Dossier Paru le 25 juin 2024
L’€URO

entre « perceptions » et « réalités »

La direction régionale de la Banque de France organisait, le 11 juin dernier, une de ses « Rencontres de la politique monétaire » sur le thème de l’euro. L’occasion de dresser un bilan de l’économie française depuis le passage à l’euro et d’anticiper l’avenir avec la création future de l’euro numérique.

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« Lors du passage à l’euro, j’étais étudiante ; du jour au lendemain, je me suis sentie très très pauvre ». « Sur le salaire, on remarquait tout de suite qu’il était moins important, et, quand on faisait les courses, on a tout de suite remarqué une inflation. » « Je pense que beaucoup de personnes aiment l’euro et souhaitent le garder. » « Je voyage beaucoup, donc je trouve cela très pratique. » Le micro-trottoir réalisé par la Banque de France dans le centre-ville de Strasbourg, en ce printemps 2024, donne le ton. Même si, à l’automne 2023, selon la Banque de France, 77% des Français affichaient leur soutien à l’euro, quelques traces de scepticisme demeurent dans l’opinion.

Au surlendemain des élections européennes, dont on connaît le résultat, la Banque de France organisait, ce 11 juin, une de ses « Rencontres de la politique monétaire » sur le thème suivant : « L’euro numérique : une innovation en développement servie par 25 ans d’union monétaire ». Et pour introduire le sujet, Laurent Sahuquet, directeur régional Grand Est de la Banque de France, dressait le bilan des 25 ans du passage à l’euro pour l’économie française. Si l’euro fiduciaire est arrivé dans nos poches le 1er janvier 2002, l’entrée en vigueur de la monnaie unique date effectivement du 1er janvier 1999.

Le verre à moitié plein

Pour le directeur régional de la Banque de France, le bilan de l’euro tient en six vérités : trois bonnes nouvelles et trois mauvaises. Du côté du verre à moitié plein, l’euro a d’abord permis à la France de mieux maîtriser son inflation. Entre 1990 et 1998, le taux moyen d’inflation annuel était de 4,4% en France, 2,7% en Allemagne, 4,3% dans ce qui allait devenir la zone euro. De 1999 à 2023, le même taux d’inflation était d’1,9% en France, 2% en Allemagne et 2,1% dans la zone euro. Avec l’euro, non seulement l’inflation a baissé en France, mais en plus elle est moindre que chez ses voisins européens. 

Selon la Banque de France, l’euro a ensuite permis une progression du pouvoir d’achat plus élevée en France que dans la moyenne européenne : 26%, contre 17%. Entre 1999 et 2023, le pouvoir d’achat des Français a plus augmenté que celui des Allemands, des Italiens ou des Espagnols. Enfin, grâce à l’euro, les emprun­teurs français (ménages comme entreprises) ont plus bénéficié de la baisse du coût des emprunts que leurs voisins européens. Entre 2003 et 2023, la baisse du taux d’intérêt moyen des crédits pour les ménages français aura été de 4,8 points. Et en 2023, les taux d’intérêt pour les mêmes ménages étaient sensiblement inférieurs à ce qu’ils étaient pour les ménages allemands ou européens.

Le verre à moitié vide

Du côté du verre à moitié vide, la croissance du PIB en France a été inférieure à celle de la moyenne européenne et de ses principaux voisins : 19 % de croissance en France entre 1999 et 2023, contre 25% dans l’ensemble de la zone euro. D’autre part, durant la même période, la compétitivité de l’économie française s’est dégradée, ce qui se traduit par une moindre performance du made in France à l’exportation. Enfin, toujours entre 1999 et 2023, l’endettement public et privé de la France a nettement plus augmenté que dans la moyenne de la zone euro. La part de la dette privée des ménages français et des entreprises dans le PIB inférieure à la moyenne européenne en 1999 lui est désormais largement supérieure. Quant à la dette publique, elle est passée de 60% du PIB en 1999, à 111% en 2023. L’écart avec l’ensemble de la zone euro dépasse les 20 points et 50 points avec l’Allemagne

 

« Le hall d’accueil de la banque était noir de monde »

Pierre Mathiot, agent en poste à la caisse de Strasbourg au moment du passage à l’euro, se souvient. Il brandit un objet de la forme et de la taille d’une briquette : « Dans cette briquette, il y a 1 200 billets en francs qui ont été broyés. Avant, le 1er janvier 2002, nous avons d’abord dû fournir tous les établissements bancaires en un nombre de coupures suffisant. Il a également fallu adapter les automates à l’euro. Par ailleurs, nous avons dû former tous les professionnels, des employés des établissements bancaires aux salariés de la grande distribution. »

« Je me souviens aussi de l’affluence considérable à nos guichets de la place Broglie. Les gens avaient peur de ne pas pouvoir échanger. Il y avait la queue jusqu’à l’angle de la place avec la rue de la Nuée Bleue. Le hall d’accueil de la Banque de France était noir de monde. Les gens attendaient pendant deux ou trois heures. »

En route vers l’euro numérique

En France, en 2022, près de la moitié des paiements au point de vente étaient effectués par cartes ou applications mobiles. Dans le même temps, le e-commerce ne cesse de se développer : en 2016, 44% des Européens avaient acheté sur internet dans les 3 mois, ils étaient 58 % en 2022. Les avantages de ces nouveaux modes de paiement sont bien sûr connus : instantanéité, simplicité, efficacité et ergonomie. « Dans le même temps, souligne Alexandre Stervinou, directeur des études et de la surveillance des paiements à la Banque de France, cette numérisation des paiements s’accompagne de dépendances fortes et croissantes vis-à-vis d’acteurs non-européens, qu’il s’agisse de fournisseurs de cartes de paiement, comme Visa, de fournisseurs de wallets, comme Apple Pay ou Google Pay, ou de plateformes, comme Paypal. »

C’est une des raisons pour lesquelles la Banque Centrale Européenne a lancé le chantier de l’euro numérique. Cette monnaie centrale dématérialisée ne remplacera pas les es­pèces, elle en sera complémentaire et sera acceptée dans tous les pays de la zone euro. À la différence des systèmes privés et non européens, elle garantira un haut niveau de confidentialité et ses services seront gratuits et non rémunérés. Alexandre Stervinou résume : « L’euro numérique permettra de faire face aux concurrents privés et internationaux à l’échelle de toute la zone euro. »

La Banque Centrale Européenne annonce une mise en service progressive de l’euro numérique d’ici cinq ou dix ans.

Jean de MISCAULT