Dossier Paru le 31 décembre 2024
DÉBAT PUBLIC

Le projet de Technocentre de Fessenheim

Un débat public est en cours sur le projet de Technocentre de Fessenheim. Nous avons pu assister à un atelier organisé début décembre à Biesheim. Pourquoi un débat, qui participe, comment cela se déroule-t-il, pour quels résultats ? Récit.

© EDF

Devant la salle Saint-Exupéry de Biesheim, les participants au débat du jour sont accueillis par une banderole et un drapeau accrochés par l’association Stop Fessenheim : « Nucléaire stop ». Dans la salle une centaine de personnes ont pris place autour de douze tables. C’est le dixième rendez-vous de la Commission particulière du débat public (CPDP), mise en place par la Commission nationale du débat public (CNDP), sur le projet de Technocentre de Fessenheim. Le thème de l’atelier de ce 11 décembre : aménagement du territoire, enjeux socio-économiques du projet, transports et mobilité.

À quelques exceptions près, on se mélange assez peu autour des tables. À la table 4 se sont assis des salariés ou ex-salariés d’EDF. La 5 est totalement acquise à la cause antinucléaire. Parmi les participants, on compte une quinzaine d’élus du territoire de Fessenheim, une quinzaine de salariés d’EDF et une vingtaine de représentants des associations locales. Une dizaine de personnes viennent pour la première fois. Devant les tables, un pupitre a été dressé où sont installés Jean-Louis Laure, président de la CPDP, et Ophélie Bretaudeau, animatrice du soir, et plusieurs chaises sont prêtes à accueillir les débatteurs du soir.

Bienveillance

La réunion commence à 18h30 précise. Quatre séquences sont prévues : la présentation du projet par le maître d’ouvrage EDF, les points de vue des acteurs, comme l’Autorité de Sûreté Nucléaire ou Eurorhinport, les regards croisés des associations et des entités publiques et un temps de partage aux tables pour des questions complémentaires. Jean-Louis Laure rappelle les règles du jeu : bienveillance, propos argumentés et respect des temps de paroles. Deux interprètes sont également présents pour les participants allemands. « La Commission est neutre, mais le débat n’est pas neutre », tient à souligner le Président en guise de lancement de la soirée.

Laurent Jarry, directeur de la centrale de Fessenheim et de son démantèlement, et Jérôme Baverel, chef du projet du Technocentre, commencent par rappeler l’objectif du projet d’EDF, ses enjeux ainsi que ses contraintes et les effets attendus pour le territoire (lire encadré ci-contre). Les premières questions fusent : Bernard Goetschy, d’Alter Alsace Energies, veut connaitre l’équilibre éco­nomique du projet ; André Hatz, de Stop Fessenheim, s’interroge sur le coût de la tonne d’acier produite au Technocentre et sur la comparaison avec la concurrence. Jérôme Baverel répond que « les données financières ne sont pas mises à disposition du public et qu’elles sont réservées aux futurs investisseurs. » André Hatz l’invective : « Je demande la transparence pour le débat public. » Et il trouve un soutien auprès de Jean-Louis laure : « Je ne désespère pas d’obtenir des informations précises sur ce sujet, même si le secret des affaires est compréhensible. » « L’argent d’EDF, c’est le nôtre », s’emporte une des personnes assises à la table 5.

Lors de la séquence suivante, c’est au tour des collectivités territoriales de prendre la parole. Gérard Hug, président de la Communauté des communes Alsace Rhin Brisach, rappelle son soutien au projet : « Le Technocentre s’intègre dans notre projet de territoire. Il faut qu’EDF reste présent. Les enjeux environnementaux sont largement pris en compte et nous faisons confiance dans les technologies, qui fonctionnent déjà en Suède. » « Pipeau », fulmine quelqu’un dans la salle. Gilles Fremiot, membre de la commission des affaires économiques de la Région Grand Est, prend la suite : « En l’état actuel du projet, nous lui portons un regard favorable, mais nous serons un partenaire exigeant et vigilent. » À l’occasion des questions de la salle, Claude Brender, maire de Fessenheim, tient, lui aussi, à rappeler son soutien et lance : « Bienvenue à Fessenheim ! »

C’est au tour de Thierry Chrupek, adjoint au directeur du transport à l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN) de prendre la parole en mode visio conférence sur la question du transport des marchandises. Il rappelle qu’à ce jour, le flux des transports de matières radioactives en France s’élève à 980 000 colis par an : 91% sont transportés par la route, 5% par avion, 2% par le rail et 2% par voie d’eau. La taille des colis peut varier d’une petite valise à un gros conteneur et leur degré de radioactivité est très variable.

Salve de questions

Une participante s’interroge sur la pertinence du choix géographique de Fessenheim : si les colis de l’industrie nucléaire française pro­viennent essentiellement de la vallée du Rhône, et qu’ils doivent descendre le Rhône par barge, embarquer à Fos sur un cargo à destination de Rotterdam via la Méditerranée, l’Atlantique, la Manche, la mer du Nord et à nouveau être chargés sur une barge pour remonter le Rhin, « on fait peut être mieux en matière d’effi­cacité environnementale du transport. » Gérard Stimpflin, président d’Eurorhinports répond en présentant les équipements portuaires d’Ottmarsheim où les colis pourront être déchargés, après quoi ils prendront la RD52 jusqu’à Fessenheim. « Combien de temps entre Ottmarsheim et Fessenheim ?», interroge un participant. Entre deux et trois heures pour les plus gros colis. Étonnement dans la salle.

Nadine Meyer, présidente de « Notre canton demain », inaugure la séquence « regards croisés », en lançant une salve de questions au maître d’ouvrage : combien d’emplois de cadres, d’ouvriers et d’employés seront-ils créés, quel sera le bassin de recrutement, le Technocentre ne risque-t-il pas de nuire à l’attractivité globale du territoire ? Elle fait part de sa position : « Il faut du travail pour vivre, mais nous avons besoin de garanties. » Denis Reininger, d’Alsace Nature, enchaine avec un réquisitoire antinucléaire et dresse en une punch line les conséquences de la fermeture de la centrale nucléaire : « Fessenheim est fermée, nous ne sommes pas à la bougie et le nombre de chômeurs n’a pas augmenté. » Il rappelle la position déjà exprimée par Stop Fessenheim : « Nous exigeons un accès au bilan financier et au projet de budget. Sans ça, il ne sert à rien de parler de transparence. » Applaudissements d’une partie de la salle. Laurent Jarry demande « qu’un fact checking soit effectué sur toutes les affirmations d’Alsace Nature. » Nouveaux applaudissements de l’autre partie de la salle.

Il est 21h45, le temps prévu est largement dépassé. Jean-Louis Laure lève la séance et tire un premier bilan : « Si EDF n’avait pas saisi la CNDP, il n’y aurait pas de débat. Des questions ont été posées, toutes n’ont pas trouvé de réponses. J’invite EDF à four­nir les compléments d’information nécessaires à la poursuite du débat. » L’impression générale est que chacun reste bien campé sur ses positions, mais au moins le débat a eu lieu : tous ont pu s’exprimer et s’écouter sans – trop – s’invectiver.

Jean-Louis Laure, président de la commission particulière du débat public sur le Technocentre de Fessenheim : « Nous ne sommes là ni pour freiner le projet, ni pour le promouvoir »

Qu’est-ce que la Commission Particulière du Débat Public (CPDP) ?

Jean-Louis Laure : La CPDP est créée par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), elle-même instaurée par la loi Barnier de 1995. Pour les projets industriels dont le coût d’investissement dépasse 600M €, la saisine de la CNDP est obligatoire. Pour les projets dont le montant d’investissement est compris entre 300 et 600M €, la saisine est consultative. Dans le cas d’espèce du Technocentre, dont le montant d’investissement est à ce jour estimé à 450M €, EDF a souhaité saisir la CNDP. Et du coup, c’est la CNDP qui a décidé de créer la CPDP pour organiser un débat public.

Comment la CPDP est-elle constituée ?

J.-L. L. : Nous sommes huit. J’ai été désigné comme président de la commission et j’ai proposé d’être assisté par sept personnes.

Personnellement j’ai accompagné beaucoup de grands maîtres d’ouvrage dans leurs projets industriels ou d’infrastructures. Je suis un des « garants » de la CNDP et j’ai participé à de nombreux débats publics initiés par cette dernière. Les sept autres personnes de la CPDP sont des étudiants, un ingénieur territorial, une coach médiatrice, une médecin à la retraite, un anthropologue…

Pourquoi une CPDP sur le Technocentre alors qu’elle n’était pas obligatoire ?

J.-L. L. : Il faut poser la question à EDF. C’est l’entreprise qui a demandé le débat public. Sans me mettre à leur place, je pense qu’ils souhaitent une bonne appropriation du projet par le ter­ritoire. Même si l’objectif du débat public n’est pas d’améliorer l’acceptabilité du projet. Notre rôle est de veiller à ce que le projet soit bien débattu. Nous ne sommes là ni pour le freiner, ni pour le promouvoir. Bien sûr le contexte est particulier : il s’agit d’un projet inédit sur un territoire à forte culture nucléaire. Je voudrais insister sur le caractère inédit : en fait c’est la première fois en France que des produits radioactifs, même de très faible intensité, pourraient être transformés en produit de consommation courante.

Nous éclairons le débat

Mais du coup, puisque le débat est demandé avec insistance par EDF, cela ne remet-il pas en cause votre exigence d’impartialité ?

J.-L. L. : Non, je ne crois pas. Dès lors que la décision de création de la CPDP a été prise par la CNDP, EDF devient un intervenant dans le débat au même titre que le autres : ni plus, ni moins. Et mon rôle de président est d’y veiller.

Quelles sont les règles et les modalités du débat ?

J.-L. L. : Le débat public repose sur six grands principes : la neutralité de la commission, l’indépendance des membres de la commission qui ne doivent présenter aucun lien d’intérêt avec le maître d’ouvrage ou le territoire, la transparence de l’information mise à disposition du public, l’argumentation, l’inclusion, afin que les personnes les plus éloignées du débat puissent y participer, et l’équivalence, selon laquelle chaque voix exprimée a la même valeur. Le débat a commencé le 10 octobre et devrait prendre fin le 7 février. L’atelier du 11 décembre était le dixième rendez-vous. Nous en avons prévu une vingtaine, y compris des webinaires et des visites de sites industriels.

À la fin du débat, il se passe quoi ?

J.-L. L. : Nous produirons un compte-rendu du débat dans lequel nous retranscrirons les propos tenus par les acteurs mais aussi toutes les questions posées. Ensuite, nous ferons des recomman­dations afin d’associer le public le mieux possible au cas où EDF déciderait de réaliser le projet. Nous ne rendons pas d’avis, nous portons la parole des acteurs et nous éclairons le débat.

Comment appréciez-vous le déroulement de ce débat ?

J.-L. L. : Je pense que pour l’instant nous avons réussi à mobiliser tous les acteurs concernés par le projet. Mais je regrette que nous ne parvenions pas à associer davantage le grand public sur une question sociétale d’une telle importance. Ça ne fait pas bouger les foules.

 

De quoi parle-ton ?

EDF projette de construire et d’exploiter un Technocentre à Fessenheim, à proximité de la centrale nucléaire, dont le déman­tèlement a commencé.

Objectif : transformer les métaux très faiblement radioactifs (TFA) provenant du parc nucléaire français en lingots d’une vingtaine de kilos destinés à l’industrie métallurgique.

Processus industriel : fusion des métaux dans un four à arc élec­trique à 1 650°C. Le site industriel pourrait traiter 500 000 tonnes de métaux issus de la maintenance et du démantèlement d’ins­tallations nucléaires dans les quarante ans à venir. Les déchets résiduels seraient traités dans les filières dédiées.

Coût du projet : 450M € (aux conditions économiques de 2023).

Emploi : selon EDF, le Technocentre devrait créer 200 emplois directs, auxquels s’ajouteraient les emplois indirects. Le chantier devrait mobiliser entre 300 et 500 emplois.

Calendrier envisagé : début de la construction, en 2027 ; mise en service, fin 2031.

Jean de MISCAULT