Dossier Paru le 25 avril 2025
LE MINISTRE DE L’INDUSTRIE À LA CENTRALE ÉMILE-HUCHET

« C’est un projet exemplaire ! »

Le ministre de l’Industrie Marc Ferracci est venu, le lundi 14 avril, confirmer aux salariés et dirigeants du site la conversion industrielle de la centrale au charbon au gaz et biogaz à l’horizon 2027. Le personnel n’a pas caché son soulagement à l’occasion de cette visite.

La remise de la lampe de mineur par Sylvain Krebs de la CFE-CGC à Marc Ferracci.

Lundi 14 avril, 10h30, le ministre de l’Industrie Marc Ferracci sort de sa voiture tout sourire, se dirige vers les élus et personnalités alignés pour un accueil républicain. Un tonnerre d’applaudissements venu des nombreux salariés l’accueille. Une atmosphère inédite pour recevoir un ministre. Les abords du Groupe 6 sont baignés de soleil, l’ambiance est presque estivale sur ce site industriel histo­rique du bassin houiller. Les plus anciens se souviennent que cette tranche de 600 MW avait été inaugurée en 1981 par le président François Mitterrand. Les salariés se rapprochent du ministre tout en continuant d’applaudir. « On est satisfait de sa venue. Même s’il reste encore beaucoup à faire. Il faut le faire intelligemment, en douceur, sans licenciement. On va être formé pour utiliser le gaz. Mais au global ça va rester un mode de pilotage identique » glisse Damien Cabitza, délégué CFDT de la centrale. Une salariée, assistante de gestion en alternance, ne cache pas son soulagement. « C’est une bonne étape pour le futur de ce site. Pour moi c’est un plus, que ce projet puisse aboutir pour mon avenir. » Un autre avoue sa « fierté et son soulagement. On respire à nouveau. On était dans des discussions pendant des semaines et des mois. Les organisations syndicales ont fait énormément pour la centrale. Sans elles, on mettait la clé sous la porte. » Davout, salarié de Equans Ineo, entreprise de sous-traitance et de maintenance, est électri­cien. Il travaille à la centrale depuis 2004. Il se dit rassuré. « C’est bien pour nous. Je fais de la maintenance dans le secteur du parc à charbon, parc à cendres. Avec le changement de combustible, ça va leur coûter moins cher : plus de charbon à gérer, plus de cendres à gérer, moins d’eau pour le nettoyage, mais aussi un peu moins de personnel, le gaz se transporte par tuyau, le charbon il faut du monde. Avec le charbon il y a toujours de l’entretien, il n’y en a plus avec le gaz. » Place à la visite du site pour Marc Ferracci.

Le ministre et les élus

Pendant ce temps, le ministre de l’Industrie a pu faire connaissance avec les élus locaux : Salvatore Coscarella, président de la Casas (Communauté d’agglomération Saint-Avold Synergie), Gaston Adier, maire de Carling, son homologue de Saint-Avold René Steiner, Patrick Weiten, président du département de la Moselle, François Lavergne, président du District urbain de Faulquemont et les parlementaires mosellans lesquels ont été à la manoeuvre à l’Assemblée nationale et au Sénat pour faire adopter la loi dite « Saint-Avold ». Le ministre saluera un peu plus tard leur prag­matisme pendant cette séquence, parlant de « gageure » pour réussir à faire passer la loi. Avec, il est vrai, le soutien, sur place des élus locaux et d’une délégation de salariés et syndicats de la centrale. Marc Ferracci a ensuite eu un aperçu de ce groupe 6 en gravissant les marches d’une tour du bâtiment, jusqu’à la salle des commandes où clignotent de nombreux écrans. Très à l’aise dans ses échanges avec les opérateurs sur place, il découvre l’état des données de la chaudière, du poste eau etc.

Frédéric Faroche : « Une belle étape de franchie »

Après la visite, à l’entrée du chapiteau, avant la pause déjeuner, Frédéric Faroche, le PDG de GazelEnergie, propriétaire du Groupe 6 de la centrale, a officiellement accueilli, le ministre de l’Industrie. « C’est une belle étape de franchie. La loi nous donne désormais le cadre nécessaire pour convertir la centrale » a reconnu d’entrée le patron de l’entreprise, avant d’adresser sa reconnaissance aux salariés d’Émile-Huchet : « Nous nous battons depuis des années pour donner un avenir industriel à ce site, pour éviter la création d’une nouvelle friche industrielle, pour pérenniser vos emplois. Cette tran­sition, nous vous la devons. Nous croyons que le système électrique a besoin d’actif pilotable, pour sécuriser son approvisionnement. La flexibilité est un des enjeux clés de la prochaine décennie pour le système français et européen. Dans ce système, Émile-Huchet a son rôle à jouer avec les batteries de stockage dans lesquelles nous avons investi. Notre projet est simple et pragmatique : faire une transition industrielle en arrêtant le charbon, sans fermer, en décarbonant notre production et en garantissant les emplois. Je tiens à saluer votre attitude exemplaire, votre résilience face aux incertitudes. Nous mobilisons tous les métiers de GazelEnergie pour ce beau projet. La route est encore longue. Cette victoire, c’est la vôtre. » Il annonce qu’une prochaine rencontre avec les syndicats devrait permettre de discuter des emplois, n’ayant aucun doute sur la détermination des partenaires sociaux. Le montant des investissements s’élèverait selon GazelEnergie à environ 100 M€.

« Mobilisation collective des élus »

Frédéric Faroche a ensuite salué l’engagement et la mobilisation collective des élus. « C’est tout un territoire qui s’est levé pour dé­fendre Émile-Huchet. Sans votre mobilisation, nous n’en serions pas là aujourd’hui. » Il n’oublie pas le ministre en rappelant qu’en 2023, le président de la République, s’est exprimé pour la conversion des centrales au charbon. « Le gouvernement a mis la proposition de loi en un temps record de deux mois. Vous avez entendu l’espoir soulevé dans ce territoire, vous nous avez accordé un cap clair attendu depuis des années. » Il relève les quelques étapes encore à franchir : publication de la programmation pluriannuelle de l’éner­gie, la notification du mécanisme à la Commission européenne, les autorisations administratives sous l’autorité du préfet.

Le beau geste des salariés

Les moments de convivialité se succèdent. Sylvain Krebs, délé­gué CFE-CGC des salariés remet une belle lampe de mineur à Marc Ferracci, accompagnée des mots qui vont avec : « Mon­sieur le ministre, votre présence aujourd’hui est le témoignage de l’importance que vous portez, vous et votre gouvernement, à nos enjeux. J’ai l’immense honneur aujourd’hui, au nom de tous les salariés de GazelEnergie et des sous-traitants, de vous remettre ce cadeau symbolique, cette lampe du mineur. Ce n’est pas un simple objet, c’est l’héritage de nos parents et de nos grands-parents, ces travailleurs acharnés qui ont façonné notre région avec leur coeur et leur détermination. Cette lampe évoque aussi des valeurs : solidarité, courage, respect du travail, la loyauté et la résilience. Ces valeurs que nous continuons de porter et qui nous unissent. Cette lampe c’est le passé, mais aussi l’avenir. Cette lampe rap­pelle que dans les moments très difficiles il y a toujours une lueur d’espoir. Nous souhaitons que cette lampe vous accompagne dans vos réflexions, dans vos décisions. Elle pourra vous rappeler l’intérêt de notre patrimoine industriel. Merci de votre engagement. Faisons ensemble que cette lumière continue de briller pour les générations futures. » Belle émotion partagée par de chaleureux applaudissements.

« Cette centrale a été au rendez-vous »

Le ministre aussi semble, dans l’instant, submergé. Il parle de « beaucoup de bonheur d’être ici parmi vous. » Il revient sur ce « projet exemplaire construit par une volonté collective d’aller vers la transition énergétique, pour préserver notre environnement. » Il revient « sur le pragmatisme qui a caractérisé les échanges et la concrétisation de ce projet. Le pragmatisme des élus et l’engagement des parlementaires quel que soit leur bord. La loi a été adoptée conforme par les deux chambres, et pour ceux qui passent un petit peu de temps au parlement, cela tient de la gageure. » Un travail collectif qui selon lui a permis de faire émerger ce projet, cette nouvelle base industrielle. Il n’oublie pas que dans un contexte très incertain, « cette centrale a été au rendez-vous. Elle fonctionnait au charbon, elle sera au rendez-vous demain si d’autres difficultés surviennent. » Il ne pouvait éviter d’enchaîner sur le maintien de l’emploi pour donner à ce site tout son potentiel. Il pouvait recevoir des mains d’une hôtesse, un joli panier garni de spécialités locales avec de la mirabelle bien sûr. La centrale Émile-Huchet sait recevoir. Le ministre pouvait alors partager un barbecue avec le personnel de la centrale et ses dirigeants, entourés des élus. Le sourire et la confiance sont bien revenus à Émile-Huchet.

Le ministre pendant sa visite du Groupe 6 de la centrale Émile-Huchet dans la salle des commandes, dans la salle des turbines et du générateur, il écoute les explications du PDG Frédéric Faroche.

18 mois de travaux et une mise en route en 2027

Le ministre a pris le temps de s’adresser à la presse venue en grand nombre sur le site de la centrale. Il a insisté sur le consensus politique qui a permis d’en arriver là.

« La conversion de ce site au gaz et biogaz, c’est l’aboutissement d’un travail collectif qui a associé l’entreprise, ses salariés, qui se sont énormément mobilisés pour faire aboutir ce projet. J’y associe les élus et les parlementaires, dont certains sont autour de moi, pour créer du consensus politique autour de ce projet » explique le ministre en n’oubliant pas les objectifs et les enjeux de cette conversion. « Ce projet coche plusieurs cases. D’abord celle de la transition énergétique car le gaz émet beaucoup moins de CO2 que le charbon. Ensuite la nécessité de procurer à notre système de production électrique sur le territoire national, de la flexibilité. Cette centrale a justement participé ces dernières années à cette flexibilité au moment où des difficultés se faisaient jour sur notre parc nucléaire. Nous avons besoin de maintenir cette sécurité énergétique, cette sécurité d’approvisionnement électrique, et cette centrale va y participer. Enfin ce projet préserve des emplois, ceux des 150 salariés du site mais aussi des emplois indirects qui se comptent par centaines sur le territoire. Sur ce territoire qui est une terre d’industrie et une terre d’énergie qui assume la transition énergétique. » Il n’oublie pas de rappeler que l’État aura sa part dans cette conversion via « le mécanisme de capacité qui va permettre à GazelEnergie d’amortir les investissements en donnant des ressources financières dans les prochaines années à ce projet. C’est un projet exemplaire, il illustre la nécessité d’accompagner la transition énergétique avec pragmatisme. » Pour ce qui est du calendrier, il passera par des étapes administratives, par la formation du personnel. « Le but est d’y arriver d’ici 2027 au bout de 18 mois de travaux. »

Interview du directeur Antonin Arnoux

« Je suis très fier et content d’être de cette aventure ! »

Antonin Arnoux, un ingénieur qui a fait carrière dans le monde de l’énergie, à l’international, évoque pour les Affiches d’Alsace et de Lorraine, cette conversion industrielle inédite. Il se dit fier de vivre ce moment-là.

- Les Affiches d’Alsace et de Lorraine : Vous allez passer au gaz et au biogaz. Il viendra d’où ?

- Antonin Arnoux : « Aujourd’hui le biogaz est présent dans le réseau national. Tout consommateur de gaz naturel en trouve dans son approvisionnement, comme dans toutes les centrales et chaudières industrielles. »

- Qu’est-ce que vous allez devoir changer ?

- A.A. : « Aujourd’hui on a du charbon. On le broie en fines parti­cules et on le souffle dans la chaudière. Demain, au lieu de souffler des nuages de particules de charbon, on va souffler du gaz. On enlève le parc à charbon, on enlève les broyeurs et on met des canalisations de gaz à la place des tuyaux de charbon. C’est simple et pragmatique. »

- Vous allez dépolluer le parc à charbon ? La dernière tonne de charbon sera pour quand ?

- A.A. : « On va forcément le nettoyer. Il n’y a pas forcément de pollution. Aujourd’hui on reçoit du charbon hors d’Europe, d’Afrique du Sud. Globalement on en utilise très peu. On fait très peu d’heures dans l’année. C’est anecdotique comme consommation. Après le changement de combustible, on aura à peu près la même puissance installée, de l’ordre de 600 MW. Et surtout on va diviser par deux les émissions de CO2 et pas de poussière, que vouloir de plus ? »

- Les deux autres groupes au gaz de la centrale appartiennent à un concurrent ?

- A.A. : « Oui ils sont exploités par TotalEnergies. Ce sont des groupes de 430 MW chacun. »

- Pourquoi ça n’a pas fonctionné avec de la biomasse ? C’était une solution alternative ?

- A.A. : « Il faut rester pragmatique. La biomasse c’est du traitement combustible solide, ça demande beaucoup d’investissement sur des broyeurs, de modification, de conditions de stockage. Pour remplacer le charbon c’était très compliqué. »

- Est-ce que vous produisez beaucoup dans l’année ?

- A.A. : « Très peu. On produit environ 500 à 700 heures d’élec­tricité par an. On est sur les 5 à 10% dans l’année où il faut de la sécurité, de la flexibilité. Pour le mettre en route, il faut une bonne demi-journée. »

- Qu’en sera-t-il du personnel ?

- A.A. : « Il y a environ 500 emplois sur le site, 250 emplois directs, 250 indirects. Ces derniers viennent pour des périodes de mainte­nance. Il y aura forcément un volet formation. Le changement ne va pas supprimer des emplois. On va les faire évoluer, on a besoin de revitaliser notre site. On a des travaux. On sera sur une stabilisation voire une légère augmentation de nos effectifs. »

- Cette transition sera un moment fort ?

- A.A. : « C’est magnifique. Je suis super fier. C’est un honneur en fait de diriger ce site, à ce moment-là. Et c’est pour le territoire. C’est un territoire qui le mérite. La Ceca, communauté européenne du charbon et de l’acier, est née ici. On a un avenir énergétique et industriel fabuleux. Je suis très content d’être de cette aventure. »

Antonin Arnoux, au pied de la tour de réfrigération du Groupe 6 de la centrale Huchet.

Le ministre à la découverte d’un sous-traitant Chez GTIA à Longeville-lès-Saint-Avold

Marc Ferracci a poursuivi sa visite chez un sous-traitant de la centrale Émile- Huchet, GTIA filiale du groupe Industeam, une entreprise de chaudronnerie et de mécanique. Une visite très instructive.

L’entreprise GTIA (Groupement de travaux industriels et artisanaux) se niche dans la zone artisanale de Longeville-lès-Saint-Avold, à moins de 5 kilomètres de la centrale Émile-Huchet. Elle travaille de longue date pour la centrale où elle délègue régulièrement de six à sept salariés pour des travaux de maintenance, pour des travaux de fortuit, quand il y a des fuites ou autres. L’entreprise forte au­jourd’hui de 44 salariés, a été reprise en 2025 par Industeam, une société dont le siège est à Luxembourg. Elle est spécialisée dans les panneaux de chaudière, de cintrage, équipements sous pression, de tuyauteries. Le gros de l’activité de GTIA reste la maintenance industrielle (60%). Le groupe Industeam, créé en 2006 à Luxembourg et Thionville, par l’Algrangeois Thierry Franceschetti, possède 22 implantations. Du Nord au Grand Est via Grenoble, jusqu’en Roumanie. Son chiffre d’affaires atteint 135 M€ pour un millier de salariés. « Nous avons fait 14% de croissance par an sur les trois dernières années. Notre marché c’est la transition énergétique, la décarbonation. Nous transformons les centrales de charbon en pellet, biomasse ou biogaz. Nous avons réalisé le chantier de transition énergétique d’un imprimeur norvégien à Golbey dans les Vosges » détaille le patron avant l’arrivée du ministre. La société travaille beaucoup à l’export. Cela représente 50% de son chiffre d’affaires. Le PDG nous montre des tuyaux cintrés chez GTIA en partance pour Cuba.

Une entreprise industrielle et artisanale

« Ici on ne fait que de la spécialité. On a assez de place » ajoute Thierry Franceschetti. « On fait du façonnage de tuyauterie pour chaudière. On fait des cintrages, de la maintenance de tuyauteries, et des équipements sous pression. » Industeam est aussi spécialisée dans l’hydroélectricité, sur les barrages où elle fabrique de petites turbines hydroélectriques. « C’est une bonne nouvelle de voir la centrale Émile-Huchet relancée ! » GTIA emploie des techniciens, dont de nombreux soudeurs. Le patron aime à louer « la culture du travail que l’on trouve sur ce territoire industriel en Moselle. » Il le répétera au ministre au moment de la visite.

Le cintrage de tubes

Thierry Franceschetti explique au ministre sa « vocation euro­péenne. Je suis né d’un fils d’émigré italien, et polonais. Je suis né à Algrange. Je suis très fier d’être européen. Les gens ici n’ont besoin que d’une seule chose, travailler. Dans notre entreprise nous avons un turnover de moins de 3 % sur un effectif de 1000 personnes. » Il ne le dira jamais assez, « une entreprise pour moi, ce sont des valeurs humaines. » Et Marc Ferracci va le ressentir. Il découvre ainsi l’atelier de cintrage de tubes et celui des équipements sous pression. Il aura droit à une démonstration de cintrage d’un tube, réalisée sur une machine puissante qui procède par traction, presque artisanale, par un vétéran de la maison, l’impressionnant Wilfried Decker, qui affiche 30 années chez GTIA.

« Je reviendrai »

Marc Ferracci achève sa visite, visiblement satisfait de ce détour par GTIA et Longeville-lès-Saint-Avold. « Ce fut une journée très instructive. D’abord beaucoup de bonnes nouvelles à partager. Et puis la nécessité de replacer tout ça dans une perspective de territoire, dans une perspective de filière. Ici avec des fournisseurs qui travaillent de manière très étroite. Et ils ont des clients partout dans le monde, avec ces tubes qui partent à Cuba. L’industrie dans notre pays a non seulement un présent mais aussi un avenir. Je suis extrêmement content d’être venu. Je reviendrai… »

Bernard KRATZ