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Droit Paru le 06 septembre 2024
UN MAGNOLIA EN ÉTENDARD POUR UN « PARCOURS DU COMBATTANT » !

« Les seuls combats perdus d’avance sont ceux qui ne sont pas menés »

On se souvient du jugement emblématique du 3 octobre 2023, émanant du Tribunal Judiciaire de Nantes, relatif à un magnolia en limite de propriété. Aux termes de cette décision, les juges ont rejeté une demande de réduction et d’élagage de l’arbre limitrophe, mettant en avant, non seulement le respect de la Charte de l’environnement (de valeur constitutionnelle) mais également les bienfaits des arbres dépassant largement les limites de propriété.

Les Juges nantais se sont autorisés cette décision emprunte de réalisme environnemental, constatant l’absence pour les plaignants de préjudice réel et sérieux, de gêne ou encore d’un quelconque dommage imminent provenant de cet arbre.

Cependant, forts des articles 671 à 673 du Code civil, les proprié­taires voisins, éconduits, ont, sans grande surprise, contre-attaqué -sabres au clair- et fait appel de cette décision judiciaire.

On se souviendra également que la propriétaire du magnolia avait défendu seule avec succès, à la barre du Tribunal de Nantes et face à un avocat, la cause de l’arbre litigieux ! (voir à ce sujet, l’article paru dans les Affiches d’Alsace et de Lorraine, le 17 novembre 2023 – N°92 : « Protection juridique des arbres, en terrain privé – Une décision de justice, très attentive et qui fera date ! "Ne coupez pas notre arbre !" »).

À l’occasion de la procédure d’appel, le rapport des forces en présence va se trouver inversé !

Cette personne courageuse, partie seule au front, voit arriver à son soutien des renforts conséquents.

Un collectif de juristes chevronnés s’est constitué pour l’accompagner et la soutenir, pour tenter, au-delà de ce litige, d’imposer la Paix !

La propriétaire du magnolia est dorénavant représentée par le cabinet BALDON AVOCATS (composé de Maître Clémentine BALDON, Me Nikos BRAOUDAKIS et Mme Rosanne CRAVEIA) soutenu par des Professeurs de droit, une doctorante (Ophélie TOUZE) et deux avocates (Mes Laure ABRAMOVICHT et Marine YZQUIERDO), ainsi que l’auteur de ces lignes.

Deux associations de protection de l’environnement se sont déclarées, intervenantes volontaires ; à savoir le Groupe National de Surveillance des Arbres (G.N.S.A.) et Notre Affaire à Tous.

À l’occasion de la procédure d’appel, un exercice juridique de très haut niveau va être tenté, pour envisager une percée juridique stratégique, au bénéfice de tous.

Une question prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C.) concer­nant les articles invoqués, va être présentée.

Les Q.P.C. sont régies par l’article 61-1 de la Constitution, tel qu’issu de la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 et de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009. Aux termes de ces dispositions, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question, sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Au-delà de la défense spécifique du magnolia, l’utilisation de ce moyen juridique exceptionnel, devant la Cour d’appel de Rennes, sera aussi l’occasion de soutenir la cause de tous les autres arbres limitrophes de France qui ont le seul tort de ne pas connaître les règles de limite de propriété définies par le Code civil !...

Il est vrai que le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé en 2014 sur la constitutionnalité des articles 671 et 672 du Code civil (voir décision 2014-394 QPC du 7 mai 2014). Mais le nouveau mémoire déposé montre que les circonstances ont sensiblement évolué depuis 10 ans tant sur les connaissances scientifiques sur les bienfaits des arbres pour l’environnement et la santé, que sur le droit (amélioration de la protection juridique de l’environnement et évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la charte de l’environnement). D’après le mémoire, ces changements de circonstances justifient un nouvel examen par le Conseil consti­tutionnel de la constitutionnalité des dispositions à la lumière des évolutions intervenues ces dernières années.

En substance, cette Q.P.C. tendra ainsi à démontrer :

- que loin de régler pacifiquement les difficultés des relations de voisinage, telle qu’était la motivation des rédacteurs du Code civil pour ne pas nuire aux cultures, les articles 671 à 673 du Civil sont devenus aujourd’hui source de conflits de voisinage ;

- qu’ils se bornent à appréhender les arbres limitrophes, uniquement comme des causes de nuisance, en occultant totalement leurs multiples bienfaits, aujourd’hui amplement reconnus au profit des écosystèmes locaux et de la santé publique ;

- que les règles posées ont été adoptées à une époque préin­dustrielle, dans laquelle l’agriculture dominait largement et où les préoccupations climatiques et environnementales n’existaient pas ;

- qu’elles visaient essentiellement à préserver les relations entre les différents héritages, au regard de l’impact supposé des arbres sur les récoltes et de l’intérêt de l’agriculture ;

- que malgré les immenses transformations que notre société a connues en deux siècles, s’agissant du climat, de la place de l’agriculture et des connaissances scientifiques sur les services écosystémiques rendus par les arbres, les articles 671 à 673 du Code civil sont restés inchangés et n’ont pas évolué en 150 ans ;

- et, que ces articles continuent à conférer au propriétaire un droit discrétionnaire d’exiger la coupe ou l’élagage de l’arbre du voisin, jugé trop proche de sa propriété, sans même avoir à démontrer le moindre désagrément, ni même à évaluer l’impact de ce geste sur l’écosystème abrité par l’arbre !

Au soutien du mémoire de la question prioritaire de constitutionna­lité, plus d’une vingtaine de rapports, études scientifiques et autres décisions du Conseil constitutionnel ont été étudiés.

La Q.P.C. devra, dans un premier temps, emporter la conviction des juges de la Cour d’appel de Rennes.

Si tel est le cas, ceux-ci transmettront ensuite la requête à la Cour de cassation qui, à son tour, devra apprécier son caractère sérieux !

Ce n’est que dans un troisième temps que le Conseil constitutionnel pourra être saisi par les juges du Quai de l’Horloge, afin de rendre la décision sollicitée.

Un véritable « parcours du combattant », rythmé au son du sifflet, pour ce collectif de juristes perspicaces et déterminés.

Quelle que soit l’issue de ce parcours d’obstacles, cette campagne a pour objectif final, de planter au plus tôt, aux pieds de tous les arbres limitrophes inoffensifs de France, un drapeau blanc !

Me Benoît HARTENSTEIN Notaire à METZERVISSE Membre d’un groupe national de réflexion pluridisciplinaire