Madame Tomé-Gertheinrichs, qui a occupé plusieurs postes de responsabilité dans le secteur privé et dans divers cabinets ministériels, est actuellement déléguée du MEDEF auprès du Conseil économique, Social et Environnemental (CESE). Elle a également été directrice générale adjointe au MEDEF en charge des affaires sociales.
La conférence a porté sur l’articulation des temps de vie professionnel et personnel, un sujet sur lequel elle a co-rapporté une résolution en juin 2023 au CESE. Elle a également présenté en détail l’Avis rédigé par le CESE en avril 2024, suite à une demande de la Première ministre en octobre 2023.
Madame Tomé-Gertheinrichs et Madame Christelle Caillet, représentant la CFDT au sein du CESE, ont été les rapporteures de cet Avis. Avant de se pencher sur la résolution et l’Avis, elle a partagé ses réflexions et observations sur le travail.
Selon elle, la conférence aurait pu être intitulée “La nouvelle question du travail”, car la notion de travail a évolué avec le temps. Auparavant, avoir un travail signifiait avoir un emploi, et le travail occupait une place centrale dans la vie des gens. Peu de questions étaient posées sur le travail, qui était souvent exercé dans un cadre de subordination.
Madame Tomé-Gertheinrichs a souligné que la réglementation du travail a évolué récemment en raison de questions liées aux droits individuels, tels que le droit au licenciement, le droit de se défendre, les droits sociaux et les droits liés à la santé au travail.
Elle a également noté que le travail est influencé par des sujets tels que le dialogue social, qu’il soit normatif ou interne aux entreprises.
Elle a également abordé de nouvelles questions qui affectent la vie au travail et qui portent également sur le travail comme activité sociale. Ces questions, liées aux évolutions sociales, concernent le droit à la différence, les discriminations, le respect des personnes ou le droit au bien-être au travail. Ces évolutions récentes ont conduit à un encadrement plus strict de l’organisation du travail, domaine qui reste la prérogative de l’employeur. Cette prérogative est la contrepartie de la présomption de responsabilité de l’employeur en matière de santé au travail. Comme l’a indiqué Madame Tomé- Gertheinrichs, si cette présomption de responsabilité de l’employeur en matière de santé au travail était remise en question, on pourrait alors revenir sur la question de l’organisation du travail qui est aux mains de l’employeur, du moins en principe.
Le travail en tant qu’activité sociale est au coeur des débats récents sur la place de l’entreprise dans le système social au travers de la réglementation sur la responsabilité sociale des entreprises, ou la mise en place de la norme ISO 26000. Elle a souligné que les entreprises doivent désormais être attentives à leur responsabilité sociétale, ce qui a un impact direct sur le travail.
Avec l’adoption de la loi PACTE, les entreprises ont été contraintes de réfléchir non seulement à leur objet social, qui est une notion purement économique, mais aussi à leur raison d’être. Ces évolutions ont transformé l’entreprise en une entité plus qu’économique, mettant l’entrepreneur face à un dilemme : tenir compte de la performance économique de son entreprise tout en prenant en compte les évolutions de la réglementation et les attentes croissantes, à la fois sociales et politiques, des salariés et de la société en général.
Madame Tomé-Gertheinrichs a conclu ce point en soulignant que “nous avons complètement changé d’époque du point de vue de la relation entre l’entreprise où s’exerce le travail et son environnement, son écosystème social”. Avant d’aborder la résolution votée en juin 2023, elle a également souligné l’émergence de la remise en question du travail en tant qu’activité sociale.
Les interrogations des jeunes générations ont donné naissance à un nouveau rapport au travail, à son sens et à sa place dans la vie des personnes. D’autres considérations sont également à prendre en compte, notamment une demande de plus de liberté et d’autonomie dans le travail, ce qui entraîne également une remise en cause de l’autorité. S’exprime aussi le besoin d’une adéquation nécessaire entre les convictions personnelles et les valeurs de l’entreprise. Sur le plan de l’organisation du travail, de nouvelles attentes émergent de la part des salariés, comme la question du télétravail.
Enfin, l’émergence de nouvelles technologies, un marché de l’emploi en tension, la disparition ou l’évolution nécessaire de certains métiers, l’évolution démographique de la population, les impératifs en matière d’écologie et de décarbonation sont autant d’éléments qui complexifient le monde économique.
La résolution sur “Le travail en question”, votée en juin 2023 au CESE, et l’Avis sur “l’articulation des temps de vie professionnel et personnel” s’inscrivent dans le prolongement des Assises sur le travail qui ont eu lieu de décembre 2022 à avril 2023.
Après un débat en commission, cette résolution a permis de dégager quatre axes prioritaires pour définir le programme de travail pour le CESE.
- Comment développer de nouvelles organisations de travail et repenser le rapport au travail
Les organisations du travail sont profondément remises en question (télétravail, révolution technologique…), ce qui impacte bien entendu les salariés qui peuvent être en perte de repères. Il faut également prendre en compte le risque de déqualification. Pour l’employeur, le risque est de voir les salariés démobilisés.
Dans le contexte d’un marché de l’emploi tendu, le risque de la perte de l’employabilité s’ajoute à la difficulté déjà existante de recruter. Les organisations sont impactées par de nouvelles contraintes, comme la contrainte énergétique, mais aussi par de nouvelles attentes des salariés. Il y a donc une vraie question autour de l’articulation des temps de vie.
Un autre point que le CESE souhaite étudier concerne les risques et opportunités du numérique et de l’intelligence artificielle puisque les évolutions des organisations font craindre un risque de désinsertion professionnelle.
- Comment engager la mutation des métiers vers une transition juste
La commission a établi que les métiers de demain devront être compatibles avec une économie sobre qui prend en compte des impératifs écologiques. Dans ce contexte, il est nécessaire de repenser l’adhésion au travail et l’accompagnement des salariés.
Madame Tomé-Gertheinrichs, ayant constaté au ministère de l’emploi que la question de l’évolution des métiers n’est pas véritablement posée, souligne qu’une analyse macro-économique permettrait de piloter ces mutations pour répondre aux besoins des entreprises et favoriser l’employabilité des personnes grâce à une politique volontariste en matière de formation continue. Elle pointe d’ailleurs du doigt le manque d’accompagnement des personnes dans la mise en place du Compte Personnel de Formation.
- Comment dynamiser la démocratie au travail
La démocratie sociale, qui n’est pas tout à fait la démocratie au travail est la place qu’on laisse aux partenaires sociaux dans l’élaboration de la norme sociale. À ses yeux, la centralisation des décisions au niveau de l’État au détriment des négociations entre les partenaires sociaux, par exemple la loi sur la formation professionnelle, pose la question de la démocratie tout court.
Elle souligne la nécessité de promouvoir et de pousser au dialogue social à tous les échelons, que ce soit au niveau des entreprises, des branches professionnelles ou au niveau interprofessionnel. Ce dialogue, qui doit porter sur les conditions de travail, impacte donc les organisations du travail. Il doit aussi permettre de parler de la situation des salariés précaires.
- Comment lutter contre les inégalités, la précarité, la discrimination au travail
Le quatrième axe de la résolution porte sur la lutte contre toutes formes d’inégalités ou de discrimination dans le cadre professionnel. La résolution constate que dans le monde du travail, précarité et discrimination engendrent les inégalités sociales. La précarité s’exprime dans les conditions d’emploi et de travail difficiles. Quant à la discrimination, elle concerne les femmes, les personnes handicapées, les seniors, les personnes d’origine étrangère, etc. Madame Tomé-Gertheinrichs souligne qu’il y a un chantier à ouvrir en ce qui concerne le travail et l’intégration sociale. Il faut également étudier cette discrimination non seulement à un instant T, mais aussi appréhender cette discrimination sur une trajectoire professionnelle.
Suite à cette résolution, le gouvernement a saisi le CESE et demandé un avis sur l’articulation des temps de vie. Pour élaborer cet avis, le CESE a mis en place une plateforme citoyenne avec un questionnaire qui a recueilli près de 11 000 réponses.
Six enseignements majeurs ont été retenus :
1. Une analyse genrée du sujet est nécessaire, car les femmes et les hommes ne répondent pas de la même manière.
2. L’organisation du temps de travail est centrale, mais la semaine de 4 jours n’est pas plébiscitée. Une grande majorité demande une réflexion sur l’organisation du temps de travail.
3. Il y a une forte demande de liberté pour choisir ses horaires de travail.
4. L’intensification du travail est un vrai problème qui amène à se poser la question du management.
5. La question de la déconnexion donne un résultat quelque peu contre-intuitif car plus de la moitié des répondants (54%) souhaitent être libres de choisir d’être ou non connectés.
6. Un antagonisme entre cols bleus et cols blancs est apparu.
Ces résultats ont permis au groupe de travail de se forger deux convictions fortes :
• Il ne faut pas légiférer sur la semaine de 4 jours, mais prévoir une réflexion sur le temps de travail quasiment au cas par cas, à travers le dialogue social.
• Le temps libre est un sujet à part entière qui nécessite une réflexion sur son périmètre. Cela ne dépend plus uniquement de l’entreprise mais bien des politiques sociales mises en œuvre.
Cet Avis a permis de fixer deux grands blocs de préconisation.
Tout d’abord, un véritable dialogue social doit être mené dans toutes les strates, des branches professionnelles jusqu’à l’entreprise, afin de réfléchir à la fois au temps de travail mais aussi à l’organisation du travail. Le CESE préconise une analyse par branche professionnelle des spécificités de l’articulation des temps de vie. Dans le cadre de l’entreprise, une réflexion doit être menée concernant le management, qui doit être un véritable sujet de stratégie d’entreprise. Elle doit mettre en place une stratégie managériale avec obligation de formation des managers et une meilleure prise en compte de la charge de travail.
Le second bloc concerne l’importance du temps libre dans notre société. Selon le CESE, le temps libre et le temps de repos sont des notions distinctes et le temps libre doit être protégé juridiquement. Pour ce faire, le CESE préconise son inscription dans la charte des droits sociaux au niveau européen. L’idée d’intégrer le temps libre dans le code du travail n’a pas été retenue par la commission, car cela dépend en partie de l’employeur en ce qui concerne le temps de repos, mais pour le reste, cela ne dépend plus de lui.
Le temps libre dépend à la fois des politiques sociales adaptées et d’une politique d’égalité entre les femmes et les hommes. Madame Tomé-Gertheinrichs a également soulevé la question de la mobilité et du logement, qui ont un impact sur le temps libre. Par exemple, les temps de transport peuvent-ils être considérés comme du temps libre ?
Il est également nécessaire de réfléchir à la valorisation du temps libre pour les personnes qui ont une activité associative ou syndicale. Dans ce contexte, certaines personnes acquièrent des compétences qui, pour l’instant, ne sont pas valorisées au niveau de leur employabilité.
Comme on peut le voir à travers ces deux axes de préconisations, l’articulation des temps entre vie professionnelle et temps libre n’est pas seulement une question à poser à l’entreprise, mais c’est une question qui interroge l’ensemble de la société. Il est clair que le temps libre est une notion complexe qui nécessite une attention particulière et une réflexion approfondie de tous les acteurs de la société.
Si le sujet vous intéresse, vous pouvez trouver le texte complet de l’Avis du CESE sur leur site à l’adresse suivante :