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Droit Paru le 04 juillet 2025
Résolution des litiges à l’amiable

« Une solution accessible et rapide, intégrant la dimension humaine »

Dans le cadre du cycle de conférences juridiques de l’Université de Haute-Alsace, les professionnels du droit ont partagé leur vision et leur expérience sur le recours au règlement des litiges à l’amiable, lors d’une soirée organisée le 22 mai 2025, à la Faculté des Sciences Économiques, Sociales et Juridiques, à Mulhouse.

Les Français se disent à 55% confiants en la Justice. Mais la majorité d’entre eux pointe du doigt la lenteur et la complexité du système judiciaire. Pour répondre aux attentes des justiciables, le recours à la résolution amiable des litiges est encouragé par les pouvoirs publics afin de désengorger les tribunaux confrontés à un manque de moyens. Ainsi, en 2023, Éric Dupond-Moretti, alors garde des sceaux, donnait un nouvel élan à la procédure civile à l’amiable, constituant l’une des mesures phares du plan d’action pour la Justice. Très récemment, Gérald Darmanin, ministre de la Justice, proposait dans une lettre adressée le 11 mai dernier aux magistrats, « d’imposer, dans de nombreux contentieux, une phase amiable préalable obligatoire ». Dans cette perspective, la culture de l’amiable au sein de l’appareil judiciaire pourrait être amenée à se généraliser.

Projet de recodification des textes

« Un projet de recodification des textes sur l’amiable a été annoncé pour le mois de juillet avec une mise en application au 1er septembre 2025. », a indiqué Françoise Haegel, magistrate coordinatrice des médiateurs et conciliateurs de justice et ancienne présidente de la cour d’appel de Colmar. « À l’heure actuelle, l’article 750-1 du Code de procédure civile impose aux justiciables le recours à une conci­liation si le préjudice est inférieur à 5.000 euros. On peut penser que le plafond pourrait être relevé à 10.000 euros et que l’amiable pourrait être élargi à d’autres types de conflits. », a fait remarquer la magistrate qui précise que les affaires instruites en 2025 ne seront pas plaidées avant 2027. Si le recours à la conciliation a été décidé par le juge, la durée initiale de la conciliation est de trois mois au maximum. Celle-ci peut être renouvelée une fois, pour une même durée. La résolution amiable peut se faire à toutes les étapes de l’instruction, sous la forme d’une conciliation, d’une médiation, d’une procédure participative ou d’une audience de règlement à l’amiable. Dans le cas d’une conciliation, les affaires inférieures à 5.000 euros sont prises en charge, le plus souvent, par des conciliateurs de justice bénévoles ayant une compétence juridique. Ils prêtent serment et sont certifiés par l’école de la magistrature.

« Dans de nombreux cas, on finit par une tentative à l’amiable »

Pour faire aboutir les affaires dans un délai raisonnable, les modes amiables de règlement des différends sont-ils réellement avanta­geux, à la fois pour les professionnels du droit et les justiciables ? « Les clients qui entrent dans un cabinet d’avocats se projettent dans la perspective judiciaire. Leur proposer une résolution à l’amiable signifie qu’on ne veut pas s’occuper d’eux. », a témoigné Me Marion Saupe, avocate au Barreau de Mulhouse, médiatrice franco-allemande et membre de l’association de médiation Alsace Médiation. « Pour le public, cela peut être perçu comme une perte de temps surtout si cela se solde par un échec. Cependant, dans de nombreux cas, on finit par une tentative à l’amiable, car les procédures classiques n’aboutissent pas. Au final, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup de points sur lesquels les parties et avocats sont d’accord. »

« Il faut se donner du temps »

Du côté des professionnels, le temps consacré à la procédure à l’amiable est un paramètre dont il faut tenir compte. « Pour tout règlement à l’amiable, il faut se donner du temps qui est nécessairement consi­déré comme du temps caché. », a souligné Lorène Vivin, magistrate au tribunal judiciaire de Colmar et juge des audiences de règlement à l’amiable. « Le juge prend du temps pour étudier les conclusions du dossier afin de déterminer si celui-ci peut se régler à l’amiable. Il se rend également disponible pour vérifier, dans le cadre de la mise en état, que les avocats des parties échangent bien les pièces et les conclusions. Ce temps de consultation peut être considéré comme perdu, sauf si les parties parviennent à un accord, dans ce cas c’est du temps gagné. » Une visite des lieux, avec ou sans expertise technique, peut également s’envisager, afin de permettre au juge d’examiner les causes d’une situation conflictuelle. Ainsi, Lorène Vivin a pu résoudre un différend portant sur des infiltrations, qui opposait un promoteur et un propriétaire, après une vente en l’état futur d’achèvement. « Dans le cadre d’une audience de règlement à l’amiable, j’ai passé une matinée sur place afin d’échanger avec les parties. Celles-ci ont accepté une nouvelle expertise après deux ans de procédure. Cela a pris 6h30 en tout pour aboutir à un accord. La rencontre s’est déroulée dans un climat beaucoup plus décontracté qu’à l’audience. Au final, le gain de temps a été favorable pour le juge prescripteur et les parties. »

Des coûts « invisibles ou invisibilisés »

Qu’en est-il de la dimension économique, sachant qu’une résolution à l’amiable est sensée être moins coûteuse qu’une procédure clas­sique ? « L’amiable serait économiquement rentable à partir de 30% de réussite. », a indiqué Françoise Haegel. Ce seuil de rentabilité serait largement dépassé : « Une conciliation sur deux aboutit à un accord entre les parties et seulement 20% des affaires menées dans le cadre d’une conciliation iront en justice. » Le gain économique profite davantage au justiciable qu’au système judiciaire, car il faut tenir compte des coûts publics « invisibles ou invisibilisés ». « Les subventions versées par l’État aux associations de médiation familiales ont atteint 14 millions d’euros par an. », a précisé Françoise Haegel. « Il faut y ajouter les dépenses liées à l’aide juridictionnelle pour les justiciables qui en sont bénéficiaires, les primes versées à l’avocat qui interviennent en amiable, primes plus ou moins majorées si la média­tion a abouti partiellement ou totalement. » La question des moyens se pose également dans la perspective d’une montée en puissance du nombre de procédures à l’amiable voulue par les pouvoirs publics. « Les ressources seront-elles suffisantes pour assurer les procédures de conciliation ? », s’est demandé Me Saupe qui redoute que le jus­ticiable assimile le recours à l’amiable à un « service public gratuit ». « Cette montée en charge se traduira forcément par un transfert de charges de l’État vers les communes », a complété Françoise Haegel. Les mairies sont en effet sollicitées pour mettre leurs locaux et leurs services à la disposition des conciliateurs de justice bénévoles. Elle s’inquiète aussi du sort des petites juridictions qui se verront confier une « mission supplémentaire, sans moyens supplémentaires ».

« Restaurer la confiance en la justice »

Au-delà des moyens, le recours à l’amiable correspond-il à une vision renouvelée de la justice ? « Il s’agit d’une solution accessible et rapide intégrant la dimension humaine, dont l’objectif est de restaurer la confiance en la justice. », a résumé Lorène Vivin. « Cela peut paraître idéaliste, mais c’est le rétablissement de l’harmonie qui est recherché tout en veillant à faire en sorte que l’accord entre les parties soit équilibré et exécutable. » Pour Me Saupe, « La médiation est une forme de communication non violente. Tout est fait pour que cela se passe pour le mieux pour les parties. Pour les personnes, c’est aussi un moyen de reprendre la maîtrise de leur situation. Elles peuvent ainsi dire à la partie adverse ce qu’elles ont sur le cœur. Au final, ce sont les parties qui élaborent la conclusion, en faisant appel à leur créativité, dans la limite du respect de l’ordre public. Dans le cas de la garde d’enfants par exemple, le fait de trouver un accord constitue un réel gain sur le plan du lien social et du mieux-être. » Du côté des magistrats, parvenir à régler des conflits par la voie de l’amiable est tout à leur honneur, à l’image des juges consulaires bénévoles amenés à régler rapidement des litiges dans le domaine des affaires. « Animés par un état d’esprit basé sur le volontariat, ils ont une réelle utilité correspondant à la vision de leur mission, leur permettant de retrouver du sens à leur fonction. », a souligné Lorène Vivin.

Christophe LUDWIG