la communauté juive de Metz : Isaïe Cerf Oulman, dont l’identité restera longtemps cachée. Et pour cause, Louis XV, roi très chrétien, sauvé par un médecin juif, c’était simplement impensable. » Le roman fait alors le lien avec l’histoire de cet été 1944.

« Une trace indélébile dans l’histoire de France »

Deux cents ans plus tard, le 15 août 1944, Henri Klotz, héros de la guerre 14/18 agonise dans une annexe du camp de Drancy. Il pense aux membres de sa famille arrêtés pour le simple fait d’être juif. «Tous ces membres d’une même famille, une quinzaine au moins, citoyens et patriotes exemplaires, sont arrêtés, déportés et assassinés par les Allemands avec la complicité de l’État français d’alors. C’est l’histoire d’une famille, celle de François Heilbronn, tous descendants de Isaïe Cerf Oulman.» Pour André Lombardi « à travers l’histoire de ces deux périodes de la vie d’une famille juive, de la communauté juive en France, à deux siècles d’inter­valle, c’est l’histoire de la France qui s’écrit, notre histoire. Votre livre raconte ces liens qui unissent l’histoire de votre famille et l’histoire de France et finissent par former une trame. Toutes ces personnes ont laissé une trace indélébile dans l’histoire de France. Vous racontez comment ces Français juifs et non le contraire, vivant en France depuis 2000 ans, et votre famille française juive ont façonné l’histoire nationale. »

« Une lettre d’amour à la France »

Il revient sur l’engagement des ancêtres de l’auteur pour servir la France. Comment ils ont contribué au rayonnement des arts, de l’industrie, des lettres, de la médecine, et n’ont pas hésité à servir le pays en participant activement à toutes les guerres depuis la Révolution et dont quatre d’entre eux mourront au champ d’honneur, au cours des deux grandes guerres. Le livre évoque notamment, le capitaine Emile Hayem, un des ancêtres de l’auteur, écrivain, mort au champ d’honneur en 14/18 qui verra son nom gravé au Panthéon. « Votre histoire c’est aussi une histoire d’amour. Une lettre d’amour à la France. Vous évoquez votre attachement charnel et spirituel à la France, dont un patriotisme farouche n’en est qu’une des expressions. » Et il cite Antoine Compagnon : « vous avez fait l’éloge du patriotisme juif ». Et sur le même ton, il reprend comme s’il scandait en rythme : « Vous y racontez le désir farouche de vos ancêtres de s’intégrer dans le royaume avec les mêmes droits que les Français catholiques. Vous y racontez cette soif de justice et de reconnaissance, vous y racontez la fidélité et l’attachement de cette communauté à la France. » Et André Lombardi de faire cet aveu : « Pour moi il n’y a pas de doute. Il s’agit bien, si j’osais la métaphore, d’un amour filial. L’amour de l’enfant pour la mère patrie. Mais il arrive parfois que la mère rejette l’enfant. Ce livre c’est aussi l’histoire d’une trahison. » À cette question François Heilbronn a répondu. « Ce n’est pas la France qui a trahi les miens (…) mais l’État français de Pétain, Laval, Bousquet et tant d’autres traîtres à la France, c’est tout l’appareil d’État qui a trahi l’esprit des Lumières et nos principes républicains. »

« Enseigner la Shoah permet de progresser… »

Pour le président de la Chambre des notaires, « ce livre fait office de mémoire. » Il reprend la leçon de François Heilbronn lorsqu’il dit : « Nous devons en tant que Français faire face à notre histoire, ces pages de grandeurs et de générosité, mais aussi ces pages de l’ombre et du crime. Enseigner la Shoah, mais aussi les grands génocides du XXe siècle, permet de progresser, de réfléchir de lutter contre les mécanismes de haine de l’autre, qui sont toujours vivaces. » L’auteur préfère faire de la pédagogie, à travers ses multiples engagements. Il continue de citer l’auteur : « Enseigner la Shoah permet de déconstruire les discours de haine, du Juif et de l’autre, discours trop présents sur les réseaux sociaux. »

La lecture de ce livre a fortement inspiré André Lombardi. De quoi inviter à lire. « La lecture nous ouvre l’esprit, nous aide à trouver des réponses qui nous préoccupent, la lecture nous donne des clés de compréhension, permet de mieux nous connaître : la lecture rend libre. » Et pour enfoncer le clou, il va chercher Victor Hugo : « Lire c’est boire et manger, l’esprit qui ne lit pas, maigrit comme le corps qui ne mange pas. »

« Le tissage très subtil »

Que pouvait donc ajouter Dominique Barberis, la présidente du jury dans son analyse de ce livre ? Elle l’avoue d’entrée. « Je ré­fléchissais à tout ce que je devrais supprimer de mon discours, pour qu’il n’y ait pas de redite. » Elle a choisi de mettre en avant « ce qui l’a frappée dans ce livre, sa structure. »

Elle prend l’auditoire de court en parlant « du tissage très subtil de dates, celles de l’histoire, de lieux, mais aussi de noms, ce réseau presque infini des généalogies qui structurent ces étés 44, à travers lequel vous interrogez le lien charnel et douloureux qui unit une famille juive à la France, la vôtre. Et la question que vous vous posez. Qu’est-ce que c’est que ce franco-judaïsme, une histoire faite d’exclusions et d’espérance, d’engagements et de sacrifices, une histoire traversée et marquée par la tragédie de la Shoah. » Elle revient sur ces lieux qui installent le récit de François Heilbronn, en particulier la ville de Metz, qui est l’ori­gine de sa famille. L’écrivain rappelle la singularité de la ville en évoquant l’Alsace-Lorraine, rattachée à la France par le traité de Westphalie de 1648. « Ils ont été jusqu’à la révolution française, les seuls territoires à accepter des Juifs expulsés de France. Il existait à Metz cette importante communauté juive dont est issu le héros de l’épisode tragi-comique de la première moitié du livre. Metz était alors une place forte dans la guerre contre les Autrichiens. Vous faites de ce récit une espèce de tragi-comédie… » Elle reprend le fil de cet épisode en détaillant « la dysenterie du Roi soignée à coup de purges et de saignées, la médecine de l’époque. On craint le pire, on expulse ses maîtresses. Le roi fait voeu, s’il en réchappe d’ériger une basilique sur la montagne Sainte-Geneviève. On fait alors appel à Isaïe Cerf Oulman. Il sauve le roi, il n’en aura pas de récompense. Il va mourir 17 mois plus tard du typhus. Et vous descendez de son dernier fils posthume.»

Deux cents ans plus tard

Elle reprend l’épisode de l’été 1944 et d’Henri Klotz, ce père de six enfants, qui va mourir à Drancy très peu de temps avant la libération du camp. À Paris le 23 janvier 2005 où « vous retrou­verez le nom de Henri Klotz et des membres de votre famille inscrits au mémorial de la Shoah alors que vous assistez à son inauguration par Jacques Chirac et Simone Veil et vous en êtes le vice-président. » Elle enchaîne, toujours à Paris, une autre date, le 1er juillet 2018 « vous êtes au Panthéon le jour de l’entrée de Simone Veil au Panthéon. Et ça nous ramène au début de votre livre, en 1927, lorsque Julien Hayem assiste à une cérémonie en mémoire des 560 écrivains morts au champ d’honneur. Son fils Emile Hayem, le beau-frère de cet Henri Klotz mort à Drancy, y figure. Mais le Panthéon, comme une chambre d’écho, rassemble non seulement la mémoire de ces deux hommes, et inscrit aussi celle de Isaïe Cerf Oulman, le sauveur méconnu de Louis XV. » La basilique Sainte-Geneviève que le roi avait fait voeu de construire sur la montagne Sainte-Geneviève s’il était sauvé, est devenue sous la révolution, le temple républicain Panthéon.

Dominique Barberis dessine alors sa façon de lire ce roman dont la trame « forme une espèce de cercle. Comme une boucle sym­bolique. » Elle y ajoute un épisode, celui de ce 19 avril 2024 qui ramène François Heilbronn à Metz pour la remise du Prix Marianne. Une bien jolie façon de boucler la boucle.

« J’ai construit ce livre comme un tissage »

Il domine la petite tribune de sa taille haute (il mesure 1,93 m) et voit un signe de sa venue à Metz, ici-même dans ce Grenier de Chèvremont dont il évoque le charme. Il fait le lien avec un des héros positifs de son roman, son grand-père, Jacques Heilbronn. Il était agriculteur en Seine-et-Marne, à Sucy «où nous avons gardé une ferme, à 4 kilomètres du château de Vaux-le-Vicomte.» Et forcément les 15 silos à grains de cette ferme familiale qu’il a vendue il y a peu, rappelle le Grenier à grains de Chèvremont. Il se dit naturellement très touché par « ce prix des notaires, les no­taires racontent l’histoire de notre pays. Quelque part vous avez un peu participé à mon roman. » Il salue avec chaleur Dominique Barberis, la très grande écrivaine qui a reçu un très grand prix, celui de l’Académie française. » Il a visiblement beaucoup apprécié les discours « qui proposent une lecture très fine et subtile de mon livre. » Et le terme de tissage proposé par Dominique Barberis a fait son effet. «C’est un terme très proche des valeurs et de la construction des livres juifs : c’est le tissage. Le Talmud, livre des commentaires de la Torah, la bible juive, est un tissage. J’ai construit ce livre comme un tissage.» Il insiste sur l’hospitalité messine, car lors du festival du Livre à Metz 2023, il avait déjà été reçu à l’hôtel de ville aux côtés de son épouse, elle aussi-écrivaine, auteur de onze romans, Ariane Bois.

Le symbole de Marianne

Il détaille ensuite très généreusement avec légèreté tout ce que cette réception de ce prix lui inspire. «Marianne. Vous avez rap­pelé la beauté de votre sceau. Je m’arrête souvent devant les plaques devant les bâtiments, j’aime les sceaux. Marianne c’est la République, la Révolution et aussi la femme comme symbole de liberté. Les États-Unis ont un aigle comme symbole, comme les Allemands. Je préfère que les Français aient choisi une femme et une belle femme.» Il répond à Catherine Bonichot qui lui a annoncé son prix en regrettant que « les notaires n’aient pas une bonne image. » Ce qu’il s’empresse de contredire. « Les notaires ont une excellente image. Les actes notariés sont des archives historiques. Ils racontent l’histoire. C’est une noble profession. » Enfin ce prix le touche particulièrement parce qu’il s’agit de la Moselle et de Metz. Il a lu 70 livres pour préparer son cours sur l’histoire des Juifs en France à Sciences Po, et trois concernaient l’histoire des Juifs en Moselle. C’est ainsi qu’il découvre qu’un médecin juif a soigné le roi Louis XV de passage à Metz. Il se rappelle alors une histoire similaire que lui avait racontée sa grand-mère, lorsqu’il avait 8-10 ans.

La plongée dans les archives

On entre de plain-pied dans le cheminement de l’auteur vers l’écriture de ce livre. François Heilbronn nous le raconte de façon passionnante. Il a cherché dans les archives israélites de Metz, déposées aux archives départementales, pour confirmer l’identité de ce fameux médecin juif. Isaïe Cerf Oulman était l’arrière-grand-père de l’arrière-grand-père de sa grand-mère : 8 générations. « C’est très proche, 280 ans » dit-il. Tout est parti de là. « C’est une histoire extraordinaire. Je vais écrire cette histoire. » Au départ, il pense rédiger un petit essai historique. Il va dès lors plonger dans les archives. Il remercie la BNF, la Bibliothèque nationale de France et son outil Gallica qui a numérisé tous les grands textes du XVIe, XVIIe, XVIIIe. « Je tape sur Gallica maladie du roi Louis XV à Metz en 1744. J’ai 15 livres qui sortent. » Il lit tout. « Cette histoire c’est de la tragi-comédie » ainsi que l’a répété auparavant Dominique Barberis. Il fait oeuvre de romancier en comblant les trous. « J’ai inventé les trous. À l’arrivée tous mes amis historiens m’ont dit à la lecture de mon roman : ça marche, parce que tu racontes une histoire. L’avantage du roman, il vous manque un personnage, vous le créez, il vous manque une situation, vous l’inventez. » Il ne peut s’empêcher de faire le parallèle : « Quelle liberté par rapport au notariat ! Quelle liberté par rapport à la stratégie d’entreprise ! »

Il évoque l’avantage d’avoir une épouse romancière. « Je lui ai fait lire. Elle est critique littéraire. Elle me dit : tu as une vraie histoire, mais tu as trois ans de boulot ! J’ai écrit un premier texte, je l’ai réécrit et réécrit. » Il glisse en passant chez l’éditeur, les éditions Stock, qui l’a fait travailler son roman, une anecdote révélatrice du monde de l’édition. « Dans le bureau surchargé de manuscrits, l’éditrice me fait une révélation : la maison d’édition reçoit 10 000 manuscrits et premiers romans par an. Elle en lit 1000, en sélec­tionne 10 et en publie 4. »

« La réalité du cercle »

Il finit sur une note un peu plus triste en citant la dernière phrase de son livre. «C’est une citation d’un philosophe allemand du XVIe siècle et que mon père aimait beaucoup : il n’a rien à craindre de la mort celui qui connaît la réalité du cercle.» Ce cercle qu’a évoqué dans son analyse Dominique Barberis. «Mon livre est ef­fectivement un cercle. On part de Metz où un médecin juif sauve un roi qui va ériger une basilique laquelle va devenir le Panthéon où seront honorés deux de mes ancêtres, et mon fils David qui ac­compagnait Jacques Chirac et Simone Veil pour inaugurer la plaque qui rend hommage aux Juste parmi les Nations, le 15 janvier 2007 au Panthéon et le 1er juillet 2018 nous accompagnons Simone Veil au Panthéon. Elle est une amie très proche de la famille et elle était une lointaine petite cousine du docteur Oulman. C’est pour ça que c’est un cercle. Mon père Hubert Heilbronn est décédé dimanche dernier (ndlr : le dimanche 14 avril). Je l’ai enterré il y a deux jours. Il a eu deux derniers bonheurs : je lui ai appris ce prix. Il en était très heureux. La première fois que j’ai visité la ville de Metz, c’était le 3 octobre 2019. Je l’ai raconté à ma mère. Elle est décédée deux jours après, le 5 octobre 2019.» François Heilbronn y voit «ces hasards objectifs» dont parle André Breton, «un auteur que mon père appréciait beaucoup.»

Il accompagne la fin de son discours d’un beau geste. Le prix Marianne est doté de 2000 euros. Il en fait don à deux associa­tions. «Dans ma famille, il y a une tradition, de la philanthropie, de la générosité.» Il remet un chèque à Jeanine Keim de SEDIM, la société d’entraide des dames israélites de Moselle qui vient aider des juifs nécessiteux de Metz et de la Moselle, et à Eric Fisz, frère du Grand Rabbin de Moselle, pour l’association Guershom qui s’occupe de l’éducation des jeunes juifs. «François Heilbronn est l’exemple type de la personne qui croit en la transmission. Merci» a gentiment convenu Eric Fisz.

Bernard KRATZ