Lancé par le gouvernement le 1er juillet dernier et porté par la ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique, Clara Chappaz, le plan « Osez l’IA » vise des objectifs ambitieux : introduire, d’ici 2030, les technologies de l’intelligence artificielle dans 50% des TPE (contre 8%, aujourd’hui), dans 80% des PME et des ETI (contre 13%, aujourd’hui) et dans 100% des grands groupes (contre 53%, aujourd’hui).
Sensibiliser, former et accompagner
« L’ambition d’’Osez l’IA’, c’est de faire entrer l’intelligence artificielle dans le quotidien de nos entreprises, de donner aux dirigeants comme aux salariés les moyens de se l’approprier », a déclaré la ministre déléguée, lors de la présentation officielle du dispositif. « L’IA, ça intimide, parce qu’on pense que c’est trop cher, trop complexe, trop risqué, parce qu’on ne sait pas par où commencer. ‘Osez l’IA’, c’est ma réponse à ces questions et ces inquiétudes. » Le dispositif comprend un volet sensibilisation, un volet formation et un plan d’accompagnement des entreprises tout au long de leur parcours, depuis le diagnostic jusqu’à l’implémentation, avec un budget de 200 millions d’euros pour financer des centaines de projets.
300 ambassadeurs IA et des évènements de mise en relation
Un réseau de 300 experts/ambassadeurs de l’IA va être déployé en régions, pour expliquer aux entreprises de quelle façon l’IA peut apporter des améliorations à leurs activités et comment procéder pour s’engager sur ce terrain. Parmi eux, des chefs d’entreprise, qui exposeront comment ils l’utilisent dans leur activité et dans leur secteur, et des experts, qui interviendront via différents réseaux (Chambres de Commerce et d’Industrie, Bpifrance, la French Tech…).
En parallèle, dès septembre prochain, des rencontres seront organisées tous les mois dans toute la France pour rapprocher les entreprises et les porteurs de solution d’IA. Et en février 2026, une journée nationale sera organisée avec le soutien de l’État pour rassembler tout l’écosystème IA français, afin d’encourager les échanges.
Se former avec « l’académie de l’IA »
D’ici fin 2025, le gouvernement va lancer l’ « Académie de l’IA », une plateforme accessible à tous rassemblant des formations et tutoriels adaptés à chaque public (TPE, PME, grands groupes, etc.). L’objectif que s’est fixé le gouvernement est de former 15 millions de professionnels d’ici 2030 : dirigeants et salariés, mais aussi apprentis (800 000 jeunes chaque année) et demandeurs d’emploi. Une initiative qui s’inscrit dans le dispositif « Compétences et métiers d’avenirs » de France 2030.
Un diagnostic Data IA et un catalogue de solutions sur étagères
Le plan d’accompagnement mis en place par le gouvernement débute par un « diagnostic Data IA ». Piloté par Bpifrance, à partir d’octobre prochain, ce dispositif va permettre aux entreprises d’obtenir un cofinancement pour payer l’intervention (10 jours) d’un expert chargé de dresser un état des lieux « technique et opérationnel », d’identifier les cas d’usage applicables et de les prioriser en fonction de leur intérêt pour l’entreprise. Un catalogue accessible sur la plateforme de l’Académie de l’IA permettra ensuite de trouver les solutions « clés en main », adaptées pour chaque cas d’usage identifié.
Prêts garantis par l’État et appels à projets
À partir de janvier 2026, les PME qui souhaitent développer des projets d’IA structurants mais nécessitant des investissements conséquents pourront solliciter des prêts garantis par l’État (via Bpifrance). Et les entreprises portant des projets d’IA dont l’impact est particulièrement important se verront proposer un programme « d’accélération » (accompagnement sur 18 mois, formations collectives et immersion dans des entreprises déjà engagées dans l’IA) à partir de fin 2025.
En parallèle, pour soutenir les acteurs qui conçoivent des solutions d’IA, 10 projets ont déjà été retenus dans le cadre de l’appel à projets France 2030 « Accélération des usages de l’IA générative ». Un nouvel appel à projets « Pionniers de l’IA » (opéré par Bpifrance et l’INRIA, (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) va être lancé cet été pour soutenir les projets capables de générer des ruptures technologiques (innovation de rupture) dans des secteurs clés (industrie, santé, transition écologique, sécurité...).
Enfin, la recherche publique n’est pas en reste : l’INRIA, qui a déjà développé des partenariats avec plusieurs grandes entreprises dans plusieurs secteurs, va désormais ouvrir cette dynamique aux PME (avec un objectif de 10 nouveaux partenariats par an).
Miren LARTIGUE
IA en entreprise : la France frileuse ?
L’adoption par les entreprises de l’intelligence artificielle progresse, mais demeure inférieure à la moyenne européenne, avec de fortes disparités selon la taille et le secteur d’activité. Les technologies d’analyse de langage et d’apprentissage automatique sont les plus utilisées, principalement pour le marketing, les ventes et la production.
L’adoption de l’IA progresse mais à pas comptés au sein des entreprises françaises. L’étude de l’Insee, consacrée aux TIC dans les entreprises, parue le 1er juillet, révèle qu’en 2024, 10% des sociétés établies dans l’Hexagone intègrent au moins une technologie d’IA, soit une progression de 4 points sur un an. Mais la France demeure en retrait par rapport à l’Union européenne où, en moyenne, 13% des entreprises ont franchi le pas.
Selon les données dévoilées, l’intégration de ces technologies avancées n’est pas uniforme. L’IA séduit avant tout les grandes structures : un tiers des entreprises de 250 salariés ou plus y ont recours, contre seulement 15 % des PME (de 50 à 249 salariés) et 9% de celles comptant moins de 50 salariés. Et cet écart se creuse par rapport à l’année précédente, passant de 16 à 24 points entre la première et la dernière catégorie d’entreprises. « Adopter de nouvelles technologies nécessite de supporter des coûts fixes, rappelle l’Insee, et s’avère d’autant moins coûteux que l’entreprise dispose déjà d’actifs complémentaires à l’IA (infrastructure et compétences numériques, etc.) ».
Des disparités sectorielles marquées
Côté secteurs, l’information-communication se positionne - assez logiquement - en leader de l’adoption de l’IA, avec 42% de ses entreprises exploitant ces technologies, un chiffre en forte hausse (+12 points) par rapport à 2023. En revanche, certains secteurs comme les transports et l’entreposage, l’hébergement et la restauration ou encore la construction restent à convaincre, avec des taux d’adoption nettement inférieurs (5% ou moins). Les activités spécialisées, scientifiques et techniques (qui incluent notamment les activités juridiques, comptables, de gestion), quant à elles, s’ouvrent progressivement à ces outils (17%), tandis que le commerce double ce taux en un an (de 4% à 10%), comme, les activités immobilières (de 7 % à 14 %).
D’autres éléments renforcent les chances d’adopter l’IA : appartenir à un groupe international ou employer une proportion élevée d’ingénieurs et de cadres techniques favorise nettement l’intégration de ces technologies. À titre d’exemple, les entreprises disposant d’au moins 15% de ces compétences ont plus de deux fois plus de probabilité d’utiliser l’IA, note l’Insee.
Des finalités diverses
Le type de technologies choisies varie également : l’analyse du langage écrit (44%) et l’apprentissage automatique (machine learning) pour l’analyse de données (41%) arrivent en tête. Ces dispositifs sont souvent utilisés à des fins marketing et commerciales (28%) ou pour optimiser la production et les services (27%). Les entreprises les plus avancées en IA ont souvent recours à plusieurs de ces technologies simultanément. Celles permettant le mouvement physique des machines (robots autonomes, par exemple) sont déclarées par 7 % seulement des entreprises, et leur usage a peu évolué en un an, note l’Insee. Autre constat, le recours à l’IA s’accompagne souvent augmentée, virtuelle, cybersécurité ou analyse de données font partie du quotidien de ces entreprises plus technophiles.
Un potentiel encore à explorer face à l’Europe
Si l’IA progresse nettement, en France, les entreprises restent à la traîne de la moyenne des pays l’Union européenne. « Le recours à l’IA reste plus élevé en UE, quels que soient la taille ou le secteur de l’entreprise », souligne l’Insee. En 2024, 13% des entreprises européennes utilisent l’IA, soit trois points de plus que leurs homologues françaises. Et cet écart ne s’est pas réduit par rapport à 2023. Les grandes entreprises ou celles du secteur de l’information-communication, pourtant en pointe en France, affichent un taux d’utilisation inférieur de 8 et 7 points à la moyenne européenne de leur catégorie (respectivement 41 % et 49%).
Dans un paysage européen contrasté en matière d’adoption de l’IA, les pays nordiques se distinguent avec une nette longueur d’avance, affichant des taux d’usage de 24 à 28 %, devant la Belgique (25 %) et l’Allemagne (20 %). A contrario, l’Europe de l’Est (3 à 7%) reste nettement en retrait. La France se positionne aux côtés de l’Italie (8%) et de l’Espagne (11%). Un retard que le gouvernement compte combler : pour booster l’appropriation par les entreprises, avec le plan « Osez l’IA ».
Aïcha BAGHDAD et B.L
Cadres et IA : entre enthousiasme raisonné et besoin d’accompagnement
L’intelligence artificielle s’impose progressivement dans les pratiques professionnelles des cadres. Loin des discours alarmistes sur la destruction d’emplois, l’étude de l’Apec publiée en juin révèle un paysage en mutation, où opportunités et vigilance cohabitent. Pour les directions RH, le défi est désormais d’accompagner cette transition technologique sans fracturer les collectifs, ni laisser les cadres en apesanteur face à ces nouveaux outils.
L’étude* menée par l’Association pour l’emploi des cadres confirme une accélération de l’adoption de l’IA, notamment générative, dans les organisations. Un cadre sur trois utilise aujourd’hui des outils comme ChatGPT, Microsoft Copilot ou Gemini au moins une fois par semaine dans le cadre de son activité professionnelle. Une proportion qui grimpe même à 42 % chez les moins de 35 ans et les managers, signe que la génération montante et les fonctions de pilotage sont à l’avant-garde.
Côté entreprises, 53 % des grandes structures de plus de 250 salariés déclarent désormais encourager activement l’usage de l’IA par leurs collaborateurs, contre 30 % il y a encore un an. « L’appropriation rapide de l’IA par les cadres est une réalité », affirme Gilles Gateau, directeur général de l’Apec. Une progression spectaculaire, accompagnée de la mise en place de chartes ou bonnes pratiques dans un tiers de ces grandes entreprises – soit plus du double par rapport à juin 2024. Dans les PME, la dynamique est plus mesurée (46 % encouragent l’usage), et les TPE restent en retrait (41 %).
Des usages transparents, porteurs d’efficacité
Contrairement aux craintes d’un “shadow GPT” échappant au contrôle managérial, la majorité des cadres usagers se montrent transparents : 56 % déclarent que leur manager est informé de leur recours aux outils d’IA. Mieux, les bénéfices sont clairement identifiés : 90 % des utilisateurs réguliers estiment gagner en productivité, 82 % en qualité et 80 % en créativité. Des chiffres qui confirment que l’IA ne se substitue pas aux compétences humaines, mais les amplifie lorsqu’elle est bien maîtrisée. Un usage raisonné qui renforce l’efficacité sans sacrifier l’autonomie ni le sens du travail.
Une forte attente de formation
Malgré cet engouement, l’acculturation reste partielle. Seul un cadre sur quatre a déjà été formé à l’intelligence artificielle. Et parmi eux, 82 % souhaitent approfondir leurs connaissances. Globalement, 72 % des cadres expriment aujourd’hui le besoin d’être formés, une hausse de 12 points en un an. La demande est forte, y compris chez les plus de 55 ans (69 %).
Face à ces attentes, les directions RH ont un rôle crucial à jouer. Il s’agit d’assurer une montée en compétences rapide, mais aussi de structurer cette transformation à travers des règles d’usage, des chartes, et une réflexion éthique sur les finalités et les limites de l’IA dans l’entreprise.
Des impacts anticipés sur les métiers
Les cadres sont désormais 42 % à anticiper un fort impact de l’IA sur les métiers de l’encadrement en général, et 35 % sur leur propre métier, en progression de plus de 10 points en un an. Fait révélateur : 37 % considèrent l’IA comme une opportunité pour leur emploi, (ils étaient seulement 22 % en 2023), contre 22 % qui y voient une menace. Pour rappel, ils étaient 30 % en 2023 à percevoir l’IA comme une menace pour leur métier. Une perception globalement positive, mais encore ambivalente. Les professionnels interrogés semblent conscients que l’IA ne va pas « remplacer » les cadres, mais redessiner leurs missions : plus de tâches analytiques, moins de tâches répétitives, un recentrage sur la stratégie, le relationnel, la décision. Pour que cette mutation soit un levier de performance, encore faut-il anticiper les glissements de périmètre, éviter les effets de déqualification et accompagner les transitions métiers.
RH et dirigeants : six leviers d’action
Face à cette transition accélérée, les DRH ont un rôle structurant à jouer. L’étude de l’Apec suggère plusieurs pistes. Parmi elles, celle de déployer des formations ciblées, adaptées aux métiers et aux niveaux de responsabilité, d’adapter les référentiels de compétences pour intégrer l’IA dans les parcours professionnels. Ou encore de valoriser les expérimentations internes réussies et de capitaliser sur les retours d’expérience, aussi d’impliquer les managers comme ambassadeurs et régulateurs de ces nouveaux usages.
L’Association propose même de faire de l’IA un outil de QVT, en allégeant la charge cognitive, administrative ou rédactionnelle. Néanmoins, elle recommande, dans le même temps, d’encadrer les usages via des chartes, pour éviter les dérives et clarifier les règles. Car l’IA générative n’est plus un gadget d’initié : elle s’installe dans les usages quotidiens des cadres, à un rythme soutenu. « Face à cette dynamique, les entreprises ont un rôle clé à jouer : structurer les usages, poser un cadre clair et surtout, accompagner les équipes par des formations adaptées. Le dialogue social et professionnel sur ces usages et leurs impacts est aussi de plus en plus indispensable. C’est à ce prix que l’IA deviendra un véritable levier de performance durable, au service des compétences et de l’innovation », confirme Gilles Gateau.
Charlotte DE SAINTIGNON
* Étude Apec menée en mars 2025, auprès de 2 000 cadres et 1 000 entreprises
