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Dossier Paru le 02 août 2024
LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

À l’épreuve de la réglementation des abus de marché. Cass. com., 14 février 2024, n° 22-10472, FS-B+R

Un journaliste ou une agence de presse spécialisée en matière financière qui, sans respecter les règles de sa profession, mentionnées à l’article 21 du Règlement Abus de marché (MAR), diffuse des informations fausses sur une société cotée en bourse peut être sanctionné au titre du manquement de diffusion de fausse information du marché, peu important qu’il n’en ait pas tiré d’avantage ni eu l’intention d’induire le marché en erreur.

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L’article 21 du Règlement Abus de marché (MAR), en tant qu’il renvoie aux règles ou codes régissant la profession de journaliste, se fonde sur une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme relative aux devoirs et responsabilités des journalistes ainsi que sur les règles déontologiques relatives à cette profession énoncées dans différentes chartes ou déclarations et présente, par suite, l’accessibilité, la clarté et la prévisibilité requises par l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, peu important qu’il n’existe pas en droit français de dispositions législatives ou réglementaires régissant la profession de journaliste. La cour d’appel en a exactement déduit qu’un journaliste averti est pleinement en mesure, à partir du libellé de l’article 21 du Règlement Abus de marché d’évaluer à un degré raisonnable les risques encourus en cas de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, quitte à s’entourer de conseils de juristes spécialisés, et que ce texte ne méconnaît dès lors pas le principe de légalité des délits et des peines.

La conciliation de la répression des abus de marché et des règles propres aux journalistes et aux organes de presse, qui met en jeu la liberté d’expression dans une société démocratique, a suscité des difficultés depuis plus de vingt ans1, tant en ce qui concerne les infractions d’initiés que les manipulations de marché. Par un arrêt du 14 février 2024 (l’Arrêt)2, qui sera mentionné dans le rapport annuel de la Cour de cassation 2024 pour en souligner l’impor­tance, la Chambre commerciale de la Cour de cassation clarifie la question en ce qui concerne la diffusion de fausses informa­tions financières par une agence de presse. Aux termes de cette décision majeure, la Haute juridiction juge que la liberté d’expression dont bénéficient les journalistes et les organes de presse n’exclut pas qu’ils puissent être sanctionnés du chef de la diffusion d’une fausse information financière, constitutive d’une manipulation de marché, sur le fondement du Règlement UE n° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les Abus de marché (MAR), et maintient les sanctions administratives infligées par l’Autorité des marchés financiers (AMF) à la société de droit américain Bloomberg LP (Bloomberg), agence de presse spécialisée dans l’information économique et financière.

Les faits à l’origine des poursuites de l’AMF concernaient le Speed Desk du bureau parisien de Bloomberg, diffusant des informations financières en temps réel3. Le 22 novembre 2016, entre 16h06 et 16h07, deux journalistes de ce Speed Desk ont publié diverses dépêches sur les terminaux Bloomberg, reprenant, en substance, le contenu d’un communiqué de presse visant la société cotée Vinci, intitulé « Vinci lance une révision de ses comptes consolidés pour l’année 2015 et le 1er semestre 2016 », qui avait été reçu à 16h05. À la suite de la diffusion de ces dépêches, dont le contenu a également été relayé peu après par d’autres médias, le cours du titre Vinci a enregistré une baisse spectaculaire de 18,28 %. Après qu’un examen sommaire du communiqué par un autre journaliste de Bloomberg ait permis de constater que le nom de domaine qui y était mentionné ne correspondait pas à celui du site internet officiel de Vinci et après un contact, à 16h10, avec un porte-parole de Vinci, le Speed Desk a découvert que le communiqué était un faux (fake news). Le Speed Desk a supprimé immédiatement les dépêches précitées et publié cinq rectificatifs, entre 16h14 et 16h52.

Cette publication a été suivie d’autres dépêches et nouvelles, dans le même sens, diffusées à 16h21, 16h27, 16h28 et 16h52. Puis, à 17h02, Vinci a publié sur son site internet un communiqué de presse officiel démentant « formellement l’ensemble des informa­tions figurant dans [l]e faux communiqué », relayé par Bloomberg dans ses dépêches diffusées à partir de 16h06 et maintenues en ligne jusqu’à 16h16. Des investisseurs avaient néanmoins enre­gistré des pertes substantielles (d’un montant global de l’ordre de 6,5 millions d’euros) en cédant leurs titres sur le marché à la suite de la publication des dépêches de Bloomberg relayant la fausse information.

À l’issue d’une enquête, le Collège de l’AMF a notifié à Bloomberg un grief de manipulation de marché, en lui reprochant d’avoir diffusé des informations qu’elle aurait dû savoir fausses et susceptibles de fixer le cours du titre Vinci à un niveau anormal ou artificiel, en violation des dispositions des articles 12.1, 15 et 21 de MAR. Par une décision du 11 décembre 20194, la Commission des sanctions de l’AMF n’a pas retenu les différents arguments développés par Bloomberg pour sa défense, tirés pour l’essentiel des dispositions de MAR spécifiques aux journalistes, en appréciant précisément son comportement au regard desdites règles, et lui a infligé en conséquence une sanction pécuniaire d’un montant de cinq mil­lions d’euros.

Statuant sur le recours formé par Bloomberg contre cette décision (en application de l’article L. 621-30 du Code monétaire et financier), la Cour d’appel de Paris a confirmé le manquement de diffusion de fausses informations par un arrêt du 16 septembre 20215. Elle a cependant réduit la sanction pécuniaire de cinq à trois millions d’euros, en application du principe de proportionnalité, afin de tenir compte notamment de « l’importante réactivité de Bloomberg » pour interrompre puis supprimer la diffusion des dépêches en cause et enfin publier une série de rectificatifs et démentis.

Le pourvoi formé par Bloomberg contre cet arrêt (avec le soutien de différents intervenants volontaires représentant les intérêts collectifs des journalistes comme le Syndicat national des journalistes et la Fédération internationale des journalistes) articulait deux moyens tendant (i) à l’annulation de la décision de l’AMF et (ii) la réformation de celle-ci s’agissant de la sanction pécuniaire prononcée. Ces moyens sont intégralement rejetés par l’Arrêt qui approuve l’analyse des juges du fond quant à la caractérisation du manquement de diffusion de fausses informations financières à l’égard d’un organe de presse (I), à la conformité de la définition du manquement au principe de légalité des délits et des peines (II) et la nécessité et la proportionnalité de la sanction pécuniaire (III).

I) Sur la caractérisation du manquement de diffusion de fausses informations financières à l’égard d’un organe de presse

La Chambre commerciale écarte d’abord (pts. 25-29) l’argument de Bloomberg selon lequel l’article 21 de MAR, prévoyant des règles particulières protégeant la liberté d’expression en cas de diffusion d’informations ou recommandations à des fins journalistiques, limiterait le prononcé d’une sanction contre un journaliste ou un organe de presse aux seuls cas où il serait démontré que celui-ci a tiré un avantage de cette diffusion ou a agi dans l’intention d’in­duire le marché en erreur. À cet égard, l’Arrêt opère une distinction entre différentes hypothèses lorsqu’un journaliste ou un organe de presse a diffusé à des fins journalistiques une information fausse ou trompeuse (pt. 27) : si le journaliste n’a pas tiré un avantage de cette diffusion, n’avait pas l’intention d’induire le marché en erreur et a respecté les règles de sa profession, il ne peut pas être sanctionné au titre du manquement de manipulation de marché prévu par l’article 12 de MAR ; il bénéficie alors d’une immunité au plan de la répression administrative des abus de marché ; si le journaliste n’en a pas tiré un avantage et n’avait pas l’intention d’induire le marché en erreur mais n’a pas respecté les règles de sa profession, il peut alors être sanctionné en application de MAR, en tenant compte néanmoins, dans l’appréciation du manquement, des règles relatives à sa profession, la sanction devant être nécessaire et proportionnée aux buts légitimes poursuivis par la répression des abus de marché ; enfin, si le journaliste en a tiré un avantage ou a cherché à induire le marché en erreur, il peut être sanctionné pour manipulation de marché sans qu’il y ait lieu alors d’appliquer les règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d’expres­sion ainsi que les règles relatives à sa profession pour apprécier la caractérisation du manquement.

Cette appréciation du comportement du journaliste s’inscrit dans le prolongement d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 15 mars 2022 qui a affirmé que, d’une manière générale, la pro­tection des droits fondamentaux que sont la liberté de la presse et la liberté d’expression doit être mise en balance et conciliée avec la sauvegarde de l’intégrité des marchés financiers et la protection des investisseurs, qui relèvent aussi de l’intérêt général au sein de l’Union européenne6.

En l’espèce, Bloomberg avait certes relayé le faux communiqué de presse sans avoir l’intention d’induire le marché en erreur, ni en avoir tiré un avantage mais il était établi qu’elle avait manqué à l’obligation de vérification de l’information, en présence d’un doute sérieux quant à l’authenticité du communiqué, qu’imposaient tant les règles déontologiques propres aux journalistes7 que les procédures internes de l’agence. L’Arrêt relève (pt. 43) que le faux communiqué comportait des formules manifestement inhabituelles, qu’il relatait en outre l’existence de rumeurs relatives à l’ouverture d’une procédure collective contre Vinci, dont la réalité était hau­tement improbable au regard de sa situation financière et que la simple consultation du site officiel de Vinci aurait suffi à confirmer que le communiqué était faux. Pour le dire autrement, la diffusion par l’agence de presse de fausses informations procédait ici de graves négligences dans les vérifications qu’appelaient le faux communiqué (fact checking ; négligences relevées aussi par l’Arrêt, pt. 45) et d’une forme de faute lourde, au regard des standards de l’activité journalistique, excluant que l’agence puisse bénéficier d’une immunité (de même que l’auteur d’une faute lourde, a for­tiori lorsqu’il s’agit d’un professionnel, ne peut se prévaloir d’une limitation de responsabilité, par le jeu de l’adage culpa lata dolo aequiparatur : la faute lourde est équipollente au dol). Il en résulte que, paradoxalement, le régime spécifique applicable aux jour­nalistes et aux organes de presse ne leur confère non seulement aucune immunité en matière de manipulation de marché mais leur impose un devoir de vérification qui est propre à leur déontologie.

Ces constatations permettent de considérer que la caractérisation du manquement de fausse information à l’égard de l’agence de presse ne peut constituer, dans de telles conditions, une ingérence inadmissible dans l’exercice de la liberté d’expression mais appa­raît au contraire nécessaire et proportionnée aux buts légitimes, relevant de l’ordre public et économique de direction, que sont la lutte contre les abus de marché et la préservation de l’intégrité des marchés financiers et des intérêts des investisseurs. La Chambre commerciale relève du reste encore, à juste titre, que (pt. 50) : « les informations journalistiques relatives à la situation financière de sociétés cotées et destinées aux investisseurs n’ont pas, dans une société démocratique, la même importance que les informations journalistiques relatives à des sujets présentant un intérêt général ou historique ou revêtant un grand intérêt médiatique, de sorte que la liberté de la presse peut, en matière financière, lorsque l’activité journalistique s’adresse au public des investisseurs, être davantage restreinte pour garantir l’intégrité et la transparence des marchés financiers et la protection de ces investisseurs ». En vérité, la li­berté d’expression n’est pas en jeu lorsqu’il s’agit de sanctionner non pas une opinion empreinte de subjectivité8 mais le fait d’avoir relayé une information factuelle erronée (fake news ou infox) sans avoir procédé préalablement à des vérifications élémentaires. Si la caractérisation du manquement de diffusion de fausse information à l’égard de l’agence de presse est ainsi à l’abri de la critique sous cet angle, il n’en est pas de même de l’étonnante conception rete­nue du principe de légalité qui était un autre argument développé par le pourvoi de Bloomberg.

II) Sur le principe de légalité des délits et des peines

Le principe de légalité des délits et des peines, consacré notamment par l’article 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne comme par l’article 7, § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, impose qu’une infraction soit définie avec suffisamment de précision pour que son application soit prévisible. La question posée par Bloomberg à cet égard imposait de se pro­noncer sur le point de savoir si l’interprétation retenue par l’AMF de l’article 21 de MAR était conforme à l’exigence de prévisibilité de la répression, comme la Cour d’appel de Paris l’avait admis dans son arrêt du 16 septembre 2021. Les juges du fond avaient fondé cette conclusion en affirmant qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (visée dans l’Arrêt, pt. 34 : CEDH, 15 novembre 1996, Cantoni c/ France, n° 17862/91, § 35 ; CEDH, 20 octobre 2015, Vasiliauskas c/ Lituanie, n° 35343/05, § 157) qu’une loi peut satisfaire à l’exigence de prévisibilité même si la personne concernée doit recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé, et qu’il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier, de sorte que l’on peut attendre d’eux qu’ils mettent un soin particu­lier à évaluer les risques qu’il comporte. Ils avaient encore relevé que, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, la protection offerte aux journalistes par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (garantissant la liberté d’expression) est subordonnée à la condition que ceux-ci agissent de bonne foi et, sur la base de faits exacts et fournissent des informations fiables et précises dans le respect de l’esprit jour­nalistique9, de sorte que la sanction infligée à l’agence de presse en présence d’un manquement à ces devoirs était prévisible.

L’Arrêt adhère (pt. 36) à cette étonnante conception du principe de légalité, déjà adoptée il est vrai par la Chambre criminelle de la Cour de cassation10 et réaffirmée récemment par la Cour européenne des droits de l’Homme11 : « De ces énonciations, constatations et appréciations, dont il résulte que l’article 21 du Règlement MAR, en tant qu’il renvoie aux règles ou codes régis­sant la profession de journaliste, se fonde sur une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme relative aux devoirs et responsabilités des journalistes ainsi que sur les règles déontologiques relatives à cette profession énoncées dans différentes chartes ou déclarations et présente, par suite, l’acces­sibilité, la clarté et la prévisibilité requises par l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, peu important qu’il n’existe pas en droit français de dispositions législatives ou réglementaires régissant la pro­fession de journaliste, la cour d’appel a exactement déduit qu’un journaliste averti est pleinement en mesure, à partir du libellé de l’article 21 du Règlement MAR, d’évaluer à un degré raisonnable les risques encourus en cas de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, quitte à s’entourer de conseils de juristes spécialisés, et que ce texte ne méconnaît dès lors pas le principe de légalité des délits et des peines ».

Il convient encore de relever ici que, quelques semaines plus tard, la Chambre commerciale12 a également approuvé, par une moti­vation similaire, l’AMF et la juridiction de recours d’avoir retenu deux manquements (à des obligations déclaratives13, d’une part, et d’entrave à l’action des enquêteurs de l’AMF14, d’autre part) à l’encontre des sociétés d’un fonds d’investissement activiste, « pro­fessionnels avertis du monde de la finance » en mesure « d’évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s’entourant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus ».

Cette restriction apportée au principe de légalité, au détriment des professionnels, en se retranchant derrière la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme15, est regrettable et préoccupante dans un État de droit16 et doit retenir l’attention des praticiens. Alors que le principe de légalité commande de rédiger des dispositions à caractère répressif claires et précises et d’en retenir une interprétation stricte, imposer aux professionnels de solliciter à ce sujet des conseils spécialisés conduit nécessai­rement à élargir la portée de ces dispositions car, en présence d’une question inédite, et sauf à s’exposer à une mise en jeu de leur responsabilité civile professionnelle envers leurs clients, ces conseils ne peuvent en écarter a priori une application amplifiante et extensive par les juridictions (a fortiori après un tel arrêt…). Il s’agit là d’un véritable dévoiement du principe de légalité, auquel s’ajoute de surcroît une atteinte au principe d’égalité devant la loi, comme le relève un auteur17 : « L’égalité devant la loi ne suppose-t-elle pas que les exigences textuelles soient identiques pour tous ? Comment peut-on faire dépendre une exigence de qualité de la loi de la compétence de ses destinataires ? Lorsqu’un texte est intrinsèquement ambigu, les professionnels ne sauraient donc dénoncer son caractère imprévisible ? N’ont-ils pas droit eux aussi à la sécurité juridique ? À ce stade, il faut se demander s’il n’y a pas une confusion entre l’obligation faite aux pouvoirs publics de veiller à la qualité des normes applicables et l’obligation faite aux professionnels de se renseigner. En effet, un tel raisonnement aboutit à rendre les professionnels responsables d’une mauvaise qualité de la norme qu’ils n’ont pas su détecter. La volonté d’apprécier in concreto cette exigence s’avère ici quelque peu déplacée. La qualité d’une loi ne peut s’apprécier que dans l’abstrait ; sa connaissance par les justiciables relève d’un autre registre ».

Le paradoxe de cette solution valorisant la sollicitation des conseils, qui ne surprendra pas il est vrai des sociétés américaines18, doit aussi être relevé : elle aboutit à restreindre au détriment des professionnels un principe aussi fondamental que la légalité et la prévisibilité de la répression (garanti aussi en droit interne, notam­ment par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 178919) en se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui devrait au contraire renforcer les garanties fondamentales de tous les justiciables dans l’application de leur droit interne20. Cette conception du principe de légalité ne paraît guère compatible avec le renforcement de l’attractivité de notre droit, en faveur de l’économie, qui fait, par ailleurs, l’objet d’une récente proposition de loi21. Elle est d’autant plus contestable au regard des lourdes sanctions administratives encourues par les auteurs d’abus de marché.

III) Sur la nécessité et la proportionnalité de la sanction pécuniaire

La Chambre commerciale rejette enfin, en se plaçant dans le sillage d’une décision du Conseil constitutionnel du 2 juin 201722, les ar­guments développés par le pourvoi quant à la sanction pécuniaire infligée à Bloomberg en application de l’article L. 621-15, III du Code monétaire et financier. S’agissant d’abord de la nécessité de cette sanction (pouvant atteindre cent millions d’euros en l’ab­sence d’avantage retiré du manquement), la Haute juridiction n’y voit aucune ingérence incompatible avec l’exercice de la liberté d’expression dans une société démocratique (pt. 38) : « En effet, d’une part, visant, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel, à assurer la préservation de l’objectif d’ordre public de protection de l’intégrité des marchés financiers et des investisseurs et de lutte contre les abus de marché, laquelle implique, au regard des conséquences financières très possiblement élevées d’une diffu­sion d’informations fausses ou trompeuses, que le montant de la sanction soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention du manquement assignée à la punition, ce montant maximal de sanction poursuit un but légitime. D’autre part, ainsi qu’il a été dit au point 26, l’article 21 du Règlement MAR instaure, s’agissant des journalistes, un régime spécifique de protection tenant, pour déterminer le caractère licite ou illicite de la diffusion d’informations fausses ou trompeuses, à la prise en compte des règles relatives à la liberté de la presse et à la liberté d’expression ainsi que des règles ou codes régissant leur profession, régime qui n’est écarté que si les informations en cause ont été diffusées aux fins d’en tirer ou d’en faire tirer un avantage ou des bénéfices ou dans l’intention d’induire le marché en erreur, de sorte qu’ont été mis en balance, d’un côté, l’objectif d’ordre public de protection des marchés financiers et des investisseurs et de lutte contre les abus de marché, de l’autre, la liberté de la presse et la liberté d’ex­pression et que, par suite, ce montant maximal est proportionné au but poursuivi ». La Chambre commerciale ajoute (pt. 41) qu’en l’absence de doute quant à l’interprétation de l’article 21 de MAR, il n’y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne des questions préjudicielles proposées par Bloomberg.

Cette mise en balance de la liberté d’expression et de la répression des abus de marché doit être approuvée dès lors que le journaliste ou l’organe de presse n’est pas exposé aux lourdes sanctions ad­ministratives prévues par l’article L. 621-15, III du Code monétaire et financier lorsqu’ils ont agi dans le respect des règles gouvernant leur activité, sans avoir l’intention d’induire le marché en erreur et sans tirer un avantage de la diffusion de l’information inexacte.

S’agissant ensuite de la proportionnalité de la sanction infligée à Bloomberg, la Chambre commerciale approuve (pt. 49) la cour d’appel d’avoir réduit et fixé la sanction pécuniaire à la somme de trois millions d’euros, au regard (i) de la gravité du manquement de l’organe de presse à ses devoirs professionnels, (ii) de son impact sur le cours du titre Vinci et des pertes subies par les investisseurs (évaluées à 6,5 millions d’euros) mais aussi (iii) de la réactivité et des mesures prises très rapidement pour remédier aux dysfonctionne­ments provoqués par le manquement : « De ces constatations et appréciations, dont il résulte que la société Bloomberg n’a pas agi dans le respect des règles et des codes régissant sa profession, tels que mentionnés à l’article 21 du Règlement MAR, et que le manquement qui lui est imputable a entraîné des pertes financières importantes pour les investisseurs et a porté atteinte à l’intégrité des marchés financiers et à la confiance des investisseurs dans ces marchés, et alors que la société Bloomberg, dont les derniers comptes sociaux ne sont pas publics, n’a pas souhaité communi­quer son chiffre d’affaires total, comme le permet l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, aux fins de la mise en œuvre de la sanction, et n’a pas soutenu que la sanction qui lui a été infligée compromettait son existence ou la poursuite de ses activités jour­nalistiques, la cour d’appel a exactement déduit qu’une sanction de trois millions d’euros constituait une ingérence dans le droit de la société Bloomberg à la liberté d’expression à la fois nécessaire et proportionnée aux buts légitimes poursuivis et a ainsi fait une juste application de l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et de l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».

La Chambre commerciale vérifie ainsi que la cour d’appel a bien appliqué les critères visés par l’article L. 621-15, III ter du Code monétaire et financier quant à la proportionnalité et l’individualisation de la sanction23, et notamment la gravité du manquement, les pertes subies par les tiers, les capacités financières de la personne mise en cause, en attachant surtout en l’occurrence une importance certaine, à juste titre, aux mesures de remédiation prises immédiatement par Bloomberg après avoir constaté l’erreur commise. Ces mesures justifiaient assurément une réduction substantielle (de 40 %) de la sanction pécuniaire prononcée par l’AMF et la cour d’appel avait ainsi pleinement exercé le pouvoir de modération que peuvent et doivent avoir les juridictions de recours en matière répressive24.

S’agissant des pertes subies par les investisseurs, auxquelles l’Arrêt fait référence, celles-ci ne peuvent pas être indemnisées dans le cadre de la procédure de sanctions (administratives ou disciplinaires) de l’AMF et ne peuvent l’être qu’au terme d’une action devant une juridiction judiciaire (civile ou pénale). Il convient de relever à ce sujet que la Cour d’appel de Paris a récemment jugé que lorsqu’une décision définitive a retenu un manquement à la réglementation boursière, la faute civile (au sens de l’article 1240 du Code civil) ne peut pas être contestée25 et le débat ne peut alors porter que sur le quantum du préjudice indemnisable. La solution revient à soumettre la réparation des préjudices causés par des manquements à la réglementation financière au même régime que celui appliqué en matière de pratiques anticoncurrentielles26, ce qui doit être pleinement approuvé27.

En définitive, l’Arrêt apporte une contribution majeure à la construc­tion de la répression des abus de marché et de la diffusion de fausses informations financières, en soumettant les journalistes et les organes de presse à un régime spécifique pour trouver un équilibre entre la liberté d’expression et la protection de l’intégrité des marchés financiers et des intérêts des émetteurs. Les solutions retenues par l’Arrêt sous cet angle doivent être approuvées. Il est en revanche regrettable que la chambre commerciale ait adhéré à une conception contestable du principe de légalité qui conduit à le restreindre sensiblement au détriment des professionnels. Il s’agit là d’une évolution de la répression en droit des affaires qui est de nature à susciter des critiques allant au-delà du cadre de cette chronique mais il n’est sans doute pas trop tard pour en revenir à une conception plus orthodoxe du principe de légalité.

Notes

1. V. notamment J.-J. Daigre, Intégrité du marché et liberté de la presse, RD banc. et fin. 2004, p. 81 et notre article, Liberté d’expression et délits boursiers, BJB 2001, p. 217.

2. BRDA 5/2024, n° 6 ; Banque & Droit mars-avril 2024, p. 60, obs. L. Martini.

3. Certaines des rédactions des 180 bureaux de Bloomberg dans le monde exercent une activité, appelée Speed Desk, consistant en la publication d’informations financières en temps réel, extraites de communiqués de presse ou d’autres sources et relayées sous forme de flash ou alertes.

4. AMF, comm. sanctions, 11 décembre 2019, SAN-2019-17; RTDF n° 1/2020, p. 179, obs. E. Dezeuze; BJB janvier-février 2020, p. 24, n° 118u7, note D. Schmidt; Rev. sociétés 2020, p. 258, obs. A.-C. Muller; RTDcom. 2020, p. 143, obs. N. R.

5. CA Paris, 16 septembre 2021, n° 20/03031, Dr. sociétés 2021, n° 148, note J. Granotier, spéc. pt. 157.

6. CJUE, 15 mars 2022, n° C-302/20, BJB mai 2022, p. 36, BJB200s0, note M. Galland ; Rev. sociétés 2022, p. 447, obs. A.-C. Muller A.-C ; RTD com. 2022, p. 122, obs. N. R., à propos de la divulgation par un jour­naliste d’informations privilégiées à l’une de ses sources. Cet arrêt affirme (pt. 88) : « La divulgation d’informations privilégiées porte at­teinte non seulement aux intérêts privés de certains investisseurs mais aussi, de manière plus générale, à l’intérêt public consistant à assurer une transparence intégrale et adéquate du marché, afin d’en protéger l’intégrité et de garantir la confiance de l’ensemble des investisseurs (…) Partant, il appartient également à la juridiction de renvoi de prendre en compte le fait que l’intérêt public qui peut avoir été poursuivi par une telle divulgation s’oppose non seulement à des intérêts privés, mais aussi à un intérêt de même nature ». À la suite de cet arrêt, la Cour d’appel de Paris (30 mars 2023, n° 18.24897, BJB mai-juin 2023, p. 10, BJB201g3, note N. R.), a retenu un double manquement de divulgation illicite d’informations privilégiées à l’encontre d’un journaliste financier alors même qu’il était établi que ses échanges avec sa source étaient nécessaires à l’accomplissement de son activité journalistique et ré­alisés dans le respect des règles et codes gouvernant sa profession. La sanction pécuniaire infligée par l’AMF à l’intéressé a néanmoins été considérablement réduite par la cour d’appel pour tenir compte de l’incertitude juridique qui existait à la date des faits, concernant la licéité ou l’illicéité des divulgations en cause.

7. Ce devoir fondamental de vérification, rattaché à l’exigence de bonne foi, ne figure pas dans l’article 21 de MAR, ni dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Il est cependant expressément posé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme relative à ce dernier texte (V. notamment CEDH, 25 juin 2002, n° 51279/99, Colombani et Le Monde c/ France, spéc. § 43 et § 65 ; D. Schmidt, note préc. sous AMF, Comm. sanctions, 11 décembre 2019, n° 14 et la jurisprudence citée de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de cassation). D’une manière générale, la bonne foi impose notamment au journaliste de fonder ses affirmations et appréciations sur une base factuelle suffisante (pour la mise en oeuvre de l’excuse de bonne foi, fait justificatif, en matière de diffamation, V. Cass. crim., 7 janvier 2020, n° 18-85620, F-P+B+I, précisant le modus operandi pour apprécier la bonne foi) ; adde sur la rigueur s’imposant au journaliste lorsqu’« il relate des faits complexes », Cass. 1ère civ., 3 avril 2007, n° 05-21344, Bull. civ. I, n° 145 ; RTDcom. 2007, p. 567, obs. N. R. (affaire Messier c/ Le Monde).

8. Rappr. à propos de la publication d’un livre relatif à l’acquisition de la société Gucci par la société PPR, Cass. 1ère civ., 2 juillet 2014, n° 13- 16730, Bull. civ. I, n° 120, approuvant les juges du fond d’avoir écarté la mise en jeu de la responsabilité civile de l’auteur du livre en relevant que, par son intitulé même, l’ouvrage litigieux s’adressait à une clientèle plus large que celle des publications spécialisées en matière finan­cière, et que, « dans l’affaire du rachat de Gucci par la société PPR », il a été définitivement jugé que les informations données n’étaient ni mensongères, ni fausses, ni trompeuses, de sorte « qu’en livrant aux lecteurs son opinion, fût-elle empreinte de subjectivité et d’une insuf­fisante rigueur, l’auteur n’a en rien méconnu les exigences du second paragraphe de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».

9. V. supra note 7.

10. V. notamment Cass. crim., 22 mars 2023, n° 19-81929 FS-B, spéc. pt. 17, rappelant que la Cour de justice de l’Union européenne admet que le principe de légalité prévu par la Charte des droits fondamentaux puisse être restreint dans une certaine mesure à l’égard des profession­nels : « la prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’affaire en cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé et qu’il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier ».

11. CEDH , 12 octobre 2023, Total SA et Vitol SA c/ France, nos 34634/18 et 43546/18, D. Actu., 25 octobre 2023, obs. A. Lefebvre. Dans un arrêt rendu à l’unanimité, la Cour européenne a estimé qu’il n’y avait pas de violation du principe de légalité dans la condamnation française de deux sociétés pour corruption active d’agents publics étrangers dans le cadre du programme « pétrole contre nourriture ». Pour fon­der l’absence de violation de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour européenne rappelle (§ 59) que « les sociétés requérantes, familières du négoce de pétrole et aguerries aux opérations d’envergure dans un contexte international, auraient dû faire preuve d’une prudence accrue et mettre un soin particulier à évaluer les risques lorsqu’elles ont décidé d’entreprendre les opérations d’achat de pétrole iraquien litigieuses, le cas échéant en ayant recours à des conseils éclairés, auxquels il n’est pas contesté qu’elles avaient largement accès ».

12. Cass. com., 4 avril 2024, n° 22-19127 FS-B.

13. S’agissant de la portée des obligations déclaratives en période d’offre publique, la chambre commerciale juge (pt. 12) : « après avoir énon­cé à bon droit que la combinaison des dispositions du modèle type n° 1, et de l’article 223-14, V, 3° du règlement général de l’AMF, lequel prévoit que la déclaration prend la forme du modèle type prévu dans une instruction de l’AMF, constitue une base juridique suffisante au regard du principe de légalité des délits et des peines, l’arrêt retient exactement que les sociétés EAUK et ECA, professionnels avertis du monde de la finance, étaient pleinement en mesure, à partir du libellé du modèle type n° 1, lu conjointement avec l’article 223-14, V, 3°, du règlement général de l’AMF, ainsi qu’avec l’article L. 233-7, II, du code de commerce, d’évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s’entou­rant des conseils de juristes spécialisés, les risques encourus en cas de déclaration inexacte de franchissement de seuil quant à la nature de l’accord ou de l’instrument financier concerné ».

14. À propos du manquement d’entrave aux enquêtes de l’AMF (pt. 38), il est jugé : « l’arrêt retient à bon droit que, si la question de la portée du manquement d’entrave, au sens de l’article L. 621-15, II, f), susvisé, revêtait, pendant la période des faits reprochés, un caractère relati­vement inédit, du fait de l’introduction récente de ce manquement en droit interne, il n’en demeure pas moins que l’interprétation retenue de ce texte faisait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles, au regard de son libellé, et était, de surcroît, cohérente avec la substance même du manquement, eu égard à la sanction adminis­trative qui lui est attachée et à l’objectif d’assurer l’effet utile de ces dispositions, en vue de garantir le bon déroulement des enquêtes, en particulier lorsque celles-ci nécessitent de recourir à la coopération internationale. L’arrêt en déduit exactement que la société EAUK, pro­fessionnel averti du monde de la finance, était pleinement en mesure, à partir du libellé de l’article L. 621-15, II, f) susvisé, d’évaluer à un degré raisonnable, au besoin en s’entourant des conseils de juristes spéciali­sés, les risques encourus en fonction des suites qu’elle envisageait de réserver aux demandes de communication qui lui avaient été adressées par la Financial Conduct Authority sur requête de l’AMF ».

15. La chambre commerciale se fonde à nouveau (pt. 31 de l’Arrêt) sur des arrêts de la Cour européenne : « Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme que le caractère inédit de la question posée ne constitue pas, en soi, une atteinte aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité de la loi, dès lors que la solution retenue fait partie des interprétations possibles et raisonnablement prévisibles (CEDH, arrêt du 6 octobre 2011, M. Soros c/ France, n° 50425/06, § 58 ; arrêt du 6 mars 2012, Huhtamäki c/ Finlande, n° 54468/09, § 51) ».

16. Comme l’avait déjà relevé Mme R. Koering-Joulin dans ses observations prémonitoires sur l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 15 novembre 1996, Cantoni c/ France, RSC 1997, p. 462 : « Lors­qu’on songe aux innombrables infractions techniques aux contours incertains, qui menacent le justiciable français sans être elles-mêmes menacées d’une condamnation à Strasbourg, l’on ne peut s’empêcher d’être inquiet… ».

17. E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 6ème éd., 2021, p. 405.

18. Cette conception du principe de légalité retenue par la Cour européenne des droits de l’Homme est celle de la common law où il est admis que l’imprécision des textes répressifs peut être effacée par la jurisprudence et par les conseils appropriés dont le justiciable doit s’entourer (V. les fortes critiques de J.-P. Delmas Saint-Hilaire à la RSC 1997, p. 646 sur l’arrêt Cantoni c/ France, préc.).

19. Ce texte énonce : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appli­quée » ; V. aussi sur ce point les critiques de J.-P. Delmas Saint-Hilaire, obs. préc., qui rappelle la conception française du principe de légalité illustrée par cette formule de Jean-Etienne-Marie Portalis : « En matière criminelle, il faut des lois précises et point de jurisprudence ».

20. En vérité, la primauté de la règle internationale qu’est l’article 7, § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme ne doit s’impo­ser que si elle donne au justiciable des garanties supérieures ou au moins égales à celles de la règle interne (V. J.-P. Delmas Saint-Hilaire, obs. préc., in fine). À cet égard, il convient de relever que le pourvoi de Bloomberg invoquait « le principe de la légalité des délits et des peines » mais sans viser l’article 7, § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

21. V. M. Lartigue, Attractivité financière : les députés ont adopté la propo­sition de loi en première lecture, Dalloz Actu, 2 mai 2024, d’où il ressort que L’Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 10 avril 2024 la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France, déposée le 12 mars 2024 et pour laquelle le gouvernement a engagé la procédure accélérée.

22. Cons. constit., n° 2017-634 QPC, 2 juin 2017. Dans cette décision, le Conseil a considéré que les dispositions de l’article L. 621-15 du Code monétaire et financier, prises pour l’application de l’article 30 du règle­ment MAR et fixant le montant maximal de la sanction pécuniaire à cent millions d’euros en cas, notamment, de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, ne méconnaissent pas les principes de nécessité et de proportionnalité des peines dès lors, d’une part, qu’en instituant une sanction pécuniaire destinée à réprimer les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonction­nement du marché, le législateur a poursuivi l’objectif de préservation de l’ordre public économique et qu’un tel objectif implique que le montant des sanctions fixées par la loi soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention des manquements assignée à la punition, d’autre part, qu’en prévoyant de réprimer les manquements de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché d’une amende d’un montant pouvant aller jusqu’à un plafond de cent millions d’euros, le législateur n’a pas institué une peine manifestement disproportionnée au regard de la nature des manquements réprimés, des risques de perturbation des marchés financiers, de l’importance des gains pouvant en être retirés et des pertes pouvant être subies par les investisseurs.

23. V. notamment sur ce point nos observations sur l’exigence de motiva­tion et d’individualisation des sanctions prononcées par l’Autorité des marchés financiers, RTDcom. 2020, p. 400 (obs. sur CA Paris, pôle 5, ch. 7, 19 décembre 2019, n° 19/00495) ; J. Granotier, note préc., 3, B.

24. Pour une autre illustration récente de ce pouvoir de modération de la Cour d’appel de Paris en matière de sanctions administratives de l’AMF, CA Paris, 2 mai 2024, Pôle 5, ch. 7, n° 22/09062, spéc. pts. 198-200, réduisant de 1.000.000 euros à 800 000 euros la sanction pécuniaire infligée par l’AMF à une société du secteur des biotechnologies pour manquement à l’article 17 de MAR, en soulignant le caractère inédit de la solution retenue (manquement pour n’avoir pas publié immédiatement l’information relative à la forte probabilité qu’un comité émette un avis négatif au sujet d’une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un médicament).

25. CA Paris, Pôle 5, ch. 9, n° 21/11057, BJB janvier-février 2024, p. 20, BJB201p8, note D. Bompoint et V. Ramoneda ; comp. T. com. Paris, Paris, 7 juillet 2021, n° 2011027112, n° 2012033467, n° 2012029636, n° 2012056220, n° 2012028100 (affaire Vivendi), Dr. sociétés 2021, n° 135, note O. de Bailliencourt ; Rev. sociétés 2022, p. 270, note P.-H. Conac, concluant à l’absence de faute civile de la société malgré une communication financière ayant donné lieu à une sanction admi­nistrative de l’AMF.

26. V. aussi D. Bompoint et V. Ramoneda, note préc., I, A, 2.

27. En faveur de l’assimilation du manquement administratif à la faute civile, V. O. de Bailliencourt, note préc., qui critique la solution retenue par le Tribunal de commerce de Paris dans ses jugements précités du 7 juillet 2021 et considère que « rien ne s’oppose donc fondamentale­ment à ce que la qualification faite dans le cadre d’une procédure de sanction administrative s’impose au juge statuant sur la responsabilité civile » ; adde nos obs. sur Cass. crim., 13 avril 2022, n° 20-80524 F-D (affaire Altran), RTDF n° 2/2022, p. 183, spéc. II, n° 17.

Nicolas RONTCHEVSKY, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Université de Strasbourg