Le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a considéré qu’il « est aujourd’hui opportun de faire un nouveau pas dans la réduction du caractère restrictif de la politique monétaire ». Enfin un bol d’air frais dans une Union européenne sous tension ? Il est vrai que la décélération de l’indice des prix à la consommation au sein de la zone euro — 2,2 % en août en glissement annuel —, sous l’effet principalement du recul du coût de l’énergie, laisse entrevoir la fin de l’épisode inflationniste. Tout l’enjeu pour l’économie européenne est, dès lors, de savoir dans quelle mesure cet assouplissement de la politique monétaire aura une influence sur les taux d’intérêt des prêts aux ménages et aux entreprises. Une baisse aux effets limités Or, c’est un euphémisme de dire que la transmission de la politique monétaire à l’économie prend un peu de temps, en général 12 à 18 mois, un délai insurmontable lorsque la trésorerie est déjà sous contrainte. Les emprunteurs pourront donc espérer, vers mi-2025, une évolution plus favorable des taux d’intérêt sur les prêts, mais les ménages verront inévitablement le rendement de leurs produits d’épargne baisser. Mais, qui sait si d’ici là les indicateurs suivis par la BCE (prix de l’énergie, créations d’emplois, croissance, indices des prix…) n’auront pas évolué dans le mauvais sens, nécessitant alors de durcir à nouveau la politique monétaire ?
D’ores et déjà, les signaux se sont avérés contradictoires au mois d’août. D’un côté, en glissement annuel, les prix de l’énergie ont certes sensiblement reflué (-3 %), mais de l’autre les prix des services sont encore en nette hausse (+4,2 %). Quant aux causes de la faible croissance de l’Union européenne (UE), peut-être sont-elles à chercher prioritairement du côté du mandat de la BCE, qui lui fixe comme objectif quasi exclusif la stabilité des prix. Ainsi, en est-elle venue à soigner par des taux d’intérêt élevés un invisible excès de la demande sur l’offre produite, au prix d’un ralentissement important de l’activité. Les services de la BCE ont d’ailleurs déjà revu à la baisse leurs projections de croissance de juin dernier : 0,8 % en 2024, puis 1,3 % en 2025 et 1,5 % en 2026.
Le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité de l’UE, rendu public le 9 septembre dernier, a ensuite enfoncé le clou en concluant au décrochage économique de l’UE par rapport aux États-Unis. Et de proposer comme viatique pour améliorer la productivité et, chemin faisant, la croissance, une augmentation très importante de l’investissement des pays membres, quitte pour cela à s’engager dans l’émission de nouvelles dettes communes européennes !
Un changement de priorité de la BCE ?
Le taux principal de refinancement, qui correspond au taux d’intérêt payé par les banques pour emprunter durant une semaine de la liquidité auprès de la BCE, concentre encore à lui seul quasiment tous les commentaires. Pourtant, il est important de ne pas négliger les deux autres taux directeurs que la BCE fixe toutes les six semaines : le taux de la facilité de prêt marginal et le taux de la facilité de dépôt. Le premier est un taux d’intérêt auquel les banques peuvent emprunter à la BCE de la liquidité à 24 heures, tandis que le second constitue, en quelque sorte, la rémunération perçue par les banques lorsqu’elles déposent des fonds pour 24 heures auprès de la Banque centrale.
En mars dernier, l’institution de Francfort a annoncé qu’à compter du 18 septembre 2024, l’écart entre le taux des opérations principales de refinancement et le taux de la facilité de dépôt serait ramené à 15 points de base, tandis que l’écart entre le taux des opérations principales de refinancement et le taux de la facilité de prêt marginal resterait inchangé à 25 points de base. Voilà pourquoi le taux de la facilité de prêt marginal a été fixé à 3,90 % et celui de la facilité de dépôt au jour le jour à 3,50 %. Cela devrait contribuer, selon la BCE, à réduire la volatilité future sur les marchés interbancaires, lorsque l’excès de liquidités aura été résorbé.
Ce changement institutionnel, perçu comme technique, marque, cependant, une rupture profonde dans le pilotage de la politique monétaire. Il est la conséquence des tombereaux de liquidités injectées dans l’économie depuis la crise de 2008, qui ont conduit à un changement structurel : les agents financiers, en particulier les banques, ne cherchent plus tant à se financer à moindre coût — ce financement est pour ainsi dire acquis —, qu’à placer leurs liquidités excédentaires ! Cette inversion des priorités des banques commerciales s’est nécessairement accompagnée d’une inversion des priorités dans les taux directeurs, la facilité de dépôt devenant le principal taux directeur en lieu et place de l’historique taux des opérations principales de refinancement.
Ne serait-il pas alors temps aussi de revoir le mandat de la BCE en adjoignant à l’objectif de stabilité des prix une obligation de contribuer au plein-emploi, à l’instar de son homologue américaine, la Fed ?