« Vous êtes en salle 26 » indique un grand écran dans cette salle du rez-de-chaussée du tribunal judiciaire où ont pris place le personnel du tribunal, les entrepreneurs maîtres d’œuvre des travaux, architecte, designers, service immobilier de l’institution, les maîtres d’ouvrage de cette réalisation. Cette salle est à l’opposé de ce qu’elle fut. On s’y installe aisément, on y trouve sa place, on voit ses interlocuteurs, on les entend parfaitement. Tout a été pensé pour faire vivre l’institution judiciaire au quotidien. « Chaque mètre carré a été discuté par tout le monde » assure Alexandre Mussche, le designer de l’agence Vraiment Vraiment qui a travaillé en harmonie avec son frère Nicolas Mussche, l’architecte de l’agence Mudo, l’équipe belge implantée à Paris pour imaginer, concevoir et réaliser cette mission de créer une salle d’audience d’un nouveau type. Toute la démarche a été décortiquée de A à Z par les acteurs du projet lors de cette cérémonie inaugurale. Et il fallait lire sur les visages de Manuel Delmas-Goyon, président du tribunal judiciaire de Metz et de Yves Badorc, procureur de la République, au-delà des sourires de bienvenue de circonstance, un authentique plaisir à se retrouver dans ce lieu véritablement réinventé.
« Une mission innovante »
Les deux ont du reste lancé cette cérémonie le plus sobrement possible, en laissant toute la place et la lumière, à ceux qui ont été les acteurs de cette transformation. Yves Badorc s’est en outre félicité de voir ce projet « se finir et d’être allé jusqu’au bout » et cette opération « d’avoir été collaborative. » L’ensemble de cette aventure, si l’on ose dire, a été décrit dans un livret qui raconte la genèse du projet, la méthode employée à partir de l’analyse de l’existant et des solutions mises en place. Et cela se lit comme un scénario tant la mise en scène de cette salle d’audience, appelée à accueillir la vie réelle de la justice ordinaire, méritait ce décryptage minutieux. Le titre de l’œuvre la résume : « Aménager une salle d’audience pour le XXIe siècle : mission innovante du Tribunal judiciaire de Metz. » De fait, c’est bien le tribunal judiciaire de Metz qui a été l’acteur principal de cette mobilisation autour d’un projet novateur. Et Mme Morgane Magnin, chargée de mission auprès du président du tribunal, et cheffe du projet opérationnel en a suivi toutes les étapes. Elle en a été la brillante animatrice et a eu le privilège d’ouvrir la séquence inaugurale.
« Une véritable aventure humaine »
« On a été lauréat d’un appel à projet ! » dit-elle. « Les appels à projet sont les nouveaux mécanismes de financement qui permettent de réaliser des projets immobiliers dans un temps court. Ce fut une opportunité. » Cet appel à projet a été mené avec la direction de l’immobilier de l’État et la direction interministérielle de la transformation publique. Elle rappelle l’essence du projet : « Cette salle était initialement totalement inadaptée ! » pour des problématiques d’acoustique, de thermie et d’ergonomie. « Il était indispensable de repenser toute sa disposition. Pour cela nous nous sommes tournées vers une démarche de design de service avec la prise en compte de la sphère environnementale. Ce projet représente des mois de travail : 18 mois ! Une véritable aventure humaine. » Au passage, elle souligne avec gravité sa vocation et son goût pour assurer la direction d’un projet. « J’ai voulu intégrer le corps des directeurs pour faire de la gestion de projet, améliorer les conditions de travail… même si aujourd’hui notre corps est quelque peu désabusé. Notre avenir est un peu assombri en ce moment. »
La genèse du projet
Stéphanie Aubaterre, directrice de greffe du tribunal judiciaire a ensuite détaillé la genèse du projet et la démarche de design de service et d’écoconstruction. Avec le concours d’un laboratoire d’innovation publique rattaché à l’administration pénitentiaire, le contact a été pris avec différentes entreprises dont la société Vraiment Vraiment d’Alexandre Mussche. Trois axes de travail furent retenus :
- L’amélioration des conditions de travail de tous les utilisateurs de la salle. « On a réfléchi sur le choix du mobilier, fonctionnel et ergonomique, sur l’acoustique, on a repensé l’éclairage et une prise en compte des couleurs avec un travail sur la psychologie des couleurs. »
- Rendre la justice plus accessible avec une démarche pédagogique que l’on observe tout au long du parcours dans la salle. Le chemin des usagers a également été repensé.
- La salle du futur, du XXIe siècle : en intégrant du matériel et équipement pour un fonctionnement dématérialisé « tout en restant très proche des gens, en permettant de faire évoluer le matériel sans modifier à chaque fois le mobilier de la salle. » Une réflexion sur l’entretien de l’équipement et du matériel a également été prise en compte.
« Ce chantier a été un partenariat ! »
Jean-Philippe Romary, de la direction du département immobilier du ministère de la justice nous a ensuite fait part « de son ressenti du pilotage de cette opération. » Il met en avant le délai très court imparti à la réalisation de ce projet. « C’était très stimulant » avoue Jean-Philippe Romary. Il évoque la maîtrise d’œuvre avec quatre compétences techniques différentes, outre l’architecture, deux bureaux d’études de câblage et d’acoustique. Il a fallu naturellement recruter les entreprises compétentes dédiées à chaque type de travaux. « Des travaux qui se sont déroulés en site occupé, ce qui n’est pas toujours évident, d’où les bâtiments modulaires installés dans la cour intérieure du palais. » Ils seront maintenus dans la perspective des futurs travaux d’aménagement de la salle Verlaine cette année. Il confirme le caractère « innovant » de l’opération qui a été précédée d’une période d’immersion du prestataire pour formaliser les besoins. » Et sa durée, très courte de 18 mois, quand en temps normal c’est le double, renforce cette impression de chantier exceptionnel. En chiffres : 15 marchés de prestations ont été passés, les travaux ont coûté 500 000 euros et ont mobilisé une cinquantaine d’intervenants. « Ce chantier a été un partenariat et une formidable aventure humaine ! » Les mêmes mots reviennent.
Au cœur du réacteur de la maîtrise d’ouvrage
Pour l’architecte comme pour le designer, les frères Mussche, ce chantier « a été une expérience unique, et pour nous une découverte de l’univers de la justice, de sa complexité et de sa richesse aussi » a décliné Nicolas Mussche, architecte de l’agence Mudo. Avec son frère Alexandre, de la société Vraiment Vraiment il a mis en exergue l’efficacité du tandem de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre confrontées aux aléas inhérents à la complexité de ce chantier. Une efficacité qui tient en un mot : concertation. Ils se sont mis à l’écoute des doléances des uns et des autres afin de bien s’imprégner du vécu de tous les acteurs appelés à vivre dans cette enceinte. Ils ont aussi impliqué les différents corps de métier pour recueillir leur avis, leurs impressions. Tout a été pris en compte, jusqu’au « stress des acteurs qui vont vivre dans cette salle, le déroulé de l’audience, l’accueil de tous les justiciables (…) » dit-il. Nicolas dira même pour convaincre son auditoire : « On s’est mis dans les pas d’un justiciable qui découvre le parcours au sein de la salle d’audience. » Celle-ci, aujourd’hui, offre une signalétique qui enlève toute appréhension à celui qui y pénètre. Ils ont à l’évidence su créer des espaces de discussion avec le personnel du tribunal comme avec les entreprises pour répondre aux problématiques de cette « mission innovante. » Et nos artistes architectes designers se sont mis à la place du justiciable, en amont de son arrivée à la salle 26, pour aménager le parcours afin de le libérer de son stress. Ils ont imaginé un accès plus aisé à une salle 26 bien plus hospitalière.
Une salle plus apaisante
Cette salle frappe par sa lumière, ses courbes, ses arrondis qui effacent les angles de l’ancienne. Le mobilier en bois clair, du frêne, joue de cette lumière, l’éclairage forcément modulable avec cette magnifique suspension circulaire crée une atmosphère de transparence et une bien meilleure visibilité. La barre réglable en hauteur, le box des prévenus pourvu d’une large baie vitrée abaissée tourné vers le prétoire, l’aménagement circulaire qui rayonne autour de la barre, la courbure de l’estrade « favorise les échanges de regards », le plan général en forme d’hélice « tout confère à apporter de l’apaisement, un climat plus chaleureux… une atmosphère plus apaisée » répète Nicolas Mussche. Sans doute pour délivrer une justice plus sereine, est-on tenté d’ajouter. L’architecte a pris soin, en détaillant son travail, de rappeler l’existant : « l’ancienne salle avait aussi des qualités avec de beaux murs, de beaux volumes, avec de la lumière naturelle, ce qui n’est pas le cas de toutes les salles d’audience. Notre mandat d’innovation était de faire mieux avec l’existant. C’est une salle qu’on a cherché à soigner. »
Une salle plus performante
« Cette salle est aussi un outil de travail, qui doit être performant » rappelle l’architecte. Il a fallu réparer l’ergonomie, car « dans l’existant on était un peu à l’étroit. » En réinventant les espaces et la configuration de la salle, les architectes designers ont su sauvegarder l’essentiel : « la proximité qui facilite les échanges et apporte une qualité dans le déroulé de l’audience. » Le plus de cette salle c’est l’acoustique. Un détail qui change tout avec la nouvelle salle 26. « Les échanges deviennent plus intelligibles. » Les mesures des temps de réverbération du son ont permis de les réduire fortement. « L’introduction de la technologie participe aussi de la solennité de la salle. Les équipements ont été bien intégrés pour faciliter les conditions de travail. » Il glisse un mot sur la barre « réglable, elle a été pensée pour sa transparence et pour son confort. Elle peut accueillir plusieurs personnes et des personnes à mobilité réduite. » Le médaillon, avec le profil Thémis déesse de la justice, a été représenté de façon plus moderne, plus contemporaine. Autre choix esthétique heureux des architectes, les façades des mobiliers d’estrade de l’ancienne salle, ont été conservées et « exposées à la manière d’un retable » au-dessus de l’estrade. « C’est une continuité, une transmission » souligne Nicolas Mussche. Enfin ultime touche moderne, outre les deux écrans et les trois caméras, un écran principal masqué a été placé au-dessus de l’estrade pour faciliter les vidéoconférences.
Le retour d’expérience
Le retour d’expérience dira si la nouvelle salle 26 donne satisfaction. Yves Badorc, avec humour, a salué cette présentation. « Il n’y a rien de mieux que les artistes pour présenter leur œuvre ! Vous avez accompli là une œuvre remarquable. » Nicolas Mussche n’a pas renoncé à profiter « d’un retour d’’expérience pour éventuellement améliorer cette transformation. Notre souhait est qu’on accompagne la juridiction sur l’évolutivité de la salle et sur ses corrections si besoin est. » Une belle conclusion d’une réalisation appelée à vivre la justice au quotidien qui est le fruit « d’un travail collectif, collaboratif remarquable ! » a terminé le procureur Yves Badorc.