Aux yeux de la profession, cette thématique est des plus cohérente car les notaires sont présents sur tout le territoire pour enregistrer et analyser les transactions immobilières tant privées que publiques. Dans un contexte d’urgence écologique, il est apparu comme une évidence aux organisateurs de se pencher sur les différentes thématiques permettant au droit de répondre à ces nouvelles exigences. Comme pour chaque Congrès, des propositions concrètes pour faire évoluer la législation ont été votées pour être ensuite remises au Ministère de la Justice.
À ce propos, et depuis de nombreuses années, nombre de propositions faites par ces Congrès ont été ensuite reprises dans des textes de loi et adoptées par le législateur.
Ce 120e Congrès a souhaité travailler sur la transformation des pratiques juridiques afin de s’adapter à l’impératif écologique. Les propositions concernent à la fois une meilleure appréhension des risques naturels et environnementaux, une approche pragmatique et concrète pour accompagner le développement immobilier, une simplification et une refonte des procédures liées à l’urbanisme dans le cadre d’un développement durable.
Les débats ont été portés par 3 commissions : #Anticiper - #Convaincre - #Réaliser
La commission 1 était composée de deux rapporteurs, Maître Catherine Berthol, notaire à Strasbourg ainsi que Maître Adeline Seguin. Elle était présidée par Maître Éric Meiller.
Pour Les Affiches d’Alsace et de Lorraine, Maître Berthol et Maître Benoît Hartenstein, notaire à Metzervisse, fidèle contributeur à notre revue et défenseur des droits de l’arbre, ont bien voulu revenir sur les propositions faites par cette première commission.
En préambule, rappelons que le Code civil a plus de 200 ans et il est impératif de le faire évoluer afin de mieux répondre aux exigences de notre société actuelle.
Pour cette commission, la première proposition consiste à doter l’arbre d’un statut dans le Code civil. En effet, pour l’instant, l’arbre est mentionné dans la liste des immeubles. La commission propose, à l’instar d’un statut de l’animal, de prévoir un statut de l’arbre en ajoutant un article au Code civil qui serait : « L’arbre est un organisme vivant dont la préservation est d’intérêt général. »
Outre l’ajout de cet article, la commission propose de faire évoluer deux autres articles du Code à savoir les articles 672 et 673.
Pour rappel :
Article 672 du code civil (L. du 20 août 1881) :
« Le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l’article précédent, à moins qu’il n’y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire.
Si les arbres meurent ou s’ils sont coupés ou arrachés, le voisin ne peut les remplacer qu’en observant les distances légales. »
Article 673 du code civil (L. du 12 févr. 1921) :
« Celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent.
Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative.
Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible. »
À la lumière de ces articles, la commission propose de « protéger les arbres existants même ceux à moins de deux mètres (distance légale) mais sans remettre en cause cette règle de distance pour les plantations nouvelles. »
D’autre part, elle propose de « modifier les servitudes légales du Code civil pour que la coupe des racines ou l’élagage des branches susceptibles d’attenter à la vie de l’arbre soient subordonnés à la démonstration préalable d’un trouble anormal. »
Cette évolution de la législation permettra de protéger l’arbre car malgré la charte de l’environnement, les contentieux, pour l’instant, sont souvent tranchés au détriment des arbres compte-tenu des dispositions actuelles du Code civil.
Lors du Congrès, certains juristes ont émis des réserves quant à l’introduction de ce statut car pour eux, un propriétaire doit pouvoir faire ce qu’il veut sur sa propriété, y compris abattre des arbres sans avoir à se justifier.
S’il est vrai que ce statut donné à l’arbre ne remet pas en cause cet état de fait, Maître Berthol et Maître Hartenstein pensent que cela peut faire changer les mentalités car il ne sera plus question ici de considérer un arbre au même titre qu’une chaise ou un mur mais bien de prendre en compte son statut d’organisme vivant.
Ce statut permet également de souligner la responsabilité qui incombe à un propriétaire car, au-delà d’un droit de propriété, vient s’ajouter la notion de bien commun et de bénéfices pour la communauté puisque la science a bien montré les effets bénéfiques des arbres pour l’environnement.
Pour Me Hartenstein, le droit de propriété doit évoluer également. En effet, si la propriété est décrite dans la Constitution comme un droit inviolable et sacré, il faut replacer cela dans un contexte historique précis post-révolutionnaire et qui avait à cœur de protéger les paysans du pouvoir de la noblesse à leur prendre leurs terres.
Dans le même esprit, les articles 672 et 673 s’inscrivent dans un temps ou les propriétés étaient beaucoup plus grandes surtout dans une France beaucoup plus rurale. De même, la plantation d’arbres en limite de propriété pouvait gêner le labourage et l’exploitation des terres agricoles.
Ainsi, les opposants à l’évolution du Code civil oublient parfois de replacer les règles fixées dans leur contexte historique.
Pour Me Berthol, le propos du Congrès est de dire « qu’on protège l’arbre dans le code de l’urbanisme, dans le code de l’environnement, dans le code du patrimoine (dans les sites patrimoniaux remarquables, les sites plantés sont protégés) ; il y a plein de législations dans lesquelles l’arbre est protégé mais dans le Code civil qui est un code fondateur des règles de vie en société, on permet de l’abattre plus souvent qu’on ne le protège. »
Autre élément évoqué par Me Berthol, s’il y a encore une marge de manœuvre pour l’écriture des actes de ventes pour les propriétés en Alsace-Moselle, cela est nettement moins le cas en Vieille France dans la publicité foncière, il y a un calibrage des actes de vente qui ne permet pas forcément de mettre l’historique de la propriété. Et c’est bien là son propos de souligner qu’inscrire l’histoire de la propriété dans l’acte est un savoir-faire qui s’est un peu perdu. Alors que justement, évoquer l’historique de la propriété permettrait de rappeler les éléments qui la composent y compris les arbres, plantations etc.
Ainsi, pour elle, « c’est en nommant les choses qu’on leur donne vie et qu’on les protège aussi. Dans les anciens actes, on mettait des infos sur l’histoire de la propriété. »
Enfin, les deux professionnels s’accordent à dire que si ce statut donné à l’arbre dans le Code civil est sans conteste une avancée importante, il faut également que les mentalités évoluent à la fois sur la responsabilité des propriétaires d’arbres envers la collectivité et sur la prise en compte des bienfaits que peuvent représenter les arbres dans notre environnement.
Comme l’a souligné Me Hartenstein, cette proposition est soutenue par le groupe de réflexion pluridisciplinaire porté par le C.A.U.E.77 et l’association A.R.B.R.E.S dont il fait partie depuis plusieurs années. La proposition a été adoptée à une très large majorité par le 120ème Congrès des Notaires de France. Pour lui, « le 26 septembre 2024 est une date à marquer d’une pierre blanche ! »
Cette proposition ainsi que les autres seront reprises au sein du Conseil Supérieur du Notariat afin de les transformer en texte de loi pouvant être adopté.
Dans le même esprit, la forêt doit aussi être considérée comme un bien commun et les propriétaires ont une responsabilité envers la communauté dans le cadre de sa gestion.
Malheureusement, la forêt appartient à un nombre important de propriétaires qui possèdent de nombreuses parcelles de petite superficie. En plus, nombre d’entre eux ignorent qu’ils sont propriétaires. Cet éparpillement est donc un frein à la bonne gestion des forêts.
Les outils actuels tels que le droit de préemption ou le droit de préférence ne sont plus adaptés à la situation actuelle. Ici également, le droit doit évoluer et cette commission propose tout d’abord de regrouper, sur proposition des préfets au Ministère de l’Agriculture et pour certaines communes, les droits forestiers des terrains de moins de 20 hectares (seuil en-dessous duquel le Plan simple de gestion n’est pas une obligation) dans des Associations Syndicales de Gestion Forestière (ASGF) sur le même modèle que les Associations Communales de Chasse Agréées (ACCA).
Là aussi, pour préserver le droit à la propriété, la possibilité est donnée aux propriétaires de se retirer de cette association syndicale obligatoire sous la condition de souscrire un Plan simple de gestion.
Sur un plan pratique, il est également proposé « d’annexer à tout acte notarié portant sur des biens en nature cadastrale de bois et forêts, un document informatif à destination des parties, et leur fournissant notamment les coordonnées des potentiels gestionnaires à contacter, et d’imposer la désignation d’un mandataire commun en cas d’indivision » et enfin de « réduire les délais de vente, supprimer l’ensemble des droits de préférence et de préemption en matière de bois et forêts, pour les regrouper en un seul ».
Pour cette commission, le Congrès propose d’améliorer les informations contenue dans l’état des risques et pollution. Il s’agit de donner dans ce document des informations très concrètes et pratiques centrées sur le bien en donnant des conseils en matière de construction par exemple.
En dehors du littoral et des risques de submersion, nos régions peuvent être impactées par des remontées de nappes ou des débordements de cours d’eau. L’idée est également d’informer au mieux les parties au moyen de Géorisques.
Comme le soulignent nos deux interlocuteurs, il ne s’agit pas de faire du catastrophisme, mais il faut sensibiliser les personnes aux risques liés à l’évolution climatique.
En conclusion, toutes ces propositions vont dans le même sens, il s’agit de prendre conscience des évolutions de notre environnement et les notaires, en tant que gardiens du droit de propriété, souhaitent à travers les évolutions du droit proposées, rendre tous les propriétaires plus responsables, plus résilients et plus conscients que la nature est un bien commun.
