Grand Est Paru le 26 août 2022
RÉCOLTE DE MIRABELLES EN LORRAINE

Un millésime compliqué mais un fruit de qualité

La récolte des mirabelles de Lorraine bat son plein au cœur du mois d’août. Le cru 2022 s’avère un peu compliqué en raison de la canicule. Le lancement de la récolte fin juillet a dû être interrompu car le fruit d’or manquait de coloration. Le tonnage sera meilleur qu’en 2021.

La mirabelle de Lorraine

2021 avait été calamiteux en raison d’un été pluvieux et d’un printemps froid, 2022 sera incontestablement meilleur. Mais le cru reste néanmoins très moyen. « En ce 17 juin nous sommes à peu près à la moitié de la récolte » affirme Katharina Dee, la chargée commerciale et nouvelle responsable de la communication de Vegafruits à Saint-Nicolas-de-Port en Meurthe-et-Moselle. « Nous avons été pas mal retardés parce que nous étions en attente de la coloration du fruit. Même si cette année la récolte a débuté de façon plus précoce, d’une dizaine de jours. Nous avons trois critères pour la mirabelle de Lorraine, la coloration, le calibre de 22 mm et le taux de sucre. Ces deux derniers étaient au point, mais pas la coloration. La canicule a retardé la coloration du fruit chez certains de nos arboriculteurs. Il n’y avait pas vraiment de danger de les laisser dans les vergers, les nuits plus fraîches et les quelques pluies qui sont arrivées ont permis de reprendre la récolte. On n’était finalement pas pressé de cueillir, et on a ainsi pu étaler la récolte. Elle devrait s’étendre jusqu’à mi-septembre. L’an dernier c’était très humide donc plus rapide, cette année ce sera autour de 6 ou 7 semaines, quand en 2019 nous avons récolté pendant 9 semaines. »

Heureusement les nuits étaient fraîches

Katharina Dee relativise l’effet canicule. « En fait on a eu très chaud pendant quelques journées avec 30° à 35°, mais c’était compensé par des nuits fraîches. Sur 24 heures ça passait. La canicule se mesure par une moyenne de températures de 28° sur 24h, or ce n’était pas le cas. Quant au manque de pluie, il ne s’est pas fait trop ressentir. Généralement le manque de pluie entraîne des fruits de petit calibre. Or cette année les mirabelles ont un beau calibre. La canicule n’a fait que ralentir la production mais ne l’a pas bloquée. »

Pour ce qui est du niveau de production, la responsable de Vegafruits ne veut pas trop se prononcer. Mais ça ne devrait pas dépasser les 5000 tonnes. « Cela restera une année somme toute moyenne. Elle sera de toute façon meilleure que l’année précédente où l’on tournait autour de 3000 à 4000 tonnes maxi. En fait, nous tournons sur trois bassins de production sur notre coopérative : La Meuse, Meurthe-et-Moselle et Vosges. Or si ça marche plutôt bien sur la Meurthe-et-Moselle et les Vosges, en revanche beaucoup de producteurs dans la Meuse ont très peu de fruits, voire moins que l’an passé. » Mais globalement 2022 sera une année assez moyenne. Katharina Dee reste positive. « Ce qui est bien avec les mirabelles, c’est que toutes les années sont différentes. Cette année on en a moins, mais nous avons une qualité excellente. »

Le parc de mirabelliers se porte plutôt bien. « Nous n’avons pas de vieux vergers, certains producteurs ont même replanté, mais il faut 7 ans pour qu’un arbre fasse des fruits. Pour les années à venir nous en aurons davantage » termine la responsable commerciale de Vegafruits. La coopérative transforme les fruits : un tiers en fruits de bouche, un tiers en surgelé et un tiers transformé (purée, confiture etc.).

La dernière saison de Bruno Colin

Mais que devient Bruno Colin, le directeur historique de Vegafruits et promoteur de la filière agroalimentaire lorraine ? « C’est bien ma dernière saison de mirabelles en tant que dirigeant de Vegafruits. Mais je reste producteur quand même, du côté de Bayon en Meurthe-et-Moselle pas loin des Vosges. Il faut bien laisser la place aux jeunes. C’est Arnaud Colin, un homonyme, qui va me succéder à la direction de la coopérative. Cette dernière campagne de mirabelles, c’est très émouvant. C’est tout de même ma 42e campagne de mirabelles. »

C’est peut-être sa dernière mais il n’en conserve pas moins un regard pointu sur la mirabelle de Lorraine. « Comme toutes les campagnes, elle est assez difficile. On ne sait jamais à quoi s’attendre. Il y a toujours des imprévus, la nature, la mirabelle. Il y a des contraintes. Mais cela reste toujours aussi intéressant. C’est toujours aussi bon. Et surtout nous avons beaucoup investi du côté des producteurs au sein de la coopérative. »

Rénovation du parc, investissements éco-durables

Bruno Colin est satisfait d’achever son parcours à la coopérative avec d’importants investissements. « Nous avons engagé une rénovation du parc de vergers. Nous avons fait un grand saut en avant pour la protection de la planète. Nous avons changé tout notre système de froid qui est neutre au niveau carbone. On a remplacé toutes les molécules qui avaient un effet de serre par des molécules naturelles. Un investissement de 10 M€ projeté vers l’avenir. C’est quasiment le montant de notre chiffre d’affaires qui oscille entre 10 et 12 M€. »

Pour Bruno Colin, la filière de la mirabelle de Lorraine est bien ancrée dans le paysage lorrain. « Elle a de l’avenir. Le tiers des producteurs a moins de 40 ans. Ils plantent, il y a de nouveaux arboriculteurs, la mirabelle de Lorraine, la coopérative s’appuie sur de l’humain, c’est sa force. Il y a une volonté collective. Nous faisons un bon produit, sympa, les gens sont sincères. Il y a des valeurs qui plaident pour cette filière. »

Philippe Daniel ou le bonheur est dans le verger

Nous l’avons cueilli sur son téléphone portable, tout seul au milieu de l’après-midi, dans son immense verger de Vigneulles (54). Philippe Daniel, le président de l’association Mirabelles de Lorraine était en train de remplir un bon seau de fruits. « Les saisonniers ne cueillent que le matin quand il fait trop chaud. Moi je viens quand même l’après-midi. Mes vergers c’est tout de même 10 000 arbres. Cette année elles sont grosses. Elles ont attrapé de la couleur, un peu tardivement certes. Vous savez, une récolte de mirabelles c’est toujours compliqué, c’est normal. Cela ne se passe jamais comme on veut. Cette année c’était la canicule. On a démarré fin juillet, on dépassait 30° : à cette température le mirabellier s’arrête. Il ne bouge plus, il attend. On a été obligé de reculer la récolte, il y a eu un peu de pluie, ça va mieux comme ça. » Pour Philippe Daniel, 2022 reste tout de même un bon millésime. « On est sur une bonne récolte. On a un arbre qui résiste de façon exceptionnelle à la sécheresse, il ne pâtit pas des grosses chaleurs. On n’a pas de problèmes de calibre. Le mirabellier est particulièrement résilient à la sécheresse. J’ai connu l’année 1976, exceptionnelle en la matière, nous n’avions pas eu de problème. »

« Les gens courent un peu moins après le travail »

Et sur un plan logistique, il n’y a pas eu de vrai problème. « Nous avons pu recruter des saisonniers, même si en général c’est difficile de recruter actuellement. C’est comme ça, les gens courent un peu moins après le travail. Il y a la situation Covid qui a fait évoluer les mentalités. Nous bénéficions de la proximité de Nancy et de ses étudiants. Les gens qui ont des problèmes de matériel de cagettes, n’ont peut-être pas assez anticipé. Sur nos exploitations nous n’avons pas connu de problèmes de main d’oeuvre, grâce aux étudiants. Et la récolte tournera autour de 4000 à 5000 tonnes cette année. C’est mieux que l’an passé où on tournait à 3000 tonnes. Chez moi je fais le double de l’an passé. On avait la qualité, le sucre même sans la couleur. Elles étaient parfois vertes sur l’arbre mais étaient déjà au bon niveau pour le sucre. La récolte devrait durer jusqu’à mi-septembre. » À la date du 18 août il lui restait quand même encore 5000 arbres à récolter…

Vincent Neveux, le maraîcher de Norroy-le- Veneur

Pour Vincent Neveux, la campagne de récolte de mirabelles s’avère excellente. « Pour moi, et mon hectare et demi de mirabelliers, c’est une année exceptionnelle ! Autant en rendement qu’en calibre. Je n’ai jamais fait une saison pareille et récolté de mirabelles aussi grosses. Et en quantité on fera un tonnage exceptionnel. Le fait qu’il y a eu une grosse pression sur l’état sanitaire des vergers, forcément certains n’ont pas fait une bonne récolte. Il a fallu faire un suivi des phytosanitaires, après les attaques de pucerons à la sortie d’hiver. Il y a eu par endroit des gelées… Tout ça cumulé, pour certains c’est une année un peu compliquée. Mes mirabelliers ont bien supporté la canicule, leur enracinement est assez profond. Le seul problème c’est celui du manque de coloration. Elle était sucrée, elle était un peu verdâtre. Or elle se colore quand il y a de l’humidité dans l’air, un peu de brume le matin, des échanges de températures dans la journée, et de la pluie. Aujourd’hui ça va mieux et le calibre est remarquable autour de 24 à 26 mm minimum. En rendement je suis plus que satisfait. »

Pénurie d’emballages

Si tout va bien chez notre maraîcher pour la récolte de mirabelles, en revanche il connaît un vrai problème. « Nous avons tout de même un gros souci, la pénurie d’emballage. Et aussi on manque de personnel. On ne trouve pas de main d’oeuvre. Mon fournisseur de cagettes est en rupture. J’ai plus de mirabelles à récolter que d’emballages à remplir. C’est rageant. Le bois coûte cher, il faut des agrafes pour faire une cagette. Et pourtant je ne travaille qu’avec de la cagette recyclée, mais cette année c’est la cata ! On y arrive quand même. On en est à 7 tonnes, on devrait faire cette année 16 à 18 tonnes. L’an passé ce n’était pas pareil, c’était moins bon. La problématique cette saison c’est la main d’oeuvre et les emballages. »

Pour les autres récoltes de fruits et légumes c’est difficile cette année. « La sécheresse plus les gros coups de chaleur, c’est difficile. Quand il fait sec mais pas trop chaud, on arrive encore à gérer. Mais avec les grosses chaleurs qui détruisent le feuillage, ce n’est pas possible. On a beau arroser, et notre compteur d’eau va exploser, la facture d’eau sera en conséquence. On va la tripler par rapport à l’an passé. On a raté quelques cultures. On a tout de même des produits de qualité. On ne manque de rien. Il y a du volume. Pour ce qui est du prix, on a décidé en début d’année, avant la guerre en Ukraine, d’augmenter nos prix de 10%. Il faut arrêter de vendre notre bouquet de persil à 1 euro comme il y a dix ans ! Nous augmentons tous les ans notre chiffre d’affaires de 10%, mais nos marges n’augmentent pas et notre trésorerie fond. Nos intrants ont augmenté, le coût du transport aussi, nos charges ont augmenté de 30%. Malgré tout j’ai toujours la passion de mon métier. Mais je crains que des exploitations maraîchères restent sur le carreau à la fin de l’année… »

ARIA Grand Est autrement

Les associations régionales des industries alimentaires s’étaient rapprochées en 2018 pour former l’Aria Grand Est. Mais la structure n’a jamais vraiment décollé. Et aujourd’hui chaque Aria, d’Alsace, de Lorraine et de Champagne-Ardenne conserve son autonomie mais oeuvre tout de même pour le Grand Est. Chacune s’octroie une spécificité. L’Alsace étant la plus dynamique en termes d’activité internationale et à l’export, la Champagne-Ardenne pour le dynamisme économique et l’Aria Lorraine, plus particulièrement Agria est plus orienté dans la recherche agroalimentaire.

Agria Lorraine est présidé par Antoine Cros-Mayrevieille, des Fromageries de Blâmont. « On s’est mis d’accord avec nos amis alsaciens et champardennais pour fonctionner autrement. Chaque région prend en charge ses deux thèmes au nom du collectif. On travaille mieux ensemble qu’avant. On se réunit pour définir des stratégies en matière d’industrie agroalimentaire. On a l’appui de la Région Grand Est. Il faut reconnaître que la période de Covid a été très compliquée pour nos associations. Il était normal qu’on redéfinisse notre mode de fonctionnement entre nos différentes Aria, c’est du pragmatisme. Aujourd’hui chaque Aria territoriale existe, et on travaille main dans la main avec une thématique. Le plus important étant de répondre aux attentes des entreprises » affirme Bruno Colin.

« Qu’on s’occupe du réchauffement climatique »

Bruno Colin s’inquiète du réchauffement climatique pour la filière agroalimentaire. « Il faut qu’on s’en occupe. Cela doit préoccuper tout le monde. Il s’agit d’investir dans les économies d’énergies, de faire évoluer nos modes de fonctionnement. Agria est bien placé pour soutenir les entreprises dans les projets innovants. L’État nous accompagne, la Région aussi. »

Enfin qu’en est-il des Fous de Terroirs, la marque lancée par la filière en Lorraine pour promouvoir les artisans lorrains ? « Avec la sortie du Covid c’est difficile. Nos établissements étaient fermés pendant cette période. Il a fallu relancer le label. C’est bien reparti. C’est une équipe de jeunes artisans, on développe de nouveaux produits. On reste sur cette lancée là… »

Vincent Neveux dans son verger près de Norroy-le-Veneur en périphérie

Bernard KRATZ