Économie Paru le 29 juillet 2022
ESTIMATION À DIRE DE TIERS

(articles 1592 et 1843-4 du Code civil) : Questions sensibles1

© Maurizio Targhetta-stock.adobe.com
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Textes. En droit français, le prix des biens et services est traditionnellement fixé, en principe, par les parties et ce n’est qu’exceptionnellement que le juge peut s’immiscer dans ce domaine. Notre droit connaît cependant un mécanisme spécifique : l’estimation à dire de tiers, parfois appelé arbitrage contractuel ou fixation de prix ou de valeur à dire d’expert, prévu par les articles 1592 et 1843-4 du Code civil. Le premier de ces textes, relevant du droit commun de la vente, dispose, dans sa dernière rédaction issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 : « Il (le prix) peut cependant être laissé à l’estimation d’un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente, sauf estimation par un autre tiers ». Ce texte peut s’appliquer à la fixation du prix (ou d’un ajustement de prix) des biens les plus divers, et notamment (et surtout en pratique) de droits sociaux2. Le second, qui est une disposition d’ordre public propre aux cessions et rachat de droits sociaux3, énonce, dans sa dernière rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 20194: « I. – Dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par jugement du président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent, statuant selon la procédure accélérée au fond et sans recours possible. L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties. II. – Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d’un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa. L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties ».

Spécificité de la mission. Le mécanisme prévu par les deux textes est similaire et original car il ne s’agit ni d’un arbitrage5, comme pouvait le laisser à penser (à tort6), la rédaction d’origine de l’article 1592 (« le prix peut être laissé à l’arbitrage d’un tiers »7), ni d’une expertise judiciaire (au sens des articles 263 et suivants du Code de procédure civile), comme l’évoque le terme d’« expert » utilisé par l’article 1843-4 du Code civil8. Dans les deux cas, la mission du tiers, désigné par les parties ou par le juge, n’est pas d’exercer un pouvoir juridictionnel, ni de fournir un avis technique ne liant pas le juge9 mais de procéder sur des éléments de fait à un constat (estimation d’un prix ou d’une valeur) s’imposant aux parties, comme au juge10 (sous la seule réserve de l’erreur grossière comme on le reverra). Autrement dit, l’estimateur ne tranche pas un différend d’ordre juridique en application de règles de droit mais se prononce sur une question de fait, fixation d’un prix de vente ou d’une valeur11, en présence d’un désaccord des parties sur ce point, le cas échéant en tenant compte des directives données à cet égard dans la convention des parties (comme cela sera exposé ci-après). Aussi mieux vaut-il qualifier la mission de tiers estimateur ou tierce estimation que d’expert ou d’expertise. Du point de vue de la qualification juridique de la mission, celle-ci mêle mandat et contrat d’entreprise12.

Désignation. Le tiers estimateur est désigné par la convention des parties ou d’un commun accord de celles-ci ou, à défaut, par le juge, et plus précisément par le seul président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce13, statuant selon la procédure accélérée au fond (antérieurement en la forme des référés), et sans recours possible (sous la seule réserve de l’excès de pouvoir selon la jurisprudence14, sauf en cas de refus de désignation15, Le pouvoir du juge est strictement limité à la désignation de l’estimateur, dont il ne peut pas définir ou encadrer la mission dans le silence de la convention des parties16.

Estimateur unique ou collège. Les parties peuvent ainsi confier la mission à un estimateur unique ou à un collège d’estimateurs, avec des variantes (les parties peuvent ainsi prévoir que chacune d’elles désignera un estimateur et que ce n’est qu’en l’absence d’accord entre ceux qu’elles auront ainsi choisis qu’un troisième estimateur interviendra et pourra procéder à la fixation du prix ou de la valeur, sans avoir à retenir l’une ou l’autre de celles retenues par les deux premiers estimateurs). Le choix entre un estimateur unique et un collège dépend en pratique des enjeux, de la célérité et du coût de la mission (comme l’affaire des Galeries Lafayette en a offert une illustration en 2008).

Indépendance. Dans tous les cas, même s’il ne dispose pas d’un pouvoir juridictionnel, le tiers estimateur doit présenter des garanties essentielles, que commandent la nature et les enjeux de sa mission. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle jugé (à propos de l’estimateur de l’article 1592 du Code civil mais la solution est transposable à l’article 1843-4) que le tiers estimateur doit être indépendant des parties et a l’obligation de leur révéler préalablement les liens qu’il pourrait entretenir avec l’une d’entre elles17, sauf à entacher de nullité sa désignation et son évaluation. Ainsi, alors même qu’il n’est pas un arbitre, le tiers évaluateur est soumis à la même exigence d’indépendance et d’impartialité qu’un juge. Lorsque la désignation de l’estimateur est intervenu très en amont de la réalisation de sa mission, la question de son indépendance doit être examinée à nouveau à ce moment-là.

Liberté de l’estimateur. Qu’il agisse dans le cadre de l’article 1592 du Code civil ou dans celui de l’article 1843-4 du Code civil, le tiers estimateur bénéficie, en principe, d’une très grande liberté quant à l’organisation de sa mission et la détermination du prix ou de la valeur qui lui est confiée. Dans un arrêt du 19 avril 200518, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que les tiers estimateur désignés judiciairement en application de l’article 1843-4 du Code civil ne sont pas tenus de respecter le principe de la contradiction et ont « toute latitude pour déterminer la valeur des actions selon les critères qu’ils jugent opportuns», sous la seule réserve de l’erreur grossière19. Cette double solution est transposable à l’estimateur agissant sur le terrain de l’article 1592 du Code civil. Elle s’explique par l’absence de pouvoir juridictionnel de l’estimateur et le silence des textes quant aux critères d’évaluation à mettre en œuvre.

Encadrement de la mission. Cela étant, la liberté contractuelle permet aux parties d’écarter ces solutions et d’encadrer la mission de l’estimateur. Ainsi, les parties peuvent prévoir que le tiers estimateur sera tenu d’appliquer les directives et modalités de fixation du prix ou d’évaluation prévues par la convention des parties et qu’il devra respecter le principe de la contradiction. L’encadrement conventionnel de l’évaluation est expressément prévu par l’article 1843-4 du Code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 (qui a brisé la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point)20 mais peut s’appliquer aussi à une mission fondée sur l’article 1592. La Cour de cassation21, a aussi admis que le caractère d’ordre public de l’article 1843-4 du Code civil ne fait pas obstacle à l’application d’une clause d’arbitrage accordant aux arbitres le pouvoir d’évaluer les droits d’un associé en cas d’exclusion et, contrairement à l’article 1843-4 du Code civil, de trancher le litige, une telle clause n’étant pas manifestement nulle ou inapplicable. Même s’il ne dispose pas d’un pouvoir juridictionnel, le tiers estimateur peut interpréter les clauses du contrat participant de sa mission.

Pouvoir d’interprétation du contrat. En l’absence d’encadrement de la mission, la question s’est posée de savoir si l’estimateur a ou non le pouvoir d’interpréter les clauses du contrat pour accomplir sa mission. Un arrêt remarqué, rendu par la Cour d’appel de Paris le 17 septembre 200422, a répondu par l’affirmative, en adoptant une conception pragmatique de la mission et téléologique de l’interprétation : « Considérant que la nature de cette mission, qui tend à obtenir dans les meilleurs délais la détermination d’un prix conditionnant la validité même de la vente, emporte pouvoir de ce tiers expert d’appliquer le contrat et, sauf exclusion claire et précise, de donner, nonobstant toute saisine du juge judiciaire, de fait incompatible avec la célérité requise, leur sens aux clauses de ce dernier dans la mesure où elles se rattachent à la mission qui lui est confiée sauf à priver de tout intérêt la mission ainsi confiée ».

Limites. Ce pouvoir d’interprétation connaît deux limites. D’une part, il suppose que les clauses relatives à la détermination du prix ou de la valeur soient lacunaires, obscures ou ambigües et appellent une interprétation ; autrement dit, l’interprétation est exclue en présence de stipulations claires et précises, comme l’énonce désormais expressément le nouvel article 1192 du Code civil : «On ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation ». D’autre part, l’estimateur ne dispose pas du pouvoir d’interprétation du contrat lorsque celui-ci lui a été refusé par la convention des parties pour être conféré au juge, ce qui est presque systématiquement le cas en présence d’une clause d’arbitrage23.

Contestation de l’estimation. Les articles 1592 et 1843-4 du Code civil sont muets quant à la contestation du prix ou de la valeur fixée par l’estimateur au terme de sa mission24. Mais selon une jurisprudence ancienne et constante25, l’estimation peut être contestée et doit être écartée en cas d’erreur grossière du tiers estimateur26. L’erreur grossière est un manquement manifeste aux règles de l’art en la matière, une erreur que ne commettrait par un technicien normalement diligent et avisé (comme par exemple retenir la valeur historique d’un bien et non sa valeur de marché actuelle). Elle peut être retenue en particulier lorsque l’estimateur n’a pas respecté le cadre de sa mission27.

Conséquences de l’erreur grossière. En cas d’erreur grossière, l’estimation doit être écartée28, de sorte qu’il convient de désigner un nouvel estimateur. Ce pouvoir appartient au seul président du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire et non au juge qui a annulé le rapport du chef d’une erreur grossière29.

Responsabilité civile de l’estimateur. La faculté de contester l’estimation en cas d’erreur grossière n’est pas exclusive de la mise en jeu de la responsabilité civile de l’estimateur. La Cour de cassation30 a en effet jugé que la responsabilité de l’estimateur peut être engagée en cas de comportement fautif distinct de l’erreur grossière et qu’une partie peut ainsi obtenir réparation du préjudice que lui cause la mauvaise estimation du bien vendu.

Déroulement de la mission et points d’attention. Les parties en présence (et leurs conseils) et l’estimateur ont tout intérêt en pratique à organiser de manière précise la mission et son déroulement dans une lettre de mission. Celle-ci pourra prévoir le calendrier de la mission et préciser notamment quelques points sensibles et notamment :

- déclaration d’indépendance de l’expert,

- application du contradictoire ;

- réunions avec les parties ;

- honoraires d’intervention.

Exercice du devoir de conseil. En définitive, la spécificité de la mission du tiers estimateur et les larges pouvoirs dont il est investi pour réaliser sa mission et son estimation appellent une information des parties, et même l’exercice du devoir de conseil au stade de la rédaction des clauses prévoyant son intervention (que ce soit sur le fondement de l’article 1592 ou de l’article 1843-4 du Code civil). En tout état de cause, au stade de la mise en œuvre de sa mission, les parties et l’estimateur ont tout intérêt à encadrer, si ce n’était pas déjà fait par la convention des parties, l’organisation et le déroulement de la mission, en particulier en prévoyant l’application du principe de la contradiction31.

Notes

1. Texte d’une conférence organisée au Tribunal de commerce de Paris le 12 mai 2022 par la section Paris-Versailles de la Compagnie nationale des experts de justice en matière de comptabilité (avec Mme Agnès Piniot, Ledouble, M. Gilles de Courcel, Ricol Lasteyrie, et Me Jean-Daniel Bretzner, avocat à la Cour, Bredin Prat).

2. V. notamment J. Moury et B. François, Le prix dans les cessions de droits sociaux, Dalloz Action, 2021-2022 ; H. Motulsky, La nature juridique de l’arbitrage prévu pour la fixation des prix de vente ou de loyer, Rec. gén. lois, 1955, p. 111; Ch. Jarrosson, La notion d’arbitrage, LGDJ, 1987, préf. B. Oppetit, n° 209-210 ; D. Cohen, Arbitrage et société, LGDJ, 1993, préf. B. Oppetit, n° 342 et s.; J. Moury, Des ventes et des cessions de droits sociaux à dire de tiers (Étude des articles 1592 et 1843-4 du Code civil), Rev. sociétés, 1997, p. 455 ; B. Paulze d’Ivoy, Expertises et cession de droits sociaux, BJS 1995, p. 313 ; L. Cadiet, Arbiter, Arbitrator, Gloses et post-gloses sous l’article 1843-4 du Code civil in Mélanges en l’honneur de Yves Guyon, Dalloz, 2003, p. 153 ; I. Després, Les mesures d’instructions in futurum, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèses, 2004, préf. G. Wiederkehr, n° 133 et s.

3. Sur la validité d’une extension conventionnelle de l’article 1843-4 du Code civil en dehors des situations qu’il envisage, V. Cass. com., 26 novembre 1996, n° 94-15403 P, D. 1997, SC, p. 227, obs. J.-C. Hallouin ; le caractère d’ordre public du texte n’exclut pas qu’une expertise soit sollicitée sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile en invoquant l’impossibilité pour les demandeurs, à défaut d’avoir obtenu une situation comptable utilement exploitable, d’entreprendre une négociation amiable portant sur le prix de cession de leurs parts sociales et, l’expert ainsi désigné peut avoir pour mission « de fournir tous éléments de nature à permettre de déterminer la valeur des droits sociaux».

4. Conformément à l’article 30 de l’ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, ces dispositions s’appliquent aux demandes introduites à compter du 1er janvier 2020.

5. Le tiers estimateur n’étant pas un arbitre, cette mission peut être confiée à une personne morale (société d’expertise comptable ou banque d’affaires par exemple) : V. CA Aix-en-Provence, 24 novembre 1977, D. 1978, IR, p. 332).

6. Comme le soulignait justement le Doyen Jean Carbonnier, Droit civil, Les obligations, PUF, Thémis, 2000, 22ème éd., 2000, n° 55, à propos de la rédaction originelle de l’article 1592 du Code civil : « arbitrator dit-on, non pas véritable arbitre car il n’y a pas litige à régler mais contrat de vente à faire fonctionner ».

7. La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle (J 21) a judicieusement modifié la rédaction de l’article 1592 du Code civil pour substituer le mot estimation à celui d’arbitrage mais a malheureusement omis de modifier aussi la rédaction de l’article 1843-4 du Code civil qui continue à prévoir la désignation d’un expert.

8. Sur la spécificité de la mission et l’exclusion des qualifications d’expert et arbitre, V. déjà M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, T X, Les contrats civils par J. Hamel, LGDJ, 1956, n° 37.

9. Rappelons qu’aux termes de l’article 246 du Code de procédure civile, l’avis d’un expert judiciaire ne s’impose pas au juge alors que l’estimation réalisée en application de l’article 1592 ou de l’article 1843-4 du Code civil ne peut être contestée par les parties, ni remise en cause par le juge en l’absence d’erreur grossière (V. notamment Cass. com., 12 novembre 1962, Bull. civ. III, n° 444; Cass. com., 6 juin 2001, n° 98- 18503, JCP E 2002, 1292, note D. Cohen).

10. Cass. com., 4 février 1987, n° 86-10027 P, JCP 1988, II, 21050, note A. Viandier ; Cass. com., 16 février 2010, n° 09-11586, Bull. civ. IV, n° 39.

11. Le prix et la valeur sont deux notions distinctes, le premier ayant sans doute un caractère plus subjectif que la seconde.

12. V. notamment N. Rontchevsky, note sous CA Paris, 17 septembre 2004 au BJS 2005, p. 49, n° 1, spéc. I, A.

13. Sur la compétence exclusive du président du tribunal pour la désignation du tiers estimateur, V. notamment Cass. com., 30 novembre 2004, n° 03-15278 P.

14. V. récemment Cass. com., 15 décembre 2021, n° 20-15097, F–D, BJS 2022, p. 7, n° 200t8, note J.-B. Barbièri, jugeant que la violation du principe de la contradiction ne constitue pas un excès de pouvoir remettant en cause la nomination de l’expert de l’article 1843-4 du Code civil, au moins quand les parties ont été entendues et qu’il en est de même de la dénaturation d’un écrit. invoquée en l’espèce. L’arrêt traite d’un cas peu commun où le refus de nommer un expert est vu comme un excès de pouvoir par les juges d’appel, qui refusent eux aussi de procéder à la nomination.

15. Dans un arrêt rendu le 25 mai 2022 (n° 20-14-352 FS-B+R) dont l’importance est soulignée par sa mention au prochain Rapport annuel de la Cour de cassation), la chambre commerciale de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en jugeant que la voie de l’appel réformation est ouverte à l’encontre de l’ordonnance présidentielle refusant de désigner un tiers estimateur en application de l’article 1843-4 du Code civil. Dans un second arrêt du même jour (n° 20-18307 F-B), la chambre commerciale rappelle qu’en cas de contestation sur le fond de la validité d’une convention, le président doit surseoir à statuer dans le cadre d’un appel nullité après une décision désignant un expert.

16. V. notamment CA Paris, 23 novembre 2005, RTDcom. 2006, p. 126, obs. C. Champaud et D. Danet ; CA Paris, 30 janvier 2009, RJDA 2009, n° 440; adde sur le pouvoir de l’estimateur de déterminer les critères qu’il juge les plus appropriés pour fixer la Valeur des droits, Cass. com., 5 mai 2009, n° 08-17465 P (jurisprudence brisée par la rédaction de l’article 1843-4 du Code civil issue de l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 qui a restauré la force obligatoire des directives données à l’estimateur agissant dans ce cadre).

17. Cass. 1ère civ., 2 décembre 1997, n° 95-19791 P (affaire l’Oréal) ; V. aussi sur l’impartialité de l’expert, Cass. com., 5 octobre 2004, n° 02- 21545 (estimateur ayant entretenu des relations avec l’une des parties).

18. Cass. com., 19 avril 2005, n° 03-11790, Bull. civ. IV, n° 95 ; sur la conformité à la Constitution de l’article 1843-4 du Code civil et l’exclusion du principe de la contradiction, V. aussi Cass. com., 8 mars 2011, QPC, n° 10-40069.

19. V. Cass. com., 26 mars 2013, n° 12-10144, RJDA 2013, n° 717 : « l’arrêt énonce d’abord que l’évaluation du prix des droits sociaux contestés est librement fixée par le technicien selon les critères qu’il juge opportun, puis constate que le rapport de l’expert est fondé sur la valeur objective de la société IHCP, tandis que la consultation de M. A. prend 4
en compte les aléas du marché dans un contexte décrit comme défavorable en raison d’une baisse de la spécialité à l’horizon 2020, et retient que cette consultation n’est pas de nature à invalider les conclusions du rapport; que de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que l’expert, tiers estimateur, n’avait pas commis d’erreur grossière d’estimation».

20. Sur le champ d’application et les difficultés soulevées par le texte, V. notamment A. Couret et J. Moury, Le nouvel article 1843-4 du Code civil : tombeau ou cénotaphe ?, D. 2015, Chron., p. 1328.

21. Cass. com., 10 octobre 2018, n° 16-22215, FS-PB, RTDcom. 2018, p. 940, obs. A. Lecourt ; D. 2019, p. 235, note J. Moury ; BJS 2019, p. 7, n° 119h5, note D. Cohen.

22. JCP E 2005, 134, note Th. Bonneau; BJS 2005, p. 49, n° 1, note N. Rontchevsky; RTDciv. 2005, p. 154, obs. P.-Y. Gautier ; RTDcom. 2005, p. 260, obs. E. Loquin.

23. En pratique, la plupart des clauses d’arbitrage prévoient que l’arbitre a compétence pour trancher les différends relatifs à l’interprétation et à l’exécution du contrat. En présence d’une telle précision, il paraît difficile de reconnaître au tiers évaluateur le pouvoir d’interpréter les clauses relatives à sa mission. L’arbitre peut alors être saisi, le cas échéant, en amont puis en aval de l’évaluation du tiers : en amont, pour statuer sur la validité de la convention ou préciser le sens des clauses relatives à la fixation du prix ; en aval, pour statuer sur l’allégation d’un motif justifiant que l’évaluation soit écartée (V. par exemple TGI Strasbourg, ord. réf., 19 octobre 2004, n° 04-00809, refusant de désigner un tiers évaluateur pour arrêter une situation comptable, en présence d’un litige concernant l’interprétation du contrat qui relève de la compétence du tribunal arbitral en vertu de la clause compromissoire liant les parties).

24. La mission ne prend fin que lorsque le prix ou la valeur est définitivement fixé par l’estimateur (V. Cass. com., 26 mars 2013, préc. : « qu’ayant rappelé que l’expert désigné conformément à l’article 1843-4 du code civil est un technicien chargé par la loi, en cas de contestation entre associés, de déterminer la valeur des droits sociaux, de sorte que sa mission ne prend fin qu’avec la fixation de cette valeur, la cour d’appel a exactement retenu que, le rapport proposant une fourchette de valeur et non un prix de rachat, qui ne fut fixé que par le dépôt d’une note complémentaire, le dessaisissement de l’expert n’est intervenu qu’au dépôt de cette note»).

25. V. par exemple Cass. com., 9 avril 1991, n° 89-21611, Bull. civ. IV, n° 139 ; RTDciv. 1993, p. 133, obs. P.-Y. Gautier ; Cass. com., 6 juin 2001, n° 98-18503, jugeant qu’« qu’en s’en remettant pour déterminer le prix de cession des actions à l’estimation d’un tiers, en application de l’article 1592 du Code civil, les contractants font de la décision de celui-ci leur loi; que la cour d’appel, qui a exactement rappelé que seule une erreur grossière commise par ce tiers serait de nature à remettre en cause le caractère définitif de cette détermination, a, appréciant la conformité de la méthode d’évaluation utilisée à celle choisie d’un commun accord par les parties, ainsi que le bien fondé des éléments retenus par le tiers évaluateur, décidé que l’estimation faite par ce dernier était exempte de toute critique» (article 1592 du Code civil); Cass. com., 19 décembre 2000, n° 98-10301 (article 1843-4 du Code civil).

26. V. déjà M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, T. X, Les contrats civils, op. cit., n° 38, affirmant le chiffre fixé par le tiers estimateur est en principe définitif mais peut être attaqué par les parties dans deux cas : en cas de dol ou d’erreur manifeste car « le dol et l’erreur ont faussé la décision du tiers chargé de fixer le prix comme ils auraient vicié la volonté d’un contractant » et lorsque « le tiers a outrepassé les bornes de sa mission, telles que les parties les avaient fixées ».

27. V. par exemple Cass. 1ère civ., 25 novembre 2003, n° 00-22089, Bull. civ. I, n° 243 ; BJS 2004, p. 286, note A. Couret ; D. 2003, p. 3053, obs. A. Lienhard; JCP E, 2004, n° 661, spéc. n° 2, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; RTDciv. 2004, p. 308, obs. P.-Y. Gautier, qui juge qu’ayant relevé que l’expert désigné pour évaluer les parts sociales d’une société avait modifié le sens de la mission qui lui avait été confiée et était sorti du cadre juridique qui en était le fondement, une cour d’appel a pu retenir que cet expert avait commis une erreur grossière et écarter son estimation ; Cass. com., 15 janvier 2013, n° 12-11666 P, D. 2013, p. 342, note A. Couret : « la valeur des droits sociaux de l’associé qui se retire devant être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, l’expert commet une erreur grossière en évaluant les parts sociales de l’associé retrayant à la date de l’arrêt ayant autorisé le retrait ».

28. V. par exemple Cass. com., 19 décembre 2000, préc., jugeant «qu’ayant relevé que l’expertise reposait sur «des prémisses erronées» quant au mode même de détermination de la valeur des parts sociales, ce dont il résultait qu’elle était entachée d’une erreur grossière, c’est justement que la cour d’appel en a écarté le caractère impératif»; Cass. 1ère civ., 25 novembre 2003, préc.

29. Cass. 1ère civ., 25 novembre 2003, préc. : « en désignant elle-même un expert après avoir écarté la détermination de la valeur des parts sociales de la SCP faite par M. Y, la cour d’appel a violé le texte d’ordre public susvisé» (article 1843-4 du Code civil).

30. V. notamment Cass. com., 26 septembre 2018, n° 15-26172 : «qu’ayant ainsi écarté l’erreur grossière dans l’évaluation critiquée, la cour d’appel, qui n’a pas exclu que la responsabilité de M. A puisse être engagée pour un comportement fautif distinct de l’erreur grossière mais qui s’est prononcée sur les seuls éléments invoqués par M. X, outre le manquement au principe de la contradiction impropre à établir une faute de ce dernier».
31. V. notamment J. Moury, L’information des parties à la tierce estimation : au-delà des confins du contradictoire, D. 2011, Chron., p. 2421.

Nicolas RONTCHEVSKY Agrégé des Facultés de droit Professeur à l’Université de Strasbourg