Motivés, les entrepreneurs résistent plutôt bien à la succession des chocs. Tel est le constat de l’enquête menée par Initiative France, réseau de financement et d’accompagnement des porteurs de projets d’entreprises, auprès de son public. Début mars, à Paris, Guillaume Pepy, président du réseau, présentait à la presse les résultats de l’étude. Il était entouré d’entrepreneurs venus témoigner de leur trajectoire. En 2023, le réseau a accompagné 20 025 projets d’entrepreneuriat, créations (les deux tiers des projets) et reprises d’entreprises. Cela représente 2,3 milliards d’euros de financement direct ou induit et 54 755 emplois créés ou maintenus. Le nombre de projets soutenus a légèrement diminué par rapport à 2022, après deux années de forte croissance. « Cela ne nous inquiète pas, cela va repartir », affirme Guillaume Pepy.
Selon l’étude d’Initiative France, l’entrepreneuriat est un choix de conviction. En tête des motivations avancées par les sondés figurent, en effet, le désir d’indépendance (55%), le goût du challenge (51%) et la quête de sens (33%). L’opportunité ne vient qu’en quatrième motif (28%). Et seul 1% déclare être venu à l’entrepreneuriat par la contrainte. À étayer cette vision de l’entrepreneuriat comme choix de vie, « les reconversions sectorielles sont en augmentation », note Guillaume Pepy. C’est le cas de 35% des sondés en 2023, contre 30% en 2021. Le score monte à 41% chez les femmes et à 44% chez les plus de 45 ans.
Par ailleurs, neuf entrepreneurs sur dix se déclarent heureux de leur quotidien. Mais avec un énorme point faible : la rémunération : 61% d’entre eux la jugent insatisfaisante, score qui grimpe à 68% chez les femmes et les commerçants. Pour autant, 81% des interrogés ne regrettent pas leur choix. C’est le cas de Céline Chambolle, venue témoigner de son quotidien et de sa trajectoire d’entrepreneuse depuis Jargeau (5 000 habitants) dans le Loiret, où se situe « Au marché du coin », son épicerie de circuit court, ouverte sur une rue commerçante. L’entrepreneuse a repris la société dont elle était salariée et où elle adorait travailler. « C’est convivial, tout le monde nous connaît », témoigne-t-elle. Auparavant, elle avait « fait les marchés», pendant 20 ans (fruits et légumes), puis travaillé dans la grande distribution. L’épicerie, c’était un peu l’idéal : la convivialité des marchés, sans la rudesse des conditions. « Cette rue, c’est ma vie. On ne part pas au travail, on sait qu’on va s’amuser. Perdre tout cela, ce n’était pas possible », explique-t-elle. Seul souci, Céline Chambolle ne se voyait pas du tout entrepreneuse. « Je me suis dit que je ne pourrais pas », se souvient-elle. Encouragée par son entourage, stimulée par un « copain fromager, dans la rue », qui l’a incitée à contacter Initiative France, elle a fini par se lancer. Le prêt d’honneur de 15 000 euros du réseau a déclenché l’obtention d’un crédit bancaire de 65 000 euros. L’entrepreneuse se verse un salaire, ainsi qu’à Catherine Charpentier, qui travaille avec elle.
Une année « certainement difficile »
Selon l’étude d’Initiative France, 2023 est une « année certainement difficile », commente Guillaume Pepy. En effet, 49% des sondés déclarent être impactés par la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs, 39% par la hausse du coût des matières premières, 34% par celle de l’énergie. De l’autre coté, 63% seulement d’entre eux ont répercuté tout ou partie de ces hausses sur leurs prix. Résultat, 39% ont diminué leurs marges, 25% leur chiffre d’affaires et 18% leur rémunération, un score qui monte à 22% chez les femmes.
Et pour 2024, le mot clé est « incertitude », pointe Guillaume Pepy. 24% des interrogés s’attendent à ce que la situation économique de leur entreprise se dégrade, 36% qu’elle s’améliore, et 40% qu’elle reste stable. Valérie Gonzalès, une autre entrepreneuse venue témoigner, fait partie de celles dont l’activité est impactée par la dégradation de la conjoncture. En 2020, elle a fondé la société Casa d’Aqui à Tarnos (12 000 habitants) dans les Landes. L’entreprise regroupe une épicerie fine de produits venus de moins de 80 km alentours, un coffee shop qui se fournit aussi localement, et un commerce de seconde main et créateurs locaux. À cela s’ajoute aussi une activité de point relais pour les colis. À l’origine du projet : le désir de Valérie Gonzalès de se rapprocher de sa région d’origine, après 20 années de carrière comme régisseuse de spectacles. L’entrepreneuse a obtenu 12 000 euros de prêt d’honneur d’Initiative France, auxquels se sont ajoutés 40 000 euros de la banque. Elle a installé son activité dans un local de 130 m², dans un petit centre commercial bien situé : les salariés de grandes entreprises proches y déjeunent, les vacanciers passent devant pour aller à la mer. « En 2022, tout allait bien. Mais en 2023, j’ai vu le chiffre d’affaires descendre petit à petit », témoigne l’entrepreneuse qui ne se verse pas de salaire. Elle dénonce un loyer « trop élevé », « une société foncière qui abuse sur les loyers et charges ». Sa situation est difficile : « j’ai fait le choix de cette profession par conviction personnelle. Je ne compte pas devenir milliardaire, mais il faut bien que je vive », explique-t-elle. Las, Valérie Gonzalès, observe le flux des colis – « à 99% de la fast fashion, Amazon... » augmenter au fur et à mesure que son chiffre d’affaires décroît. « Je suis là pour faire la bataille à tout cela. Je fais du relais colis pour faire changer d’avis », précise-t-elle. En, effet, Valérie Gonzalès a bâti son entreprise sur des choix éthiques (écologie, valorisation des circuits courts...). Et de fait, Casa d’Aqui, a été labellisée « initiative remarquable » par Initiative France, qui entend encourager cette tendance nouvelle, repérée par l’étude du réseau : en 2023, 69% des entrepreneurs ont pris en considération l’impact écologique et sociétal de leur entreprise dans la structuration même de leur projet, soit 15 points de plus qu’en 2022.
L’urgence administrative
Plus du quart (28%) des entrepreneurs interrogés par Initiative France citent les difficultés administratives, comme premier frein dans leur quotidien.