Économie Paru le 28 mai 2024
BOURSES EUROPÉENNES

Les raisons de la confiance et les éléments de surveillance

Fin mars, la mise à jour de notre scénario macroéconomique et financier trimestriel conduisait à des conclusions optimistes sur les bourses européennes, tout du moins à brève échéance. Mal nous en a pris : après cinq mois de hausse, l’indice Eurostoxx 50 a perdu 2,5 % en avril ! Quand bien même, chat échaudé craint l’eau froide, bon nombre de raisons plaident toujours en faveur des indices européens.

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Fin mars, la mise à jour de notre scénario macroéconomique et financier trimes­triel conduisait à des conclusions optimistes sur les bourses européennes, tout du moins à brève échéance. Mal nous en a pris : après cinq mois de hausse, l’indice Eurostoxx 50 a perdu 2,5 % en avril ! Quand bien même, chat échaudé craint l’eau froide, bon nombre de raisons plaident toujours en faveur des indices européens.

La perspective renforcée d’une baisse imminente des taux de la BCE n’est naturellement pas étrangère à ce diagnostic. Ce n’est toutefois pas le seul argument : évacuation des risques majeurs sur les perspectives conjoncturelles régionales, accumulation d’épargne, effets richesse, moindre mobilité des capitaux, voire crise immobilière, sont autant de soutiens potentiels à une hausse persistante des marchés de la zone euro, dans un contexte de dé­sinflation confirmée. Sauf la retenue qu’imposent les valorisations américaines et la dégradation de la conjoncture aux États-Unis, sans doute, la confiance serait-elle d’ores et déjà plus palpable sur les indices. Alors ?

Au-delà de la conjoncture…

Ce n’est pas du côté de la conjoncture, en effet, que nous trouvons les éléments de confiance. Les développements de ce côté-là ont peu évolué, en effet, depuis la fin mars.

Si l’activité industrielle a semblé frémir en fin d’hiver, les données du mois d’avril ont enfoui les espoirs de reprise manufacturière, tout du moins pour les plus grands pays de la région, Allemagne, Italie, France notamment.

Il est, par ailleurs, peu probable que la situation évolue significa­tivement à horizon des prochains mois à en juger par la tournure des commandes à l’exportation.

L’amélioration de la situation sur le front des services est plus convaincante, comme c’est le cas dans la plupart des autres régions ces derniers mois, États-Unis exceptés. Difficile cependant, une fois le rattrapage post-covid effectué, d’envisager que l’amélioration de la conjoncture tertiaire suffira à elle seule à produire une embellie des résultats économiques, face, qui plus est, à la détérioration des perspectives du secteur de la construction, fruit tout à la fois de la crise immobilière et du durcissement des politiques publiques. Sauf conditions spécifiques, le plus souvent transitoires, tel le rat­trapage de 2022, industrie et services sont traditionnellement très dépendants l’un de l’autre, avec sur le long terme une corrélation comprise entre 60 % et 80 %.

Malgré un premier trimestre meilleur que prévu, nos prévisions de croissance n’ont donc pas lieu d’être sensiblement révisées. En moyenne cette année, la croissance du PIB de la zone euro pour­rait atteindre 1 %, plutôt que les 0,7 % escomptés fin mars, après 0,9 % en 2023, ce qui reste assez peu engageant.

… Un quasi-alignement des planètes

C’est, en l’occurrence, ailleurs que les éléments de soutien aux marchés semblent les plus convaincants.

1- Dans la préservation d’un certain pricing power assez inédit des entreprises européennes que les comptes nationaux permettent d’estimer avec assez de précision. Or, la situation sur ce front ne semble pas avoir été profondément modifiée en début d’année ; peut-être même s’est-elle légèrement améliorée dans l’industrie manufacturière, après un second semestre 2023 particulièrement difficile, comme le suggèrent les dernières enquêtes sur la com­pétitivité de la Commission européenne. Ces dernières décrivent, en effet, une amélioration généralisée des conditions compétitives manufacturières, notamment liée à l’industrie automobile.

Mais c’est avant tout dans les activités de services, en particulier à destination des ménages que cette ressource est la plus importante. À en juger par les évolutions respectives des prix des entreprises par rapport à leurs coûts, le pouvoir de fixation des prix se serait traduit par des gains de 2,6 % l’an fin 2023 pour les entreprises, un rythme largement supérieur aux tendances du passé. C’est en partie ce qui fait, en zone euro comme dans de nombreux pays développés, que les hausses de prix résistent dans les activités de services ; une observation que l’amélioration récente des pers­pectives de demande a, d’ailleurs, plus de chances de prolonger que l’inverse.

Or, 2,6 % annuels de pricing power, équivalent quasiment à l’évolution moyenne des profits opérationnels des sociétés non financières de la zone euro entre 2010 et 2019, de 3,1 % par an. Un tel surcroît est donc loin d’être négligeable en matière de stimulation des résultats.

2- Dans le niveau élevé de l’épargne des particuliers et, simultané­ment, dans le manque d’opportunités d’investissement. Contrai­rement aux États-Unis ou même au Japon, les taux d’épargne ont conservé des niveaux élevés en zone euro. Proximité de la guerre russo-ukrainienne, politiques budgétaires moins généreuses ou spécificités comportementales, notamment liées à une démographie moins porteuse, toujours est-il que les résultats sont indiscutables. Si la France est une exception, avec un taux d’épargne supérieur aujourd’hui à trois points environ à ce qu’il était avant la crise covid, les niveaux d’épargne sont néanmoins, partout très élevés. Dans un contexte où les réceptacles d’investissement se sont notablement rétrécis, du fait simultanément d’un environnement international beaucoup plus incertain et des crises immobilières qui sévissent partout, les hauts niveaux d’épargne disponible constituent une ressource importante de demande d’investissement, qui n’est sans doute pas étrangère d’ailleurs, à l’intérêt porté au crédit d’entreprises et au non-côté. La crise immobilière qui, à ce stade, se traduit surtout par une chute des transactions plutôt que par celle des prix pour ce qui est de l’immobilier non commercial, a de bonnes chances, en effet, dans le contexte d’attentisme en présence, d’entretenir une partie de la demande de placements financiers dès lors que l’horizon se dégage.

3- Dans un tel contexte, l’imminence des baisses de taux de la BCE devient un facteur potentiellement d’autant plus porteur que les valorisations restent faibles en zone euro, inférieures à ce qu’elles étaient avant la crise sanitaire, avec un multiple de 15,1 en moyenne sur l’Eurostoxx 50.

Or, il est vraisemblable que, non seulement la BCE s’autorise à baisser ses taux directeurs d’un quart de point le 6 juin mais qu’elle réitère l’opération le 18 juillet, compte-tenu des garanties offertes par les dernières données d’inflation, sur fond, qui plus est, de repli des cours de l’énergie et de hausse de l’euro.

Si tel est le cas, les primes de risques des actions, tombées à des niveaux historiquement faibles ces derniers mois, redeviendront plus incitatives.

On comprend mieux, à ce qui précède la résistance des indices européens et ce qui pourrait les pousser plus hauts dans les pro­chains mois, après, pas loin, d’une décennie perdue et malgré la réticence qu’inspire la situation allemande, tandis que, simultané­ment, la confiance des investisseurs retrouve des couleurs.

D’où pourraient, dès lors, venir les éléments contrariants ?

Face à ce constat les principaux facteurs de risques semblent avant tout extérieurs :

• Environnement géopolitique d’une part, au sujet duquel l’apaise­ment récent des tensions reste très précaire, ce qui n’a cependant pas empêché jusqu’alors la hausse du marché et participe de l’entretien des politiques industrielles agressives, notamment en matière de défense, porteuses pour l’industrie.

• Risques chinois, susceptibles, entre autres, de venir réveiller avant l’heure les tensions sur les marchés internationaux de matières premières. Les dernières données du mois d’avril n’inquiètent, cependant, pas outre mesure sur ce front. Si la croissance de la valeur ajoutée industrielle reprend effectivement des couleurs, la dynamique reste ralentie par l’inertie de la demande extérieure. Par ailleurs, la dégradation persistante du contexte domestique, immobilier notamment, reste un frein considérable pour les pers­pectives du pays et celles de demande de matières premières que les initiatives du gouvernement mettront, selon toute vraisemblance, du temps à corriger.

• Économie américaine, enfin et surtout, où le haut niveau des valorisations de marchés s’accorde mal avec une conjoncture défaillante, que soulignent de plus en plus d’indicateurs, parmi lesquels la chute de 0,6 % de l’indicateur avancé du Conference Board aujourd’hui, après les données de ventes de détail et de production plus tôt cette semaine et autres ISM, NAHB ou emplois depuis le début du mois.

L’équilibre n’est pas forcément négatif tant que les signaux de fai­blesse conjoncturelle sont limités et compensés par la restauration des perspectives de baisses des taux de la Fed. La situation pourrait néanmoins devenir plus critique si la probabilité de récession venait à regagner du terrain, notamment pour le crédit aux entreprises et, dans son sillage, les banques américaines, de nouveau.

On comprend dès lors, l’importance qu’aura l’évolution des antici­pations sur les Fed Funds dans les prochaines semaines, lesquelles dans un contexte monétaire, encore relativement accommodant, joueront un rôle clé sur les perspectives économiques et financières américaines et au-delà.

Véronique RICHES-FLORES Riches-Flores Research