Décalages. Le 10 décembre, dans le cadre du congrès de la FNAIM, Fédération nationale de l’immobilier, une séquence était consacrée à « Pourquoi la crise, des outils pour comprendre », avec Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop et Gilles Finchelstein, secrétaire général de la Fondation Jean Jaurès. Les deux observateurs de la société ont mis en lumière plusieurs décalages entre les aspirations des Français en matière de logement et des contraintes économiques et écologiques. Par exemple, 88% des Français partagent un même désir : « la maison individuelle avec un jardin, si possible avec pas trop de monde autour », note Gilles Finchelstein. Mieux, « le rêve français est la maison avec jardin et piscine. La France est le deuxième pays au monde en nombre de piscines individuelles privées », complète Jérôme Fourquet. Souci, ce souhait se situe aux antipodes de la densification des métropoles, préconisée par les experts comme réponse au réchauffement climatique, notent les deux observateurs.
Autre décalage, croissant, celui entre les moyens financiers des Français et leurs aspirations à la propriété. En effet, la France a beau être entrée dans l’ère de l’usage versus celui de la propriété, en matière d’immobilier, « le rêve de la société est d’être propriétaire », résume Gilles Finchelstein. C’est le cas pour 93% des Français. L’héritage, ancré dans une tradition ancestrale paysanne ? Certes, mais aussi, « une question de sécurité », pointe Gilles Finchelstein. Les craintes liées aux réformes des retraites renforcent des inquiétudes déjà vives. Être propriétaire, c’est au moins l’assurance d’avoir un toit au dessus de la tête. Or, la machine de l’accession à la propriété est « grippée », constate Jérôme Fourquet. Le taux de propriétaires avait doublé depuis les années 1960, mais aujourd’hui, il n’augmente plus. « Dans les milieux modestes, chez les plus jeunes, le fait de ne plus pouvoir accéder à la propriété comme l’avaient fait leurs parents est vécu comme un indice de déclassement. Le parcours résidentiel n’est plus le même », indique Jérôme Fourquet.
Troisième décalage, enfin, la relation paradoxale des Français à la mixité du logement. « Ils souhaitent vivre avec d’autres personnes, mais plutôt des personnes qui leur ressemblent. Par génération, ce sont les jeunes qui sont les plus fermés, et ceux de plus de 60 ans les plus ouverts (...) Par ailleurs, l’image de la mixité sociale est moins bonne que sa réalité vécue », note Gilles Finchelstein. Lors d’une récente étude de l’Ifop, 70% des sondés ont déclaré vivre dans leur commune avec des personnes d’origine, de classe sociale et de religion différentes. Parmi eux, une même proportion faisait état d’une « bonne entente ».
Concilier piscine au fond du jardin et écologie
Lors de leur intervention, les deux chercheurs ont fait le point sur les dernières évolutions de la répartition des logements sur le territoire, balayant au passage l’image du « rééquilibrage » de la population qui se serait opéré suite à la crise du Covid. Les mouvements générés par cette dernière ont simplement « renforcé les dynamiques existantes », estime Jérôme Fourquet. Historiquement, jusque dans les années 1970, la dynamique géographique s’est concentrée en Île-de-France et dans les villes-centre des départements. Ensuite, les flux de population se sont dirigés vers la France périurbaine et le littoral. Au terme de cette évolution, quand advient l’épidémie du Covid, 80% des Français vivent en ville. Mais la crise n’a pas engendré la « revanche des villes moyennes », prédite par certains en raison du déploiement du télétravail. Et la France rurale n’a pas connu d’afflux de population significatif. Pour l’essentiel, « trois territoires ont gagné de la population », explique Jérôme Fourquet.
Cas particulier, les zones situées à proximité de la Suisse. Pour le reste, des zones déjà tendues ont vu arriver de nouveaux venus. Le littoral – surtout Atlantique – a vu débarquer des cadres qui se sont installés dans les villes desservies par le TGV. Et le périurbain, à une trentaine de kilomètres du centre de villes comme Bordeaux, Toulouse ou Nantes, a accueilli des non-cadres travaillant dans le tertiaire, désireux de réaliser leur rêve de maison avec jardin. Dans les médias, ces mutations avaient engendré un fantasme qui ne s’est pas réalisé : la « revanche de villes moyennes » qui se seraient peuplées de télétravailleurs, notent les deux chercheurs.
Par ailleurs, pour Gilles Finchelstein et Jérôme Fourquet, c’est plus largement que certains aspects de la réalité du logement demeurent masqués par des perceptions fausses. À commencer par l’importance primordiale du sujet pour la population. Sur le fond, « lorsque les Français répondent que leur première priorité est le pouvoir d’achat, cela implique le logement, car sa part a explosé dans la structure de la consommation », pointe Gilles Finchelstein. Autre point souligné par le chercheur, un biais statistique qui pèse lourd : si en moyenne, le logement est désigné comme une priorité secondaire pour les Français, il existe une partie de la population pour laquelle il constitue une priorité « intense ».
Quoi qu’il en soit, force est de constater que le thème n’a pas constitué une priorité en matière de politique publique. À de multiples titres, il y a pourtant urgence. Par exemple, les émeutes de l’été 2023 se sont concentrées dans des quartiers paupérisés, a pointé Jérôme Fourquet, rappelant la nécessité d’une mixité sociale, en dépit de toutes les complexités qu’engendre sa mise en œuvre. Autre immense enjeu, celui de l’articulation des désirs de la population – le pavillon avec jardin – aux contraintes écologiques.
L’immobilier, suspendu à une conjoncture troublée
Le bilan du secteur de l’immobilier est sombre, qu’il s’agisse du neuf ou de l’ancien, d’après BPCE l’Observatoire. La situation pourrait s’améliorer sous l’impulsion d’une demande renouvelée des Français, à moins que l’inquiétude liée aux incertitudes politiques et économiques ne l’étouffe.
Incertitudes. Le 12 décembre, lors d’une visioconférence de presse « Les Rendez-vous de l’Immobilier de BPCE L’Observatoire », Alain Tourdjman, directeur des études et prospective du groupe bancaire BPCE a présenté le bilan et les perspectives du secteur (logements neufs et anciens), en France. La construction en particulier, est « profondément sinistrée ». L’ensemble des indicateurs sont négatifs, à commencer par celui des mises en chantier qui ont atteint un niveau historiquement bas : 257 000 en octobre sur un an glissant, très en dessous de la moyenne décennale (-31,7%). Pour le seul mois d’octobre, le nombre de mises en chantier (20 445 unités) a diminué de 4,1% par rapport à la même période de l’année précédente. Et dans le cadre de cette baisse, les mises en chantier des maisons individuelles ont réalisé une performance négative historiquement inédite : 66 766 en octobre 2024 sur un an glissant, contre plus de 100 000 durant la période précédente. Autre indicateur en berne, les permis de construire délivrés. Fin octobre 2024, sur un an glissant, ils ont diminué de 11%. Sur le seul mois d’octobre, 28 945 permis ont été délivrés, soit -5,4% par rapport à octobre 2023.
Sans surprise, la commercialisation suit la même tendance à la baisse, avec 120 000 ventes enregistrées entre le quatrième trimestre 2023 et le troisième trimestre 2024, très en deçà du niveau des années précédentes. En cause, la demande des ménages. Elle a très fortement baissé sur un an pour atteindre, elle aussi, un niveau historiquement bas sans que la vente en bloc ne compense la chute. Dans le détail, les particuliers ont réalisé 65 811 réservations sur la même période, contre 71 454 l’année précédente. Pour rappel, en 2019, 140 634 réservations de particuliers avaient été enregistrées. Quant aux ventes en bloc aux bailleurs sociaux et institutionnels, elles n’ont que légèrement augmenté pour atteindre 57 990.
Dans l’immobilier ancien, la situation s’avère un peu moins critique. L’observatoire BPCE dénombre 780 000 transactions fin septembre 2024, sur un an glissant. L’année 2024 devrait donc se situer à un niveau inférieur de 8% à la moyenne de longue période et de 10% par rapport à 2023.
Vert demande, rouge politique
L’année qui vient verra-t-elle la crise de l’immobilier s’approfondir, ou au contraire, une amélioration de la situation ? « Il existe des éléments positifs dans la demande de logement qui ouvrent des possibilités de rebond en 2025 », note Alain Tourdjman. Tout d’abord, la perception que les Français ont du marché s’améliore. Par exemple, 43% des acheteurs considèrent que le moment est favorable pour leur projet, contre 31% il y a un an. Dans le même sens, 19% des sondés ont un projet d’achat en cours ou prévu dans les douze prochains mois, contre 17% il y a un an. Si les projets portent essentiellement sur la résidence principale, les détenteurs de patrimoine nourrissent un regain d’intérêt pour l’investissement locatif, largement délaissé. Épiphénomène ou début d’une nouvelle tendance ? À suivre... Les Français sont aussi nombreux à anticiper une baisse des taux d’intérêts des crédits immobiliers, de nature à les conforter dans leurs projets. Mieux, cette baisse perçue fait aussi partie des critères objectifs « positifs », socle d’un possible rebond de la demande. Au mois d’octobre, le taux des crédits immobiliers a atteint 3,52% contre 3,87% en septembre 2023, selon la Banque de France. Parmi les critères objectifs étayant l’hypothèse d’un rebond figurent aussi l’augmentation du nombre de crédits nouveaux depuis juillet dernier et la baisse de l’apport personnel exigé, signe d’une détente du marché. L’amélioration de la solvabilité des ménages, résultante des baisses de taux d’intérêt et des prix dans l’ancien, va dans le même sens.
Toutefois, à côté de ces tendances positives figurent aussi des voyants « rouge et orange », met en garde Alain Tourdjman. En cause, principalement, les incertitudes politiques et économiques, sur fond de regain d’inquiétude par rapport au chômage. « Les deux tiers des Français sont préoccupés par le niveau de la dette publique et cela se traduit par de l’inquiétude (..) Plus de la moitié d’entre eux envisagent de remettre en cause, ou renoncer à des dépenses », note Alain Tourdjman. Au total, l’Observatoire BPCE envisage donc un « rebond limité » pour 2025. Pour le neuf, il se traduirait par une légère remontée des mises en chantier de l’ordre de 260 000 logements. Et pour l’ancien, il se concrétiserait par 825 000 transactions et une stabilisation des prix (+1%), après deux années de baisse. Une hypothèse tributaire du niveau d’inquiétude sur la situation politique, économique et financière du pays, ainsi que de la politique du logement du futur gouvernement.