Grand Est Paru le 24 février 2023

ENJEUX ÉNERGÉTIQUES AUX RENCONTRES ÉCONOMIQUES DE L’EUROMÉTROPOLE

Fin janvier, ont eu lieu, comme chaque année, les Rencontres Économiques de l’Eurométrople organisées conjointement par l’Eurométropole, la Ville de Strasbourg, l’Université de Strasbourg et la Chambre de commerce et d’industrie Alsace Eurométropole.

De gauche à droite Éric Bergé et Nicolas Raillard
De gauche à droite Éric Bergé et Nicolas Raillard
De gauche à droite Jeanne Barseghian, Pia Imbs, Jean-Luc Heimburger et Michel Deneken
De gauche à droite Jeanne Barseghian, Pia Imbs, Jean-Luc Heimburger et Michel Deneken

Cette année, près de 1300 personnes étaient présentes à ce rendez-vous incontournable de la vie économique.

Pour éclairer les chefs d’entreprises et les décideurs locaux, le thème du débat portait sur les enjeux énergétiques.

Les deux grands témoins de la soirée étaient deux représentants du Shift Project ; Nicolas Raillard, coordinateur du Plan de transformation de l’économie française et Éric Bergé, chef de projet Industrie Lourde.

Pour rappel, le Shift Project est un think tank indépendant de dimension européenne, présidé par Jean-Marc Jancovici, qui se consacre à la transition énergétique et environnementale. Fondé en 2011, il vise à fournir une analyse impartiale et des recommandations politiques sur des sujets tels que la lutte contre le changement climatique, l’efficacité énergétique et la transition vers des sources d’énergie renouvelable. L’objectif étant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Pour Nicolas Raillard, le Plan de transformation de l’économie française sur lequel il travaille se veut très opérationnel.

Les enjeux sont nombreux. Le premier est d’ordre climatique puisque, selon le GIEC, pour rester sous la barre des 2° de réchauffement global, nous disposons d’un budget carbone limité sur la période 2015-2100 à ne pas dépasser. D’ici 30 ans, si rien n’est fait, nous aurons épuisé ce budget carbone donc nous avons 30 ans pour réduire significativement les gaz à effet de serre.

Le second enjeu concerne les énergies fossiles qui sont disponibles en quantité finie dans la croute terrestre. Pour le pétrole, selon plusieurs études d’intelligence économique, nous disposons de 20 ans avant une contraction de l’approvisionnement mondial. Il est à noter qu’en Europe, pour le pétrole et le gaz, le risque de contraction de l’approvisionnement pour des raisons géologiques se situe dans la décennie 2020 d’où la nécessité d’agir au plus vite.

Le Plan de transformation de l’économie française sur lequel travaille Nicolas Raillard consiste à prendre une pente de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 5% par an dès les 5 premières années et viser la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Ce plan englobe à la fois une vision très physique de l’économie mais aussi, d’un point de vue énergétique, une vision cohérente de l’économie.

Que signifie pour la France le fait de se passer très rapidement des énergies fossiles ?

Cela n’est évidemment pas simple car ces énergies fossiles sont très denses énergétiquement parlant. Plusieurs pistes existent mais ne permettent pas de répondre totalement à la problématique. Il y a par exemple la bio masse, c’est une option mais il faut l’envisager sans emprise spatiale supplémentaire. Elle peut répondre à 15% de la consommation mais ce n’est pas «la solution miracle». D’autres pistes comme les combustibles de synthèse, l’e-fuel, par exemple, est une option mais trop contraignante car il faut beaucoup d’électricité pour les produire.

Ainsi le Shift préconise une électrification massive des parcs de machines utilisant des énergies liquides, gazeuses et solides mais prône surtout une recherche de la sobriété car on peut estimer raisonnablement à l’horizon 2050 une augmentation de la production électrique de 20 à 30% mais pas plus, donc il faut favoriser la sobriété et développer les énergies renouvelables.

Concrètement, dans le domaine des transports, Nicolas Raillard précise que ces transports représentent 30% des émissions de gaz à effet de serre en France et dépendent à 95% des énergies liquides qui sont les énergies les plus à risque dans les prochaines décennies.

Pour le Shift, il faut donc prévoir un développement du ferroviaire (transport des personnes et des marchandises) mais aussi des transports décarbonnés comme l’usage des cycles (vélos, vélos cargo, scooter électrique etc.) que ce soit en secteur urbain, péri-urbain ou même rural.

Il faut également électrifier massivement le parc des véhicules restants (voitures, camions…). Bien entendu ce développement sous-entend la mise en place d’infrastructures spécifiques mais aussi de services adaptés.

Avec cette électrification des usages liés à la mobilité, il faut former l’ensemble des acteurs du transport et il faut aussi mettre en place une gouvernance à différents échelons territoriaux.

Pour illustrer ce qui existe déjà sur notre territoire, plusieurs entreprises ont pu témoigner de leur engagement à penser autrement leur consommation énergétique. Un exemple est l’entreprise Lilly à Fegersheim qui s’est fixé pour objectif la neutralité carbone en 2030. La mise en place en octobre dernier de 20 000 m² de panneaux solaires permet d’ores et déjà de produire 12% de la consommation en électricité du site.

Éric Bergé a, quant à lui, dressé les grandes lignes de la décarbonation de l’industrie lourde car la question est de savoir si nous aurons assez d’énergie pour pouvoir faire tourner les machines industrielles.

Il souligne que les limites au déploiement des technologies se situent dans la capacité de produire plus d’électricité. Il faut donc décarbonner notre industrie mais sans la saborder.

Il faut savoir que la France a l’électricité la moins carbonée au monde avec 60g de CO2/KWh. Nos voisins allemands sont à 450 g de CO2/KWh quant à la Chine, elle est plutôt autour de 700 à 800 g de CO2/KWh.

En fait, même dans l’industrie manufacturière, le bilan carbone d’une entreprise est lié à tous les composants externes qu’elle utilise d’où l’importance de l’industrie lourde qui représente 75% des émissions de gaz à effet de serre pour l’industrie en général.

Pour avoir une idée des grandeurs et des enjeux, Eric Bergé souligne qu’il faut compter dans la métallurgie 2 tonnes de CO2 par tonne d’acier. Dans la chimie, une tonne d’engrais génère 2 tonnes de CO2.

Cette décarbonation est possible grâce aux technologies mais en tenant compte de 3 éléments importants. Tout d’abord, il faut un progrès continu pour optimiser les process. Pour le Shift, c’est 40% du chemin vers l’objectif. Il faut ensuite utiliser des technologies vertes. Il cite en exemple la réduction directe du fer par l’hydrogène et non plus le coke. Le dernier élément est la sobriété car un certain nombre de ces process sont très gourmands en électricité et il ne sera pas possible de produire l’électricité en quantité suffisante pour répondre à ces besoins d’où la nécessité de travailler sur la sobriété énergétique dans les entreprises.

Sans être technophile à tout prix, Éric Bergé souligne le fait que la technologie est importante dans ce processus car, sans elle, il faudra alors imaginer plus de sobriété. Ainsi pour favoriser la percée technologique, le chef de projet Industrie Lourde du Shift pose 3 conditions. Il faut une électricité décarbonée abondante mais comme nous l’avons vu plus haut l’augmentation de la production d’électricité restera limitée. Il faut également mettre en place des protections économiques pour favoriser les entreprises qui jouent le jeu et, dernier élément, il faut mettre en place des normes. Pour lui, les normes peuvent générer de l’innovation. Il cite en exemple la norme RE2020 qui prévoit entre autres des seuils pour la quantité de carbone embarquée pour la construction des logements individuels ou collectifs. Cette norme entraine un développement des innovations. Comme il le souligne, il existe même actuellement des start-up dans le ciment !

Ainsi le travail du Shift permet de mettre en avant le principe de la planification qui amène des perspectives sur le long terme.

Comme l’ont souligné les organisateurs de ces rencontres, les enjeux énergétiques sont au coeur des préoccupations à la fois des élus locaux et des entreprises comme l’a rappelé Pia Imbs, Présidente de l’Eurométropole pour qui la sobriété s’impose à nous car « nous n’avons plus le choix » et d’ajouter qu’à travers une politique des marchés publics, il y a là une réelle volonté de concilier écologie et économie.

Dans le même sens, la Maire de Strasbourg Jeanne Barseghian a insisté sur le rôle de la collectivité dans l’accompagnement des entreprises mais aussi dans la formation des personnes pour favoriser ces évolutions technologiques. La structure représentée par le Groupe Altaïr constitué de plusieurs entreprises d’insertion est là pour répondre à ces défis en termes de formation de nouvelles compétences dans le cadre de l’insertion avec, par exemple, des chantiers formatifs de plusieurs mois permettant aux personnes d’acquérir de nouveaux savoirs.

Pour Jean-Luc Heimburger, Président de la CCI Alsace Eurométropole, il y a un vrai choc de transformation et la crise de l’énergie est très impactante pour les entreprises. Après la crise sanitaire, il faut agir rapidement et trouver des solutions adéquates.

La CCI, avec 90 000 entreprises ressortissantes, met en oeuvre de nombreuses actions pour aider les entrepreneurs et les accompagner dans cette transition énergétique. À court terme, il s’agit de mobiliser tous les dispositifs existants pour amortir le choc de la flambée des prix de l’énergie. D’autre part, les experts de la CCI proposent de réaliser des « diagnostics énergies » pour mettre en évidence les potentiels d’économie à court terme. Enfin, a l’instar de grandes entreprises, les experts en développement durable de la CCI peuvent accompagner les entreprises pour mettre en place des solutions plus pérennes comme la récupération de chaleur ou la production autonome d’énergie. Là aussi, en écho des propos d’Éric Bergé, Jean-Luc Heimburger rappelle que si nous avions déjà des moyens efficaces pour stocker l’électricité, certaines entreprises pourraient développer de manière significative leur autonomie énergétique.

Mais comme aime à le rappeler le Président de la CCI, les solutions proposées doivent tenir compte du fait qu’une entreprise reste une structure économique qui doit être rentable. Des technologies trop onéreuses ne sont pas adaptées et les coûts induits par l’évolution technologique doivent être cohérents pour ne pas mettre en péril la pérennité de ces structures.

Enfin, comme l’a souligné Michel Deneken, Président de l’Université de Strasbourg, autre organisateur de ces Rencontres, l’Université représente le monde des solutions. Pour lui, l’université se développe sur 3 grands axes. Tout d’abord, bien entendu, la formation mais pas seulement pour former des futurs professionnels mais aussi pour former de futurs citoyens pensants.

Le second axe concerne la nature même de l’université qui doit rester « un poil à gratter » pour ne pas tomber dans l’illusion de solutions miracles. Elle doit être force de propositions disruptives.

Enfin, dernier axe, l’université doit rendre à la société l’investissement qu’elle représente en permettant à tous d’accéder à la connaissance et permettre une vraie réflexion sociale et même philosophique sur le monde d’aujourd’hui et de demain.

Pour lui, « Une crise est un formidable appel à la créativité, au tout et n’importe quoi mais pourvu qu’on avance… Nous sommes condamnés à être créatifs ».

C’était bien tout l’enjeu de ces rencontres économiques et des témoignages entendus. Nous devons accélérer notre réflexion pour fournir aux générations futures les clés d’un monde qui évolue et que nous devons protéger.

La Rédaction