Dossier Paru le 28 juin 2024
LÉGISLATIVES 2024

Les partis politiques auditionnés par les patrons

Poursuivre ou pas la politique de l’offre menée depuis 2017 ? Les candidats aux législatives se sont positionnés devant les représentants patronaux préoccupés par les programmes du RN et du Nouveau Front Populaire.

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« Le programme du RN est dangereux pour l’économie, la crois­sance et l’emploi, celui du Nouveau Front Populaire l’est tout autant, voire plus ». Les mots de Patrick Martin, président du Medef, juste publiés dans le Figaro, ont donné le ton de la matinée du 20 juin. À Paris, plusieurs syndicats patronaux dont le Medef, la CPME et l’U2P, recevaient les représentants des principaux partis ou coali­tions candidats aux élections législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet. Premier à démarrer, Édouard Philippe, fondateur du parti Horizons a posé ainsi les termes du débat : « l’un des enjeux est celui de perdre ou pas le fil de cette politique (poursuivie depuis 2017) qui est une politique de l’offre », a-t-il expliqué. Son projet se situe dans l’approfondissement de cette dynamique. Au pro­gramme : stabilité fiscale pour les entreprises, fluidification du marché du travail, assouplissement des règles assurantielles et bancaires pour stimuler le financement.... Le tout, assorti d’une « maîtrise ferme de la dépense publique » et d’une politique de réduction des déficits.

Comme lui, deux autres candidats se sont positionnés dans la poursuite de cette politique de l’offre. « Il ne faut pas mentir aux Français ; la dépense publique ne fait pas la croissance », a pointé Bruno Retailleau, porte-parole de LR, Les Républicains. Le parti propose plusieurs mesures dont le déverrouillage des 35 heures, une révision de l’assurance chômage pour creuser un écart impor­tant entre le « revenu d’assistance » et le « revenu du travail ». Et aussi, une réforme de l’État pour réaliser des économies massives.

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, est venu exposer les propositions de Ensemble pour la République, coalition autour d’Emmanuel Macron. Lui a promis que le rééquilibrage des comptes publics allait devenir « la priorité absolue ». Et que la politique de l’offre allait être poursuivie, avec par exemple la suppression to­tale de la CVAE, Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, confirmée pour 2027.

Ruptures

À rebours de ces trois candidats, les deux autres ont proposé le changement. « Rupture responsable », selon les termes de Jordan Bardella, représentant le Rassemblement National, accompagné d’Éric Ciotti président – aujourd’hui contesté – de LR qui s’est rallié à lui. « La situation financière et budgétaire de quasi-faillite constitue un appel à la responsabilité pour ceux qui succèdent », a expliqué Jordan Bardella. Des projets de dépenses annoncés du RN subsistent une baisse de la TVA sur l’énergie et la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler à 20 (dans un premier temps). Côté entreprises, le RN promet notamment « stabilité fiscale », et tenue « d’états généraux de la simplification ». La création d’un fonds souverain devrait permettre de flécher l’épargne vers les entreprises. En revanche, ces dernières ne devront pas compter sur l’immigration pour résoudre leurs problèmes de main d’oeuvre (sauf exception). Une « fausse solution », prévient Jordan Bardella. Lequel a évoqué plusieurs pistes d’économies budgétaires dont la lutte contre la fraude, l’immigration, la participation au budget européen. De leur côté, Éric Coquerel (LFI) et Boris Vallaud (PS) représentants le Nouveau Front Populaire, ont annoncé : « Nous voulons inverser la logique, rompre de façon claire avec la politique menée depuis 2017 ». Le projet se base sur la « relance forte de la croissance, en finançant la transition écologique ». Cap : la recon­quête industrielle. Le Nouveau Front Populaire prévoit l’abrogation des réformes de l’assurance-chômage et des retraites, le retour au dialogue social et l’augmentation du SMIC. Mais il se veut rassurant quant à l’impact de ces mesures sur les PME. « La hausse des salaires est nécessaire, mais ses surcoûts pour les PME seront compensés », explique Éric Coquerel. Plus généralement, le cadre fiscal et légal des petites entreprises restera inchangé, promet-il. A contrario, Boris Vallaud pointe le patrimoine des particuliers très riches comme source potentielle de recettes fiscales. Le lendemain, NFP a annoncé le chiffrage de son programme (150 milliards d’euros d’ici fin 2027 ). Les autres restent à venir.

Les prix de l’énergie au cœur de la campagne

Liés à la question du pouvoir d’achat, les prix de l’énergie font l’objet d’une attention particulière dans les programmes électoraux…

+ 11,7 % : c’est l’augmentation moyenne de la facture de gaz que subiront des millions de ménages en France à compter du 1er juillet ! Il n’en fallait pas plus pour que la question des prix de l’énergie, intimement liée à celle du pouvoir d’achat, fasse son grand retour dans le débat médiatique, en particulier en cette (intense) période électorale… En effet, tout le monde a encore en tête la grave crise énergétique de l’après-COVID-19, durant laquelle les prix du pétrole et du gaz avaient flambé. La balance énergétique française s’était alors fortement dégradée, sous les effets conjugués de l’indisponibi­lité d’une partie des centrales nucléaires, des difficultés à maintenir une production hydroélectrique en raison de la sécheresse et des difficultés d’approvisionnement en gaz.

Pour éviter l’explosion sociale, les dirigeants politiques avaient choisi de mettre en oeuvre des politiques — très onéreuses et souvent mal ciblées — de compensation partielle de l’inflation (chèques énergie, subventions à la pompe, baisse temporaire de la fiscalité, gel des augmentations tarifaires…). Le retrait progressif de tous ces dispositifs ravive, par conséquent, les inquiétudes. D’autant que si les prix de gros se sont beaucoup assagis, les prix de détail demeurent à un niveau très élevé, amputant le pouvoir d’achat des ménages et desservant les entreprises, qui subissent également une hausse de leurs coûts de production.

« Prix repère » dans le gaz

Comme la France importe la quasi-totalité de son gaz naturel, elle se retrouve donc soumise aux variations de prix sur les marchés de gros. Les offres des fournisseurs sont ainsi très souvent indexées sur le « prix repère », défini par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) comme « un prix variable [qui] intègre à la fois les coûts d’approvisionnement (coût de l’énergie sur le marché de gros) et les coûts hors approvisionnement, tels que les coûts commer­ciaux, les coûts d’acheminement ou de stockage et la rémunération du fournisseur ». Bref, une sorte de référence sur le marché du gaz résidentiel depuis la disparition des Tarifs réglementés de vente du Gaz (TRVG).

Dans ces conditions, l’augmentation du 1er juillet prochain s’explique par la remontée des prix sur les marchés de gros et, surtout, par le rattrapage sur le tarif d’acheminement du gaz vers les utilisateurs finals (ménages et entreprises). En effet, des coûts de réseau fixes rapportés à une consommation en recul de 20 % sur la période 2021-2023 conduisent immanquablement à une hausse de la facture pour l’utilisateur final, quoique différente selon les offres souscrites.

Électricité, fioul et carburants

En dépit du bon sens, la tarification de l’électricité est calculée au coût marginal sur le marché de gros, ce qui conduit à fixer le prix du MWh sur la centrale la plus chère, souvent au gaz. Dès lors, une hausse de ce dernier fait monter le coût de production d’électricité par une centrale à gaz, d’où par ricochet une hausse à plus ou moins long terme des tarifs de l’électricité pour le client.

Et le pétrole dans tout ça ? Depuis le pic de 2022, le baril de Brent a reflué de près de 20 %, malgré les tensions géopolitiques croissantes. Quant au fioul domestique, son prix a plutôt été orienté à la baisse ces derniers mois, tandis que les carburants se sont stabilisés à un niveau très élevé, bien plus haut qu’au déclenche­ment de la crise des Gilets jaunes. À plus long terme, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) anticipe une hausse de la production mondiale, conjuguée à une stabilisation de la demande, sous l’effet notamment de la montée en puissance des véhicules électriques. L’un dans l’autre, cela « pourrait ouvrir la voie à un environnement de prix du pétrole plus bas ». Mais pas tout de suite.

Réponses électorales

Pour répondre à cette préoccupation des Français concernant les prix énergétiques, le RN propose de « baisser les factures d’élec­tricité et réduire la TVA sur le gaz, le fioul et les carburants », tandis que le « Nouveau front populaire » souhaite, entre autres, « abolir la taxe Macron de 10 % sur les factures d’énergie, annuler la hausse programmée du prix du gaz au 1er juillet, faire la gratuité des premiers KWh, abolir les coupures d’électricité, de chaleur et de gaz […] », et même « bloquer les prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants par décret » ! L’actuel gouvernement n’est pas en reste, puisque Gabriel Attal a confirmé la baisse de la facture d’électricité de 15 % durant l’hiver à venir, « grâce à la réforme du marché européen de l’électricité que nous avons obtenue », et ce malgré la fin programmée du bouclier tarifaire, dont l’une des conséquences sera la hausse de la fiscalité prélevée sur le MWh, au travers des tarifs sur l’accise sur l’électricité.

Dans ce contexte politique et social tendu, gageons que la transi­tion énergétique restera une priorité, car l’utilisation des énergies fossiles bute, à l’évidence, sur des stocks limités et de graves externalités négatives !

Anne DAUBRÉE ET Raphaël DIDIER