Économie Paru le 02 février 2024
L’IMMOBILIER,

pierre angulaire des perspectives 2024 et principale source d’incertitude

Reprise, agonie, chute : les perspectives du marché immobilier occupent une place de premier rang dans l’élaboration des scénarios économiques et financiers pour l’année 2024. De celles-ci dépendent, pour une très large part, les prévisions de croissance, d’inflation et d’emploi, sans parler des problématiques de richesse et de risques financiers.

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La question est loin d’être seulement américaine et concerne la plupart des économies développées, bien qu’avec des caracté­ristiques spécifiques, parfois très différentes d’un pays à l’autre. Malgré des pénuries d’offre quasi-généralisées, la hausse des loyers est, par exemple, loin d’avoir été aussi élevée qu’aux États- Unis dans le reste du monde développé. L’impact du secteur sur l’inflation est donc loin d’être uniforme et le rendement escompté d’un investissement immobilier est également très fluctuant. Par ailleurs, les baisses de prix immobiliers ont parfois été beaucoup plus brutales, avec un impact sur l’activité de la construction plus marqué et des effets richesse potentiellement plus importants.

Au total, envisager les perspectives immobilières à travers le seul spectre de l’évolution des taux d’intérêt, comme l’incite aujourd’hui la perspective d’un apaisement des tensions sur les conditions de financement, paraît assez réducteur. Alors, quels diagnostics dresser ? Les cas de figure sont assez différents d’un pays à l’autre.

La FED a un problème immobilier

Nous l’avons écrit à maintes reprises ces derniers mois, la Fed a un problème immobilier, qui constitue, à la fois, l’un des principaux obstacles à l’assouplissement de ses conditions monétaires et l’un des plus grands risques en cas de maintien trop durable de conditions monétaires potentiellement trop sévères pour prévenir une crise d’ampleur dans ce secteur.

La question ne se résume pas à celle, assurément discutable, de mesure de l’inflation qui, en introduisant des loyers imputés que paieraient les propriétaires s’ils avaient à acquitter le prix d’une location, alourdit considérablement le poids du secteur dans la mesure du CPI sous-jacent (avec 32 % du total de l’indice contre 9 % pour les loyers effectifs). Elle tient, surtout, au fait qu’une surenchère persistante des loyers ne peut être dissociée d’un risque d’inflation salariale à moyen terme. Au cours des deux dernières années, l’évolution des loyers a très largement excédé celle du salaire moyen, en effet, et pose précisément la question de leur normalisation. Le mouvement est bien amorcé. Le pic de la hausse des loyers a eu lieu en février-mars 2023, à 8,8 % l’an. En décembre, leur hausse annuelle avait déjà reflué à 6,2 %, un ajustement sensible à la baisse, quand bien même encore insuffisant.

Il fait peu de doutes, en effet, qu’un rebond de l’activité immobilière fragiliserait la poursuite de cette tendance et menacerait l’objectif d’une inflation maîtrisée à terme. La relation entre les prix de l’immobilier et ceux des loyers est loin d’être stable mais l’évolution des seconds répond assez fidèlement à celle des premiers, bien qu’avec un décalage dans le temps très significatif, de l’ordre de 15 à 16 mois selon nos estimations.

A contrario, maintenir des conditions monétaires trop longtemps endurcies risquerait d’aggraver la situation d’un marché, déjà très sanctionné par le relèvement des taux de financement concomitant à des hausses de prix persistantes. Les prix immobiliers, tels qu’estimés par l’indice de référence Case-Shiller, ont poursuivi leur ascension jusqu’à maintenant. Quand bien même le prix médian des ventes accuse, lui, un repli de 12 % par rapport à leur pic de la fin de l’année 2022, leur niveau reste très largement inabordable pour la grande majorité des Américains et il faudrait plus qu’un déclin de 100, voire 150 points de base des taux de financement pour retrouver une situation d’équilibre du marché.

Or, si les taux de financement hypothécaires ont reflué dans des proportions équivalentes à celles des emprunts d’États, de 7,80 % en moyenne à leur pic du mois d’octobre à 6,95 % en janvier, leur niveau reste très largement supérieur à ce que nécessiterait une normalisation de la solvabilité.

Dans l’ensemble, s’il fait peu de doutes que les acquéreurs les plus aisés pourront être tentés de profiter du reflux des taux d’emprunts, les conditions sont loin d’être en place pour envisager une reprise du marché dans sa globalité.

Qu’attendre donc, in fine, de l’immobilier américain ? Notre scé­nario suggère :

- Une faiblesse persistante des transactions, laquelle a plus de chances de s’accentuer que l’inverse, dans un contexte conjoncturel moins porteur, notamment sur le front de l’emploi.

- Une inflexion du niveau moyen des prix, ces derniers temps, prin­cipalement portés par les acquisitions des plus riches Américains à des fins locatives dont le rendement tend néanmoins à devenir de moins en moins attractif.

- Une détente persistante, bien que graduelle des hausses de loyers, préalable à un assouplissement de la politique monétaire de la Fed à partir du printemps.

Un tel contexte, s’il permet de maintenir le marché à flot et d’écar­ter les risques de crise majeure, n’autorise pas la prédiction d’une reprise digne de ce qu’ont été les périodes comparables par le passé. Les mises en chantier semblent, au total, plus à même d’osciller dans la région qui est la leur ces derniers mois, autour, ou à un niveau légèrement inférieur, à leur moyenne de long terme, que de rebondir.

De telles perspectives ne sont pas propices à un rééquilibrage du marché en termes d’offre et de demande. L’insuffisance de l’offre semble donc là pour durer, ce qui retient notamment d’envisager un déclin de l’inflation des loyers en deçà de 3 %/3,5 % l’an d’ici 2025 (notre scénario central).

Le marché britannique n’est pas l’américain

Les prix immobiliers du marché britannique ont évolué dans les proportions semblables à l’américain, quand bien même avec moins d’amplitude ces dernières années. Son fonctionnement est néanmoins assez sensiblement différent, notamment depuis le Brexit, qui a été suivi d’une nette réduction de l’influence des transactions haut de gamme sur la formation des prix.

Considérablement dopées par la chute des taux et le surcroît d’épargne pendant la période de covid, les transactions ont, de­puis, largement accusé le contrecoup du durcissement monétaire et ressortaient en chute de plus de 38 % l’an selon les dernières données disponibles du mois de septembre 2023. L’absence de statistiques plus récentes ne permet pas d’analyser l’effet des baisses de taux d’intérêt de la fin de l’année dernière, mais les in­formations conjoncturelles par ailleurs disponibles ne laissent guère augurer d’amélioration, pas plus du reste que la posture résolument restrictive de la Banque d’Angleterre de ces dernières semaines.

Au contraire du cas américain, les risques d’une crise de grande ampleur sont significatifs dans le cas britannique, soumis à une situation conjoncturelle beaucoup plus morose que l’américaine, doublée d’une persistance de l’inflation sur des niveaux élevés, hautement pénalisant pour les ménages.

Si les prix immobiliers ont jusqu’alors plafonné, sans refluer, les conditions en présence risquent d’entraîner une réaction plus importante à la baisse des prix, dans un contexte où le repli des taux d’intérêt a tout lieu d’être relativement tardif et trop graduel pour contrer les forces récessives en présence. Au contraire du marché américain et de nombreux marchés d’Europe continentale, les insuffisances d’offre sont moins importantes outre-Manche et, de ce fait, moins à même de protéger le marché d’un retournement ou de prévenir une baisse substantielle de l’inflation des loyers.

On l’aura compris, l’influence dépressive de l’immobilier sur la croissance, les prix et, in fine, les taux d’intérêt est assez largement dominante dans le cas britannique.

Allemagne : la déflation à la clé ?

Les deux principaux pays de la zone euro ont connu des parcours immobiliers assez sensiblement différents ces derniers trimestres, qui tiennent tout à la fois à leurs situations conjoncturelles respec­tives et à leur histoire.

Après des années de déflation, l’immobilier allemand a connu une vague de spéculation de rare ampleur aux lendemains de la crise de 2008. Avec des prix très largement inférieurs à ceux pratiqués dans les autres pays, l’Allemagne a drainé de nombreux investis­sements étrangers qui ont largement modifié la donne du marché local. C’est en partie dans cette perspective et par la sévérité des crises de ces trois dernières années que l’on comprend l’ampleur de la correction en cours.

L’Allemagne est un des rares pays où la chute des transactions a entraîné une baisse des prix d’ampleur significative en 2023, de l’ordre de 10 % selon les statistiques collectées par la BRI, sou­vent davantage selon les données moins agrégées. D’importantes distorsions de prix sont reportées selon la banque hypothécaire nationale qui indiquent, notamment, une concentration des baisses dans l’ancien et les appartements, tandis que les prix moyens du neuf ont, eux continué, à augmenter.

Si la cour de Karlsruhe a sanctionné la municipalité de Berlin dans sa tentative dès 2019 de contrôler les loyers de la capitale, la tradi­tion du pays est de veiller à la modération des loyers de sorte que l’envolée des prix n’a été suivie qu’à très longue distance par ces derniers, y compris au cours des deux dernières années.

Malgré les baisses de prix, le marché immobilier allemand est, de fait, assez peu attractif pour des investisseurs, par ailleurs, beaucoup moins présents qu’il y a quelques années, face à des perspectives économiques toujours très incertaines, sur fond, qui plus est, de profonde crise politique.

Dès lors, si le ratio des prix au revenu moyen des ménages alle­mands est d’ores et déjà revenu sur sa moyenne de long terme, il est probable qu’un ajustement supplémentaire soit encore requis avant d’envisager une stabilisation du marché. En l’occurrence, le retour vers les niveaux qui prévalaient entre 2006 et 2016 apparaît comme l’hypothèse la plus probable, compte tenu des difficultés économiques du pays et dans un contexte de financement encore très tendu.

L’accès des ménages au crédit ne s’est pas amélioré ces der­niers temps, en effet, et les perspectives de remontée du taux de chômage que suggèrent nos prévisions ne sont pas, non plus, de meilleur augure pour l’immobilier local dans un contexte d’érosion particulièrement rapide de la masse monétaire.

Ni l’immobilier ni la construction ne semblent en mesure d’être d’un quelconque secours à l’économie allemande dans les prochains mois, les principales questions à ce sujet étant davantage liées à l’ampleur des pertes de croissance induites par cette situation et le risque induit de pressions déflationnistes renaissantes qui pourrait en résulter à un terme plus ou moins éloigné.

En France, l’attentisme a ses limites

La situation française est assez éloignée de celle de son voisin et son histoire n’a pas, non plus, grand-chose à voir.

Le coût du logement reste beaucoup plus élevé en France qu’en Allemagne et y entretient un appétit pour l’investissement immobilier traditionnellement plus élevé aussi. Par ailleurs, si les prix moyens ont, dans l’ensemble, accéléré à la hausse durant la période covid, c’est dans des proportions bien moindres que dans de nombreux pays (États-Unis, Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne) ce qui rend la situation, in fine, moins « anormale » que dans de nombreux autres cas.

Trois freins ont en revanche considérablement pesé sur les tran­sactions et l’activité immobilière, en général.

- Une frilosité exceptionnelle des banques dans un contexte de hausses des taux d’intérêt, seulement en partie explicable par la limite imposée par le taux d’usure en première moitié d’année dernière. La France est un des pays dans lesquels la production de crédit a le plus baissé au cours de l’année écoulée.

- Des prix toujours très élevés en proportion du revenu des parti­culiers, lesquels cumulés à la hausse des taux évincent une très large partie des acquéreurs.

- Un rendement locatif affaibli par des hausses de loyers très infé­rieures à celles de l’inflation, pénalisant pour l’investissement locatif, dont les règles sont par ailleurs en constante évolution. Selon les statistiques compilées par l’OCDE, le rapport des prix aux loyers serait, en France, parmi les plus élevés des pays occidentaux, comparable à ceux du Royaume-Uni ou encore de l’Espagne.

Si les prix hexagonaux n’ont que très peu baissé, c’est dans de telles conditions, surtout en raison d’un attentisme de la part des acquéreurs et des vendeurs, qui ne pourra, cependant, pas s’éter­niser. Or, ce ne sont pas, là encore, des baisses de taux d’intérêt, d’un demi, voire un point de pourcentage, qui permettront de compenser les pertes de pouvoir d’achat immobilier, inhérentes tout à la fois à la hausse des coûts de financement et à la baisse des salaires réels de ces deux dernières années.

Manifestement, les prix devront baisser d’au moins 10 % en même temps que les taux reflueront pour permettre au marché de redevenir plus accessible et envisager, à terme, une possible stabilisation.

D’ici là, les améliorations seront, au mieux, marginales, peu à même de contrer un mouvement de déprime persistant de plus en plus pénalisant pour les métiers de la construction.

On l’aura compris, les développements à venir sur le front de l’immo­bilier ne sont pas des plus encourageants. Sans commune mesure avec les conditions de la crise de 2008, la situation n’évoque que rarement des risques de crise profonde, en effet. Elle est, en re­vanche, suffisamment engluée pour peser durablement sur l’activité économique, en particulier sur la construction et ses effets induits sur bon nombre d’autres activités et sur l’emploi. Manifestement, l’épisode immobilier en présence, où que ce soit, n’est pas à même de se dissiper par un coup de politique monétaire.

Par Véronique RICHES-FLORES Riches-Flores Research - www.richesflores.com