Grand Est Paru le 07 mars 2023
CHAMBRE DE MÉTIERS ET DE L’ARTISANAT

Joël Fourny : « Notre réseau est leader de la formation par apprentissage »

Joël Fourny, président de la Chambre de métiers et de l’artisanat France, est venu à la rencontre de deux entreprises messines. L’occasion pour lui de constater que l’artisanat compte de nombreux talents et ne manque pas de dynamisme. « Elles ont confiance dans l’avenir » dit-il au sortir de ces rencontres.

Joël Fourny aux côtés de Laetitia Burckhart et de Christophe Richard pendant la visite d’IMPRETEX.

 

Ce fut une matinée très instructive pour Joël Fourny, président de CMA France, ce 22 février. Il était à Metz bien entouré d’une délégation de la CMA Grand Est que préside Christophe Richard et de Philippe Fischer le président de la Chambre de métiers et de l’artisanat de la Moselle, accompagnés par leur directeur Dominique Klein. « C’est important d’aller sur le terrain, pour appréhender la réalité des entreprises artisanales. Pour porter et défendre les intérêts des entreprises artisanales, il faut aussi aller à leur rencontre. Je suis artisan modeleur dans les Pays de la Loire. J’apprécie d’échanger avec eux sur leurs problèmes, leurs attentes et dans le même temps observer comment les chambres accompagnent les entreprises sur le territoire. » Et ces deux visites, l’une chez Cryo- Ice SARL sur l’Actipôle de Metz, l’autre IMPRETEX à Marly, l’ont vivement intéressé. Il a bien reçu leurs messages. « Il est clair que bon nombre d’entreprises font face à des difficultés, avec la crise énergétique, des coûts des matières premières en hausse, sur la problématique salariale, ce sont des contraintes qui s’imposent à elles aujourd’hui. Mais malgré cela, ces entreprises ont plutôt confiance dans l’avenir, même si elles sont chahutées et perturbées, elles restent confiantes. Elles ont eu une superbe capacité de rebond au sortir de la crise sanitaire. Et aujourd’hui malgré les conséquences de la guerre en Ukraine, ces entreprises ont un carnet de commandes bien rempli. Elles n’ont pas eu de problèmes pour rembourser leur PGE. C’est encourageant. »

Un secteur qui se porte bien

La délégation nationale de la Chambre de métiers et de l’artisanat rappelle au passage que ce secteur qui compte 125 000 entreprises dans le Grand Est connaît une véritable dynamique dans la région. La création d’entreprise est en hausse de plus de 20% entre 2019 et 2022. Elle a enregistré 15 000 créations annuelles en 2019 et près de 18 000 sont attendues à la fin 2022. Des données statistiques qui confirment cet état d’esprit de confiance dans l’avenir de l’activité artisanale qui s’appuie sur de nombreux talents d’entrepreneuses et d’entrepreneurs. Joël Fourny a eu l’opportunité à Metz d’aller à la rencontre de deux entreprises confiantes et en croissance.

Chez Cryo-Ice, on anticipe

Jean-Michel Ott est le patron de Cryo-Ice Sarl, fabricant de glace carbonique, qui a développé des prestations de nettoyage cryogénique à destination des industries françaises, de sociétés de logistique médicale, d’hôpitaux, de laboratoires, de frigoristes, dans l’activité du fret aérien. Cette entreprise créée en 2003, baptisée au départ Cryonet, est parvenue à optimiser son outil de production tout en préservant l’environnement en limitant au maximum les pertes de CO2. Elle a ainsi conçu un système de récupération et de liquéfaction de CO2. Pour autant, elle a dû faire face à l’explosion des coûts de l’énergie, dont celui de l’électricité. En y ajoutant la hausse des matières premières, c’est quasiment 12% du chiffre d’affaires qui ont été affectés. Mais pour rester compétitif, Jean- Michel Ott, le patron, a anticipé. Ce diplômé des Arts et métiers et de l’IAE (école universitaire de management) a choisi d’investir dans l’achat de panneaux photovoltaïques (450 m2 posés sur les toits de l’usine) avec en projet d’en poser sur le parking afin qu’à terme 1/3 de l’énergie provienne de sa propre production.

Récupérateur de CO2

Il a également investi dans ce système de récupération de CO2. Le gaz carbonique est en effet sa matière première qu’il recycle pour en faire de la glace carbonique. Il a su innover à bon escient. Ses locaux sont chauffés grâce à l’unité de liquéfaction de CO2 avec le complément de batteries de compensation avec à la clé une diminution de la consommation d’électricité de l’ordre de 10%. Cette unité de liquéfaction permet aussi une économie de 30% de CO2 liquide acheté. Ce CO2 est acheté à hauteur de 40% auprès d’unités de récupération dans l’industrie de l’ammoniaque utilisé dans la fabrication d’engrais, voire pour 30% auprès d’usines chimiques, et 30% d’unités de bioéthanol. Des innovations qui lui ont valu des prix (Stars et Métiers 2021 Région Grand Est) et le label de l’Efficacité énergétique de l’UEM (Usine d’électricité de Metz.

Cryonet devient Cryo-Ice

Il gère aussi son contrat électrique. De quoi voir venir. Depuis 2017 la société a abandonné l’activité de nettoyage cryogénique mais continue de louer du matériel et propose une formation aux clients. Cette même année la société Cryonet est devenue Cryo-Ice.

Et Cryo-Ice s’est aussitôt distingué par une innovation commerciale de premier ordre : une livraison de glace carbonique en juste à temps avec une qualité de service, une réactivité remarquable. Cryo-Ice est capable de livrer de la glace carbonique dans toute la France en 24 h et en Corse en 48 h quand les grands producteurs comme Air Liquide affichent des délais de livraison plus importants. Les commandes en ligne sont applicables depuis 2009 sur le site internet de la société. Un budget de 20 000 euros est dédié par an à la promotion des services de l’entreprise.

La zone de chalandise de Cryo-Ice est le Grand Est (Strasbourg, Reims, Épinal, Luxembourg). Enfin, l’entreprise emploie 9 personnes.

IMPRETEX ou la réactivité d’une cheffe d’entreprise

Impressionnante Laetitia Burckhart ! La patronne de IMPRETEX, une société implantée dans la zone de la ferme saint-Ladre à Marly, près de Metz, a visiblement étonné ses visiteurs du jour. Cette alerte quinquagénaire, est née dans le métier du marquage d’objets et de vêtements textiles, dans la broderie, sérigraphie textile ou l’impression numérique. Styliste modéliste haute couture de formation, elle a de fait commencé à travailler à tous les postes au sein de l’entreprise familiale, créée par son père. Au départ il s’agissait d’un commerce à Metz, une mercerie. « Un jour mon père a acheté une petite machine à broder après une visite dans un salon professionnel. Il s’est installé dans la réserve et de fil en aiguille il a décroché des marchés plus importants. Il a pris un local, acquis une multitêtes, recruté deux employés du magasin. C’est comme ça qu’il a monté son affaire. Il l’a appelé Betty Broderie. Quand j’ai repris la société en 2011, je l’ai baptisée Impretex, un raccourci d’impression textile. Cela me correspondait mieux. »

Elle vient d’emménager il y a deux ans dans ces nouveaux locaux de 700 m2 de Marly. Des locaux qu’elle a dessinés, conçus à son image, comme elle le répète. C’est esthétique et fonctionnel. À l’avant en vitrine les produits, à l’arrière, derrière des parois vitrées, la production avec des machines ultramodernes, le tout sans que ne filtre le bruit de ces machines dans le showroom. « Ce sont des équipements qui ne sont pas très énergivores. Je n’ai pas eu de problèmes pour mes factures d’électricité » assure Laetitia Burckhart pour répondre aux interrogations de ses visiteurs.

Laetitia Burckhart investit massivement

À l’achat de la société familiale en 2011 elle n’a pas hésité à investir : imprimante numérique Browser, mise en réseau informatique, embauche d’un chef d’atelier. En 2014 elle transforme le bâtiment pour améliorer la circulation interne. En 2017 elle rachète une société ayant l’exclusivité avec deux grandes enseignes GMS (grande distribution) pour le visuel textile notamment. Enfin, en 2021 c’est le transfert dans les locaux actuels, tout proches des anciens. L’atelier a accueilli deux nouvelles presses à transfert pneumatique SEFA ainsi qu’une imprimante textile numérique Brother pour un montant de 23 000 euros, auquel elle a ajouté une brodeuse Barudan numérique pour 51 000 euros et pour laquelle une subvention A.M.I. artisan (Appel à manifestation d’intérêt) a été obtenue, le tout avec le concours du conseiller de la chambre de métiers de la Moselle, dont elle cite le nom, M. Berger, pour saluer son travail, et les contacts réguliers qu’elle peut entretenir ainsi avec la chambre consulaire. L’occasion pour Dominique Klein, le directeur, de souligner l’ambition de la chambre d’aller vers une stratégie « une entreprise, un conseiller ! ». Joël Fourny confirme : « C’est le rôle de la chambre de métiers d’aller vers l’entreprise. Souvent le chef d’entreprise n’a pas le temps de le faire. »

La semaine de quatre jours

Et grâce au dispositif Ardan, elle a pu recruter une infographiste. Du personnel formé sur place au sein de l’entreprise. « Une personne embauchée passe par tous les postes de travail » ajoute la patronne. Une cheffe d’entreprise qui ne néglige surtout pas les ressources humaines. « Cela fait 20 ans que l’on travaille sur la semaine de 4 jours. Du matin 8h30 au soir 18h avec 45 minutes de pause déjeuner, elles bénéficient du lundi ou du vendredi. On est un peu précurseur. En fait c’est une facilité pour les salariés, de faire des journées continues et de venir quatre jours. » Impretex a une clientèle professionnelle. Ses fournisseurs sont des importateurs français de textiles venant pour l’essentiel de Chine. Les fournisseurs sont de Toulouse, de Bretagne, d’Ile de France. Elle emploie 8 personnes, que des femmes, pour un chiffre d’affaires qui oscille entre 600 000 et 700 000 euros. « Nous sommes en progression tous les ans » dit-elle.

Production de masques

Le parcours de la cheffe d’entreprise n’a pas été sans aléas. Mais à chaque fois elle a su se montrer réactive. Elle cite ainsi devant Joël Fourny et Christophe Richard, son expérience de l’année du confinement, pendant la crise du Covid 19. « Un ami m’a sensibilisée sur le sujet. On avait fermé trois semaines. J’ai réfléchi et suis venue à l’atelier. Avec du tissu j’ai essayé de faire un patron de masque. J’ai rappelé le personnel, on s’est remis au travail. On a produit 25 000 masques en un mois et demi. Économiquement, nous avons fait notre plus belle année, une année record ! » Une réactivité payante. « C’est là qu’on voit que l’artisanat sait s’adapter » salue Joël Fourny. Il a en face de lui, une entreprise autonome, bien accompagnée par les conseillers de la Chambre de métiers et qui a fort bien surmonté les crises successives. Christophe Richard, le président de la Chambre de métiers et de l’artisanat Grand Est, résume à sa façon cette réussite. « Le monde de l’artisanat a eu une certaine résilience au regard des crises que l’on traverse. On peut admirer le fruit de ce travail sur de petites unités comme celles-ci. »

Questions à Joël Fourny

« Notre réseau est leader de la formation par apprentissage »

Le président national du réseau des chambres de métiers et de l’artisanat se félicite de la bonne santé de l’apprentissage pour assurer la formation à des métiers de l’artisanat.

- « Est-ce que la formation suit et répond aux besoins des entreprises ?

- Joël Fourny : « Nous avons travaillé avec le gouvernement et avec l’approche France Compétences, pour permettre de maintenir toutes les formations qui sont dispensées, de maintenir toute l’offre de formation au niveau national. On n’est pas une analyse comptable, on est vraiment dans une logique de garantir la possibilité de transmettre les savoir-faire. De faire en sorte d’assurer les besoins de formation nécessaires pour les entreprises et pour le besoin de main d’oeuvre nécessaire pour les entreprises artisanales. »

- Le réseau des chambres de métiers peut-il garantir cette offre de formations ?

- J.F. : « Nous devons mener des discussions avec le ministère et la ministre Carole Grandjean pour faire en sorte de trouver un bon équilibre qui permette de pouvoir continuer à proposer au public, cette offre de formations. Pour assurer ces contrats d’apprentissage, il faut qu’on soit sûr de pouvoir disposer des équipements sur les plateaux techniques de nos CFA à la hauteur des besoins. Le réseau gère 137 CFA au niveau national, avec à peu près 112 000 jeunes formés chaque année. Notre réseau est leader de la formation par apprentissage. On a cette capacité de discussion avec le gouvernement. Ce dernier est conscient que si on veut arriver à un million d’apprentis dans les années qui viennent, alors qu’on vient de parvenir à 850 000, il faut s’en donner les moyens. Il faudra accepter de mettre le financement nécessaire. Il y avait eu un coup de rabot l’an passé, mais c’était encore acceptable. En fait ce n’était pas un coup de rabot, il s’agissait d’un ajustement pour utiliser les fonds de la formation de manière optimale, et de répondre aux besoins métier par métier. »

« L’apprentissage, c’est l’ADN de l’artisanat »

- Comment expliquez-vous ce retour en grâce de l’apprentissage ?

- J.F. : « Il y a eu une véritable volonté politique de donner une image à cette formation d’excellence. La formation par apprentissage est une vraie voie de formation à part entière, qui avait une notoriété à l’échelle européenne, notamment grâce à nos amis allemands, qui sont des modèles exemplaires de l’apprentissage. Le président de la République, au travers de la réforme de la loi Choisir son avenir professionnel de 2018 avait une vraie volonté de changer l’image que l’on pouvait avoir de la formation par apprentissage. Le réseau a beaucoup contribué pour donner une autre valeur, une autre image de nos métiers de l’artisanat qui était peut-être mal-connue. Notre filière développe quelque 250 métiers par trop méconnus, c’était de notre ressort de les revaloriser. Ces métiers ne sont pas suffisamment présentés aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail, au grand public. Enfin il y a des publics venant de différents horizons qui aujourd’hui portent un intérêt sur ces filières de l’artisanat. Enfin, l’apprentissage est une vraie opportunité pour un jeune d’entrer sur le marché du travail, d’appréhender la réalité d’une entreprise, de quoi lui ouvrir des perspectives d’emploi. Faut-il encore le rappeler, mais un artisan sur deux est issu de l’apprentissage. Ce n’est pas un hasard. »

- Pourtant un apprenti sur quatre ne va pas au bout de son contrat, alors que les artisans ont dans le même temps du mal à recruter ?

- J.F. : « On a une forte tension sur le besoin de recrutement. C’était vrai avant la crise du Covid, ça reste une évidence aujourd’hui. C’est aussi le fait d’un besoin de renouvellement aujourd’hui. Cette tension s’explique aussi car de nombreuses entreprises se sont fortement développées, notamment au moment du rebond après la crise sanitaire. Je ne connais pas un métier qui ne connaisse pas un besoin de recruter. Pour autant, si un apprenti choisit d’aller voir ailleurs, pendant un certain temps, il n’est pas rare de les revoir par la suite. Ce n’est pas négatif que ces apprentis choisissent une autre voie, un certain temps. Et le taux de rupture reste assez faible dans l’artisanat. Mais ils peuvent revenir avec encore davantage de compétences. Et n’oublions surtout pas que nous faisons de l’apprentissage depuis fort longtemps. L’apprentissage c’est notre ADN dans l’artisanat. Rappelons enfin qu’aujourd’hui bon nombre de jeunes choisissent leur métier, choisissent leur carrière professionnelle, ce ne sont pas des gens qui arrivent par défaut. La notoriété de la formation par apprentissage est aujourd’hui toute autre ! »

- Quels sont les métiers les plus en tension ?

- J.F. : « Il y a des métiers en pénurie, comme les boulangers ou les bouchers où près de 15 000 emplois sont attendus. Vous avez dans la coiffure, 8 000 sont attendus. Dans le bâtiment, la menuiserie, il y a aussi une forte pression. Aujourd’hui il n’y a pas un métier qui n’est pas en tension. Pour s’en sortir il faut communiquer sur ces métiers, les valoriser, donner envie au public en faisant la promotion de ces entreprises artisanales qui innovent, qui s’adaptent. Il existe une belle dynamique dans les métiers de l’artisanat. Et c’est le fait que ces entreprises n’ont pas baissé la garde en matière de formation initiale, elles ont continué à s’impliquer, à mobiliser des maîtres d’apprentissage passionnés de pédagogie, de transmission de savoir-faire. Vous l’aurez constaté, les entreprises artisanales peuvent avoir des difficultés, mais l’artisanat ce n’est pas qu’une source de problèmes. Il y a des entreprises qui vont bien. Elles sont en mesure de s’adapter. Et malgré le contexte, elles restent confiantes. »

Bernard KRATZ